Tuteur de personne vulnérable - partie civile oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 15 juin 2010

N° de pourvoi : 09-83185

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

Me Balat, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... Albert,

contre l’arrêt de la cour d’appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 2 avril 2009, qui, pour soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, obtention abusive de services non rétribués ou insuffisamment rétribués d’une personne vulnérable ou dépendante, violences aggravées, l’a condamné à quinze mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, 111-3, 112-1, 225-13 et 225-14 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Albert X... coupable des délits de conditions de travail et d’hébergement indignes et d’obtention de services non rétribués d’une personne vulnérable ou en état de dépendance et de violences habituelles sur une personne particulièrement vulnérable, l’a condamné à la peine de quinze mois d’emprisonnement avec sursis avec mise à l’épreuve pendant trois ans avec obligation de réparer les dommages causes par l’infraction et d’avoir prononcé sur les intérêts civils ;

”aux motifs que par des motifs que la cour adopte, le tribunal a exactement exposé les raisons pour lesquelles la culpabilité d’Albert X... devait être retenue et il suffit d’ajouter ce qui suit, que :

le 25 février 2007, des représentants du Comité contre l’esclavage moderne accompagnaient Alain Y... à la brigade de gendarmerie de Lauzerte pour déposer plainte contre Albert X..., entrepreneur en charpente, son employeur depuis deux ans ; qu’Alain Y... était placé sous tutelle et son employeur qui subvenait à tous ses besoins versait son salaire (un peu moins de 800 euros par mois) sur le compte du salarié géré par l’UDAF ; qu’il en déduisait le montant des prestations en nature (logement, nourriture, habillement, argent de poche) évalué par lui-même en sorte que, le plus souvent, il ne restait rien sur le compte du salarié et il arrivait même certains mois que le solde soit débiteur ; que les investigations montraient qu’Alain Y... était logé dans des conditions insalubres dans un local appartenant à Albert X... ; que ce dernier reconnaissait, lors de son audition du 13 mars 2007, que le logement ne constituait pas des conditions de vie acceptables et que lui-même n’accepterait pas d’y vivre ; qu’Albert X... reconnaissait à l’audience de la cour d’appel que les derniers vêtements fournis à son salarié étaient des habits usagés donnés par quelqu’un d’autre ; qu’Alain Y..., confirmé en cela par plusieurs témoins, expliquait qu’il était victime de moqueries, de brimades et parfois de violences de la part de son employeur ; qu’Albert X... reconnaissait avoir traité son employé de « connard », s’être moqué de lui et lui avoir donné un coup de pied aux fesses ; que l’expert psychiatre qui examinait Alain Y... notait que celui-ci évoquait les faits avec indignation et souffrance ; qu’il le décrivait comme étant indemne de pathologie, d’intelligence normale faible, inhibé, frustre ; que l’experte estimait qu’Alain Y... était un dominé, un solitaire et qu’il présentait des signes de souffrance psychiatrique liée à un traumatisme ancien et prolongé ; que l’expertise médicale révélait des plaies anciennes pouvant être en rapport avec des agressions anciennes et peut-être dues à des coups portés à main nue ou par des objets tranchants ou contondants ; qu’Albert X... conclut à sa relaxe en soutenant que l’état de vulnérabilité ou de dépendance de son salarié n’est pas établi ; qu’il apparaît que cet état est caractérisé tant par l’expertise psychiatrique qui révèle la faiblesse de son intelligence et son état de domination que par la constatation des conditions qu’il a subies pendant de nombreuses années sans être capable de manifester son refus ; que ce n’est d’ailleurs qu’avec l’aide de personnes extérieures qu’il a pu dénoncer les conditions indignes qu’il subissait ; que compte tenu de la gravité des faits, la peine prononcée contre Albert X... sera portée à quinze mois d’emprisonnement avec sursis avec mise à l’épreuve pendant trois ans assortie de l’obligation d’indemniser la victime ; que sur l’action civile,

c’est à juste titre que le tribunal a condamné le prévenu au versement de dommages-intérêts à l’UDAF en sa qualité de tuteur d’Alain Y... ; que toutefois, le montant de ce dédommagement, qui ne se confond pas avec les créances salariales qui pourraient être demandées devant la juridiction prud’homale, sera limité à 100 000 euros ; que c’est encore à juste titre et par des motifs que la cour adopte, que le tribunal a rejeté la demande du Comité contre l’esclavage moderne qui, bien qu’il soit à l’origine du dépôt de plainte, n’entre pas dans les prévisions de la loi permettant son action ;

”1) alors que, dans ses écritures devant la cour d’appel, Albert X... rappelait que le droit des incapacités avait pour objet la protection de ses destinataires et soutenait qu’Alain Y... étant placé sous un régime de tutelle, la protection dont il bénéficiait interdisait de le qualifier de personne vulnérable ou dépendante ; qu’à défaut de répondre à ce moyen péremptoire, la cour d’appel a méconnu les dispositions susvisées ;

”2) alors que le régime de la tutelle met en place une protection du majeur qui en fait l’objet de sorte que celui-ci ne peut plus se trouver dans un état de vulnérabilité ou de dépendance ; qu’en constatant qu’Alain Y... était un majeur placé sous la protection de son tuteur tout en le qualifiant de personne en état de vulnérabilité ou de dépendance, la cour d’appel a entaché son arrêt d’une contradiction de motifs ;

”3) alors que l’exploitation d’une personne vulnérable dans le cadre de ses conditions de travail et d’hébergement ainsi que le fait d’obtenir des services non rétribués d’une telle personne ne sont sanctionnés pénalement que si l’auteur de l’infraction a eu connaissance de l’état de la victime ou si cet état était apparent ; que dans ses écritures d’appel Albert X... contestait qu’Alain Y... ait été dans un état de vulnérabilité ou de dépendance ; qu’il s’en évinçait nécessairement qu’Albert X... ignorait que son salarié était dans un tel état et que cet état n’était pas apparent ; qu’à défaut de rechercher si Albert X... avait connaissance de l’état de vulnérabilité ou de dépendance d’Alain Y... ou si cet état était apparent, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;

”4) alors que, toute infraction doit être définie en des termes clairs et précis ; qu’en faisant application d’un texte définissant de manière imprécise l’incrimination d’hébergement dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine, la cour d’appel a méconnu les dispositions susvisées ;

”5) alors qu’en condamnant Albert X... pour avoir soumis Alain Y... à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine sans relever l’existence de telles conditions de travail, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’Alain Y..., majeur protégé placé sous tutelle, a été employé à partie de l’année 1981 par Albert X..., charpentier-couvreur à Lauzerte (Tarn-et-Garonne), qui lui a fourni un logement, de la nourriture et des vêtements ; qu’à l’issue de l’enquête consécutive à la plainte qu’il a déposée le 25 février 2007, accompagné de représentants du Comité contre l’esclavage moderne, contre son employeur, celui-ci a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs, notamment, d’obtention de services non rétribués de la part d’une personne vulnérable et de soumission de la même personne à des conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ;

Attendu que, pour confirmer le jugement ayant déclaré le prévenu coupable de ces infractions, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, qu’Alain Y... était logé par son employeur dans des conditions insalubres et qu’il portait des vêtements usagés fournis par lui, le montant de ces prestations en nature étant déduit de son salaire par ce dernier ; que les juges retiennent qu’il travaillait tous les jours, y compris parfois le samedi et qu’il ne bénéficiait pas de conditions de travail ordinairement offertes aux employés d’une entreprise, étant insulté et parfois même frappé ; qu’ils ajoutent que son état de vulnérabilité ou de dépendance est caractérisé tant par l’expertise psychiatrique qui révèle notamment son état de domination que par la constatation de son incapacité à dénoncer les conditions qu’il a subies pendant de nombreuses années ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuves contradictoirement débattus, la cour d’appel a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable et a justifié sa décision au regard des articles 225-13 et 225-14 du code pénal dont les termes ne sont pas incompatibles avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Albert X... coupable des délits de conditions de travail et d’hébergement et d’obtention de services non rétribués d’une personne vulnérable ou en état de dépendance et de violences habituelles sur une personne particulièrement vulnérable, l’a condamné à verser la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts à l’UDAF au titre de son action civile ;

”aux motifs que c’est à juste titre que le tribunal a condamné le prévenu au versement de dommages et intérêts à l’UDAF en sa qualité de tuteur d’Alain Y... ; que toutefois, le montant de ce dédommagement, qui ne se confond pas avec les créances salariales qui pourraient être demandées devant la juridiction prud’homale, sera limité à 100 000 euros ; que c’est encore à juste titre et par des motifs que la cour adopte, que le tribunal a rejeté la demande du Comité contre l’esclavage moderne qui, bien qu’il soit à l’origine du dépôt de plainte, n’entre pas dans les prévisions de la loi permettant son action ;

”alors que tout jugement doit être motivé ; qu’à défaut de motiver, même succinctement, le chef de l’arrêt par lequel elle a fixé le quantum des dommages-intérêts dus par Albert X... à l’UDAF, la cour d’appel a méconnu les dispositions susvisées” ;

Attendu qu’en évaluant, comme elle l’a fait, la réparation du préjudice résultant pour l’UDAF de Tarn-et-Garonne, en sa qualité de tuteur d’Albert Y..., de l’infraction, la cour d’appel n’a fait qu’user de son pouvoir d’apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l’indemnité propre à réparer le dommage né de l’infraction ;

D’où il suit que le moyen se saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme qu’Albert X... devra payer à l’Union départementale des associations familiales du Tarn-et-Garonne ès qualités de tuteur d’Alain Y..., au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Harel-Dutirou conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Toulouse , du 2 avril 2009