Transport - livraison - concubin - salarié oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 7 mars 2012

N° de pourvoi : 10-26673

Non publié au bulletin

Rejet

Mme Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président

Me Foussard, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Caen, 17 septembre 2009), que depuis 1994 M. X... exploite en son nom propre une activité de livraison de colis ; qu’il a engagé Mme Y..., qui vivait maritalement avec lui depuis avril 1991, en qualité de chauffeur dans le cadre d’un contrat initiative emploi du 1er janvier 1996 au 30 juin 1998 ; qu’aucun contrat de travail n’a été formellement conclu à l’issue de ce contrat à durée déterminée ; que soutenant n’avoir cessé de travailler au service de M. X... jusqu’en août 2006, Mme Y... a saisi la juridiction prud’homale aux fins de se voir reconnaître la qualité de salariée de son ancien concubin sur la période considérée ainsi que les droits nés de l’exécution et de la rupture du contrat de travail allégué ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt d’accueillir les demandes de Mme Y... alors, selon le moyen :

1°/ que le lien de subordination qui caractérise le travail salarié, suppose l’exécution d’un travail sous les ordres, la direction et le contrôle d’un employeur, non suivant le « bon vouloir » du travailleur ; que la cour d’appel, pour retenir l’existence d’une relation de travail exclusive de l’entraide familiale et bénévole invoquée par M. X..., se fonde exclusivement sur deux attestations, dont l’une émane d’une salariée qui déclare avoir assuré les livraisons du magasin « Huit à 8 » lorsque Mme Y... ne voulait pas le faire ; qu’en ne tirant pas les conséquences légales de cette constatation, dont il résultait que c’est librement et en dehors de tout lien de subordination que Mme Y... effectuait certaines livraisons pour le compte de son concubin, la cour d’appel a violé l’article L. 1121-1 du code du travail ;

2°/ que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en affirmant, pour retenir l’existence d’un tel lien, que Mme Y... devait « nécessairement se conformer aux directives de M. X..., responsable de l’entreprise de livraison », sans constater le moindre élément établissant que ce dernier avait effectivement le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, de contrôler son travail et, le cas échéant, de sanctionner ses manquements, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 1121-1 du code du travail ;

3°/ qu’ en l’absence d’écrit, c’est à celui qui invoque l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve ; qu’en relevant, alors qu’il est constant qu’aucun écrit n’a été établi pour la période litigieuse qu’« il n’existe (n’existait) ici aucun indice de ce qu’elle (Mme Y...) ait pu disposer de quelque latitude d’action pour décider elle-même des conditions de son exécution » (de la prestation de livraison), la cour d’appel a fait reposer la charge de la preuve de l’absence de contrat de travail sur M. X..., et a violé l’article 1315 du code civil ;

Mais attendu qu’appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments qui lui étaient soumis et ayant constaté que Mme Y... avait, postérieurement à la période du contrat de travail à durée déterminée, régulièrement poursuivi son activité en effectuant tous les jours les livraisons de colis au magasin 8 à huit, la cour d’appel qui, par motifs propres et adoptés, a caractérisé l’existence d’un lien de subordination a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à Mme Y... une indemnité pour travail dissimulé alors, selon le moyen :

1°/ que le caractère intentionnel de l’infraction de travail dissimulé ne peut se déduire de la seule requalification d’une relation en un contrat de travail ; que par suite sont impropres à caractériser, à eux seuls, l’infraction de travail dissimulé, la non-déclaration de celui auquel le juge reconnaît la qualité de salarié auprès des organismes sociaux, l’absence de délivrance de bulletins de paie et le non-paiement de cotisations sociales ; qu’en se fondant sur de tels éléments pour retenir l’infraction de travail dissimulée la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé l’intention de son auteur prétendu, a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 8221-5 du code du travail ;

2°/ que l’intention de dissimuler un travail salarié ne peut se déduire de la seule durée de la relation requalifiée en un contrat de travail ; qu’en se déterminant au regard d’une telle durée, impropre à caractériser une quelconque volonté de M. X... de dissimuler un emploi salarié qu’il ne considérait pas comme « constitué », la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 8221-5 du code du travail ;

3°/ que l’intention de dissimuler un travail salarié n’est pas caractérisée, lorsque la prestation de travail a été considérée par celui pour le compte duquel elle a été effectuée, comme une aide, par nature bénévole, entre concubins ; que la cour d’appel a constaté que M. X... reconnaissait que Mme Y... avait continué d’effectuer certaines prestations de livraison pour son compte après le 30 juin 1998, mais que ces prestations, à ses yeux, s’inscrivaient dans le cadre d’une entraide entre concubins exclusive d’un contrat de travail ; qu’il résulte de ces constatations que M. X..., dès lors qu’il ne s’estimait pas dans les liens d’un contrat de travail, que ce soit à tort ou à raison, ne pouvait avoir eu l’intention de dissimuler aux organismes sociaux un emploi salarié ; qu’en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, la cour d’appel a violé l’article L. 8221-5 du code du travail.

Mais attendu que par motifs propres et adoptés, la cour d’appel a caractérisé l’élément intentionnel du travail dissimulé ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour M. X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué D’AVOIR CONDAMNE Monsieur X... - à payer diverses sommes à Madame Y... au titre de rappels de salaire et des congés payés y afférents, d’indemnité pour travail dissimulé, d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents, - à régulariser la situation auprès des organismes sociaux pour les sommes ayant le caractère de rémunération, - et à remettre à Madame Y... le document ASSEDIC, le certificat de travail et les bulletins de paie ;

AUX MOTIFS QUE Monsieur X..., exploitant sous son nom personnel une entreprise de livraison de colis, reconnaît expressément avoir employé en qualité de chauffeur salarié, dans le cadre d’un contrat initiative emploi, Madame Y... sa concubine entre le 1er janvier 1996 et le 30 juin 1998. Madame Y... soutient avoir continué de travailler au service de Monsieur X..., aux mêmes conditions, après le 30 juin 1998, terme de son contrat initiative emploi, et jusqu’en août 2006, soit deux mois avant la rupture de leur union personnelle. Monsieur X... reconnaît que, après le 30 juin 1998, Madame Y... a continué d’effectuer pour son compte certaines prestations de livraison ; il soutient que celles-ci s’inscrivaient dans le cas de l’entraide entre concubins et qu’elle était donc exclusive de tout contrat de travail. Outre que Monsieur X... reconnaît expressément son existence, la réalité de la prestation de travail effectuée par Madame Y... pour le compte de celui-là ressort de divers témoignages. Monsieur Bruno A..., gérant du magasin 8 à huit de GAVRAY, a attesté que Madame Y... lui livre tous les jours les colis. Ce fait est confirmé par Madame Martine B..., elle-même salariée de Monsieur X..., qui a attesté que lorsque Madame Y... ne voulait pas livrer ce client, c’est elle-même qui assurait la prestation. Ces deux témoignages établissent donc la réalité d’une prestation de travail régulièrement effectuée par Madame Y... pour le compte de Monsieur X.... Cette régularité, qui confine ici au systématisme, est exclusive de l’éventualité que cette prestation ait été accomplie dans Ie cadre d’une aide, bénévole par nature, entre concubins. Dans l’exécution de sa prestation, Madame Y... devait nécessairement se conformer aux directives de MonsIeur X..., responsable de l’entreprise de livraison et il n’existe ici aucun indice de ce qu’elle ait pu disposer de quelque latitude d’action pour décider elle-même des conditions de son exécution. (…) C’est donc bien dans le cadre d’un contrat de travail qui I’unissait à Monsieur X... que, entre juillet 1998 et août 2006, Madame Y... a effectué des livraisons chez un certain nombre de clients de celui-ci. Dans la mesure où ce contrat était occulte, Monsieur X... ne saurait tirer aucune conclusion utile à sa thèse de ce que, au cours de la période ici en cause, Madame Y... ait perçu des allocations versées par l’ASSEDIC ;

ALORS D’UNE PART QUE le lien de subordination qui caractérise le travail salarié, suppose l’exécution d’un travail sous les ordres, la direction et le contrôle d’un employeur, non suivant le « bon vouloir » du travailleur ; que la cour d’appel, pour retenir l’existence d’une relation de travail exclusive de l’entraide familiale et bénévole invoquée par Monsieur X..., se fonde exclusivement sur deux attestations, dont l’une émane d’une salariée qui déclare avoir assuré les livraisons du magasin « Huit à 8 » lorsque Madame Y... ne voulait pas le faire ; qu’en ne tirant pas les conséquences légales de cette constatation, dont il résultait que c’est librement et en dehors de tout lien de subordination que Madame Y... effectuait certaines livraisons pour le compte de son concubin, la cour d’appel a violé l’article L. 1121-1 du Code du travail ;

ALORS D’AUTRE PART QUE le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en affirmant, pour retenir l’existence d’un tel lien, que Madame Y... devait « nécessairement se conformer aux directives de Monsieur X..., responsable de l’entreprise de livraison », sans constater le moindre élément établissant que ce dernier avait effectivement le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, de contrôler son travail et, le cas échéant, de sanctionner ses manquements, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L.1121-1 du Code du travail ;

ALORS ENFIN QU’ en l’absence d’écrit, c’est à celui qui invoque l’existence d’un contrat de travail d’en rapporter la preuve ; qu’en relevant, alors qu’il est constant qu’aucun écrit n’a été établi pour la période litigieuse (arrêt p. 4 al.10) qu’« il n’existe (n’existait) ici aucun indice de ce qu’elle (Madame Y...) ait pu disposer de quelque latitude d’action pour décider elle-même des conditions de son exécution » ( de la prestation de livraison), la cour d’appel a fait reposer la charge de la preuve de l’absence de contrat de travail sur Monsieur X..., et a violé l’article 1315 du Code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué D’AVOIR CONDAMNE Monsieur X... à payer à Madame Y... une indemnité pour travail dissimulé ;

AUX MOTIFS PROPRES QU’eu égard à la longue durée d’exécution du contrat de travail litigieux, ce ne peut être qu’intentionnellement que Monsieur X... s’est soustrait à ses obligations de déclarer, à compter du 1er juillet 1998 l’embauche de Madame Y... aux organismes sociaux et de la rémunérer pour l’exécution de sa prestation de travail. Celle-ci apparaît donc bien fondée en sa demande indemnitaire pour travail dissimulé dont le montant est exact en droit et en fait ;

ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE Monsieur X... n’a pas déclaré aux organismes sociaux le travail réalisé par Madame Y... entre juin 1998 et août 2006. De même il n’a délivré aucun bulletin de paie ni aucune cotisation sociale ;

ALORS D’UNE PART QUE le caractère intentionnel de l’infraction de travail dissimulé ne peut se déduire de la seule requalification d’une relation en un contrat de travail ; que par suite sont impropres à caractériser, à eux seuls, l’infraction de travail dissimulé, la non déclaration de celui auquel le juge reconnaît la qualité de salarié auprès des organismes sociaux, l’absence de délivrance de bulletins de paie et le non paiement de cotisations sociales ;

qu’en se fondant sur de tels éléments pour retenir l’infraction de travail dissimulée la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé l’intention de son auteur prétendu, a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 8221-5 du Code du travail ;

ALORS D’AUTRE PART QUE l’intention de dissimuler un travail salarié ne peut se déduire de la seule durée de la relation requalifiée en un contrat de travail ; qu’en se déterminant au regard d’une telle durée, impropre à caractériser une quelconque volonté de Monsieur X... de dissimuler un emploi salarié qu’il ne considérait pas comme « constitué », la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 8221-5 du Code du travail ;

ALORS ENFIN QUE l’intention de dissimuler un travail salarié n’est pas caractérisée, lorsque la prestation de travail a été considérée par celui pour le compte duquel elle a été effectuée, comme une aide, par nature bénévole, entre concubins ; que la cour d’appel a constaté que Monsieur X... reconnaissait que Madame Y... avait continué d’effectuer certaines prestations de livraison pour son compte après le 30 juin 1998, mais que ces prestations, à ses yeux, s’inscrivaient dans le cadre d’une entraide entre concubins exclusive d’un contrat de travail (arrêt p.3 al.12) ; qu’il résulte de ces constatations que Monsieur X..., dès lors qu’il ne s’estimait pas dans les liens d’un contrat de travail, que ce soit à tort ou à raison, ne pouvait avoir eu l’intention de dissimuler aux organismes sociaux un emploi salarié ; qu’en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, la cour d’appel a violé l’article L. 8221-5 du Code du travail.
Décision attaquée : Cour d’appel de Caen du 17 septembre 2010