Fausse prestation de services internationale - prêt illicite de main d’oeuvre - travail dissimulé

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 30 octobre 2018

N° de pourvoi : 17-86601

ECLI:FR:CCASS:2018:CR02301

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

 

 

M. Joseph X...,

La société Démolitions Phénix,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 5-14, en date du 9 octobre 2017, qui, pour prêt illicite de main d’oeuvre, marchandage et travail dissimulé, les a condamnés, le premier à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et à 5 000 euros d’amende, la seconde à 20 000 euros d’amende et a ordonné une mesure d’ affichage ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 18 septembre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Y..., conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller Y..., les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général Z... ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du procès-verbal de l’inspection du travail, base des poursuites et des autres pièces de procédure que cette administration, ayant été amenée à procéder au contrôle d’un chantier où était survenu un accident mortel, a relevé que la société Démolitions Phénix (la société DP), gérée par M. Joseph X..., qui intervenait en sa qualité de titulaire du lot de démolition, nettoyage et curage, avait employé, outre ses propres salariés et des travailleurs intérimaires, des ouvriers appartenant aux sociétés de droit polonais Gea Invest et Eurometal, toutes deux gérées par l’épouse du prévenu, par ailleurs comptable salariée de la société DP ; qu’au regard des rapports de l’inspection du travail et des éléments de l’enquête, écartant l’intervention des deux société polonaises sur le chantier en cause en exécution de contrats de sous-traitance, M. X..., de même que la société DP ont été poursuivis des chefs de prêt illicite de main d’oeuvre, de marchandage et de travail dissimulé ; qu’ayant été déclarés coupables desdits chefs, les prévenus ont relevé appel de cette décision, de même que le procureur de la République ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 121-2 du code pénal, L. 8221-1, L. 8221-5, L. 8224-1, L. 8224-5, L. 8231-1, L. 8234-1, L. 8234-2, L. 8241-1, L. 8243-1 et L. 8243-2 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... et la société Démolitions Phénix coupables de prêt de main d’oeuvre à but lucratif en dehors des cas autorisés, de travail dissimulé et de marchandage, a condamné M. X... à la peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis, à une amende de 10 000 euros et à l’affichage de la décision pour deux mois, et la société Démolitions Phénix à une amende de 20 000 euros et à l’affichage de la décision pour deux mois ;

”aux motifs que sur l’infraction de prêt de main d’oeuvre à but lucratif en dehors des cas autorisés, une entreprise étrangère peut être amenée à détacher ses salariés en France pour l’exécution temporaire d’un contrat de service dans le cadre d’une relation de sous-traitance telle que revendiquée par le prévenu ; que cette opération consiste dans le principe à confier à une entreprise un travail précisément identifié et objectivement défini, faisant appel à une compétence spécifique qu’elle va réaliser en toute autonomie, avec son savoir-faire propre, son personnel, son encadrement et son matériel ; que le juge se doit d’examiner, en fonction des éléments soumis à son appréciation, dans quelles conditions de fait évoluent les travailleurs de l’espèce et rechercher à travers un faisceau d’indices, la véritable situation de droit qui s’est créée pour voir si elle est compatible avec les liens de droit invoqués ; que M. X... soutient notamment que les sociétés Eurométal et Gea Invest sont intervenues sur le chantier avec leur propre encadrement en qualité de sous traitantes, en vertu de deux contrats conclus le 7 mars 2011 ; qu’il convient tout d’abord de constater que malgré les demandes précises de l’inspecteur du travail contenues dans son courrier du 5 avril 2011, M. X... n’a pas fourni dans un premier temps les contrats de travail des travailleurs détachés par les entreprises polonaises et qu’il ne s’est jamais présenté lui-même à l’inspection du travail pour s’expliquer ; que ce n’est que tardivement qu’il a fait déposer une liste de ses sous-traitants laquelle n’incluait pas les deux sociétés polonaises litigieuses, ce qui confirme les dires du maître de l’ouvrage sur son ignorance de la sous-traitance polonaise ; que le compte-rendu d’inspection commune du chantier daté du 10 mars 2011 ne mentionne que les sociétés Dalkia et Land Protection comme sociétés sous-traitantes de la prévenue ; que sur place, après que des surveillances physiques du chantier aient été opérées, il a été observé que les salariés des sociétés polonaises et de la société Démolitions Phénix étaient munis d’équipement indifférenciés, portaient tous un vêtement siglé de l’entreprise DP et qu’ils disposaient tous du même local ; qu’au vu des déductions de rémunérations des sociétés polonaises pour l’achat de matériel, il y a lieu de constater que leur personnel est venu en France totalement dépourvu de matériel, ni même de gants et de chaussures de sécurité alors qu’il est prétendu que ces sociétés polonaises accomplissent de nombreux chantiers dans leur pays ; que malgré les intimidations envers les ouvriers relevées à l’encontre de M. X... dans le procès-verbal dressé par l’inspecteur du travail dont les constatations font foi jusqu’à preuve du contraire, les ouvriers ont désigné ce dernier comme le gérant de leur société, quelle que soit leur appartenance ; que si le prévenu peut regretter que l’inspecteur du travail ne rapporte les dires de ceux-ci que dans un style indirect, il y a peut-être un lien entre ceci et cela mais il n’en reste pas moins que la force probante qui s’attache aux constatations directes de ce fonctionnaire assermenté ne peut être utilement combattue par de simples accusations sans le moindre commencement de preuve objective ; que les déclarations du prévenu à l’audience selon lesquelles l’ensemble des intervenants au dossier se sont ligués contre lui ou mentent, les ouvriers, le maître de l’ouvrage ainsi que l’inspecteur du travail, ne convainquent pas la cour en l’absence de démonstration de la présence de cadres appartenant aux sociétés polonaises sur le chantier alors que seuls MM. A... et B... salariés de l’entreprise Démolitions Phénix, donnaient des consignes à tout le monde sans aucune distinction ; que le maître de l’ouvrage ne connaît que M. B... comme chef de chantier ; que cet état de fait est confirmé par la rédaction du plan particulier de sécurité et de protection de la santé qui prévoit trois responsables, M. A... en qualité de chef de chantier, M. B... comme conducteur de travaux ainsi que M. C... en tant que chargé de la sécurité ; qu’enfin, jamais D... F... ni M. E... n’ont été cités ou désignés par qui que ce soit sur le chantier comme donneurs d’ordres contrairement au rôle que leur attribue le prévenu ; qu’il ressort du registre unique du personnel de la société DP qu’elle comportait à l’époque de la prévention seulement deux manoeuvres, les frères Dabo, sur dix salariés de sorte que structurellement, la société DP est dans l’incapacité de faire face aux travaux qui lui sont confiés ; qu’en revanche, les sociétés polonaises emploient en majorité des manoeuvres “démonteurs” ainsi qu’en témoignent les registres respectifs (dont celui d’Eurométal qui porte pour une raison restée inexpliquée le tampon de l’entreprise DP) ; Que de même, M. X... n’a pas été en mesure, ni lors de son audition au cours de l’enquête, ni lors de l’audience devant la cour, d’expliquer clairement quel savoir faire spécifique était apporté sur le chantier par les sociétés polonaises, alors même qu’elles ont, comme la sienne, pour activité la démolition et que le prévenu a lui-même indiqué en procédure que les tâches assignées aux sociétés Eurométal et Gea Invest sur le chantier pouvaient être réalisées également par la société Démolitions Phénix ; que l’observation des travailleurs polonais sur le chantier les ont d’ailleurs montrés en train de balayer et de nettoyer le chantier avec des pelles, tout comme les deux manoeuvres de la société DP et les intérimaires ; que loin de venir uniquement pendant les quelques mois d’hiver au cours desquels ils ne pourraient pas travailler en Pologne selon le prévenu, le détachement des travailleurs polonais a eu lieu au cours de toute l’année civile 2011, y compris en été ; que certains des ouvriers interrogés par l’Inspection du travail ont dit revenir au milieu de leur détachement pour une petite période en Pologne avant de revenir en France ; que le contrat de travail initial de certains d’entre eux a été conclu pour un envoi immédiat en France ; que leur prestation n’est donc pas temporaire et présente un caractère de stabilité sur le territoire national ; que le prétendu contrat de sous-traitance de l’espèce ne vise donc pas, dans la réalité des faits, une prestation de services avec maintien de l’autorité du sous-traitant sur son personnel réalisée avec un savoir-faire distinct de celui de l’entreprise utilisatrice mais un pur prêt de main d’oeuvre, réalisé dans des conditions correspondant à celles offertes par les entreprises de travail temporaire, qui est illégal ; que l’absence d’élaboration d’un PPSPS avec les entreprises prétendument sous-traitantes malgré les termes de l’article L4532-9 du code du travail qui énonce “Sur les chantiers soumis à l’obligation d’établir un plan général de coordination, chaque entreprise, y compris les entreprises sous-traitantes, appelée à intervenir à un moment quelconque des travaux, établit, avant le début des travaux, un plan particulier de sécurité et de protection de la santé... “, vient encore confirmer - si besoin était – le caractère factice de ce contrat de sous-traitance ; qu’aux termes de l’article L. 8241-1 du code du travail, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre est interdite ; qu’en l’espèce, le caractère lucratif de l’opération ressort suffisamment de la différence de montants existant entre le prix du marché signé avec le donneur d’ordre principal et le prix global figurant dans les contrats qualifiés de sous-traitance ; que le prévenu qui explique cet écart important par l’intervention d’autres sociétés sous-traitantes qu’il aurait rémunérées ne le prouve pas, non plus que la réalité des achats ayant prétendument donné lieu aux retenues sur factures qu’il a faites au préjudice des deux sociétés polonaises et dont l’importance relative par rapport au prix de leur rémunération dépasse les ratios habituels de la profession tels que connus des services de l’inspection du travail ; qu’il doit être constaté que sur les sept entreprises de curage qui ont été consultées, la société DP est la moins-disante dans des proportions qui ne s’expliquent pas autrement que par les économies qu’elle génère en utilisant de la main d’oeuvre qui ne supporte aucun coût de charges sociales alors que dans les faits comme ci-dessus décrit, les travailleurs étrangers sont employés comme s’ils avaient été embauchés directement par l’entreprise utilisatrice ; qu’en effet, la différence avec la deuxième entreprise moins-disante est déjà de 300 000 euros sur 955 000 euros au total et de plus de 1 200 000 euros avec la plus chère ; que le prévenu se contente d’affirmer que les calculs de ses concurrents malheureux sont absurdes ; que la marge bénéficiaire de la société DP, eu égard à l’économie réelle de l’ensemble de l’opération, confère un caractère lucratif caractérisé au prêt de main d’oeuvre ; qu’enfin, il ressort des propres déclarations à l’audience devant la cour que le prévenu ne souhaite pas embaucher du personnel intérimaire, ce qui entraîne selon la législation française l’obligation de payer notamment une indemnité de précarité ainsi que les mêmes primes des salariés de l’entreprise utilisatrice ; qu’au regard de l’exigence de spécificité de la compétence des sous-traitants, le prévenu invoque “l’ampleur du chantier” ce qui ne peut en tenir lieu ; que peu importe que les sociétés polonaises n’aient pas été poursuivies par les autorités françaises, le ministère public disposant de l’opportunité des poursuites ; que de même, il est indifférent que ces ouvriers polonais aient été payés plus cher que s’ils avaient été employés directement dans leur pays d’origine, tout travail s’accomplissant sur le territoire national devant observer la législation française ; que la violation des dispositions de l’article L. 8241-1 du code du travail est caractérisée, la cour confirmera la déclaration de culpabilité de la société Démolitions Phénix du chef de l’infraction de prêt de main d’oeuvre à but lucratif en dehors des cas limitatifs prévus par les textes ; que M. X..., à titre personnel, dès lors qu’il a été à la source de la commission de l’infraction et qu’il ne pouvait ignorer que la société qu’il dirige agissait dans le cadre d’un prêt de main d’oeuvre interdit, sera également déclaré coupable de cette infraction ; que sur l’infraction de travail dissimulé, en tant que bénéficiaire du recours au prêt de main d’oeuvre illicite, la société Démolitions Phénix, doit être reconnue comme employeur réel des salariés des sociétés Eurométal et Géa Invest ; que, dans la mesure où elle n’a pas accompli les obligations pesant sur l’employeur, telles que la déclaration préalable à l’embauche et la délivrance de bulletins de salaires, elle a commis le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emplois ; que l’infraction de travail dissimulé est également caractérisée, pour les motifs ci-dessus énoncés, à l’égard de M. X... à titre personnel ; que la cour confirmera la déclaration de culpabilité de ce chef ; que sur l’infraction de marchandage, il résulte des dispositions de l’article L. 8231-1 du code du travail que le marchandage est défini comme toute opération de prêt de main d’oeuvre ayant pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail ; qu’en l’espèce, le recours au prêt de main d’oeuvre a permis à la société Démolitions Phénix d’éluder l’application d’avantages conventionnels dont auraient dû bénéficier les salariés, en vertu de la convention collective du bâtiment ; qu’en vertu de leur contrat de travail, les travailleurs polonais devaient assumer 50% des frais de transport à l’occasion des voyages de service en France, alors que ces “grands déplacements” sont intégralement à la charge de l’employeur en vertu de la convention collective précitée, comme de celle de la convention collective nationale de la récupération (article 75) dont le prévenu a très tardivement invoqué l’application ; que le prévenu prétend que des allers-retours de fins de semaine étaient payés par l’employeur au cours de leur détachement sans en apporter le moindre preuve tout comme leur prise en charge complète à l ‘hôtel, repas de midi compris ; qu’au regard de ces éléments, l’infraction de marchandage est caractérisée, que la cour confirmera la déclaration de culpabilité de la société Démolitions Phénix, qui a bénéficié du recours au prêt de main d’oeuvre illicite ; que pour les motifs ci-dessus évoqués, la cour confirmera la déclaration de culpabilité de M. X..., à titre personnel ;

”1°) alors que l’infraction de prêt illicite de main d’oeuvre est caractérisée lorsque l’opération a permis de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ; que le contrat de sous-traitance, caractérisé par le caractère spécifique du travail fourni, est exclusif de tout prêt illicite de main d’oeuvre ; que dans leurs conclusions régulièrement déposées, les prévenus ont établi l’existence des opérations de détachement et des déclarations effectuées par les deux employeurs polonais ainsi que la spécificité du travail à accomplir en raison de l’ampleur et du caractère exceptionnel du chantier de démolition justifiant l’appel à ces salariés ; qu’en s’abstenant de toute réponse à ce moyen, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

”2°) alors qu’est exclusif de tout prêt illicite de main d’oeuvre le recours à des salariés détachés restant liés par une relation de travail à leur entreprise qui leur fournit le matériel ; que les prévenus démontraient que si les deux chefs d’équipes de la société utilisatrice donnaient des consignes, c’est en raison de leur fonction de coordinateur du chantier, l’encadrement des salariés polonais étant assuré par les sociétés polonaises et l’équipement avait été également acheté par celles-ci ; qu’en se bornant à énoncer que les deux salariés de l’entreprise DP donnaient des consignes et que les salariés polonais étaient venus en France dépourvu de matériel tout en constatant que l’achat du matériel avait été effectué par les sociétés polonaises, la cour d’appel qui s’est contredite et n’a pas répondu au moyen des prévenus, n’a pas justifié sa décision ;

”3°) alors que le prêt de main d’oeuvre n’est illicite que s’il poursuit un but lucratif ; que le caractère lucratif de l’opération de prêt de main d’oeuvre consiste en un profit ou un gain pécuniaire ; qu’en se bornant à se fonder sur la différence entre le prix du marché et le prix de la sous-traitance, sur les « ratios habituels », ou sur le fait que la société DP était la moins disante des entreprises consultées, sans répondre au moyen des prévenus démontrant, par l’expertise comptable réalisée, la perte subie par la société, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

”4°) alors que la cassation prononcée sur ces premiers moyens relatifs à l’infraction de prêt de main d’oeuvre entraînera, par voie de conséquence, l’annulation des chefs de dispositifs concernant les infractions de travail dissimulé et de marchandage dès lors que la cour d’appel a déduit ces infractions du prêt de main d’oeuvre illicite ;

”5°) alors qu’en tout état de cause, le marchandage n’est caractérisé que si le prêt de main d’oeuvre cause un préjudice aux salariés notamment par l’absence d’avantages conventionnels ; que la cour d’appel est tenue de rechercher la convention collective applicable ; que les prévenus démontraient que la convention collective en vigueur était celle des industries et du commerce de la récupération qui renvoie, concernant les frais relatifs aux grands déplacements, au contrat de travail et ne prévoit pas le remboursement intégral de ces déplacements ; qu’en se fondant tant sur la convention collective du bâtiment que sur celle des industries et du commerce de la récupération tandis que seule cette dernière convention s’appliquait et qu’elle ne prévoit pas le remboursement intégral des déplacements, la cour d’appel s’est contredite et n’a pas justifié sa décision” ;

Sur le moyen, pris en ses quatre premières branches :

Attendu que, pour confirmer le jugement et déclarer M. X... et la société DP coupables du chef de prêt illicite de main d’oeuvre, l’arrêt énonce que, malgré les affirmations de l’intéressé, présentant les interventions des sociétés Eurometal et Gea Invest, avec leur propre encadrement, en qualité de sous-traitantes, ces deux entreprises ne figurent pas dans la liste, pourtant produite par elle, des sociétés agissant à ce titre auprès de la société DP ; que les juges relèvent que le maître d’ouvrage n’avait pas agréé lesdites sociétés en qualité de sous-traitant et que le compte-rendu d’inspection commune du chantier ne les avait pas mentionnées en qualité de sous-traitantes de la société prévenue ; qu’ils ajoutent que, d’une part, les personnels employés sur place, appartenant à la société DP ou aux deux sociétés de droit polonais, Gea Invest et Eurometal, ces derniers étant venus en France en étant dépourvus de matériel et d’équipement, ont disposé des mêmes équipements de travail et de protection individuelle et ont utilisé le même local, d’autre part, les employés des sociétés polonaises ont oeuvré sous la subordination d’un même chef de chantier appartenant à la société DP, lequel n’opérait pas de distinction selon les appartenances des travailleurs à l’une ou l’autre des entités intervenues sur le chantier ; qu’ils précisent que la société DP, compte tenu de ses propres effectifs affectés à ces travaux, constitués majoritairement de personnels d’encadrement, s’était trouvée dans l’obligation de recourir à une main d’oeuvre extérieure, constituée notamment des travailleurs appartenant aux deux sociétés polonaises susvisées, qui, sans apporter de technicité particulière, sont intervenus au cours de toute l’année civile 2011, y compris pendant la période d’été ; qu’ils déduisent de ces éléments une activité de prêt de main d’oeuvre présentant un caractère de stabilité sur le territoire national en violation des exigences légales imposées au travail temporaire, dont le caractère lucratif résulte, notamment, des économies substantielles obtenues par le recours à une main d’oeuvre, sans avoir eu à s’acquitter des charges sociales correspondantes, ni à s’adresser à du personnel intérimaire, lequel exige le paiement d’indemnité et de prime spécifiques ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel, qui n’avait pas à suivre le prévenu dans le détail de son argumentation, a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle et a justifié sa décision ;

D’où il suit que les quatre premiers griefs doivent être écartés ;

Sur le moyen pris en sa dernière branche :

Attendu que, pour confirmer le jugement et déclarer M. X... et la société DP coupables du chef de marchandage, l’arrêt énonce que le recours au prêt de main d’oeuvre résultant de l’apport des personnels des sociétés Gea Invest et Eurometal a permis à la société DP d’éluder l’application d’avantages conventionnels dont auraient dû bénéficier les salariés de ces entreprises en vertu de la convention collective nationale des industries et du commerce de la récupération, notamment en les privant de la garantie de prise en charge intégrale par l’employeur de leurs déplacements depuis leur domicile en vertu de la convention collective précitée, dès lors qu’en application de leur contrat de travail, ces travailleurs devaient assumer la moitié de leurs frais de transport en France ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de l’appréciation souveraine des juges sur les faits et circonstances de la cause, d’où il résulte que l’opération de prêt de main d’oeuvre litigieuse a eu pour effet d’éluder l’application des dispositions protectrices résultant de ladite convention collective, ce dont se déduit le préjudice causé aux salariés concernés, l’arrêt n’encourt pas le grief allégué ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 130-1, 131-35, 131-38, 132-1, 132-19 et 132-20 du code pénal, L. 8224-1, L. 8224-3, L. 8224-5, L. 8234-1, L. 8234-2, L. 8243-1 et L. 8243-2 du code du travail, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... et la société Démolitions Phénix coupables de prêt de main d’oeuvre à but lucratif en dehors des cas autorisés, de travail dissimulé et de marchandage, a condamné M. X... à la peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis, à une amende de 10 000 euros et à l’affichage de la décision pour deux mois, et la société Démolitions Phénix à une amende de 20 000 euros et à l’affichage de la décision pour deux mois ;

”aux motifs que le casier judiciaire de M. X... comporte une condamnation du tribunal correctionnel d’Evry, en date du 17 novembre 2005, pour des faits de blessures involontaires avec incapacité n’excédant pas trois mois dans le cadre du travail, infraction à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité et réalisation de travaux sans remise d’un plan particulier de sécurité et de protection de la santé commis le 16 octobre 2002, faits ayant donné lieu à une amende qui a été payée ; que le prévenu n’a pas été condamné au cours des cinq années précédant les faits pour crime et délit de droit commun à une peine de réclusion ou d’emprisonnement ; qu’il peut bénéficier du sursis dans les conditions prévues aux articles 132-29 à 132-39 du code pénal, 734 à 736 du code de procédure pénale ; que la peine de dix mois d’emprisonnement prononcée sous ce régime par le premier juge sera ramenée à quatre mois ; qu’au vu des pièces financières transmises qui indiquent un revenu brut global de 77 265 euros en 2016 pour le foyer fiscal de M. X... et un résultat courant avant impôts de 23 697 euros en 2016 pour la société, la peine d’amende infligée par les premiers juges à la personne morale est adaptée à ses possibilités financières et au profit qu’elle a tiré des infractions commises ; qu’en revanche, le montant de l’amende infligée à la personne physique à l’origine du montage sera porté à 10 000 euros, son quantum tenant compte des atteintes portées au tissu économique par la concurrence déloyale que la nature des faits commis entraîne nécessairement ; que la peine d’affichage sera également confirmée dans la mesure où il est important que les travailleurs étrangers, peu au fait de la législation française, soient informés de leurs droits ;

”alors qu’en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; qu’une peine d’amende doit en outre être motivée en tenant compte des ressources et des charges du prévenu ; que l’insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; qu’en prononçant les peines d’emprisonnement, d’amende et d’affichage en se bornant à se fonder sur le casier judiciaire de M. X... et sur les seules ressources des prévenus, ou encore sur l’importance d’informer les travailleurs étrangers, sans aucune référence à la gravité des faits, la situation particulière et concrète des prévenus, ni au montant de leurs charges, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés” ;

Attendu que, pour confirmer la condamnation de la société DP à une amende de 20 000 euros, augmenter celle prononcée en première instance contre M. X... de 5 000 à 10 000 euros, réduire la durée de la peine d’emprisonnement à laquelle ce dernier avait été condamné de dix mois à quatre mois avec sursis et ordonner une mesure d’affichage, l’arrêt, après avoir énoncé que M. X... avait été précédemment condamné des chefs de blessures involontaires dans le cadre du travail, d’infraction à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité et de réalisation de travaux sans remise d’un plan particulier de sécurité et de protection de la santé, tout en soulignant l’ancienneté desdits faits, relève qu’au vu des pièces financières transmises, le revenu brut global du foyer fiscal de M. X... s’élève à 77 265 euros en 2016 et le résultat courant, avant impôts, de la société DP a été de 23 697 euros la même année ; que les juges en déduisent que, d’une part, la peine d’amende infligée par les premiers juges à la personne morale est adaptée à ses possibilités financières et au profit qu’elle a tiré des infractions commises, d’autre part, le montant de l’amende à laquelle M. X... a été condamné, dès lors que ce dernier est à l’origine du montage mis en place, doit être porté à 10 000 euros afin de tenir compte des atteintes portées au tissu économique par la concurrence déloyale que la nature des faits commis entraîne nécessairement ; qu’ils ajoutent que la mesure d’affichage est justifiée par la nécessité d’informer de leurs droits les travailleurs étrangers, peu au fait de la législation française ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a satisfait aux exigences de motivation résultant des dispositions conventionnelles et légales visées au moyen ;

Qu’ainsi, le moyen ne peut qu’être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente octobre deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 9 octobre 2017