Pas d’entraide familiale possible après un contrat de travail, pour la même activité
Arrêt n°613 du 26 mai 2021 (20-85.118) - Cour de cassation - Chambre criminelle
– ECLI:FR:CCAS:2021:CR00613
Travail
Cassation partielle
Demandeur(s) : URSSAF [Localité 1]
Défendeur(s) : M. [F] [M]
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 3 octobre 2017, un contrôle a été diligenté par les services de l’URSSAF [Localité 1] et les services de la police aux frontières [Localité 2], au sein de la boulangerie pâtisserie « Aux délices du Cannet », gérée par M. [M].
3. Ce contrôle a notamment permis d’établir que l’épouse de M. [M] était employée dans la boulangerie en vertu d’un contrat de travail prévoyant 30 heures hebdomadaires, au titre desquelles les cotisations sociales étaient acquittées, mais qu’elle a admis travailler en réalité du lundi au dimanche de 6 heures à 14 heures.
4. Renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de travail dissimulé, M. [M] a été déclaré coupable.
5. Il a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Énoncé du moyen
7. Le moyen critique l’arrêt infirmatif attaqué en ce qu’il a relaxé M. [M] du chef d’exécution d’un travail dissimulé par emploi de Mme [I] [M] et a en conséquence limité la réparation du préjudice financier de l’URSSAF [Localité 1] à une somme de 4 682,83 euros en l’état de la relaxe partielle alors :
« 3°/ que l’entraide familiale ou amicale n’est susceptible de faire obstacle à la qualification de travail dissimulé qu’à la condition que la personne qui prête son concours le fasse sans obligation contractuelle, de manière ponctuelle, occasionnelle et non durable, gratuitement et sans contrepartie de quelque nature que ce soit, en dehors de toute sujétion juridique envers la personne qui la sollicite ; que pour relaxer le prévenu du chef de travail dissimulé par dissimulation de l’emploi salarié de son épouse, l’arrêt attaqué relève que si Mme [M] est bien « la salariée de [F] [M] », elle est aussi « la femme du boulanger », de sorte que son intervention « au-delà des horaires stricts compris dans son contrat de travail, ponctuellement selon les dires du prévenu », participerait de « l’intérêt de la bonne marche d’une petite entreprise familiale » dans laquelle elle est également intéressée, en sa qualité d’épouse, « liée par une communauté de vie et d’intérêts avec le prévenu » ; qu’en prononçant ainsi sans rechercher si le fait pour le prévenu d’employer son épouse, qui n’avait pas le statut de conjoint associé, de façon durable et permanente en qualité de vendeuse, bien au-delà des horaires déterminés dans son contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel et des salaires déclarés en conséquence aux organismes sociaux, n’était pas nécessairement exclusif de l’entraide familiale telle que définie par la jurisprudence, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision de relaxe au regard des articles L. 8221-5 du code du travail et 593 du code de procédure pénale et méconnu l’article 1240 du code civil ;
4°/ qu’en tout état de cause dès lors qu’une personne prête son concours à une entreprise relevant du secteur marchand, le bénévolat est nécessairement exclu lorsque le poste occupé est indispensable au fonctionnement de l’entreprise ; que pour entrer en voie de relaxe du chef de travail dissimulé par dissimulation de l’emploi salarié de Mme [M], la cour d’appel affirme que Mme [M] n’a « en tout état de cause pas été payée pour ces interventions, qu’elle ne revendique pas de l’être et que ces heures ainsi dévolues, non payées, ne sauraient ouvrir droit à versement de cotisations » ; qu’en prononçant ainsi par des motifs inopérants, sans rechercher si les prestations de travail ainsi fournies régulièrement par Mme [M] au service de l’entreprise de son mari, n’étaient pas indispensables à son fonctionnement et si elles ne l’avaient pas été moyennant une rétribution, fût-elle indirecte, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision et méconnu les articles L. 8221-5 du code du travail et 593 du code de procédure pénale ; ensemble l’article 1240 du code civil ;
5°/ qu’enfin la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3 du code pénal ; qu’en affirmant que n’était pas rapportée la preuve de ce que [F] [M] ait voulu, intentionnellement se soustraire au paiement des cotisations assises sur des salaires qui n’étaient pas versés, quand il était établi d’une part, que M. [M] employait son épouse en qualité de vendeuse selon un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, prévoyant une durée hebdomadaire de 30 heures, et d’autre part, qu’il reconnaissait lui-même que son épouse travaillait 8 heures par jour tous les jours du lundi au dimanche dans sa boulangerie, la cour d’appel a méconnu les articles L. 8221-5 du code du travail, et 121-3 du code pénal, et 1240 du code civil, ensemble le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 8221-5 du code du travail :
8. Il résulte de ce texte qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
9. Pour relaxer le prévenu du chef de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, l’arrêt attaqué énonce notamment que si Mme [M], ainsi qu’elle et son mari l’admettent, est intervenue au-delà des horaires contractuels, c’était en qualité d’épouse, liée par une communauté de vie et d’intérêt avec le prévenu, pour la bonne marche de l’entreprise familiale.
10. Les juges ajoutent que Mme [M] n’a pas revendiqué d’être rémunérée pour ce temps de travail supplémentaire et ne l’a pas été, et que ces heures non payées ne sauraient ouvrir droit au versement de cotisations.
11. Ils concluent que, dans un tel contexte, il n’est pas établi que le prévenu se soit intentionnellement soustrait au versement des cotisations correspondantes.
12. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
13. En effet, le statut de salarié, en vertu d’un contrat de travail qui place l’intéressé dans un lien de subordination à l’égard de son employeur, exclut que puisse être reconnue la possibilité de poursuivre, au titre de l’entraide familiale et sans que soient établies les déclarations correspondantes aux organismes sociaux, la même activité au-delà des heures contractuellement dues, fût-ce de façon bénévole.
14. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, l’arrêt susvisé de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date du 30 juin 2020, mais en ses seules dispositions ayant débouté l’URSSAF [Localité 1] de ses demandes, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Président : M. Soulard
Rapporteur : M. Maziau
Avocat général : M. Aubert, avocat général référendaire
Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -