Charge de la preuve du contrat de travail fictif

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 novembre 2020, 19-21.369, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale

N° de pourvoi : 19-21.369
ECLI:FR:CCASS:2020:SO01088
Non publié au bulletin
Solution : Cassation partielle

Audience publique du mercredi 25 novembre 2020
Décision attaquée : Cour d’appel de Lyon, du 08 juin 2018

Président
Mme Farthouat-Danon (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Waquet, Farge et Hazan
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION


Audience publique du 25 novembre 2020

Cassation partielle

Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1088 F-D

Pourvoi n° V 19-21.369

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. C....
Admission du bureau d’aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 20 juin 2019.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 NOVEMBRE 2020

M. S... C..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° V 19-21.369 contre l’arrêt rendu le 8 juin 2018 par la cour d’appel de Lyon (chambre sociale B), dans le litige l’opposant :

1°/ à Mme J... Q..., domiciliée [...] , prise en qualité de mandataire liquidateur de la société AZ Burger,

2°/ à l’AGS CGEA de Châlon-sur-Saône, délégation Unedic-AGS, dont le siège est [...] ,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. C..., de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme Q..., ès qualités, après débats en l’audience publique du 6 octobre 2020 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Van Ruymbeke, conseiller, Mme Rémery, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 8 juin 2018), M. C..., engagé par contrat de travail à durée indéterminée du 14 mars 2014 par la société AZ burger (la société), a rompu la période d’essai le 28 mai 2014 et saisi la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de diverses sommes.

2. La société a été placée en redressement judiciaire par jugement du 10 décembre 2015 puis en liquidation judiciaire le 15 mars 2018 par le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de la durée légale du travail et des repos, alors « que le défaut de respect du repos quotidien de onze heures cause nécessairement un préjudice au salarié dont le juge doit fixer la réparation ; qu’en constatant l’existence d’un manquement de l’employeur à cette obligation tout en retenant pour rejeter la demande de dommages-intérêts formulée à ce titre par M. S... C... que ce dernier n’établissait pas l’existence d’un préjudice, la cour d’appel a violé l’article L. 3131-1 du code du travail et l’article 3 de la directive n° 2003/88/CE. »

Réponse de la Cour

4. L’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

5. La cour d’appel, par une appréciation souveraine, a estimé que le salarié ne produisait aucun élément de nature à établir l’existence d’un préjudice.

6. Le moyen n’est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes au titre du rappel de salaires, de l’indemnité compensatrice de congés payés et de l’indemnité pour travail dissimulé, alors « qu’en présence d’un contrat de travail écrit, il appartient à la partie qui se prévaut de son caractère fictif d’en apporter la preuve ; qu’en écartant des éléments versés aux débats comme étant insuffisants à faire la preuve du lien de subordination quand il appartenait à l’employeur de prouver le caractère fictif du contrat de travail, l’arrêt attaqué a renversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 devenu 1353 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1315 devenu 1353 du code civil :

8. Il résulte de ce texte qu’en présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à la partie qui se prévaut de son caractère fictif d’en apporter la preuve.

9. Pour débouter le salarié de ses demandes, l’arrêt, après avoir retenu l’existence d’un contrat de travail apparent pour la période du 3 février 2014 au 14 mars 2014, énonce que l’employeur a fait référence dans un courrier à un contrat du 14 mars 2014, sans susciter d’observations du salarié, qu’il n’existe aucun élément de nature à établir que le salarié a travaillé pour le compte et sous la subordination de la société AZ burger dès lors que le lien de subordination entre S... C... et cette entreprise ne saurait résulter de l’attestation de L... A..., ouvrier sur le chantier ni des échanges de courriels entre le salarié, le gérant de la société AZ burger et les fournisseurs en l’état inexploitables par la cour eu égard à leur contenu peu clair et que l’attestation de I... Y... ne saurait à elle seule faire la preuve du lien de subordination en cause.

10. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté l’existence d’un contrat de travail apparent, ce dont il résultait que la preuve de son caractère fictif devait être apportée par le liquidateur judiciaire, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté les demandes de M. C... au titre d’un rappel de salaire, de l’indemnité compensatrice de congés payés et de l’indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt rendu le 8 juin 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ;

Remet, sur ces points l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Lyon autrement composée ;

Condamne Mme Q..., ès qualités, aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. C...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué, d’AVOIR débouté M. S... C... de ses demandes au titre du rappel de salaires, de l’indemnité compensatrice de congés payés et de l’indemnité pour travail dissimulé.

AUX MOTIFS QUE « S... C... se prévaut d’un contrat de travail le liant à la société AZ Burger du 3 février au 28 mai 2014 et demande en conséquence à la cour de dire qu’il est créancier de la société AZ Burger pour la somme de 7 187.17 € bruts à titre de rappel de salaire pour les heures de travail qu’il a réalisées du 3 février 2014 au 28 mai 2014.
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Attendu que s’agissant de la période du 3 février au 13 mars 2014, S... C... se prévaut d’une promesse d’embauche valant contrat de travail résultant d’un courrier établi le 2 février 2014 par la société AZ Burger et contresigné par S... C... le 3 février 2014 avec la mention manuscrite "bon pour accord". Attendu que la SELARL ALLIANCE MJ, représentée par Maître J... Q..., en qualité de liquidateur de la société AZ Burger et l’AGS (CGEA) de CHALON-SUR-SAONE s’opposent à la demande en soutenant qu’il n’a existé aucun contrat de travail du 3 février 2014 au 13 mars 2014. Attendu que la cour constate que la lettre du 2 février 2014 invoquée par S... C... est adressée à S... C... et indique que ce dernier est engagé par la société AZ Burger en qualité de directeur de restaurant au sein de son établissement de [...] à compter du 3 février 2014 pour un salaire de 1 600 € outre des primes sur objectifs à définir par le salarié et l’employeur ; qu’il y est ajouté la mention suivante : "Concernant la période de travail du 3 février au 15 mars votre salaire (1 600 € + 800 € net) vous sera versé sous forme de prime sur la paie de mars 2014. Pour vous rassurer, un acompte sur cette somme d’un montant de 800 € vous est versé avec cette promesse d’embauche (...)". Attendu que par application des principes susvisés, il convient de dire que la lettre du 2 février constitue une promesse d’embauche qui vaut contrat de travail. Attendu que S... C... bénéficie donc d’une apparence de contrat de travail de sorte qu’il incombe à l’appelante et à l’AGS (CGEA) de CHALON-SUR-SAONE, qui invoquent son caractère fictif, d’en rapporter la preuve.
Attendu que l’appelante et l’AGS (CGEA) de CHALON-SUR-SAONE font pertinemment observer d’une part que : - la société AZ Burger a fait référence au contrat de travail conclu le 14 mars 2014 dans son courrier du 7 mai 2014 notifiant à S... C... le renouvellement de la période d’essai ; - S... C... n’a fait aucune observation sur les termes de ce courrier et a lui-même évoqué dans son courrier du 28 mai 2014 notifiant à l’employeur la rupture de la période d’essai "le contrat qui nous lie" ; - par déduction, le contrat ainsi évoqué par le salarié s’entend nécessairement du contrat conclu le 14 mars 2014 ; que d’autre part, il n’existe aucun élément de nature à établir que S... C... a travaillé pour le compte et sous la subordination de la société AZ Burger dès lors que le lien de subordination entre S... C... et cette entreprise ne saurait résulter : - de l’attestation de L... A..., ouvrier sur le chantier du restaurant exploité par la société AZ Burger, qui indique que S... C... lui a été présenté par le gérant de la société AZ Burger comme étant le directeur du restaurant mais qui ne donne aucune précision concernant la date de ces faits, étant précisé qu’il ressort des éléments du dossier que le restaurant n’a ouvert que le 7 avril 2014 et qu’il n’est pas justifié que le chantier a pris fin avant cette date ; - des échanges de courriels entre S... C..., le gérant de la société AZ Burger et les fournisseurs en l’état inexploitables par la cour eu égard à leur contenu peu clair ; Attendu enfin que l’attestation de I... Y... qui indique avoir été reçue le 19 février 2014 par S... C... pour un entretien d’embauche au poste d’assistant manager au sein de la société AZ Burger ne saurait à elle seule faire la preuve du lien de subordination en cause. Attendu qu’en conséquence, et en l’état des pièces du dossier, il y a lieu de dire que S... C... et la société AZ Burger n’ont pas été liés par un contrat de travail pendant la période du 3 février au 13 mars 2014. »

1° ALORS QU’en présence d’un contrat de travail écrit, il appartient à la partie qui se prévaut de son caractère fictif d’en apporter la preuve ; qu’en écartant des éléments versés aux débats comme étant insuffisants à faire la preuve du lien de subordination quand il appartenait à l’employeur de prouver le caractère fictif du contrat de travail, l’arrêt attaqué a renversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 devenu 1353 du code civil ;

2° ALORS, en toute hypothèse, QUE les courriels échangés entre la société AZ Burger et M. S... C... tout au long de la période se rapportent à l’embauche du personnel du restaurant, aux relations avec les fournisseurs et font référence de manière claire et précise à des rendez-vous menés par M. S... C... au nom de la société AZ Burger ; qu’en affirmant que leur contenu peu clair ne faisait pas la preuve du lien de subordination, l’arrêt attaqué a méconnu le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

3°ALORS, en tout état de cause, QUE les décisions définitives de la juridiction pénale ont au civil l’autorité absolue de la chose jugée ; qu’en jugeant qu’il n’était pas établi que M. S... C... ait été lié par un contrat de travail du 3 février au 13 mars 2014 nonobstant le jugement correctionnel du tribunal de Villefranche-sur-Saône du 18 avril 2017, devenu définitif, produit aux débats, déclarant M. R... W..., responsable de la société AZ Burger, coupable des faits constitutifs de travail dissimulé sur la période du 2 février au 13 mars 2014 en sa qualité d’employeur de M. S... C..., la cour d’appel de Lyon a violé le principe de l’autorité au civil de la chose jugée au pénal.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué, d’AVOIR débouté M. S... C... de sa demande à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la durée légale du travail et des repos,

AUX MOTIFS QUE « Attendu que S... C... fait valoir que durant sa relation de travail avec la société AZ Burger, il a accompli 12 heures de travail par jour, que sa durée hebdomadaire de travail atteignait parfois 59 heures et qu’il n’a bénéficié ni de ses repos quotidiens, ni de ses repos hebdomadaires. Attendu que force est de constater que l’appelante ne verse aux débats aucune pièce de nature à établir que la société AZ Burger a respecté les règles énoncées ci-dessus au titre de la durée quotidienne du travail, du repos quotidien, de la durée hebdomadaire du travail et du repos hebdomadaire. Attendu que les manquements sont établis ; que pour autant, la cour n’a trouvé aucune trace dans les pièces versées par S... C... d’un quelconque élément de nature à établir que ces manquements de l’employeur à ses obligations lui ont causé un préjudice. Attendu qu’infirmant le jugement déféré, la cour déboute S... C... de sa demande à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la durée légale du travail et des repos. »

ALORS QUE le défaut de respect du repos quotidien de onze heures cause nécessairement un préjudice au salarié dont le juge doit fixer la réparation ; qu’en constatant l’existence d’un manquement de l’employeur à cette obligation tout en retenant pour rejeter la demande de dommages intérêts formulée à ce titre par M. S... C... que ce-dernier n’établissait pas l’existence d’un préjudice, la cour d’appel a violé l’article L. 3131-1 du code du travail et l’article 3 de la directive n° 2003/88/CE.ECLI:FR:CCASS:2020:SO01088