Dissimulation d’emploi salarié - une décision de relaxe s’impose aux organismes de recouvrement
Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 18 mars 2021, 20-15.279, Inédit
Cour de cassation - Chambre civile 2
N° de pourvoi : 20-15.279
ECLI:FR:CCASS:2021:C200216
Non publié au bulletin
Solution : Cassation partielle
Audience publique du jeudi 18 mars 2021
Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence, du 25 janvier 2019
Président
M. Pireyre (président)
Avocat(s)
Me Balat, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 18 mars 2021
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 216 F-D
Pourvoi n° W 20-15.279
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme I....
Admission du bureau d’aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 27 février 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 MARS 2021
Mme E... I..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° W 20-15.279 contre l’arrêt rendu le 25 janvier 2019 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 4-8), dans le litige l’opposant à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales [...] (URSSAF), dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Taillandier-Thomas, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de Mme I..., de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales [...], et l’avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l’audience publique du 3 février 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Taillandier-Thomas, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 janvier 2019) et les productions, à la suite d’un contrôle inopiné l’ayant conduit à constater l’emploi d’un travailleur non déclaré au sein du commerce de Mme I... (la cotisante), l’URSSAF [...] a procédé au redressement des cotisations de celle-ci pour les années 2011 à 2013 et lui a notifié une mise en demeure, puis une contrainte. Poursuivie devant la juridiction correctionnelle du chef de travail dissimulé, la cotisante a été relaxée par jugement définitif du 29 novembre 2017. Elle a formé opposition devant une juridiction de sécurité sociale à la contrainte décernée à son encontre par l’organisme de recouvrement.
Sur le moyen
Enoncé du moyen
2. La cotisante fait grief à l’arrêt de valider la contrainte, alors « que l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et pénale, sur sa qualification, ainsi que sur la culpabilité de celui à qui ce fait est imputé ; qu’en validant la contrainte émise par l’URSSAF au titre d’un travail dissimulé imputable à Mme I..., tout en constatant que le tribunal correctionnel de Marseille avait relaxé définitivement celle-ci des fins de la poursuite du chef de travail dissimulé, la cour d’appel a violé le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil :
3. Pour valider la contrainte, l’arrêt retient qu’il est indifférent que le tribunal correctionnel de Marseille ait renvoyé la cotisante des fins de la poursuite du chef d’exécution de travail dissimulé, dès lors que le jugement n’est aucunement motivé et que la juridiction de sécurité sociale n’est pas liée par la vacuité de cette décision.
4. En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que la cotisante avait été relaxée du chef de travail dissimulé par une décision définitive d’une juridiction de jugement statuant sur le fond de l’action publique, la cour d’appel a violé le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il déclare l’appel recevable, l’arrêt rendu le 25 janvier 2019, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne l’URSSAF [...] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour Mme E... I...
Il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir débouté Mme I... de son opposition à la contrainte décernée par l’Urssaf [...] le 31 octobre 2014, d’avoir validé cette contrainte à hauteur de la somme de 17.762 euros, dont 15.391 euros de cotisations sociales et 2.371 euros de majorations de retard, couvrant la période des années 2011, 2012 et 2013, et d’avoir dit que cette validation emportait condamnation de Mme I... au paiement desdites sommes à l’Urssaf [...], ayant succédé en cours d’instance à l’Urssaf [...] ;
AUX MOTIFS PROPRES QU’il est constant que K... I... n’a fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche que le 19 juin 2013 pour un début d’exercice le 18 juin à 14 heures, dont postérieurement à son entrée en poste, ce dont il convient de déduire que cette déclaration, qui ne satisfait pas aux conditions de délais de l’article R.1221-4 du code du travail, trouve son origine dans le contrôle dont le fonds de commerce de E... I... a été l’objet la veille ; E... I... a en outre produit un contrat de travail à temps partiel au profit de son frère avec effet au 1er juillet 2013, lequel ne correspond pas avec sa situation de travail constatée le 18 juin 2013 ; il est indifférent au regard de la présente procédure que le tribunal correctionnel de Marseille ait renvoyé E... I... des fins de la poursuite du chef d’exécution de travail dissimulé, dès lors que le jugement n’est aucunement motivé et que la juridiction de sécurité sociale n’est pas liée par la vacuité de cette décision ; il résulte d’autre part des pièces médicales que produit E... I..., que son déplacement chez le médecin est intervenu le 17 juin 2013, soit la veille du contrôle et qu’elle ne justifie dès lors pas des raisons de son absence le 18 juin 2013 et du mandat qu’elle a donné à son frère à l’effet de faire fonctionner le commerce ; l’Union de Recouvrement des Cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales expose d’autre part que E... I... a été régulièrement déclarée comme employeur de personnel depuis le 1er septembre 2008 et qu’elle s’est acquittée des cotisations afférentes à ses salariés pour les années 2008, 2009 et 2010, mais que depuis 2011, aucun salaire ou cotisation n’ont été versés ou déclarés, alors même qu’elle a continué de poursuivre trois activités en parallèle, à savoir salariée à temps partiel de l’Inspection académique [...], exploitante du débit de boisson « Le Boat Café » ouvert de 7 heures à 2 heures et exploitante du camion à pizzas, et que l’examen global de sa situation permet de constater que son commerce de pizzas ne peut fonctionner normalement sans l’assistance de personnel, ne serait-ce que pour déplacer le camion, ce qu’elle ne sait pas faire et pour l’assister ou pour la suppléer pendant la période allant d’avril à août ; l’Union de Recouvrement des Cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales [...] en conclut utilement que l’exploitation du camion à pizzas requiert la présence d’une personne toute l’année, laquelle ne satisfait pas aux conditions de l’entraide familiale dont tente de se prévaloir E... I..., laquelle nécessite d’être apportée de manière occasionnelle et spontanée ; l’infraction de travail dissimulé se trouve dès lors établie ; c’est à bon droit que le tribunal au visa de cette constatation et de la taxation forfaitaire à laquelle avait procédé l’organisme de recouvrement, a validé la contrainte décernée par l’Union de Recouvrement des Cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales [...] ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le redressement à l’origine de la voie de recouvrement querellée procède d’un constat d’infraction de travail dissimulé avec pour objet exclusif la réintégration de cotisations sociales dans l’assiette du cotisant, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’intention frauduleuse de l’employeur ;
ALORS QUE l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et pénale, sur sa qualification, ainsi que sur la culpabilité de celui à qui ce fait est imputé ; qu’en validant la contrainte émise par l’Urssaf [...] au titre d’un travail dissimulé imputable à Mme I..., tout en constatant que le tribunal correctionnel de Marseille avait relaxé définitivement celle-ci des fins de la poursuite du chef de travail dissimulé (arrêt attaqué, p. 3 in fine), la cour d’appel a violé le principe susvisé.ECLI:FR:CCASS:2021:C200216