Pékin express - salariat oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 4 février 2015

N° de pourvoi : 13-25621 13-25622 13-25623 13-25624 13-25625 13-25626

ECLI:FR:CCASS:2015:SO00184

Non publié au bulletin

Rejet

Mme Vallée (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Bénabent et Jéhannin, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Vu la connexité, joints les pourvois n°s T13-25.621 à Y 13-25.626 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués (Versailles, 10 septembre 2013), que Mme X... ainsi que cinq autres personnes ont participé pendant l’année 2007 au tournage de l’émission audiovisuelle Pékin Express produite par la société W9 productions aux droits de laquelle se trouve la société Studio 89 productions (la société) ; que les participants ont signé avec la société un document intitulé « contrat de participation au jeu Pékin Express » ainsi qu’un « règlement candidats » ; que, soutenant que le contrat de participation au jeu devait s’analyser en un contrat de travail, les participants ont saisi la juridiction prud’homale de demandes en paiement de rappel de salaire, dommages-intérêts et indemnités de rupture ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société fait grief aux arrêts de dire la juridiction prud’homale compétente, et, évoquant le litige, de la condamner à payer diverses sommes aux participants alors, selon le moyen :

1°/ qu’il appartient au demandeur à la requalification d’un contrat de démontrer que sa qualification apparente est erronée ; qu’en l’espèce, pour décider que « la qualification de participation à un jeu doit être écartée », la cour d’appel a retenu que « les observations de la société Studio 89 productions sur le fait que certains documents produits dans le dossier du participant ne correspondent pas à l’émission à laquelle il a participé, ne peuvent être retenues dans la mesure où elle ne fait aucune démonstration tendant à prouver que telle saison de Pékin Express aurait été différente de telle autre dans sa réalisation et dans ses objectifs » ; que ce faisant, la cour d’appel a considéré que ce qui était prétendument établi relativement à l’une des éditions du jeu valait nécessairement pour toutes, à charge pour la défenderesse de démontrer le contraire ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l’article 1315 du code civil, ensemble les articles 1104 et 1964 du même code ;

2°/ que constitue un contrat aléatoire celui dans lequel les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain ; qu’en l’espèce, pour décider que « la qualification de participation à un jeu doit être écartée », la cour d’appel a retenu que la course Pékin Express s’accompagnait d’ « « interviews » sur le ressenti des candidats » ; qu’en statuant ainsi, cependant que la participation à des interviews constituait, pour les participants, le critère de pertes caractéristique du contrat aléatoire de jeu, la cour d’appel a violé les articles 1104 et 1964 du code civil ;

3°/ que constitue un contrat aléatoire celui dans lequel les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain ; que le libre choix du cocontractant n’exclut pas la qualification de contrat aléatoire de jeu ; qu’en l’espèce, pour décider que « la qualification de participation à un jeu doit être écartée », la cour d’appel a retenu, que « la participation à un jeu supposerait une sélection selon des critères objectifs appliqués à des compétences attendues dans un domaine déterminé » ; qu’en statuant par un tel motif, impropre à exclure le caractère aléatoire de la compétition, la cour d’appel a violé les articles 1104 et 1964 du code civil ;

4°/ que constitue un contrat aléatoire celui dans lequel les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain ; qu’en l’espèce, pour décider que « la qualification de participation à un jeu doit être écartée », la cour d’appel a retenu, quant à la période d’exécution de la course, que « les journalistes qui suivaient les participants devaient tenter de les mettre dans des situations particulières ou de les inciter à retrouver d’autres candidats » et que « dans certains cas, les règles du jeu seront contournées pour cadrer avec les nécessités du tournage » ; que même à admettre ces appréciations, il n’en résultait en toute hypothèse aucune atteinte au caractère aléatoire de la compétition ; que dès lors, en statuant par de tels motifs, la cour d’appel a violé les articles 1104 et 1964 du code civil ;

5°/ que constitue un contrat aléatoire celui dans lequel les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain ; qu’en l’espèce, pour décider que « la qualification de participation à un jeu doit être écartée », la cour d’appel a retenu que « l’émission Pékin Express appartient au genre déterminé des émissions de télé-réalité » ; qu’en statuant par un tel motif impropre à exclure la qualification de contrat aléatoire de jeu, la cour d’appel a violé les articles 1104 et 1964 du code civil ;

Mais attendu qu’après avoir exactement rappelé qu’en l’absence de contrat de travail apparent, il appartient à celui qui se prévaut de son existence d’en rapporter la preuve, la cour d’appel a relevé qu’il ressortait des éléments produits par les parties et notamment des documents contractuels, que la sélection des candidats se faisait non sur des critères objectifs appliqués à des compétences attendues dans un domaine déterminé, mais selon des critères subjectifs, totalement déterminés par la société, et inconnus des participants ; que le jeu constituait seulement une partie du contenu de l’émission, celle-ci comportant, outre des scènes de tournage des étapes et des épreuves diverses, des « interviews » sur le ressenti des candidats ; que des journalistes qui suivaient les participants devaient tenter de les mettre dans des situations particulières ou les inciter à retrouver d’autres candidats à certains moments précis, qu’enfin il était prévu que dans certains cas, les règles du jeu seraient contournées pour cadrer avec les nécessités du tournage, autant d’éléments ne relevant pas de la catégorie du jeu ; que, sans inverser la charge de la preuve, elle pu déduire de ces constatations que la qualification de contrat de jeu devait être écartée ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société fait encore grief aux arrêts de dire la juridiction prud’homale compétente, et, évoquant le litige, de la condamner à payer diverses sommes aux participants alors, selon le moyen :

1° / que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu, pour en déduire l’existence d’un lien de subordination, que le candidat s’engageait à être disponible pendant le déroulement du jeu, à porter un microphone, à s’abstenir de tout contact avec son environnement habituel et à emporter certains effets, et que les heures pendant lesquelles les candidats pouvaient faire du stop étaient déterminées par la société organisatrice ; qu’en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser l’existence d’un lien de subordination dès lors qu’il ne s’agissait que de règles inhérentes au bon déroulement de la compétition, la cour d’appel a violé l’article L. 1221-1 du code du travail ;

2°/ que l’existence d’un contrat de travail suppose l’accomplissement d’une prestation de travail ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu, pour en déduire l’existence d’une « prestation de travail », que les candidats « participent activement aux différentes scènes de tournage, ce qui suppose non seulement un effort physique mais également un effort psychologique certain » ; qu’en statuant ainsi, cependant que la participation à une course ludique ne constitue pas une prestation de travail, la cour d’appel a violé l’article L. 1221-1 du code du travail ;

3°/ que l’existence d’un contrat de travail suppose une rémunération versée en contrepartie d’un travail fourni ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que les sommes versées aux participants correspondaient à des remboursements de frais de voyage, logement, et repas, ainsi qu’à un « dédommagement forfaitaire », outre les gains remis à l’équipe vainqueur ; qu’il en résultait qu’aucune des sommes versées aux participants ne constituait une rémunération attribuée en contrepartie d’un travail fourni ; qu’en retenant au contraire que « le versement de ces sommes constitue en réalité la contrepartie de l’exécution de la prestation de travail pour tous les participants », la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l’article L. 1221-1 du code du travail ;

Mais attendu que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ;

Et attendu que la cour d’appel a constaté que le règlement candidats, effectivement appliqué, comportait des dispositions plaçant les participants sous l’autorité d’un « directeur de course » qui disposait d’un pouvoir de sanction, que les participants se voyaient imposer des contraintes multiples, tant dans leurs comportements que relativement aux effets personnels qu’ils pouvaient garder, qu’ils étaient privés de tout moyen de communication avec leur environnement habituel, que les règles du « jeu » pouvaient être contournées à l’initiative de la société de production pour le rendre compatible avec les impératifs du tournage ; que le règlement prévoyait, outre la prise en charge par la société des frais de transport, de logement et de repas, un dédommagement forfaitaire de 200 euros par couple et par jour de présence sur le lieu de tournage, versé après la fin de l’émission, et un gain de 50 000 euros ou 100 000 euros pour le couple vainqueur, ces sommes constituant en réalité la contrepartie de l’exécution d’une prestation de travail ; qu’elle a ainsi caractérisé l’existence d’une relation de travail dans un lien de subordination ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Studio 89 productions aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre février deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour la société Studio 89 productions, demanderesse aux pourvois n°s T 13-25.621 à Y 13-25.626.

PREMIER MOYEN DE CASSATION (SUR L’EXCLUSION DE LA QUALIFICATION DE JEU)

Il est fait grief aux arrêts attaqués d’avoir fait droit aux contredits formés par les participants et dit que le Conseil de prud’hommes de Nanterre était compétent pour connaître de leur litige avec la société 89 Productions, évoqué le fond du litige, conformément à l’article 89 du code de procédure civile, condamné la société 89 Productions à verser aux participants diverses sommes au titre des rappels de salaires et heures supplémentaires dont seront déduites les sommes versées par la société 89 Productions, au titre des congés payés afférents, au titre des dommages et intérêts équivalant aux repos compensateurs non pris et aux congés payés afférents, et au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d’avoir ordonné la remise des documents de fin de contrats conformes, et des bulletins de paie ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la compétence du Conseil de prud’hommes de Nanterre :

Que pour écarter l’existence d’un contrat de travail, le premier juge a retenu que « la bible de tournage » dont se prévalait le participant pour démontrer l’existence d’un lien de subordination était établie à l’intention des personnels techniques et non des participants au jeu ; qu’il a considéré que les candidats restaient libres de leurs décisions et pouvaient quitter l’émission à tout moment sans qu’il y ait de la part de la direction de la société de production un quelconque pouvoir de sanction ;

Qu’il a estimé qu’il n’y avait pas de rémunérations, mais des gains fixés dans la règle du jeu ; qu’il a rappelé que cette émission n’avait avait bien été présentée comme un jeu et déclarée comme telle auprès du CSA et qu’en tout état de cause ce n’était pas une oeuvre de fiction ;

Qu’il en a déduit qu’aucun des éléments permettant de caractériser l’existence d’un contrat de travail n’étant caractérisé, le participant devait être considér é comme participant à un jeu, que le tribunal de grande instance était seul compétent ;

Qu’au soutien de son contredit, le participant fait valoir que la Cour de cassation a expressément reconnu que les participants à des émissions de la même nature que Pékin Express déployaient une activité professionnelle dont l’objet était de produire une « série télévisée » ; que pour ce faire, elle a relevé que les participants devaient se soumettre à de nombreuses répétitions et activités imposées, qu’ils étaient dirigés par la production qui orientait leur conduite et qu’ils devaient exprimer des réactions attendues ; qu’en outre, elle a constaté que le tournage était sans lien avec la vie personnelle habituelle des participants, excluant définitivement la qualification d’oeuvre documentaire ;

Qu’ il estime rapporter la preuve de ce que l’activité pendant le tournage de l’émission doit être analysée comme une prestation de travail, qu’il était demandé aux participants salariés de l’émission de placer les candidats dans un certain nombre de situations sur lesquelles ils n’avaient aucune maîtrise et qu’ils perdaient toute autonomie, se retrouvant sous un lien de subordination avec la production ;

Que de son côté, la société insiste sur le fait qu’aucun scénario n’était décidé à l’avance et que les candidats disposaient d’une grande autonomie et d’une liberté d’aller et venir ;

Qu’en droit, la qualification de contrat de travail implique qu’une personne s’engage à fournir une prestation de travail au profit d’une autre personne, en se plaçant dans un état de subordination juridique vis-à-vis de cette dernière, moyennant une rémunération ; que l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties ni de la dénomination de la convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité de la personne concernée ;

Qu’en l’absence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui se prévaut de son existence, d’en apporter la preuve ;

Qu’en l’espèce, il a été signé entre la société W9 Production devenue Studio 89 Productions et le participant , un document intitulé contrat de participation au jeu Voyages pour participer au programme Pékin Express ainsi qu’un règlement Candidats ; que cette dénomination contractuelle ne permet pas en soi d’exclure l’existence d’une relation contractuelle de travail subordonné ;

Que la sélection des candidats se faisait de manière très minutieuse avec une série de tests destinés à vérifier les capacités physiques, intellectuelles et psychologiques des candidats avec des tests à l’image ;

Que les candidats par couples devaient faire un trajet de 10.000 kilomètres en respectant des étapes imposées et ils percevaient 200 euros par jour, outre le gain pour le couple gagnant fixé à 50.000 puis à 100.000 euros ;

Qu’à côté des épreuves proprement dites, les candidats retenus s’engageaient à rester à disposition pour des interviews ou des participations à des émissions sur le jeu tant au moment du tournage que pendant la projection ;

Sur la participation à un jeu :

Que la société Studio 89 Productions admet que le contrat conclu avec le participant ne puisse s’analyser comme un contrat de jeu régi par l’article 1966 du Code civil, en l’absence de paris sur une somme d’argent ;

Qu’en revanche, elle estime que la participation à Pékin Express correspond à la participation à un jeu tel que défini par le CSA et excluant toute activité professionnelle ;

Qu’or, il ressort des documents contractuels et notamment du Règlement Candidats, que l’objet du contrat ne peut pas se réduire à l’organisation d’un jeu ;

Que du point de vue des participants, la participation à un jeu supposerait une sélection selon des critères objectifs appliqués à des compétences attendues dans un domaine déterminé ; qu’or, les participants sont choisis suivant des critères subjectifs, totalement déterminés par la société de production ; que ces critères ne sont pas connus des participants ;

Que cette sélection qui ne permet pas d’assurer une égalité entre les participants, se situe dans le cadre de l’objectif poursuivi par la société de production, de produire un programme conforme aux aspirations du public, selon les critères qu’elle a définis ;

Que du point de vue du contenu de l’émission, il apparaît que le jeu constitue seulement une partie de ce contenu ; qu’il ressort du Règlement des participants, que l’émission comporte d’une part des scènes de tournage des étapes et des épreuves diverses qui correspondent à la part du jeu, mais d’autre part des « interviews » sur le ressenti des candidats ; qu’il ressortait de certains éléments contenus dans les bibles du jeu que les journalistes qui suivaient les participants devaient tenter de les mettre dans des situations particulières ou de les inciter à retrouver d’autres candidats à certains moments précis ;

Qu’enfin, il est prévu que dans certains cas, les règles du jeu seront contournées pour cadrer avec les nécessités du tournage, par exemple en cas d’avancées trop lentes ;

Que les observations de la société Studio 89 Productions sur le fait que certains documents produits dans le dossier du participant ne correspondent pas à l’émission à laquelle il a participé, ne peuvent être retenues dans la mesure où elle ne fait aucune démonstration tendant à prouver que telle saison de Pékin Express aurait été différente de telle autre dans sa réalisation et dans ses objectifs ;

Qu’il est donc permis de considérer que l’émission Pékin Express appartient au genre déterminé des émissions de télé-réalité qui selon la définition donnée par le CSA « ne reflètent pas la réalité, mais consistent pour leurs auteurs à créer des situations spécifiques dans lesquelles des personnes sélectionnées vont donner leur quotidien en spectacle » ;

Qu’il s’ensuit que la qualification de participation à un jeu doit être écartée » ;

1°/ ALORS QU’ il appartient au demandeur à la requalification d’un contrat de démontrer que sa qualification apparente est erronée ; qu’en l’espèce, pour décider que « la qualification de participation à un jeu doit être écartée », la Cour d’appel a retenu que « les observations de la société Studio 89 Productions sur le fait que certains documents produits dans le dossier du participant ne correspondent pas à l’émission à laquelle il a participé, ne peuvent être retenues dans la mesure où elle ne fait aucune démonstration tendant à prouver que telle saison de Pékin Express aurait été différente de telle autre dans sa réalisation et dans ses objectifs » ; que ce faisant, la Cour d’appel a considéré que ce qui était prétendument établi relativement à l’une des éditions du jeu valait nécessairement pour toutes, à charge pour la défenderesse de démontrer le contraire ; qu’en statuant ainsi, la Cour d’appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l’article 1315 du Code civil, ensemble les articles 1104 et 1964 du même Code ;

2°/ ALORS QUE, en toute hypothèse, constitue un contrat aléatoire celui dans lequel les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain ; qu’en l’espèce, pour décider que « la qualification de participation à un jeu doit être écartée », la Cour d’appel a retenu que la course Pékin Express s’accompagnait d’ « « interviews » sur le ressenti des candidats » ; qu’en statuant ainsi, cependant que la participation à des interviews constituait, pour les participants, le critère de pertes caractéristique du contrat aléatoire de jeu, la Cour d’appel a violé les articles 1104 et 1964 du Code civil ;

3°/ ALORS QUE constitue un contrat aléatoire celui dans lequel les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain ; que le libre choix du cocontractant n’exclut pas la qualification de contrat aléatoire de jeu ; qu’en l’espèce, pour décider que « la qualification de participation à un jeu doit être écartée », la Cour d’appel a retenu, que « la participation à un jeu supposerait une sélection selon des critères objectifs appliqués à des compétences attendues dans un domaine déterminé » ; qu’en statuant par un tel motif, impropre à exclure le caractère aléatoire de la compétition, la Cour d’appel a violé les articles 1104 et 1964 du Code civil ;

4°/ ALORS QUE constitue un contrat aléatoire celui dans lequel les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain ; qu’en l’espèce, pour décider que « la qualification de participation à un jeu doit être écartée », la Cour d’appel a retenu, quant à la période d’exécution de la course, que « les journalistes qui suivaient les participants devaient tenter de les mettre dans des situations particulières ou de les inciter à retrouver d’autres candidats » et que « dans certains cas, les règles du jeu seront contournées pour cadrer avec les nécessités du tournage » ; que même à admettre ces appréciations, il n’en résultait en toute hypothèse aucune atteinte au caractère aléatoire de la compétition ; que dès lors, en statuant par de tels motifs, la Cour d’appel a violé les articles 1104 et 1964 du Code civil ;

5°/ ALORS QUE constitue un contrat aléatoire celui dans lequel les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain ; qu’en l’espèce, pour décider que « la qualification de participation à un jeu doit être écartée », la Cour d’appel a retenu que « l’émission Pékin Express appartient au genre déterminé des émissions de télé-réalité » ; qu’en statuant par un tel motif impropre à exclure la qualification de contrat aléatoire de jeu, la Cour d’appel a violé les articles 1104 et 1964 du Code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION (SUR LA QUALIFICATION DE CONTRAT DE TRAVAIL)

Il est fait grief aux arrêts attaqués d’avoir fait droit aux contredits formés par les participants et dit que le Conseil de prud’hommes de Nanterre était compétent pour connaître de leur litige avec la société 89 Productions, évoqué le fond du litige, conformément à l’article 89 du code de procédure civile, condamné la société 89 Productions à verser aux participants diverses sommes au titre des rappels de salaires et heures supplémentaires dont seront déduites les sommes versées par la société 89 Productions, au titre des congés payés afférents, au titre des dommages et intérêts équivalant aux repos compensateurs non pris et aux congés payés afférents, et au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d’avoir ordonné la remise des documents de fin de contrats conformes, et des bulletins de paie ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la compétence du Conseil de prud’hommes de Nanterre :

Que pour écarter l’existence d’un contrat de travail, le premier juge a retenu que « la bible de tournage » dont se prévalait le participant pour démontrer l’existence d’un lien de subordination était établie à l’intention des personnels techniques et non des participants au jeu ; qu’il a considéré que les candidats restaient libres de leurs décisions et pouvaient quitter l’émission à tout moment sans qu’il y ait de la part de la direction de la société de production un quelconque pouvoir de sanction ;

Qu’il a estimé qu’il n’y avait pas de rémunérations, mais des gains fixés dans la règle du jeu ; qu’il a rappelé que cette émission n’avait avait bien été présentée comme un jeu et déclarée comme telle auprès du CSA et qu’en tout état de cause ce n’était pas une oeuvre de fiction ;

Qu’il en a déduit qu’aucun des éléments permettant de caractériser l’existence d’un contrat de travail n’étant caractérisé, le participant devait être considér é comme participant à un jeu, que le tribunal de grande instance était seul compétent ;

Qu’au soutien de son contredit, le participant fait valoir que la Cour de cassation a expressément reconnu que les participants à des émissions de la même nature que Pékin Express déployaient une activité professionnelle dont l’objet était de produire une « série télévisée » ; que pour ce faire, elle a relevé que les participants devaient se soumettre à de nombreuses répétitions et activités imposées, qu’ils étaient dirigés par la production qui orientait leur conduite et qu’ils devaient exprimer des réactions attendues ; qu’en outre, elle a constaté que le tournage était sans lien avec la vie personnelle habituelle des participants, excluant définitivement la qualification d’oeuvre documentaire ;

Qu’ il estime rapporter la preuve de ce que l’activité pendant le tournage de l’émission doit être analysée comme une prestation de travail, qu’il était demandé aux participants salariés de l’émission de placer les candidats dans un certain nombre de situations sur lesquelles ils n’avaient aucune maîtrise et qu’ils perdaient toute autonomie, se retrouvant sous un lien de subordination avec la production ;

Que de son côté, la société insiste sur le fait qu’aucun scénario n’était décidé à l’avance et que les candidats disposaient d’une grande autonomie et d’une liberté d’aller et venir ;

Qu’en droit, la qualification de contrat de travail implique qu’une personne s’engage à fournir une prestation de travail au profit d’une autre personne, en se plaçant dans un état de subordination juridique vis-à-vis de cette dernière, moyennant une rémunération ; que l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties ni de la dénomination de la convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité de la personne concernée ;

Qu’en l’absence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui se prévaut de son existence, d’en apporter la preuve ;

Qu’en l’espèce, il a été signé entre la société W9 Production devenue Studio 89 Productions et le participant , un document intitulé contrat de participation au jeu Voyages pour participer au programme Pékin Express ainsi qu’un règlement Candidats ; que cette dénomination contractuelle ne permet pas en soi d’exclure l’existence d’une relation contractuelle de travail subordonné ;

Que la sélection des candidats se faisait de manière très minutieuse avec une série de tests destinés à vérifier les capacités physiques, intellectuelles et psychologiques des candidats avec des tests à l’image ;

Que les candidats par couples devaient faire un trajet de 10.000 kilomètres en respectant des étapes imposées et ils percevaient 200 euros par jour, outre le gain pour le couple gagnant fixé à 50.000 puis à 100.000 euros ;

Qu’à côté des épreuves proprement dites, les candidats retenus s’engageaient à rester à disposition pour des interviews ou des participations à des émissions sur le jeu tant au moment du tournage que pendant la projection ;

Sur la participation à un jeu :

S’agissant de la qualification de contrat de travail :

Que la réalisation d’une prestation de travail résulte de facteurs multiples :

la société de production attend des candidats qu’ils participent activement aux différentes scènes de tournage, ce qui suppose non seulement un effort physique mais également un effort psychologique certain ;

Que s’agissant de l’existence du lien de subordination, il est prévu que le candidat s’engage à participer au jeu pendant toute la durée où sa présence sera nécessaire à la production pour le tournage et pour tous les besoins du programme et qu’il a pris toutes dispositions pour être disponible pendant toute la durée du tournage et que son engagement ne contrevient pas à un autre engagement vis-à-vis d’un tiers quelconque ;

Qu’en outre, il s’engageait à être disponible durant tout le temps de projection des émissions pour répondre à toutes demandes d’interviews transmises par la société de production ;

Qu’il était prévu une possibilité de faire verser des dommages-intérêts pour violation de ces obligations ;

Que le règlement du jeu voyages prévoit un certain nombre de clauses très impératives : ainsi, il était interdit aux candidats de se rencontrer avant l’émission, pendant les phases de sélection ;

Qu’il était prévu que les candidats étaient filmés du lever au coucher et devaient porter en permanence un microphone qui était désactivé pendant une phase dite hors jeu, déterminée par la production ;

Que l’article 3-7 du règlement interdisait au candidat l’accès à la télévision, à la radio et à internet ainsi que le recours à un téléphone fixe ou un téléphone mobile pendant toute la durée du tournage ;

Qu’il était prévu que chaque candidat devait emporter une liste d’objets personnels définie par la société de production, cette dernière ayant le droit de refuser le port de certains vêtements ;

Qu’il leur était interdit de consommer de l’alcool pendant le temps du tournage sauf aux moments prévus par la société de production ;

Que la violation de l’obligation de confidentialité était réparée par une sanction financière ;

Que des bibles de tournage de l’émission sont également produites aux débats ; que contrairement à ce que soutient la société 89 Productions, elles ne sont pas consacrées uniquement au travail des équipes techniques ;

Qu’une partie est consacrée aux objets à emporter par les candidats qui perdent toute initiative dans la confection de leurs bagages personnels ;

Qu’il y est fait mention du rôle du directeur de course, qui « est l’autorité sanction pour les candidats » et que ceux-ci doivent craindre en cas de dépassement ;

Que la description des épreuves est si détaillée que les candidats gardent peu d’autonomie et il est indiqué que « les heures auxquelles les binômes peuvent faire du stop sont fixées à l’avance dans les fiches épisodes.

Elles peuvent néanmoins changer pour des raisons de logistique ou de production » ;

Que de même, si la course prend trop de retard, une avance rapide sera organisée par la production, les couples étant transportés par une voiture de la production ;

Que l’ensemble de ces éléments démontre qu’au-delà d’un simple exercice ludique, des contraintes multiples ont été imposées aux candidats, tant dans leurs comportements que dans les effets personnels qu’ils peuvent garder avec eux que dans l’obligation qui leur est faite d’être privés de tout moyen de communication avec leur environnement habituel, les règles du « jeu » pouvant être contournées à l’initiative de la société de production pour le rendre compatible avec les impératifs du tournage et le participant a en réalité effectué un travail sous un lien de subordination ;

Que s’agissant de la rémunération, le règlement prévoit, outre la prise en charge par la société W9 Productions des frais (billet d’avion aller-retour, visa, logement et repas) le versement d’autres sommes :

"-" dédommagement forfaitaire de 200 ¿ par couple et par jour de présence sur le lieu de tournage, versé après la fin de l’émission ;

"-" 50.000 ou 100.000 euros de gain de jeu pour le couple vainqueur ;

Qu’il s’ensuit que le versement de ces sommes constitue en réalité la contrepartie de l’exécution de la prestation de travail pour tous les participants ;

Que la sélection rigoureuse des candidats, les exigences qui leur étaient imposées et qui ont été rappelées ci-dessus ainsi que l’existence d’une rémunération confirment qu’il y a bien eu réalisation d’un travail salarié pour le compte d’un employeur qui attendait des personnes retenues, une prestation particulière très encadrée et contraignante, où elles se trouvaient pratiquement en permanence sous le regard des caméras et qui était destinée à s’inscrire dans une activité à finalité économique ;

Que la seule circonstance que les candidats pouvaient arrêter le jeu lorsqu’ils le souhaitaient ne suffit pas à écarter la notion de contrat de travail ;

Qu’il convient dès lors de faire droit au contredit formé par le participant , la juridiction prud’homale étant compétente pour connaître des demandes formées par le participant qui trouvaient leur origine dans la manière dont s’est déroulé ce contrat ;

Que le jugement sera infirmé dans toutes ses dispositions (...) » ;

1°/ ALORS QUE le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel a retenu, pour en déduire l’existence d’un lien de subordination, que le candidat s’engageait à être disponible pendant le déroulement du jeu, à porter un microphone, à s’abstenir de tout contact avec son environnement habituel et à emporter certains effets, et que les heures pendant lesquelles les candidats pouvaient faire du stop étaient déterminées par la société organisatrice ; qu’en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser l’existence d’un lien de subordination dès lors qu’il ne s’agissait que de règles inhérentes au bon déroulement de la compétition, la Cour d’appel a violé l’article L. 1221-1 du Code du travail ;

2°/ ALORS QUE l’existence d’un contrat de travail suppose l’accomplissement d’une prestation de travail ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel a retenu, pour en déduire l’existence d’une « prestation de travail », que les candidats « participent activement aux différentes scènes de tournage, ce qui suppose non seulement un effort physique mais également un effort psychologique certain » ; qu’en statuant ainsi, cependant que la participation à une course ludique ne constitue pas une prestation de travail, la Cour d’appel a violé l’article L. 1221-1 du Code du travail ;

3°/ ALORS QUE l’existence d’un contrat de travail suppose une rémunération versée en contrepartie d’un travail fourni ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel a constaté que les sommes versées aux participants correspondaient à des remboursements de frais de voyage, logement, et repas, ainsi qu’à un « dédommagement forfaitaire », outre les gains remis à l’équipe vainqueur ; qu’il en résultait qu’aucune des sommes versées aux participants ne constituait une rémunération attribuée en contrepartie d’un travail fourni ; qu’en retenant au contraire que « le versement de ces sommes constitue en réalité la contrepartie de l’exécution de la prestation de travail pour tous les participants », la Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l’article L. 1221-1 du Code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 10 septembre 2013