Exploitation agricole

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 16 février 2010

N° de pourvoi : 09-84012

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Louvel (président), président

Me Bouthors, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... Laurent,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 26 mai 2009, qui, pour soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine et infraction à la réglementation sur la sécurité des travailleurs, l’a condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d’amende, deux amendes de 500 euros, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles R. 716-21, R. 716-24, R. 716-20 5e du code rural, des articles 111-3, 111-4, 225-14, 225-15, 225-15-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble les principes de légalité criminelle et d’interprétation stricte de la loi pénale ;

”en ce que la cour a déclaré Laurent X... coupable du délit de soumission de plusieurs personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes, l’a condamné à une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis simple ainsi qu’aux intérêts civils ;

”aux motifs que le délit de soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail indignes impose, pour être punissable, la réunion cumulative de deux éléments, d’une part, l’établissement de la vulnérabilité ou de l’état de dépendance comme étant apparents ou connus de l’auteur, d’autre part, la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli ; que si en l’occurrence l’état de dépendance des salariés du prévenu était connu de ce dernier en ce qu’il disposait du pouvoir décisionnel quant au renouvellement de leur contrat chaque année, le non-paiement des heures supplémentaires, conformément aux dispositions légales, ne constitue aucunement le deuxième terme nécessaire de l’élément matériel de l’infraction poursuivie, dans la mesure où la rémunération des salariés était fixée conformément à la réglementation en vigueur à l’époque des faits ; que la relaxe prononcée au titre de cette infraction, par les premiers juges, doit être confirmée ; que, sur l’infraction de soumission de plusieurs personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes, Laurent X... soutient que les procès-verbaux afférents aux conditions d’hébergement des salariés saisonniers révèlent des faits de juillet 2005 et non de 2004 tels que visés dans la poursuite, qu’ainsi pour cette seule raison la relaxe prononcée au titre de cette infraction doit être confirmée ; que le ministère public poursuivant a, en utilisant les termes « dans les mêmes circonstances de temps » par référence à l’infraction visée précédemment dans sa citation de soumission de plusieurs personnes vulnérables à des conditions de travail indignes qui concernent l’année 2004, commis une erreur purement matérielle manifeste puisqu’il s’agit, en l’occurrence à l’évidence pour les faits poursuivis de ceux commis au cours de l’année 2005 ; que cette erreur ne fait pas grief au prévenu qui a eu accès aux pièces de procédure qui concernent uniquement des faits constatés au cours de l’année 2005, et qui développe, en outre, des arguments au fond au regard de l’incrimination reprochée pour lesdits faits constatés afin d’assurer sa défense ; qu’au surplus, la cour observe que le moyen développé s’analyse en une exception de nullité de la citation portant sur cette infraction spécifique, exception invoquée devant les premiers juges qui l’ont écartée mais non réitérée devant la présente juridiction ; qu’en vertu de l’article R. 716-21 du code rural, en matière d’hébergement collectif, la superficie minimale de l’hébergement destiné au sommeil est de 6 m2 par occupant et le nombre de travailleurs saisonniers doit être au plus égal à trois, et, en vertu de l’article R. 716-24 du code rural, il incombe au chef d’établissement d’assurer ou de faire assurer à ses frais le maintien en bon état des locaux du matériel et du mobilier, le nettoyage quotidien des locaux, le blanchissage des draps au moins une fois tous les quinze jours, le nettoyage de l’ensemble de la literie lors de chaque changement d’occupants ainsi que l’enlèvement, deux fois par semaine, des ordures ménagères ; qu’en vertu de l’article R. 716-20 5ème du code, si une exploitation agricole n’est pas desservie par un réseau d’alimentation en eau courante, l’employeur doit mettre quotidiennement au moins 100 litres d’eau potable à disposition de chaque travailleur ; que le prévenu a gravement violé ces dispositions réglementaires en ce qui concerne le domaine de Poscros en mettant à la disposition de ses salariés un mas tout particulièrement délabré malgré des travaux de mise à niveau manifestement insuffisants au regard de la vétusté des locaux ; que les conditions d’hébergement telles que décrites dans les procès-verbaux et dans les lieux exigus compte tenu du nombre d’occupants, au surplus dépourvus du moindre confort élémentaire auquel les salariés pouvaient légitimement prétendre, étaient, en l’occurrence, contraires au droit à disposer d’un logement décent constitutionnellement protégé ; qu’il est sans emport, en l’espèce, que l’administration compétente n’ait pas mis en demeure le prévenu avant de dresser procès-verbal, le prévenu n’étant pas poursuivi pour des infractions aux code rural et du travail qui seules imposaient ces diligences préalables, étant observé que les mises en demeure ont été effectuées ultérieurement et qu’il n’y a eu de suite puisque l’activité a cessé ; que l’infraction reprochée est caractérisée, la décision attaquée doit être infirmée de ce chef ;

”1/ alors que le délit de soumission à des conditions d’hébergement indignes suppose que la victime de l’infraction ait été dans une vulnérabilité ou un état de dépendance apparent ou connu de l’auteur des faits ; que l’état de dépendance de la victime nécessite la caractérisation de circonstances particulières qui ne sauraient se déduire de manière générale ni de la nationalité étrangère de celle-ci ni de l’existence d’un rapport salarial ; que, dès lors, en retenant que « l’état de dépendance des salariés du prévenu était connu de ce dernier en ce qu’il disposait du pouvoir décisionnel quant au renouvellement de leur contrat chaque année », partant l’applicabilité de l’article 225-14 du code pénal à tout contrat de travail sujet à renouvellement, la cour a violé ce dernier texte, ensemble les principes d’interprétation stricte et de prévisibilité de la loi pénale ;

”2/ alors qu’en retenant que « l’état de dépendance des salariés du prévenu était connu de ce dernier en ce qu’il disposait du pouvoir décisionnel quant au renouvellement de leur contrat chaque année » sans rechercher, comme elle y était invitée, si la nécessaire autorisation par la préfecture des contrats de travail des travailleurs saisonniers ainsi que la mise en oeuvre ultérieure par l’OMI de la procédure permettant la venue sur le territoire de ces travailleurs n’excluaient pas que le renouvellement des contrats de ces salariés ait dépendu du seul pouvoir décisionnel de l’employeur, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l’article 225-14 du code pénal ;

”3/ alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que saisis de poursuites du chef du délit de soumission de personnes vulnérables ou en état de dépendance à des conditions d’hébergement indignes, les juges du fond doivent motiver leur décision de façon suffisamment précise pour que soient caractérisés les éléments de fait établissant que les conditions de travail ou d’hébergement étaient ou non compatibles avec la dignité humaine ; qu’en se bornant à retenir des contraventions aux dispositions du code rural relatives à l’hébergement des travailleurs agricoles en visant de façon générale « les conditions d’hébergement telles que décrites dans les procès-verbaux » sans autrement caractériser l’existence d’éléments de fait graves et précis établissant que les conditions d’hébergement étaient en l’espèce incompatibles avec la dignité humaine, la cour a privé sa décision de motifs et a violé l’article 225-14 du code pénal ;

”4°/ alors qu’en ne s’expliquant pas sur la portée des contrôles annuels antérieurs de l’inspection du travail qui n’avait formulé aucune observation en janvier 2005 sur les conditions d’hébergement des travailleurs saisonniers, ni sur l’importance du budget annuel, (de 30 000 à 50 000 euros) dédié à l’entretien et à la remise en état des lieux de chaque domaine hors dépenses courantes, ni enfin sur l’imputabilité des dégradations constatées au domaine de Poscros, lieu d’hébergement collectif, la cour a derechef privé sa décision de toute base légale au regard des exigences de l’article 225-14 du code pénal” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que Laurent X..., qui dirigeait deux sociétés exploitant deux domaines agricoles, a recruté au Maroc et en Tunisie plusieurs dizaines de travailleurs saisonniers logés sur chacun des sites ; qu’il a été poursuivi pour avoir soumis ces personnes, dont l’état de dépendance lui était connu, à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ;

Attendu que, pour infirmer le jugement ayant prononcé la relaxe du prévenu, l’arrêt énonce, notamment, que des chambres de 12 m² étaient occupés par quatre salariés, que certains lits n’étaient pas équipés de matelas, que l’installation électrique était défectueuse, que l’eau, parfois impropre à la consommation, devait être tirée d’un puits situé à une cinquantaine de mètres et qu’il n’existait que six installations sanitaires, dont certaines en mauvais état, pour cent personnes ; que les juges ajoutent qu’il appartenait au chef d’entreprise d’assurer ou de faire assurer le maintien en bon état des locaux, du matériel et du mobilier et que l’état de dépendance des salariés lui était connu puisqu’il disposait du pouvoir de décider du renouvellement de leur contrat saisonnier ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, procédant de son appréciation souveraine, exempts d’insuffisance comme de contradiction, et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, la cour d’appel a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable et a justifié sa décision au regard de l’article 225-14 du code pénal dont les termes ne sont pas incompatibles avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

D’où il suit que le moyen ne peut qu’être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles R. 4412-44 à R. 4412-58, L. 4741-1 à L. 4741-9 du code du travail, des articles 6 et 14 du décret du 27 mai 1987, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Laurent X... coupable des infractions relatives à l’affectation de deux salariés à des travaux les exposant à des agents chimiques dangereux, sans visite médicale et sans formation spécifique préalables, dépourvus du masque adapté, l’a condamné à deux amendes de 500 euros chacune ainsi qu’aux intérêts civils ;

”aux motifs que sur les infractions relatives à l’affectation de deux salariés à des travaux les exposant à des agents chimiques dangereux, sans visite médicale et sans formation spécifique préalables, dépourvus du masque adapté et sur celle de défaut d’évaluation des risques liés à l’utilisation de produits chimiques dangereux ; que le prévenu produit aux débats une volumineuse documentation afférente à l’évaluation de ses activités qui décrivent les risques encourus et les mesures à prendre ainsi que des fiches opératoires relatives aux traitements phytosanitaires, que l’infraction de défaut d’évaluation des risques liés à l’utilisation de produits chimiques dangereux n’est donc pas constituée ; qu’il est établi, par des procès-verbaux ayant force probante, que deux salariés étaient affectés à des tâches de traitement à l’aide de produits phytosanitaires dangereux pour la santé de l’homme sans que ces salariés aient été préalablement soumis à la visite médicale nécessaire pour cette activité, la visite médicale passée avant la conclusion du contrat d’embauche étant insuffisante, puisque non effectuée pour cette activité particulière, peu important, par ailleurs, que l’un d’entre eux ait subi cette visite le lendemain de la constatation des faits, ce qui laisse entendre que l’affectation à cette tâche n’était pas circonstancielle comme il est allégué et indûment retenu par les premiers juges ; que ces salariés n’avaient bénéficié d’aucune formation spécifique préalable et étaient dotés de masques inadaptés aux produits dangereux utilisés ; que le fait qu’ils aient travaillé en pleine nature n’excluant pas l’usage du masque défini pour les produits utilisés d’autant que selon le sens de l’exécution des travaux, les bourrasques de vent pouvaient parfaitement rabattre les produits projetés sur leurs personnes ; qu’en conséquence, les infractions relatives à l’affectation de deux salariés à des travaux les exposant à des agents chimiques dangereux, sans visite médicale et sans formation spécifique préalables, dépourvus du masque adapté, sont caractérisées, la décision incriminée doit être infirmée de ces chefs, deux amendes devant, par ailleurs, être infligées puisque les faits ont été constatés le même jour et concernent deux salariés, en application du dernier alinéa de l’article L. 4741-1 du code du travail ; qu’eu égard aux infractions commises et aux éléments de personnalité recueillis, il doit être infligé à Laurent X... une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis simple ainsi que deux amendes de 500 euros chacune ;

”alors qu’en se contentant de constater que les deux salariés avaient été affectés à des tâches de traitement à l’aide de produits phytosanitaires dangereux pour la santé de l’homme sans rechercher, comme il y était invité, si Laurent X... avait bien affecté ces salariés à un telle tâche, la cour a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen” ;

Attendu que le demandeur ne saurait reprocher à la cour d’appel d’avoir omis de rechercher si l’affectation de deux salariés à des tâches de traitement à l’aide de produits phytosanitaires lui était imputable, dès lors qu’il appartient au chef d’entreprise de veiller personnellement à la stricte et constante exécution des dispositions édictées par le code du travail ou les règlements pris pour son application en vue d’assurer l’hygiène et la sécurité des travailleurs ;

D’où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Mais sur le moyen relevé d’office, pris de la violation de l’article 593 du code de procédure pénale ;

Vu ledit article ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à leur absence ;

Attendu qu’après avoir énoncé dans les motifs qu’il convient de condamner Laurent X... à trois mois d’emprisonnement avec sursis et à deux amendes de 500 euros chacune, l’arrêt prononce dans le dispositif les peines de trois mois d’emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d’amende outre deux amendes de 500 euros ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date du 26 mai 2009, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau jugée, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Finidori conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 26 mai 2009