Présomptions oui - travaux d’élagage

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 7 décembre 2004

N° de pourvoi : 04-81728

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept décembre deux mille quatre, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller POMETAN, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, et de Me BLONDEL, avocats en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... Philippe,

contre l’arrêt de la cour d’appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 26 février 2004, qui, pour travail dissimulé, l’a condamné à 2 mois d’emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 213-2 du Code de l’organisation judiciaire, 591, 592 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a été rendu par Mme Masson-Berra, président de chambre, président, M. Bray et Me Mathieu, avocat le plus ancien inscrit au tableau de l’ordre du barreau de Chalon présent à la barre, appelé à compléter la Cour en l’absence de tous magistrats ;

”alors que le droit au juge, élément essentiel du procès équitable, implique qu’une décision juridictionnelle comportant condamnation pénale soit rendue par des juges régulièrement désignés au regard des dispositions du droit interne et de ce fait réputés impartiaux ; que l’article L. 213-2 du Code de l’organisation judiciaire dispose que les avocats, dans l’ordre du tableau, et après eux, les avoués, selon la date de leur réception, peuvent être appelés à compléter la cour d’appel, qu’il se déduit de ce texte que seul un avocat faisant partie du barreau institué auprès de la juridiction qui statue, a qualité pour siéger ; qu’il résulte des mentions de l’arrêt attaqué qu’il a été fait application de la notion d’avocat le plus ancien présent à l’audience pour suppléer les magistrats empêchés tandis que l’avocat le plus ancien d’un barreau extérieur ne pouvait légalement siéger qu’autant qu’il était expressément constaté qu’aucun avocat du barreau institué auprès de la cour d’appel de Dijon n’était présent de sorte que les mentions de l’arrêt attaqué ne permettent pas à la Cour de cassation de s’assurer que la cour d’appel était régulièrement composée” ;

Attendu que l’arrêt mentionne que la cour d’appel a été complétée, en l’absence de tous magistrats, par Maître Mathieu, avocat le plus ancien inscrit au tableau de l’ordre du barreau de Chalon-sur-Saône ;

Attendu que cette mention, en l’absence de toute contestation de la part des avocats des parties présents à l’audience, suffit à établir la régularité de la composition de la juridiction ;

D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-1, 6-2, 6-3 a) et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, 111-3 du Code pénal, L. 324-10 et L. 324-11 du Code du travail, 2 de la circulaire du 9 novembre 1992 relative au renforcement de la lutte contre le travail clandestin et à l’application de la loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Philippe X... coupable d’exécution d’un travail dissimulé ;

”aux motifs qu’aux termes de sa plainte avec constitution de partie civile en date du 5 octobre 2000 le conseil de Christian Y... alors président directeur général de la SA X... exposait que : Philippe X... était employé par elle depuis 1983, la SA X... étant venue aux droits de l’entreprise Antonio X... au sein de laquelle Philippe X... était employé depuis 1980 ; que, jusqu’à son licenciement le 26 août 1999, Philippe X... occupait les fonctions de chef de chantier ; que quelques semaines avant le licenciement, Christian Y... avait appris que Philippe X... effectuait à titre privé non déclaré des chantiers de débroussaillage élagage, en occupant deux salariés de l’entreprise, à savoir, David Z... et Roger A... ; que Christian Y... avait pu apprendre qu’effectivement, certains samedis, Philippe X..., accompagné de son beau-père, rendait des services de “travail clandestin” en utilisant le matériel de l’entreprise et était notamment intervenu au domicile de : M. et Mme B... (travail d’élagage de sapins et de bouleaux, en utilisant une nacelle de la SA X...) - Mme C... (travail d’abattage d’un cèdre en utilisant la tronçonneuse de l’entreprise) ; M. le docteur D... (arrachage de lierre et élagage d’un tilleul avec une nacelle élévatrice de l’entreprise) ; que la plainte faisait également état d’un travail réalisé dans un domicile situé ... à Autun (abattage d’une haie de noisetiers avec la tronçonneuse de l’entreprise et débroussaillage avec une grosse tondeuse débroussailleuse “Rabbit”) ; que l’enquête de gendarmerie et l’information diligentées ont permis d’établir que durant la période visée à la prévention, plusieurs travaux chez des particuliers résidant à Autun avaient été effectués par des salariés de la SA X..., le samedi matin, David Z... et Roger A..., sous la direction de Philippe X... ; que Philippe X... soutient n’avoir reversé aux deux hommes qui l’accompagnaient que des pourboires sur les sommes modestes que lui versaient ses clients qui étaient des proches des connaissances ou des amis ; mais que lesdits pourboires parfois importants laissent à penser que les sommes perçues par le prévenu étaient elles aussi substantielles ; que ce dernier a encore affirmé que ces deux ouvriers n’avaient pas récupéré les heures travaillées le samedi car ils étaient volontaires pour le suivre ce jour de la semaine sur les chantiers ; que toutefois Roger A... a soutenu l’inverse et que David Z... a affirmé que Philippe X... lui avait imposé de travailler durant le week-end ;

que le prévenu a ainsi déclaré que Christian Y... était au courant de l’emprunt des véhicules et de l’outillage de l’entreprise le samedi en affirmant par ailleurs que celui-ci n’avait aucune connaissance de l’activité d’élagage et que c’était lui-même qui dirigeait les équipes et prenait les décisions sur les chantiers ;

qu’il estime que la partie civile a décidé de se venger de lui parce qu’il voulait quitter la société X... pour s’installer à son propre compte ; que contrairement aux assertions du prévenu, la partie civile maintient qu’elle n’était pas au courant des travaux effectués le samedi matin par Philippe X... ;

que devant le magistrat instructeur, Christian Y... a même déclaré qu’en 1995, avant son départ en vacances, étant passé à l’improviste un samedi matin, à l’entreprise, il avait trouvé David Z... et Roger A... en train de décharger des branches et avait fait connaître à Philippe X... qu’il s’opposait dorénavant, formellement, à ce type d’agissements ; qu’il convient à cet égard de rappeler que les faits actuellement poursuivis ont eu lieu à partir du contrat d’embauche de David Z... soit du 14 avril 1998 jusqu’au mois de juin 1999 ; qu’aux termes de l’article L. 324-1 1 du Code du travail cette activité mentionnée à l’article L. 324-10 du même code est présumée, sauf preuve contraire, accomplie à titre lucratif lorsque notamment sa fréquence ou son importance est établie ou lorsqu’elle a été effectuée avec un matériel ou un outillage présentant par sa nature ou son importance un caractère professionnel ou lorsque la facturation est absente ou frauduleuse ; que dès lors, la Cour ne partage pas l’opinion des premiers juges en ce sens que les travaux litigieux ont présenté un caractère répétitif et ont été rémunérés ; que l’absence de facturation d’un travail effectué pour son propre compte par Philippe X..., l’emprunt du matériel important et professionnel et le fait que Christian Y... n’avait aucun intérêt à courir le risque de laisser prospérer une telle situation en l’absence de couverture des accidents du travail, tout particulièrement, sont autant d’éléments que la Cour retiendra pour affirmer que les critères du travail dissimulé sont réunis ;

”1) alors qu’il résulte des dispositions combinées des articles 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et 111-3 du code pénal que des actes ou omissions ne peuvent être pénalement sanctionnés qu’autant que les dispositions de la loi interne qui les interdisent les définissent sans ambiguïté ; que n’entrent pas dans le champ d’application de l’incrimination de travail dissimulé les activités bénévoles ou d’entraide, soient ponctuelles ou habituelles et qu’elles soient ou non effectuées avec un matériel ou un outillage présentant par sa nature ou son importance un caractère professionnel, leur nature impliquant bien évidemment une absence de facturation et que les dispositions de l’article L. 324-1 1 du Code du travail ci-dessus rappelées qui édictent une présomption légale de caractère lucratif de l’activité exercée étant en contradiction manifeste avec l’article 2 de la circulaire du 9 novembre 1992, la définition des comportements passibles de sanction pénale sous la qualification de travail dissimulé doit être considérée comme présentant une ambiguïté incompatible avec les dispositions conventionnelles susvisées ;

”2) alors qu’en l’état de leur contradiction avec les dispositions de la circulaire susvisée, les dispositions de l’article L. 324-1 1 du Code du travail ne pouvant recevoir application au regard de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, les juges d’appel ne pouvaient, sans méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve et le principe de la présomption d’innocence, déduire le prétendu caractère lucratif de l’activité exercée par Philippe X... chez des proches, de la présomption légale édictée par ce texte ;

”3) alors, en tout état de cause, que la Cour de cassation est en mesure de s’assurer qu’il résulte du rapprochement des constatations de l’arrêt relativement à l’identification des personnes chez qui ont été effectués les travaux prétendument dissimulés, des motifs de l’arrêt de renvoi rendus par la chambre de l’instruction en date du 19 juin 2002 et des données de l’enquête préliminaire que ces travaux ont bien été effectués par Philippe X... chez des proches à titre bénévole ou d’entraide en sorte que la condamnation prononcée par l’arrêt attaqué ne peut qu’être censurée pour contradiction de motifs” ;

Sur le moyen pris en ses deux premières branches ;

Attendu que, contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, les dispositions de l’article L. 324-11 du Code du travail qui prévoient que, sauf preuve contraire, sont présumées accomplies à titre lucratif, les activités pratiquées selon les modalités prévues par ce texte, ne contreviennent nullement aux articles 6.1, 6.2 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors qu’elles n’ont pas pour but de définir l’infraction de travail dissimulé exercé dans un but lucratif, dont les éléments constitutifs sont précisés par les articles L. 324-9 et L. 324-10 du Code du travail ;

Sur le moyen pris en sa troisième branche ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-10 du Code du travail, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, excès de pouvoir ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a condamné Philippe X... à payer à la SA X..., partie civile, 2 500 euros à titre de dommages-intérêts ;

”alors que les juges correctionnels ne sont autorisés à indemniser que le préjudice direct résultant de l’infraction poursuivie retenue à la charge du prévenu ; que, dans ses conclusions régulièrement déposées devant la cour d’appel, la partie civile excipait, d’une part, d’un préjudice direct de 1 776 euros et, d’autre part, d’un préjudice indirect de 8 000 euros et qu’en l’état de ces conclusions, la cour d’appel ne pouvait, sans méconnaître le principe susvisé, allouer à la partie civile à titre de dommages-intérêts une somme supérieure à 1 776 euros” ;

Attendu qu’en évaluant, comme elle l’a fait, la réparation du préjudice subi par la société X..., la cour d’appel n’a fait qu’user de son pouvoir d’apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l’indemnité propre à réparer le dommage né de l’infraction ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

ET attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

CONDAMNE Philippe X... à verser à la partie civile, la somme de 2 500 euros au tire de l’article 618-1 du Code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Pometan conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lambert ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Dijon chambre correctionnelle , du 26 février 2004