Emploi domestique
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du 29 mars 2011
N° de pourvoi : 09-88575
Non publié au bulletin
Cassation
M. Louvel (président), président
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Tiffreau et Corlay, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
"-"
Mme X... Keita, partie civile,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de VERSAILLES, en date du 13 octobre 2009, qui, dans l’information suivie contre Mme Y... Keita, épouse Z..., des chefs de travail dissimulé, aide à l’entrée ou au séjour irrégulier d’un mineur, soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 1er mars 2011 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Palisse conseiller rapporteur, M. Blondet, Mmes Koering-Joulin, Guirimand, MM. Beauvais, Guérin, Straehli, Finidori, Monfort, Pers conseillers de la chambre, Mmes Divialle, Degorce, conseillers référendaires, M. Maziau conseiller référendaire stagiaire ayant prêté serment ;
Avocat général : M. Mathon ;
Greffier de chambre : Mme Téplier ;
Sur le rapport de Mme le conseiller PALISSE, les observations de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE de BRUNETON, de la société civile professionnelle TIFFREAU et CORLAY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général MATHON ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 4, 6 et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des articles L. 622-6, L. 622-7 du code des étrangers, des articles 225-14, 225-15 et 225-19 du code pénal, des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11 devenus les articles L. 8221-1, L. 8221-2, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5 du code du travail et L. 362-3, L. 362-4 et L. 362-5, devenus les article L. 8224-1, L. 8224-2, L. 8224-3 et L. 8224-4 du code du travail, des articles 575, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
”en ce que la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction ayant dit n’y avoir lieu à suivre à l’encontre de Mme Z... ;
”aux motifs que les déclarations de la partie civile et de la personne mise en examen sont contraires quant aux conditions de vie au sein de la famille Z... ; qu’X... Keita affirmait avoir été victime de violences physiques, de brimades et de violences, contrainte à des journées de travail de 18 heures sans rémunération, avoir été victime de traitements discriminatoires et privée de sa liberté d’aller et venir tandis que Mme Z... affirmait qu’X... Keita avec laquelle elle avait un lien de parenté était à son foyer avec l’accord de son père avec lequel elle avait des contacts téléphoniques, qu’elle n’était nullement victime de violences ou de brimades, qu’elle n’était pas sa salariée, contribuant aux tâches ménagères au sein de la famille nombreuse ; qu’enfin elle avait la possibilité de sortir et de rencontrer des tiers ; qu’aucun témoin ne vient corroborer les accusations de travail dissimulé ou de soumission à des conditions d’hébergement et de travail incompatibles avec la dignité humaine ; que notamment Mme A... et Mme B... travailleurs sociaux indépendantes des parties, bien que présentes au domicile de la mise en examen et de la partie civile deux demi-journées une année durant n’ont fait état d’aucun élément accréditant les affirmations de la plaignante ni même d’aucune doléance bien que l’une d’entre elle parlant la langue de cette dernière ; qu’aucun élément de l’enquête ne permet de contredire les déclarations de Mme Z... avançant qu’elle n’avait, nullement, avec la plaignante des relations d’employeur à salarié, que cette dernière qui est sa nièce, vivait au sein de la famille nombreuse dans un appartement F4, dormant dans la même pièce que plusieurs de ses enfants et participait normalement aux tâches ménagères et familiales ; que l’expertise médicale de la partie civile effectuée par le docteur M. C... ne permet pas d’affirmer que les cicatrices que présentait X... Keita étaient dues aux sévices corporels que cette dernière avançait avoir subi de la part de la mise en examen ; que les charges quant à l’élément intentionnel du délit d’aide au séjour sont insuffisamment réunies, l’enfant mineure, ayant été remise par son père volontairement à un membre de la famille qui, selon les éléments recueillis, ne pouvait s’en occuper au Mali ; que, dès lors, les charges relatives aux infractions, objet de la plainte, sont insuffisamment caractérisées à l’encontre de la personne mise en examen ou de quiconque ; qu’aucune mesure d’investigation complémentaire n’est envisageable afin de suppléer à cette insuffisance de charges ; qu’il y a lieu en conséquence de confirmer l’ordonnance de non lieu déférée ;
”1°) alors que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu’en affirmant qu’aucun témoin ne vient corroborer les accusations de travail dissimulé et qu’aucun élément de l’enquête ne permet de contredire les déclarations de Mme Z... avançant qu’elle n’avait, nullement, avec la plaignante des relations d’employeur à salarié et de celle-ci participait normalement aux tâches ménagères et familiales tout en relevant que les aides ménagères avaient déclaré qu’elles avaient vu la jeune fille travailler dans la maison et qu’elle était toujours occupée par les tâches ménagères ou les enfants, que les personnes vivant au domicile de Mme Z... avaient déclaré qu’X... Keita était venue en France aux fins de s’occuper des enfants de Mme Z... qui n’avait pas reçu de réponse favorable à ses demandes d’aide à domicile, qu’X... Keita avait particulièrement pour charge de s’occuper de Mobido Z... et qu’elle effectuait, en outre, les courses et les tâches ménagères courantes du foyer pour lesquelles elle n’était pas rémunérée et qu’un courrier envoyé par M. D..., le voisin de la famille, mentionnait qu’X... Keita était « bonne à tout faire », la chambre de l’instruction a entaché sa décision d’une contradiction de motifs la privant ainsi des conditions essentielles de son existence légale ;
”2°) alors que la demanderesse faisait valoir, dans son mémoire, que la situation de travail forcé est constitutive de conditions de travail contraire à la dignité humaine au sens de l’article 225-14 du code pénal et qu’une situation de travail forcé s’entend de l’exécution en permanence et sans congé, de tâches domestiques manifestement insuffisamment rétribuées au service d’un employeur qui conserve le passeport de la victime ; qu’en affirmant qu’aucun témoin ne venait corroborer les accusations de soumission à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine sans répondre au moyen péremptoire des écritures d’appel de la demanderesse faisant valoir que les circonstances dans lesquelles s’inscrivait le travail imposé à X... Keita s’analysait en une situation de travail forcé et par conséquent de conditions de travail contraires à la dignité humaine, la chambre de l’instruction a privé sa décision de motifs et des conditions essentielles de son existence légale ;
”3°) alors que tout jugement doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; qu’en affirmant qu’aucun témoin ne venait corroborer les accusations de soumission à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine tout en relevant qu’X... Keita vivait dans un appartement F4 avec neuf autres membres de la famille Z..., qu’elle dormait sur un matelas à même le sol dans la salle à manger avec les enfants qui, eux, bénéficiaient de lits superposés constatant par-là même qu’aucun espace personnel ne lui étant réservé et qu’elle n’avait bénéficié, pendant cinq ans, d’aucune intimité et, sans relever que la famille Z... bénéficiait de conditions d’hébergement compatibles avec la dignité humaine, la chambre de l’instruction a privé sa décision de motifs et des conditions essentielles de son existence légale ;
”4°) alors que tout arrêt de la chambre de l’instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que la demanderesse faisait valoir, dans son mémoire, que l’enquête préliminaire et l’information avait établi qu’aucune démarche n’avait été effectuée dans les délais légaux aux fins de régularisation de la situation administrative de la partie civile, que Mme Z... portait la responsabilité du séjour irrégulier de la partie civile sur le sol français et que les circonstances de mise en place de la situation litigieuse étaient dépourvues d’effet exonératoire à l’encontre des carences de Mme Z... quant au respect de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers ; qu’en affirmant que les charges quant à l’élément intentionnel du délit d’aide au séjour irrégulier d’un mineur en France sont insuffisamment réunies au motif inopérant que l’enfant mineure avait été remise par son père volontairement à un membre de la famille qui, selon les éléments recueillis, ne pouvait s’en occuper au Mali et sans rechercher, comme cela lui était demandé, si le fait qu’X... Keita ait été remise volontairement par son père à un membre de la famille ne dispensait pas pour autant Mme Z... d’effectuer les démarches nécessaires à sa régularisation, la chambre de l’instruction a privé sa décision de motifs et des conditions essentielles de son existence légale” ;
Vu l’article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l’instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’en 2006, la partie civile d’origine malienne, a porté plainte auprès du procureur de la République en exposant qu’en 2000, alors âgée de treize ans, elle avait été conduite en France, avec le consentement de son père, par Mme Z..., une de ses parentes ; qu’hébergée au domicile de cette dernière, un F4 occupé par neuf personnes, elle avait, pendant cinq ans, assuré les tâches ménagères, et s’était occupée des enfants sans rémunération, en l’absence de toute déclaration aux organismes de protection sociale et de toute régularisation de son séjour en France ; qu’elle a ajouté qu’elle devait dormir sur un matelas à même le sol dans la pièce occupée par les enfants, qu’elle ne mangeait qu’une fois par jour, qu’elle avait été frappée, empêchée de sortir, son passeport lui ayant été retiré ;
Attendu qu’une information a été ouverte des chefs de travail dissimulé, aide à l’entrée ou au séjour irrégulier d’un mineur, rétribution inexistante ou insuffisante des services d’une personne vulnérable ou dépendante, soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ; que Mme Z..., mise en examen de ces chefs, sans contester que la partie civile l’ait aidée aux travaux domestiques, a fait valoir qu’X... Keita vivait comme tous les membres de la famille, qu’elle n’avait pas été frappée, qu’elle pouvait sortir et téléphoner à son père ;
Attendu que les investigations ont établi que diverses personnes avaient remarqué le travail domestique fait par la partie civile, qu’aucune n’avait relevé de signe de maltraitance, et qu’X... Keita se rendait à des cours d’alphabétisation où elle avait rencontré l’ami chez lequel elle vit depuis octobre 2005 ;
Attendu qu’en l’état de ces éléments le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu dont la partie civile a interjeté appel ; que, pour confirmer cette décision, l’arrêt retient que, d’une part, rien ne vient contredire les déclarations de la mise en examen assurant qu’elle n’avait pas, avec la partie civile, une relation d’employeur à salarié, que, d’autre part, X... Keita, alors mineure, ayant été remise par son père, l’infraction d’aide au séjour irrégulier n’est pas constituée ;
Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, après avoir relevé que la partie civile était venue pour s’occuper des enfants, qu’elle était employée sans rémunération aux soins de ces derniers et aux tâches domestiques comme l’avaient constaté plusieurs tiers, alors que l’intéressé est une personne vulnérable au sens de l’article 225-15-1 du code pénal, et qu’il est indifférent à la constituton de l’infraction d’aide au séjour irrégulier que le mineur soit entré en France avec l’autorisation de son père, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles, en date du 13 octobre 2009, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-neuf mars deux mille onze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
Décision attaquée : Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles du 13 octobre 2009