Emploi domestique - droit à réparation du préjudice

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 janvier 2021, 20-80.242, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle

N° de pourvoi : 20-80.242
ECLI:FR:CCASS:2021:CR00034
Non publié au bulletin
Solution : Cassation partielle

Audience publique du mardi 12 janvier 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles, du 09 décembre 2019

Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° G 20-80.242 F-D

N° 00034

EB2
12 JANVIER 2021

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JANVIER 2021

Mme E... J..., partie civile, a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, 7e chambre, en date du 9 décembre 2019, qui, dans la procédure suivie contre Mme D... G... des chefs de travail dissimulé, aide aggravée à l’entrée, au séjour ou à la circulation irréguliers d’un étranger et conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité, a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme E... J..., et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l’audience publique du 17 novembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Seys, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et M. Bétron, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. A la suite d’une information judiciaire, Mme G... a été renvoyée devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés, pour des faits commis au préjudice de E... J..., alors mineure.

3. Après avoir déclaré coupable et condamné pénalement la prévenue, les juges du premier degré ont fixé à 60 000 euros la somme devant être payée par celle-ci à la partie civile en réparation de son préjudice moral.

4. Appel a été interjeté contre cette décision, par Mme G... à titre principal et par le procureur de la République ainsi que par Mme J... à titre incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le second moyen pris en sa première branche

4. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le second moyen pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a débouté Mme J... de sa demande d’indemnisation relative au travail forcé et aux conditions de travail indignes, alors :

« 2°/ que en retenant, pour écarter la demande d’indemnisation des chefs de travail forcé et de conditions de travail indigne, que la partie civile « a[vait] été déboutée de ce chef de préjudice par la juridiction civile par l’arrêt du 10 avril 2014 » (arrêt, p. 23, § 2), cependant que l’autorité de chose jugée par une juridiction civile n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement et a été tranché dans son dispositif et qu’aucune disposition de l’arrêt rendu le 10 avril 2014 par la chambre sociale de la cour d’appel de Versailles ne déboute Mme J... de l’une de ses prétentions, la cour d’appel, qui s’est contredite, n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile ;

3°/ que le préjudice résultant d’une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu’en déboutant Mme J... de ses demandes au titre du travail forcé et des conditions de travail indigne, quand la chambre sociale de la cour d’appel avait précisé, dans les motifs de son arrêt, que « n[’étaient] [...] pas établies les conditions de travail brutales et dégradantes évoquées par la salariée dans sa demande indemnitaire, en l’état de la procédure pénale qui n’a pas encore donné lieu à un jugement sur le fond après deux ordonnances de non-lieu rendues de ce chef et cassées par la Cour de cassation » (arrêt du 10 avril 2014, p. 4, dernier paragraphe), ce dont il résulte que la juridiction civile avait réservé les intérêts civils de ce chef et abandonné à la juridiction répressive le soin d’évaluer les indemnités propres à réparer le préjudice résultant de ces infractions, la cour d’appel a violé les articles 6, § 1er, de la Convention des droits de l’homme, préliminaire, 2 et 3 du code de procédure pénale, 1240 et 1355 du code civil et le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

4°/ que constitue une omission de statuer celle par laquelle le juge omet de reprendre, dans le dispositif de sa décision, une prétention sur laquelle il s’est expliqué dans les motifs de celle-ci et que la procédure prévue par l’article 463 du code de procédure civile n’exclut pas que le chef de demande sur lequel le juge ne s’est pas prononcé soit l’objet d’une nouvelle instance introduite selon la procédure de droit commun ; qu’en retenant, pour débouter Mme J... de ses demandes, que la chambre sociale de la cour d’appel de Versailles « a[vait] estimé qu[’elle] ne rapportait pas la preuve de ses conditions de travail indignes et n’a[vait] donc pas pris en compte ce chef de préjudice pour lui allouer cette somme de 10 000 euros » (arrêt, p. 23, § 2), quand cette juridiction avait omis de statuer sur ces prétentions en ne reprenant pas dans le dispositif de son arrêt le rejet qui s’évinçait de ses motifs, en sorte que Mme J... était libre de saisir une juridiction répressive de l’action civile relative à ces infractions, la cour d’appel a violé les articles 6, § 1er, de la Convention des droits de l’homme, préliminaire, 2 et 3 du code de procédure pénale, 1240 et 1355 du code civil, 463, 480 et 481 du code de procédure civile et le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1355 du code civil :

6. L’autorité de chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif.

7. Pour débouter Mme J... de sa demande d’indemnisation au titre du travail forcé et des conditions de travail indignes, l’arrêt attaqué énonce que l’intéressée a précédemment formé contre Mme G... une demande à ce titre devant la chambre sociale de la cour d’appel, qui a été rejetée.

8. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

9. En effet, pour évaluer la somme due à la partie civile en réparation de son préjudice moral résultant de la relation de travail litigieuse avec Mme G..., l’arrêt de la chambre sociale ne prend pas en compte les conditions de travail brutales et dégradantes invoquées par l’intéressée, au motif que celles-ci n’étaient pas établies en l’état et que le jugement pénal n’avait pas encore été rendu. Il en résulte que la demande formée à ce titre n’a pas été tranchée par la juridiction civile, de sorte qu’il n’existe aucune autorité de chose jugée.

10. C’est donc a tort que la cour d’appel s’est abstenue de rechercher si les faits de conditions de travail indigne pour lesquels Mme G... a été pénalement condamnée ont entraîné pour la partie civile un préjudice susceptible d’indemnisation.

11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Versailles en date du 9 décembre 2019, mais en ses seules dispositions ayant débouté la partie civile de sa demande de dommages et intérêts relative au travail forcé et aux conditions de travail indignes, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze janvier deux mille vingt et un.ECLI:FR:CCASS:2021:CR00034