Charge de la preuve du contrat de travail fictif

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 novembre 2021, 20-18.352, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale

N° de pourvoi : 20-18.352
ECLI:FR:CCASS:2021:SO01208
Non publié au bulletin
Solution : Cassation

Audience publique du jeudi 04 novembre 2021
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris, du 18 décembre 2019

Président
Mme Farthouat-Danon (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
SCP Thouvenin, Coudray et Grévy
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION


Audience publique du 4 novembre 2021

Cassation

Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1208 F-D

Pourvoi n° M 20-18.352

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 NOVEMBRE 2021

Mme [R] [C], épouse [H], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° M 20-18.352 contre l’arrêt rendu le 18 décembre 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société [J], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], représentée par Mme [N] [J], prise en qualité de mandataire ad hoc de la société Fhon,

2°/ à l’AGS CGEA Ile-de-France Ouest, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [C], épouse [H], après débats en l’audience publique du 14 septembre 2021 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, M. Pion, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2019), la société Fhon a été placée en liquidation judiciaire le 22 octobre 2015.

2. La SCP [J], désignée en qualité de mandataire liquidateur, a rejeté des créances déclarées par Mme [H], aux motifs que celle-ci n’avait pas la qualité de salariée.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme [H] fait grief à l’arrêt de la débouter de ses demandes tendant à ce que soit constatée sa qualité de salariée de la société Fhon depuis le 1er octobre 2013, que soit fixée au passif de celle-ci diverses créances de rappels de salaire pour la période d’octobre 2013 à décembre 2014, de congés payés y afférents, d’indemnité de congés payés, d’indemnité de licenciement, et d’indemnité pour travail dissimulé, à ce que le liquidateur judiciaire lui remette des documents rectificatifs, que soit dit que l’AGS CGEA Ile-de-France devra sa garantie et de la condamner à verser à cette dernière une somme de 1 euro au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile, alors « qu’en présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve ; qu’en reprochant à l’exposante de ne pas avoir apporté la preuve d’un lien de subordination entre elle et la société Fhon quand, d’une part, le contrat de travail et la déclaration unique d’embauche créaient l’apparence d’un contrat de travail et, d’autre part, l’intéressée avait exécuté une prestation de travail et reçu des salaires, la cour d’appel a inversé la charge la preuve et partant a violé l’article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l’article L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1315, devenu l’article 1353 du code civil et l’article L. 1221-1 du code du travail :

4. Il résulte de ces textes qu’en présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve.

5. Pour rejeter ses demandes dirigées contre la SCP [J], ès qualités, l’arrêt retient que Mme [H] ne donne aucun élément de nature à établir la réalité du lien de subordination qui aurait existé à l’égard de son employeur.

6. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’intéressée avait produit un contrat de travail, une déclaration d’embauche et des bulletins de salaire, ce dont il résultait l’existence d’un contrat de travail apparent, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

7. En application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l’arrêt visées par le premier moyen du pourvoi entraîne la cassation du chef de dispositif relatif à la condamnation de Mme [H], à payer à l’AGS CGEA une somme de 1 euro au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile critiqué par le second moyen.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 18 décembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;

Condamne la SCP [J], ès qualités, aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SCP [J], ès qualités, à payer à Mme [C], épouse [H], la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme [C], épouse [H]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Mme [H] fait grief à l’arrêt attaqué de l’AVOIR déboutée de ses demandes tendant à ce que soit constatée sa qualité de salariée de la société Fhon depuis le 1er octobre 2013, à ce qu’il soit fixé au passif de celle-ci des créances de rappels de salaire pour la période d’octobre 2013 à décembre 2014, de congés payés y afférents, d’indemnité de congés payés, d’indemnité de licenciement, et d’indemnité pour travail dissimulé, à ce que le liquidateur judiciaire lui remette différents documents rectificatifs, et à ce qu’il soit dit que l’AGS CGEA Ile-de-France garantira l’ensemble de ces sommes, d’AVOIR mis hors de cause l’AGS CGEA Ile-de-France et de l’AVOIR condamnée à verser à l’AGS CGEA Ile-de-France une somme de 1 euro au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile.

1° ALORS QU’en présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve ; qu’en reprochant à l’exposante de ne pas avoir apporté la preuve d’un lien de subordination entre elle et la société Fhon quand, d’une part, le contrat de travail et la déclaration unique d’embauche créaient l’apparence d’un contrat de travail et, d’autre part, l’intéressée avait exécuté une prestation de travail et reçu des salaires, la cour d’appel a inversé la charge la preuve et partant a violé l’article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l’article L. 1221-1 du code du travail.

2° ALORS QU’en présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve ; qu’en déclarant les prétentions de l’exposante suspectes sur la base de circonstances inopérantes tirées de ce que le certificat de travail avait été établi avant l’entretien préalable, que son mari avait été désigné gérant en mai 2015, qu’elle avait attendu le 9 mars 2016 pour saisir la juridiction prud’homale, que les bulletins de paie indiquaient des salaires bruts différents pour les mêmes périodes, et que l’intéressée avait reçu des revenus de Pôle Emploi en 2014 en même temps que des salaires, quand aucun de ces éléments de fait n’était de nature à établir que le contrat de travail apparent produit était fictif pour défaut de lien de subordination ou absence de prestation de travail, la cour d’appel s’est déterminée par des motifs inopérants et erronés et partant a violé l’article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l’article L. 1221-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Mme [H] fait grief à l’arrêt attaqué de l’AVOIR condamné à verser à l’AGS CGEA Ile-de-France la somme de 1 euro au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile.

1° ALORS QU’ en vertu de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ; que l’abus du droit d’ester en justice n’est pas caractérisé par une suspicion de fraude du demandeur ; qu’en considérant que l’exposante avait commis une faute constitutive de l’abus du droit d’ester en raison du contexte suspect dans lequel elle avait formé ses demandes, la cour d’appel a violé l’article 32-1 du code de procédure civile.

2° ALORS QU’équivaut un défaut de motifs un motif hypothétique ; qu’en retenant que l’abus du droit d’ester en justice de l’exposante était caractérisé par le contexte suspect dans lequel elle avait formé ses demandes, la cour d’appel s’est déterminée par un motif hypothétique et partant a privé sa décision de motifs en méconnaissance des exigences de l’article 455 du code de procédure civile.