Soeurs - commerce de détail - salariat non

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 24 octobre 2018

N° de pourvoi : 17-21141

ECLI:FR:CCASS:2018:SO01534

Non publié au bulletin

Cassation

Mme Farthouat-Danon (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l’article L. 1221-1 du code du travail ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme Antonina X..., prétendant avoir été salariée de sa soeur Mme Lucie X..., gérante d’un commerce de vente de fleurs, a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de rappels de salaires et d’indemnités au titre de la rupture du contrat de travail ;

Attendu que pour faire droit à ces demandes, l’arrêt retient que l’existence d’une prestation de travail durable et régulière effectuée par Mme Antonina X... est parfaitement établie, que Mme Lucie X... étant propriétaire du fonds de commerce, elle bénéficiait seule de l’ensemble des revenus que procurait l’activité exercée, que lorsque les relations entre les deux soeurs se sont dégradées, Mme Antonina X... a été empêchée par Mme Lucie X... de poursuivre son travail et même d’occuper le logement commun du fait du changement des serrures, que cette dernière a ainsi exercé son pouvoir de direction ce qui démontre que Mme Antonina X... travaillait bien sous sa subordination ;

Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs ne suffisant pas à caractériser l’existence d’un lien de subordination, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 9 juin 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry ;

Condamne Mme Antonina X... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mme Lucie X...

Il est reproché à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir condamné Mme Lucie X... à payer à Mme Antonina X... les sommes de 65 176 € au titre du rappel de salaires, 6 517 € au titre des congés payés afférents, 2 730 € au titre de l’indemnité de préavis, 5 000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 8 190 € au titre du travail dissimulé, 1 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que de l’avoir condamnée à remettre à Mme Antonina X... le certificat de travail, l’attestation Pôle emploi et les bulletins de paye afférents aux salaires ;

AUX MOTIFS QU’il incombe à Madame Antonina X... qui revendique le statut de salariée de Madame Lucie X... de démontrer, par tous moyens, l’existence d’un contrat de travail lequel suppose la preuve : - de l’exécution d’une prestation de travail moyennant rémunération, - d’un lien de subordination ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du salarié ;

Que les articles de presse et les attestations relatives à la remise de son diplôme de « FLOR DESIGNER INTERNATIONAL » et aux cours d’art floral qu’elle a pu dispenser, démontrent les compétences professionnelles de Madame Antonina X..., lesquelles ne sont pas contestées ;

Que des clients (Monsieur Z..., Mesdames A..., K..., L..., M..., N..., O... et P...) et amis (Messieurs B..., C..., Mesdames J..., D...) de Madame Antonina X... attestent que lors de leurs achats ou visites à la boutique, ils ont constaté qu’elle s’occupait des décorations florales, entre autres pour les événements particuliers tels que mariages, enterrements ; qu’elle encadrait les apprentis, servait la clientèle et effectuait les encaissements ; que Mlle E..., indique avoir été apprentie de juillet 2007 à juin 2008 et avoir été encadrée par Madame Antonina X... pendant sa formation ; que de même, Aurore Q..., atteste avoir travaillé au sein de la boutique d’octobre 2010 à août 2011 et avoir vu Madame Antonina X... participer activement au magasin (formation d’apprentis, composition pour les grands événements, tenue du magasin) ; qu’ainsi, l’existence d’une prestation de travail durable et régulière effectuée par Madame Antonina X... au sein de la société « ATELIER FLOR DESIGNER » est parfaitement établie et n’est d’ailleurs pas sérieusement contestée ;

Que cependant, Madame Lucie X... étant propriétaire du fonds de commerce, bénéficiait seule de l’ensemble des revenus que procurait l’activité exercée ;

Que par ailleurs, lorsque les relations entre les deux soeurs se sont dégradées, Madame Antonina X... a été empêchée par Madame Lucie X... de poursuivre son travail et même d’occuper le logement commun du fait du changement des serrures ainsi que cela est justifié par la production d’un constat d’huissier en date du 15 septembre 2011 ; que Madame Lucie X... a ainsi exercé son pouvoir de direction ce qui démontre que Madame Antonina X... travaillait bien sous sa subordination ;

Qu’il convient donc de constater l’existence d’un contrat de travail entre Madame Lucie X... et Madame Antonina X... ; que le jugement sera en conséquence infirmé ;

Que sur l’indemnisation : 1 - les rappels de salaires du 26 juillet 2007 au 1er septembre 2011 : qu’en l’absence de contrat de travail écrit, le contrat de travail est présumé à temps complet et Madame Lucie X... n’apporte pas la preuve contraire ; que sur la base du SMIC, il sera alloué à Madame Antonina X... les sommes de : - en 2007 : 1.280 € x 5 mois soit 6.400 €, - en 2008 : 1.308 € x 12 mois = 15.696 €, en 2009 : 1.337 € x 12 mois = 16.044 €, - en 2010 : 1.343 € x 12 mois 16.116€, - en 2011 : 1.365 € x 8 mois = 10.920€ soit 65.176€ au titre du rappels de salaire outre 6.517 € au titre des congés payés afférents ; 2 - le préavis : qu’en application de l’article L. 1234-1 du code du travail et compte tenu du fait que Madame Antonina X... avait une ancienneté d’au moins deux ans, la durée du préavis est de deux mois ; qu’il lui sera alloué à ce titre la somme de 1.365 € x 2 soit 2.730€ ; 3 - sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : qu’en application des dispositions de l’article L. 1235-5 du code du travail, en cas de licenciement opéré dans une entreprise de moins de onze salariés ce qui est le cas en l’espèce, le salarié peut prétendre en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse à une indemnité correspondant au préjudice subi ; que compte tenu de la perte de son emploi, il y a lieu d’allouer à Madame Antonina X... la somme de 5.000 € à titre d’indemnisation ; 5 - sur le travail dissimulé : qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, Madame Lucie X... a employé sa soeur sans procéder aux déclarations relatives à cet emploi ; que Madame Caroline X... I... , soeur des deux parties, et Monsieur B... attestent avoir été témoin du fait qu’Antonina X... a demandé à Lucie X... de lui établir un contrat de travail pour qu’elle puisse toucher une retraite et jouir de son indépendance financière ce que cette dernière a refusé de faire ; que Madame Caroline X... I... précise avoir elle-même formé cette demande pour sa soeur ; que ces attestations caractérisent l’intention permettant de retenir le travail dissimulé prévu par les dispositions de l’article L. 8221-5 du code du travail ; qu’il sera en conséquence alloué à Madame Antonina X... la somme de 8.190 €

correspondant à 6 mois de salaire ;

Que sur la remise des documents de fin de contrat, il y a lieu de condamner Madame Lucie X... à remettre à. Madame Antonina X... le certificat de travail, l’attestation Pôle Emploi, et les bulletins de paye afférents aux salaires ;

Que sur article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d’allouer à Madame Antonina X... une indemnité de 1.500€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

1/ ALORS QUE le versement d’un salaire constitue la contrepartie nécessaire de la relation de travail ; qu’en qualifiant la relation de travail entre Mme Lucie X... et Mme Antonina X... de contrat de travail sans relever que les parties auraient prévu le versement d’une rémunération en contrepartie de la prestation de travail et que l’absence de rémunération de Mme Antonina X... résulterait du seul manquement de Mme Lucie X... et non d’une volonté d’entraide entre les deux soeurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1221-1 du code du travail ;

2/ ALORS QUE le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en caractérisant le lien de subordination qui existerait entre Mme Antonina X... et Mme Lucie X... au seul regard du pouvoir de direction de cette dernière, sans rechercher si Mme Lucie X... disposait également d’un pouvoir de contrôle et de sanction, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1221-1 du code du travail ;

3/ ALORS QUE l’existence d’un contrat de travail suppose l’exécution d’une prestation de travail moyennant une rémunération et l’existence d’un lien de subordination entre l’employeur et le salarié ; que les compétences professionnelles du salarié sont indifférentes pour caractériser l’existence d’un contrat de travail ; qu’en se fondant, pour caractériser l’existence d’un contrat de travail entre les deux soeurs, sur les compétences professionnelles de Mme Antonina X..., la cour d’appel a violé l’article L. 1221-1 du code du travail ;

4/ ALORS QUE le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que l’existence d’une relation de travail s’apprécie au regard des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur ; que le travail au sein d’un service organisé peut notamment constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail ; qu’en se bornant à énoncer, pour retenir l’existence d’un lien de subordination et d’un contrat de travail entre Mme Antonina X... et Mme Lucie X..., que cette dernière était la propriétaire du fonds de commerce et bénéficiait seule de l’ensemble des revenus procurés par l’activité et que lorsque la relation entre les deux soeurs s’était dégradée, elle aurait empêché Mme Antonina X... d’occuper leur logement commun et de poursuivre son travail – éléments impropres à caractériser un lien de subordination -, sans rechercher quelles étaient les conditions de fait dans lesquelles Mme Antonina X... exerçait son activité professionnelle, notamment si le travail s’effectuait au sein d’un service organisé et si les conditions de travail étaient décidées unilatéralement par Mme Lucie X..., la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1221-1 du code du travail ;

5/ ALORS QU’en énonçant de manière péremptoire, pour caractériser le pouvoir de direction de Mme Lucie X... et l’existence d’un contrat de travail, que Mme Antonina X... avait « été empêchée par Mme Lucie X... de poursuivre son travail », sans justifier concrètement son appréciation au regard des éléments de fait et de preuve produits aux débats ni préciser de quel élément soumis au débat contradictoire des parties elle avait pu déduire une telle constatation, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d’appel de Grenoble , du 9 juin 2016