téléréalité oui

Le : 11/06/2012

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 4 avril 2012

N° de pourvoi : 10-28818 10-28819 10-28820 10-28821 10-28823 10-28824 10-28825 10-28826 10-28827 10-28828 10-28829 10-28830

Non publié au bulletin

Rejet

M. Lacabarats (président), président

Me Spinosi, SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Donne acte à la société TF1 production de ce qu’elle se désiste partiellement de ses pourvois formés contre les sociétés TF1, SIPA press et TF1 entreprises ;

Vu leur connexité, joint les pourvois n° F 10-28.818 à J 10-18.821 et M. 10-28.823 à U 10-28.830 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués (Versailles, 9 novembre 2010), que Mme X... et onze autres personnes (les participants) ont participé, pour Mmes X..., Y..., Z..., A... et B... C..., MM. D..., E..., F..., G... et H... du 29 avril au 13 mai 2002, pour Mme I... et M. J..., du 13 au 28 mars 2003, au tournage de l’émission “L’Ile de la tentation”, respectivement saison 2002 et saison 2003, produite pour TF1 par la société Glem devenue TF1 production, dont le concept est conçu comme suit : “quatre couples non mariés, non pacsés, sans enfant, testent leurs sentiments réciproques lors d’un séjour d’une durée de douze jours sur une île exotique, séjour pendant lequel ils sont filmés dans leur quotidien, notamment pendant les activités (plongée, équitation, ski nautique, voile, etc.) qu’ils partagent avec des célibataires de sexe opposé. A l’issue de ce séjour, les participants font le point sur leurs sentiments envers leur partenaire. Il n’y a ni gagnant ni prix” ; qu’ils ont saisi la juridiction prud’homale entre les 3 et 5 juin 2008 pour voir requalifier le “règlement participants” qu’ils avaient signé en contrat de travail à durée indéterminée et obtenir le paiement de diverses indemnités ;

Sur le premier moyen commun aux pourvois principaux de la société TF1 production :

Attendu que la société TF1 production fait grief aux arrêts de dire que la juridiction prud’homale était compétente pour connaître des demandes des défendeurs aux pourvois à son encontre, de requalifier le “règlement participants” en contrat de travail, de dire que ce contrat de travail était un contrat à durée indéterminée, de la condamner à verser des sommes à titre de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement, pour licenciement abusif et en réparation du préjudice résultant des conditions de tournage de l’émission, alors, selon le moyen :

1°/ que l’existence d’un contrat de travail implique, en premier lieu, que celui qui se prévaut de la qualité de salarié s’engage à fournir une prestation de travail, c’est-à-dire l’accomplissement de tâches manuelles ou intellectuelles, au profit de son cocontractant ; que ne fournit aucun travail la personne qui accepte librement de se laisser filmer et d’exprimer ses sentiments lors de la participation à des activités de divertissement au cours desquelles il ne lui est demandé d’accomplir aucune performance particulière ; de sorte que viole l’article L. 1221-1 du code du travail la cour d’appel qui, pour requalifier la participation d’un candidat à une émission de télé-réalité, se contente de retenir que la prestation accomplie sous la subordination de la société TF1 production “avait pour finalité la production d’un bien ayant une valeur économique” ;

2°/ que l’existence d’une relation de travail salariée ne peut résulter que de l’exercice d’une activité professionnelle, c’est-à-dire d’une activité dont le but déterminant est de permettre à celui qui l’exerce de percevoir une rémunération ; qu’il ne saurait exister de contrat de travail sans que soit caractérisée la volonté initiale du prétendu travailleur de s’engager à accomplir une véritable prestation de travail pour le compte de son cocontractant moyennant une rémunération ; que ne saurait dès lors, en l’absence de vice du consentement sur les caractéristiques du programme et des modalités de participation, constituer une relation de travail, la participation à un programme de télévision pour laquelle le candidat garantit, dans le contrat conclu avec la production antérieurement au tournage, qu’il participe au programme à des fins personnelles et non à des fins professionnelles et ne perçoit de rémunération qu’au titre d’une éventuelle exploitation commerciale ultérieure de divers attributs de sa personnalité ; de sorte, qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les articles L. 1221-1 du code du travail, 1131 et 1134 du code civil ;

Mais attendu que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ;

Et attendu qu’ayant constaté qu’il existait entre les membres de l’équipe de production et les participants un lien de subordination caractérisé par l’existence d’une “bible” prévoyant le déroulement des journées, et la succession d’activités filmées imposées, de mises en scènes dûment répétées, d’interviews dirigées de telle sorte que l’interviewé était conduit à dire ce qui était attendu par la production, que ce lien de subordination se manifestait encore par le choix des vêtements par la production, des horaires imposés allant jusqu’à 20 heures par jour, l’obligation de vivre sur le site et l’impossibilité de se livrer à des occupations personnelles, l’instauration de sanctions, notamment pécuniaires en cas de départ en cours de tournage, soit, en définitive, l’obligation de suivre les activités prévues et organisées par la société de production, que les participants se trouvaient dans un lien de dépendance à l’égard de la société, dès lors, se trouvant à l’étranger, que leurs passeports et leurs téléphones leurs avaient été retirés, que la prestation des participants à l’émission avait pour finalité la production d’un bien ayant valeur économique, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence d’une prestation de travail exécutée sous la subordination de la société TF1 production, et ayant pour objet la production d’une “série télévisée”, prestation consistant pour les participants, pendant un temps et dans un lieu sans rapport avec le déroulement habituel de leur vie personnelle, à prendre part à des activités imposées et à exprimer des réactions attendues, ce qui la distingue du seul enregistrement de leur vie quotidienne, et qui a souverainement retenu que le versement de la somme de 1 525 euros avait pour cause le travail exécuté, a pu en déduire que les participants étaient liés par un contrat de travail à la société de production ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen commun aux pourvois principaux de la société TF1 production :

Attendu que la société TF1 production fait grief aux arrêts de la condamner à verser aux défendeurs aux pourvois une somme à titre de dommages-intérêts pour le préjudice résultant des conditions de tournage de l’émission, alors, selon le moyen, que la prescription quinquennale instituée par l’article L. 3245-1 du code du travail s’applique à toute action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires dus au titre du contrat de travail ; que sont dès lors soumises à la prescription les demandes relatives aux horaires de travail accomplis par le salarié et au fait que celui ait dû se tenir à disposition de l’employeur sans pouvoir vaquer à ses obligations personnelles, peu important que la demande du salarié prenne la forme de dommages-intérêts et non d’un rappel de salaires ; qu’au cas présent, la cour d’appel a constaté que les demandes d’ordre salarial des défendeurs aux pourvois étaient prescrites ; qu’en leur allouant néanmoins des dommages-intérêts pour le préjudice résultant des conditions de tournage de l’émission aux motifs que les participants avaient “vu leur liberté de vaquer à leurs occupations personnelles, ainsi que leur liberté d’aller et venir, restreintes” et qu’ils avaient été “soumis à des horaires de travail excessif”, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences qui s’évinçaient de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ;

Mais attendu qu’ayant relevé que l’action des salariés tendait à l’indemnisation d’un préjudice spécifique né de l’atteinte portée à leur liberté individuelle, la cour d’appel a exactement décidé que cette action de nature indemnitaire n’était pas couverte par la prescription prévue par l’article L. 3245-1 du code du travail ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le moyen unique commun aux pourvois incidents des participants :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission de ces pourvois ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois tant principaux qu’incidents ;

Condamne la société TF1 production aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens communs produits aux pourvois principaux par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la société TF1 production.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief aux arrêts de dire que la juridiction prud’homale était compétente pour connaître des demandes des défendeurs aux pourvois à son encontre, de requalifier le “règlement participants” en contrat de travail, de dire que ce contrat de travail était un contrat à durée indéterminée, de la condamner à verser des sommes à titre de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement, pour licenciement abusif et en réparation du préjudice résultant des conditions de tournage de l’émission,

ALORS, D’UNE PART, que l’existence d’un contrat de travail implique, en premier lieu, que celui qui se prévaut de la qualité de salarié s’engage à fournir une prestation de travail, c’est-à-dire l’accomplissement de tâches manuelles ou intellectuelles, au profit de son cocontractant ; que ne fournit aucun travail la personne qui accepte librement de se laisser filmer et d’exprimer ses sentiments lors de la participation à des activités de divertissement au cours desquelles il ne lui est demandé d’accomplir aucune performance particulière ; de sorte que viole l’article L. 1221-1 du code du travail la cour d’appel qui, pour requalifier la participation d’un candidat à une émission de télé-réalité, se contente de retenir que la prestation accomplie sous la subordination de la société TF1 production “avait pour finalité la production d’un bien ayant une valeur économique” ;

ALORS, D’AUTRE PART, que l’existence d’une relation de travail salariée ne peut résulter que de l’exercice d’une activité professionnelle, c’est-à-dire d’une activité dont le but déterminant est de permettre à celui qui l’exerce de percevoir une rémunération ; qu’il ne saurait exister de contrat de travail sans que soit caractérisée la volonté initiale du prétendu travailleur de s’engager à accomplir une véritable prestation de travail pour le compte de son cocontractant moyennant une rémunération ; que ne saurait dès lors, en l’absence de vice du consentement sur les caractéristiques du programme et des modalités de participation, constituer une relation de travail, la participation à un programme de télévision pour laquelle le candidat garantit, dans le contrat conclu avec la production antérieurement au tournage, qu’il participe au programme à des fins personnelles et non à des fins professionnelles et ne perçoit de rémunération qu’au titre d’une éventuelle exploitation commerciale ultérieure de divers attributs de sa personnalité ; de sorte, qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les articles L. 1221-1 du code du travail, 1131 et 1134 du code civil ;

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief aux arrêts de la condamner à verser aux défendeurs aux pourvois une somme à titre de dommages-intérêts pour le préjudice résultant des conditions de tournage de l’émission,

ALORS QUE la prescription quinquennale instituée par l’article L. 3245-1 du code du travail s’applique à toute action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires dus au titre du contrat de travail ; que sont dès lors soumises à la prescription les demandes relatives aux horaires de travail accomplis par le salarié et au fait que celui ait dû se tenir à disposition de l’employeur sans pouvoir vaquer à ses obligations personnelles, peu important que la demande du salarié prenne la forme de dommages-intérêts et non d’un rappel de salaires ; qu’au cas présent, la cour d’appel a constaté que les demandes d’ordre salarial des défendeurs aux pourvois étaient prescrites ; qu’en leur allouant néanmoins des dommages-intérêts pour le préjudice résultant des conditions de tournage de l’émission aux motifs que les participants avaient “vu leur liberté de vaquer à leurs occupations personnelles, ainsi que leur liberté d’aller et venir, restreintes” et qu’ils avaient été “soumis à des horaires de travail excessif”, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences qui s’évinçaient de ses propres constatations et a violé le texte susvisé.
Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles du 9 novembre 2010