Contrat de travail apparent oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 13 février 2019

N° de pourvoi : 17-24209

ECLI:FR:CCASS:2019:SO00202

Non publié au bulletin

Cassation

M. Chauvet (conseiller doyen faisant fonction de président), président

Me Haas, SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le second moyen, qui est préalable :

Vu l’article L. 1221-1 du code du travail, ensemble l’article 1315 devenu 1353 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur contredit, que M. W..., soutenant être lié par un contrat de travail à la société CV.com (la société), a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier pour obtenir la résiliation judiciaire de ce contrat aux torts de la société ; que par jugement du 7 septembre 2015, le conseil de prud’hommes a rejeté l’exception d’incompétence territoriale soulevée par la société ; que par jugement du 7 mars 2016, le conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Montpellier ; que M. W... a formé contredit ;

Attendu que pour confirmer le jugement du conseil de prud’hommes du 7 mars 2016 qui s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce, l’arrêt retient que les éléments versés aux débats par M. W..., constitués d’échanges de courriels sur l’activité technique, dans lesquels majoritairement ce dernier sollicite l’assentiment du gérant ne permettent nullement la caractérisation d’une autorité de M. X... qui aurait le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de M. W..., la réalité du pouvoir de sanction ne pouvant pas plus procéder des insultes proférées par M. X..., d’ailleurs émises d’associé à associé ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations l’existence d’un contrat de travail apparent résultant de la production d’un écrit et de bulletins de paie, dont il lui appartenait de rechercher si la preuve de son caractère fictif était rapportée par l’employeur, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le premier moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 28 juin 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Nîmes ;

Condamne la société CV.Com au dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société CV.Com à payer à M. W... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille dix-neuf. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. W...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué, rendu sur contredit, d’AVOIR confirmé le jugement du conseil de prud’hommes de Montpellier du 7 mars 2016 qui s’est déclaré matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce de Montpellier ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE si par simple application des dispositions de l’article 74 du code de procédure civile, la société Cv. Com ne pouvait plus, devant les premiers juges et après avoir excipé d’une incompétence territoriale qui donne lieu au jugement du 7 septembre 2015, soulever une autre exception (notamment celle d’incompétence matérielle à raison de l’inexistence d’un contrat de travail), elle peut parfaitement, en cause d’appel, exciper du caractère fictif de la relation contractuelle et plaider l’incompétence de la juridiction prud’homale pour connaître des demandes présentées sur la base d’un contrat de travail qu’elle estime inexistant ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE la partie défenderesse a soulevé l’incompétence du conseil de prud’hommes de céans au profit du tribunal de commerce de Montpellier voire de toutes autres juridictions compétentes pour l’examen des relations amicales établies ; que la partie demanderesse dit que cette demande est irrecevable ; que l’article L. 1411-1 du code du travail dispose que : « Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient » ; qu’il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti ; que cet article donne compétence aux conseils de prud’hommes pour régler les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail ; que cette règle fixant la compétence de la juridiction prud’homale est d’ordre public ; que le conseil de prud’hommes ne saurait connaître d’un litige ne concernant pas un contrat de travail ;

1°) ALORS QUE tout jugement doit être motivé et que la contradiction entre les motifs équivaut au défaut de motifs ; qu’en énonçant tout à la fois, pour confirmer le jugement entrepris en ce qu’il s’était déclaré matériellement incompétente au profit du tribunal de commerce de Montpellier, d’un côté que la société Cv. Com ne pouvait plus, devant les premiers juges et après avoir excipé d’une incompétence territoriale ayant donné lieu au jugement du 7 septembre 2015, soulever une autre exception, notamment celle d’incompétence matérielle à raison de l’inexistence d’un contrat de travail, et de l’autre qu’elle pouvait parfaitement, en cause d’appel, exciper du caractère fictif de la relation contractuelle et plaider l’incompétence de la juridiction prud’homale pour connaître des demandes présentées sur la base d’un contrat de travail qu’elle estimait inexistant, la cour d’appel s’est contredite et a ainsi méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE selon l’article 74 du code de procédure civile, les exceptions de procédure doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ; qu’en énonçant, pour débouter M. W... de ses demandes, que la société Cv. Com pouvait, en cause d’appel, exciper du caractère fictif de la relation contractuelle et plaider l’incompétence de la juridiction prud’homale pour connaître des demandes présentées sur la base d’un contrat de travail qu’elle estime inexistant, après avoir pourtant constaté que cette société ne pouvait plus, devant les premiers juges et après avoir excipé d’une incompétence territoriale qui donne lieu au jugement du 7 septembre 2015, soulever une autre exception, notamment celle d’incompétence matérielle à raison de l’inexistence d’un contrat de travail, la cour d’appel a violé le texte précité.

SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué, rendu sur contredit, d’AVOIR confirmé le jugement du conseil de prud’hommes de Montpellier du 7 mars 2016 qui s’est déclaré matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce de Montpellier ;

AUX MOTIFS PROPRES QU’ en présence d’un contrat de travail et même d’un contrat de travail apparent, ne serait-ce que par délivrance de bulletin de paie, il appartient à celui qui en invoque le caractère fictif de ce contrat d’en rapporter la preuve ; que le contrat de travail n’existe que lorsqu’une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la subordination d’une autre, moyennant rémunération, le lien de subordination étant caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que MM. S... W..., Y... L... et O... X... décident de constituer, ensemble, plusieurs sociétés, visant à créer, exploiter et développer des sites internet dont : - la société (sarl) RHTECH constituée le 1er août 2003 avec M. O... X... comme gérant et MM. S... W..., Y... L... et O... X... associés ; - la société (sarl) G2DR constituée le 15 octobre 2003 avec MM. S... W..., Y... L... et O... X... comme associés ; - la société (sarl) Cv. Com constituée le 14 novembre 2003 avec M. O... X... comme gérant et MM. S... W..., Y... L... et O... X... associés ; - la société (sarl) Seotel avec M. S... W... comme gérant et MM. S... W... et O... X... associés ; que M. S... W... est salarié de la société Cv. Com et M. O... X..., comme reconnu par M. S... W..., salarié de la société Seotel avant de devenir co-gérant ; que pour la résolution du présent litige, il ne s’agit pas tant, comme le précise en premier lieu M. S... W..., de déterminer le « possible cumul des qualités d’associés et de salarié » (cf pages 9 et 10/37 des conclusions) au sein de la société Cv. Com, ni de déterminer la position d’associé minoritaire/majoritaire, mais de déterminer si le contrat de travail (n’étant pas contesté l’existence d’un contrat de travail écrit et la délivrance de bulletins de paie avec paiement d’un salaire) correspond à une véritable réalité avec subordination de M. S... W... à l’égard du gérant de la société ; que sans qu’il soit utile de reprendre et d’analyser tous les éléments versés aux débats sur les querelles vives qui ont opposées les associés S... W... et O... X..., discussions qui témoignent indéniablement de leur qualité respectives de partenaires d’affaires se trouvant sur un pied d’égalité, les éléments versés aux débats par M. S... W..., constitués d’échanges de mails sur l’activité technique, dans lesquels majoritairement ce dernier sollicite l’assentiment du gérant (« dis-moi si tu valides et je mets Patrice dessus ».. je lui dis ok ») ne permettent nullement la caractérisation d’une autorité de M. O... X... qui aurait le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de M. S... W..., la réalité du pouvoir de sanction ne pouvant pas plus procéder des insultes proférées par M. O... X... (notamment « tu es vraiment un pauvre type, j’aurais du te virer il y a bien longtemps ») d’ailleurs émises d’associé à associé (« c’est bien en tant qu’associé que je communique avec toi ») ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE la partie défenderesse a soulevé l’incompétence du conseil de prud’hommes de céans au profit du tribunal de commerce de Montpellier voire de toutes autres juridictions compétentes pour l’examen des relations amicales établies ; que la partie demanderesse dit que cette demande est irrecevable ; que l’article L. 1411-1 du code du travail dispose que : « Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient » ; qu’il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti ; que cet article donne compétence aux conseils de prud’hommes pour régler les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail ; que cette règle fixant la compétence de la juridiction prud’homale est d’ordre public ; que le conseil de prud’hommes ne saurait connaître d’un litige ne concernant pas un contrat de travail ; que le contrat de travail se caractérise par un lien de subordination juridique plaçant le salarié sous l’autorité de l’employeur qui lui donne des instructions concernant l’accomplissement du travail en contrôle l’exécution et le vérifie ; que M. S... W... et M. X... étaient à la fois associés et salariés croisés des sociétés Seotel et Cv. Com ; que l’examen attentif des échanges de mails entre M. S... W... et M. X... démontre au contraire d’une relation de salariat, des rapports entre associés évoquant le rachat de parts sociales, ainsi que le choix des meilleures solutions de poursuite ou de rupture du contrat de travail au profit de l’entreprise ; que M. S... W... écrit : « Les charges patronales et salariales que paye la prévoyance peuvent être remboursées au titre de l’impôt recherche. Si tel est le cas et les charges payées par la prévoyance sont ensuite remboursées par l’Etat, n’est-il pas avantageux pour Cv. Com que je reste salarié durant cette année 2012 » ; qu’aucun lien de subordination n’existe réellement entre M. S... W... et la société Cv. Com ; qu’en l’espèce, la nature des relations liant les parties ne peut s’analyser comme un contrat de travail ;

1°) ALORS QU’ en présence d’un contrat de travail écrit, il appartient à celui qui en conteste la réalité, de rapporter la preuve de son caractère fictif ; que la cour d’appel qui, bien qu’elle ait constaté que n’étaient pas contestées l’existence d’un contrat de travail écrit et la délivrance de bulletins de paie avec paiement d’un salaire, a néanmoins, pour débouter M. W... de ses demandes, énoncé que les éléments versés aux débats par ce dernier ne permettaient nullement la caractérisation d’une autorité de M. X... qui aurait le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de M. W..., ni d’établir la réalité du pouvoir de sanction M. X..., n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait au contraire qu’il incombait à la société Cv. Com de démontrer le caractère fictif dudit contrat, inversant ainsi la charge de la preuve et violant l’article 1315 du code civil, ensemble l’article L. 1221-1 du code du travail ;

2°) ALORS QU’ en tout état de cause, la qualité d’associé d’une société à responsabilité limitée n’est pas exclusive de celle de salarié dès lors que l’intéressé exerce les fonctions dont il est investi dans un état de subordination, lequel se caractérise par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que la cour d’appel qui, pour débouter M. W... de ses demandes, s’est fondée sur la circonstance inopérante qu’était établie l’existence de querelles vives ayant opposé les associés, MM. W... et X..., témoignant de leurs qualités respectives de partenaires d’affaires se trouvant sur un pied d’égalité, et de discussions entre associés relatives au rachat de parts sociales et à la poursuite ou non du contrat de travail, circonstance impropre à exclure l’existence d’un lien de subordination juridique entre l’associé et la société, a violé l’article L. 1221-1 du code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Montpellier , du 28 juin 2017