Arrêt de principe hors travail illégal - incidence de la relaxe au pénal d’un prévenu

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 15 septembre 2011

N° de pourvoi : 10-23226

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Loriferne (président), président

Me Le Prado, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile ;

Attendu qu’il résulte de ces textes que les décisions de la justice pénale ont au civil autorité absolue, à l’égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué et les productions, que Mme X... a été blessée dans un accident de la circulation impliquant le véhicule qu’elle pilotait, appartenant à son père, M. X..., et celui conduit par M. Y..., appartenant à M. Z... ; qu’elle a été relaxée par une décision définitive des poursuites engagées contre elle du chef de blessures involontaires sur les personnes occupant le véhicule conduit par M. Y..., et de la contravention prévue à l’article R. 412-9, alinéas 5 et 6, du code de la route ; que M. X... et sa fille ont assigné en réparation de leur préjudice M. Y..., M. Z..., et la société Mutuelle d’assurance des artisans de France, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de Grenoble ;

Attendu que pour juger que Mme X... a commis une faute ayant pour effet de limiter son droit à indemnisation, l’arrêt énonce que la relaxe prononcée par une juridiction pénale n’exclut pas que soient opposées à cette conductrice les dispositions de l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985 au titre des fautes ayant contribué à la réalisation de son propre dommage, que l’accident a eu pour cause le franchissement par le véhicule de Mme X... de la partie centrale de la route et la circulation sur la partie gauche de la voie opposée à son sens de circulation, qu’il y a eu déport de ce véhicule sur la partie opposée à son sens de circulation, le croquis dressé par les gendarmes déterminant le point de choc des deux véhicules dans le couloir de circulation de M. Y..., et un “empiétement de la chaussée” ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il avait été définitivement jugé par la juridiction pénale que Mme X... n’avait ni circulé ni empiété sur la partie gauche de la chaussée, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a dit que M. Y... et la société Mutuelle d’assurance des artisans de France sont tenus solidairement de réparer les conséquences dommageables de l’accident dont Mme X... a été victime le 19 octobre 2003 et déclaré l’arrêt opposable à la caisse primaire d’assurance maladie de Grenoble, l’arrêt rendu le 8 juin 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry ;

Condamne M. Y..., M. Z... et la société Mutuelle d’assurance des artisans de France aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y..., de M. Z... et de la Mutuelle d’assurance des artisans de France ; les condamne in solidum à payer aux consorts X... la somme globale de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour les consorts X....

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir dit que Melle Laure X... a commis une faute ayant pour effet de limiter son droit à indemnisation de moitié, et d’avoir en conséquence condamné solidairement M. Marc Y... et la société Maaf à payer à Melle X... la somme de 9.300€ seulement en réparation de son préjudice, et à M. Daniel X... la somme de 500 € seulement en réparation de son préjudice matériel, et d’avoir laissé les frais d’expertise à la charge de Melle X... et de M. X... ;

Aux motifs que conformément à l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985, applicable au cas d’espèce du fait de l’implication des deux véhicules dans l’accident survenu le 19 octobre 2003, la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis ; … que la relaxe prononcée par une juridiction pénale n’exclut par que soient opposées à Melle Laure X... les dispositions de l’article 4 de la loi précitée au titre des fautes ayant contribué à la réalisation de son propre dommage ; qu’il résulte du procès-verbal de gendarmerie et des déclarations qui y sont consignées, que l’accident a pour origine le franchissement de la partie centrale de la route et la circulation sur la partie gauche de la voie opposée à son sens de circulation, par Melle Laure X..., qui a alors été percutée par le véhicule venant en sens inverse ; que ce déport du véhicule conduit par Melle Laure X... sur la partie opposée de son sens de circulation est corroboré par le croquis dressé par les gendarmes qui détermine le point de choc des deux véhicules dans le couloir de circulation de M. Marc Y..., par les déclarations de Mme Karine A..., passagère de Melle Laure X..., qui a confirmé que Melle X... « s’était engagée sur la RN 85. Une fois engagés, nous étions sur la partie gauche de la chaussée ou à tout du moins sur la moitié. Nous étions pas sur la partie droite ou en tout cas pas entièrement » ; que cette déclaration précise d’une passagère du véhicule accidenté ne saurait être contestée par les attestations d’amis de Melle Laure X... qui indiquent que Melle A... était ce soir là en état d’ivresse ; que cet empiétement de la chaussée est également confirmé par M. Michael Y... passager de l’autre véhicule qui indique « qu’ils se sont trouvés face à un véhicule qui circulait sur notre voie de circulation » ; qu’il n’est pas non plus contesté, ainsi que le confirment plusieurs témoins, que le pare-brise du véhicule de Melle Laure X... était embué, que dès lors sa visibilité était réduite ce qui explique le déport même à faible vitesse de son véhicule sur la partie opposée de la chaussée ; que ces éléments objectifs démontrent la faute de Melle Laure X... justifiant que son droit à indemnisation soit réduit de moitié ;

ALORS D’UNE PART QUE le juge civil ne peut méconnaître ce qui a été certainement et nécessairement jugé par le juge pénal ; qu’en l’espèce, Melle Laure X... a été relaxée par un arrêt définitif du 27 juin 2006 de la cour d’appel de Grenoble des chefs de blessures involontaires et de circulation sur la partie gauche de la chaussée à double sens de circulation, au motif « qu’elle roulait à allure nécessairement modérée et en outre avait une visibilité correcte pour diriger sa voiture sur la droite de la ligne médiane de la route, aucun élément objectif ne permettant de retenir comme une vérité l’allégation de Marc Y... et de son frère Michaël d’une circulation à gauche de la prévenue » ; qu’en retenant, pour réduire de moitié l’indemnisation de son préjudice, une faute de Melle X... consistant dans le fait, alors que sa visibilité était réduite, de s’être déportée et d’avoir circulé sur la partie opposée de la chaussée, la cour d’appel a méconnu l’autorité de la chose jugée au pénal et a violé l’article 1351 du Code civil ;

ALORS D’AUTRE PART QUE le juge ne peut méconnaître l’objet du litige, tel qu’il est fixé par les conclusions respectives des parties ; qu’en l’espèce, la cour d’appel qui, pour statuer comme elle l’a fait, a retenu qu’il n’était pas contesté que le pare brise du véhicule de Melle X... était embué et que dès lors sa visibilité était réduite, cependant que Melle X... contestait expressément cette affirmation et avait produit aux débats le procès-verbal de gendarmerie comprenant les déclarations des témoins qui déclaraient qu’elle avait soigneusement essuyé le pare-brise et attendu que la buée ait disparu avant de démarrer pour sortir du parking ; qu’ainsi la cour d’appel a violé l’article 4 du code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d’appel de Grenoble , du 8 juin 2010