Exploitation viticole

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 7 avril 2021, 19-84.808, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle

N° de pourvoi : 19-84.808
ECLI:FR:CCASS:2021:CR00443
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du mercredi 07 avril 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Reims, du 27 février 2019

Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
SCP Claire Leduc et Solange Vigand
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° A 19-84.808 F-D

N° 00443

CG10
7 AVRIL 2021

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 AVRIL 2021

M. Y... O... et Mme X... R... ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Reims, chambre correctionnelle, en date du 27 février 2019, qui pour soumission de personne vulnérable ou dépendante à des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine aggravée, travail dissimulé et infraction à la législation sur l’hygiène et la sécurité alimentaires, les a condamnés chacun à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, 2 500 euros d’amende et a ordonné des mesures de confiscation.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.

Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. Y... O... et Mme X... R..., et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l’audience publique du 9 mars 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 12 avril 2014, M. L... D..., gérant de la société civile immobilière 4L, propriétaire du [...] (51) a fait à la gendarmerie un signalement relatif aux conditions d’accueil d’ouvriers viticoles polonais au sein de cette propriété, laissée à la disposition de M. Y... O..., dans l’attente de son acquisition par ce dernier.

3. A l’occasion d’une visite des lieux, il était relevé la présence de nombreux lits, pour la plupart superposés, installés dans toutes les pièces, de la cave aux combles, de douches et de WC, dont le nombre semblait en inadéquation avec les capacités d’accueil, et, au milieu de la cour, d’un chapiteau dressé sur une dalle en béton en vue d’accueillir un réfectoire.

4. Le 19 septembre 2014, les instances du Comité opérationnel départemental anti fraude (CODAF) ont décidé avec le service enquêteur de procéder à un contrôle des locaux permettant de constater la présence, à l’adresse indiquée ainsi que dans un autre lieu d’hébergement situé dans la même rue, de deux cent trente sept travailleurs de nationalité polonaise régulièrement déclarés. Il était relevé que ces travailleurs étaient hébergés dans ces différents locaux ne respectant pas les normes d’hygiène et de sécurité et présentant des conditions de dégradation avancée et d’insalubrité manifeste, allant jusqu’à exposer les résidents à des risques sanitaires.

5. Les enquêteurs ont également constaté en cuisine la présence de sachets dépourvus de tout étiquetage contenant au total plusieurs dizaines de kilogrammes de viande hachée cuite dégageant une odeur pestilentielle caractéristique d’un phénomène de putréfaction débutante la rendant impropre à la consommation, ainsi que dans six congélateurs, de 683 kilogrammes de viandes stockés ne présentant aucun étiquetage alimentaire indiquant leur nature exacte, leur provenance, leur date limite de consommation ou les transformations subies par certaines.

6. Au terme de l’enquête, M. O... et son épouse, Mme R..., ont été poursuivis des chefs de soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine, de travail dissimulé par dissimulation d’activités de prestations viticoles, de restauration et d’hôtellerie et enfin de détention de denrées corrompues.

7. Par jugement contradictoire du 18 janvier 2017, le tribunal correctionnel a prononcé leur relaxe, retenant pour le premier délit le fait que la vulnérabilité ou la dépendance des personnes hébergées n’était pas caractérisée et pour les deux autres, le fait que n’était pas démontrée l’imputation certaine des faits aux deux prévenus.

8. Le ministère public a relevé appel principal de cette décision.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

9. Il n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. Y... O... et Mme X... R..., épouse O..., coupables de soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d’hébergement indignes alors :

« 1°/ qu’en entrant en voie de condamnation contre les époux O... du chef de soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d’hébergement indignes cependant que l’article 225-14 du code pénal ne s’applique qu’à la fourniture d’un logement, moyennant contrepartie, et qu’elle relevait elle-même que M. et Mme O... n’avaient pas loué les locaux et qu’ il résultait de la procédure que les travailleurs saisonniers avaient seulement participé aux frais d’électricité et d’eau et remboursés les lits, le matériel et les denrées alimentaires achetées par les prévenus en sorte que l’hébergement avait été mis à disposition sans contrepartie, la cour d’appel a méconnu les articles 225-14, 225-15 du code pénal et les articles 6 et 7 de la convention des droits de l’homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu’en énonçant que « l’abus de vulnérabilité ou de situation de dépendance des personnes ainsi hébergées résulte de la situation de contrainte morale et économique dans laquelle se trouvaient les personnes hébergées, les obligeant à rester dans les lieux. Ces vendangeurs étaient en effet en situation de fragilité économique compte tenu de la situation de l’emploi et du niveau des salaires en Pologne, étrangers ne parlant pas français, se trouvant très loin de leur domicile, sans moyen d’y retourner avant la fin des vendanges et n’ayant pas d’autre solution d’hébergement » cependant qu’il résulte de la procédure que les personnes hébergées étaient des adultes polonais venus de leur plein gré pour la période vendange rechercher un complément de revenus, en situation régulière sur le territoire français, employées régulièrement, percevant un salaire des viticulteurs et, hébergés gracieusement en sorte qu’aucune vulnérabilité ou situation de dépendance ne pouvaient être établies à leur égard, la cour d’appel a méconnu les articles 225-14, 225-15 du code pénal et les articles 6 et 7 de la convention des droits de l’homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que les prévenus faisaient valoir, dans leurs conclusions d’appel, qu’« il ne s’agit pas ici d’immigrés clandestins, de réfugiés ou de mineurs ou personnes âgées ayant subi des traitements ou vicissitudes de nature à les rendre dépendants pour leur survie », que « tous attestent qu’ils ont été demandeurs pour venir à [...], que certains sont venus à plusieurs reprises, qu’ils se sont collectivement organisés pour le voyage et le séjour, ont été libres de leurs mouvements, ainsi qu’il résulte des éléments du dossier puisque c’est de leur propre volonté qu’ils voulaient se retrouver en communauté chez les O..., à la vue des autorités et des habitants du village » et qu’« ils ont été hébergés à leur propre demande et ce gratuitement » ; qu’en s’abstenant de rechercher, comme cela lui était demandé, si la liberté d’aller et venir de Pologne, l’hébergement à titre gratuit et la situation régulière tant au regard de leur séjour en France qu’à l’égard de leur employeur, n’excluait pas tout état de dépendance ou de vulnérabilité, la cour d’appel a privé sa décision de motifs en violation des articles 225-14, 225-15 du code pénal et des articles 6 et 7 de la convention des droits de l’homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

11. Pour déclarer M. O... et Mme R... coupables du délit de soumission de personnes vulnérable ou dépendante à des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine, l’arrêt attaqué retient d’une part que, pour accueillir les travailleurs polonais, les prévenus ont acheté de la literie, du matériel nécessaire à la mise en place d’une restauration collective tel que des réfrigérateurs, des congélateurs et des ustensiles de cuisine et qu’ils ont refacturé ces biens aux personnes hébergées sans pour autant qu’ils ne repartent avec dans leur pays, ajoutant que les époux O... indiquent avoir perçu entre 3 000 et 4 000 euros de la part de l’ensemble des ouvriers au titre du paiement de l’eau et de l’électricité.

12. L’arrêt énonce d’autre part que les procès-verbaux établis par les services de gendarmerie ainsi que par l’inspection du travail font ressortir que l’hébergement dans les lieux incriminés, présentant des conditions de dégradation avancée et d’insalubrité manifeste allant jusqu’à exposer les résidents à des risques sanitaires liés aux moisissures, à l’absence d’aération et à la possibilité d’électrocution, est contraire à la dignité humaine.

13. Enfin, les juges du fond retiennent que la situation de contrainte morale et économique dans laquelle se trouvaient les personnes hébergées les obligeait à rester dans les lieux et soulignent que ces vendangeurs étrangers étaient en situation de fragilité économique compte tenu de la situation de l’emploi et du niveau des salaires en Pologne, du fait qu’il ne parlaient pas français, qu’ils se trouvaient très éloignés de leur domicile, sans moyen d’y retourner avant la fin des vendanges et qu’ils n’avaient pas d’autre solution d’hébergement. Ils relèvent que cette situation de vulnérabilité ou de dépendance était parfaitement connue des époux O... lesquels en ont abusé.

14. En prononçant par ces motifs, exempts d’insuffisances comme de contradiction, et traduisant concrètement quelle avait été la contrepartie de l’hébergement retirée par les prévenus, la cour d’appel a justifié sa décision.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. et Mme O... coupables de détention de denrées alimentaires corrompues ;

« 1°/ qu’en entrant en voie de condamnation du chef du délit de détention de denrées alimentaires corrompues pour des faits commis le 19 septembre 2014 en relevant que M. et Mme O... étaient propriétaires des lieux et par conséquent détenteurs dans un lieu de fabrication et stockage, en l’espèce une cuisine destinée à la restauration collective et ses dépendances, de denrées servant à l’alimentation de l’homme ou de toxiques notamment de 750 kilogrammes de viande dénaturée tout en constatant qu’à l’époque des faits, c’était M. L... D..., gérant de la SCI 4L, qui était propriétaire du bâtiment, M. O... ne l’ayant acquis qu’au mois de novembre 2014, la cour d’appel a entaché sa décision d’une contradiction de motifs en violation de l’ancien article L. 213-4 du code de la consommation, des articles L. 451-2, L. 413-2, L. 451-3, L. 451-5, L 451-6 du code de la consommation et des articles 6 et 7 de la convention des droits de l’homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu’en tout état de cause, en entrant en voie de condamnation du chef du délit de détention de denrées alimentaires corrompues en relevant que M. et Mme O... qui n’avaient pas loué les locaux où ils ont été retrouvés, en étaient demeuré les gardiens cependant que l’article L. 213-4 du code de la consommation, dans sa version applicable à l’époque des faits, réprime celui qui est trouvé détenteur des denrées alimentaires corrompues et que la qualité de gardien se dissocie nettement de celle de détenteur, attribuée seulement à celui qui a une emprise matérielle sur la chose, la cour d‘appel a méconnu l’ancien article L. 213-4 et les articles L. 451-2, L. 413-2, L. 451-3, L. 451-5, L. 451-6 du code de la consommation et les articles 6 et 7 de la convention des droits de l’homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu’en tout état de cause, en entrant en voie de condamnation du chef du délit de détention de denrées alimentaires corrompues tout en relevant que les prévenus avaient hébergé des travailleurs saisonniers, mis à leur disposition des locaux, une cuisine et tout le matériel nécessaire à la préparation des repas, que les ouvriers cuisinaient à tour de rôle et que partie de ces aliments était amenée dans un camion frigorifique par les ouvriers polonais, en sorte que les prévenus n’avaient aucune emprise matérielle sur les denrées trouvées dans les lieux, la cour d’appel a méconnu l’ancien article L. 213-4 et les articles L. 451-2, L. 413-2, L. 451-3, L. 451-5, L. 451-6 du code de la consommation et les articles 6 et 7 de la convention des droits de l’homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

17. Pour dire établi le délit de détention de denrées alimentaires corrompues, et après avoir rappelé que les locaux où s’est déroulé le contrôle du 19 septembre 2014, situés [...] (51) étaient en partie la propriété de la SCI 4L, gérée par M. D..., l’arrêt attaqué retient que les époux O..., propriétaires des lieux, notamment de la cuisine, des réfrigérateurs et congélateurs et des ustensiles destinés à la préparation des repas, étaient les détenteurs, dans un lieu de fabrication et de stockage, en l’espèce une cuisine destinée à la restauration collective et ses dépendances, de denrées servant à l’alimentation de l’homme ou de toxiques, en l’espèce de 750 kilogrammes de viande dénaturée.

18. Les juges du fond ajoutent qu’iI importe peu que ces aliments aient été amenés pour partie dans un camion frigorifique par les ouvriers polonais, dès lors que les prévenus, qui n’avaient pas loué à ces derniers les locaux où ils ont été retrouvés, en sont restés les gardiens.

19. C’est à tort que les juges ont retenu que les époux O... étaient propriétaires des locaux contrôlés le 19 septembre 2014, alors qu’ils ont constaté que l’acte d’acquisition ne devait être signé qu’au mois de novembre 2014.

20. Cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors que les juges du fond ont souverainement retenu qu’en conservant 750 kilogrammes de viande dénaturée dans des réfrigérateurs et congélateurs leur appartenant, au sein de locaux dont ils avaient la libre disposition pour y avoir entrepris des travaux d’ampleur et qu’ils destinaient à la restauration collective, les prévenus se trouvaient détenteurs des denrées corrompues au sens de l’article L. 213-4 du code de la consommation.

21. En l’état de ces seules énonciations, la cour d’appel a ainsi justifié sa décision.

22. Ainsi, le moyen doit être écarté.

23. Par ailleurs l’arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept avril deux mille vingt et un.ECLI:FR:CCASS:2021:CR00443