L’employeur est réputé pouvoir demander communication du procès-verbal par l’information de l’OFII de recouvrer la contribution spéciale
Conseil d’État
N° 417759
ECLI:FR:CECHS:2019:417759.20190603
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
M. Jean-Luc Nevache, rapporteur
SCP LEVIS, avocat(s)
lecture du lundi 3 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Nord-Ouest Transports a demandé au tribunal administratif de Cayenne d’annuler la décision du 29 octobre 2013 par laquelle le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a mis à sa charge une somme totale de 17 871 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Par un jugement n° 1400514 du 9 avril 2015, le tribunal administratif de Cayenne a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 15BX01900 du 27 novembre 2017, la cour administrative d’appel de Bordeaux, saisie de l’appel formé par la société Nord-Ouest Transports, a annulé le jugement du 9 avril 2015 ainsi que la décision du 29 octobre 2013 et a déchargé cette société de l’obligation de payer la somme de 17 871 euros.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 janvier et 25 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’Office français de l’immigration et de l’intégration demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la société Nord-Ouest Transports ;
3°) de mettre à la charge de la société Nord-Ouest Transports la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– le code du travail ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Jean-Luc Nevache, conseiller d’Etat,
– les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 3 octobre 2012, les services de police ont constaté l’emploi par la société Nord-Ouest Transports d’un ressortissant surinamien démuni de titre l’autorisant à séjourner et à travailler en France. Au vu du procès-verbal établi lors de ce contrôle, l’Office français de l’immigration et de l’intégration a avisé la société, par courrier du 10 septembre 2013, qu’elle était susceptible de se voir appliquer, d’une part, la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail et, d’autre part, la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en l’invitant à faire valoir ses observations. Après présentation d’observations par la société, par un courrier du 24 septembre suivant, l’office a mis à sa charge la contribution spéciale, à hauteur de 17 450 euros, et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement, pour un montant de 421 euros, par une décision du 29 octobre 2013, suivie de l’émission, le 11 décembre 2013, de deux titres de perception pour le recouvrement de ces sommes. Par un jugement du 9 avril 2015, le tribunal administratif de Cayenne a rejeté la demande de la société Nord-Ouest Transports tendant à l’annulation de la décision du 29 octobre 2013. L’office se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 27 novembre 2017 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé ce jugement ainsi que la décision de son directeur général du 29 octobre 2013 et a déchargé cette société de l’obligation de payer la somme de 17 871 euros.
2. L’article L. 8271-17 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la procédure d’édiction des sanctions litigieuses, dispose que : “ Outre les inspecteurs et contrôleurs du travail, les agents et officiers de police judiciaire, les agents de la direction générale des douanes sont compétents pour rechercher et constater, au moyen de procès-verbaux transmis directement au procureur de la République, les infractions aux dispositions de l’article L. 8251-1 relatif à l’emploi d’un étranger sans titre de travail et de l’article L. 8251-2 interdisant le recours aux services d’un employeur d’un étranger sans titre. / Afin de permettre la liquidation de la contribution spéciale mentionnée à l’article L. 8253-1 du présent code et de la contribution forfaitaire mentionnée à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration reçoit des agents mentionnés au premier alinéa du présent article une copie des procès-verbaux relatifs à ces infractions “. Aux termes de l’article R. 8253-3 de ce code : “ Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l’article L. 8271-17, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration indique à l’employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l’article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu’il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours “. Enfin, l’article R. 626-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que : “ I. - Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l’article L. 8271-17 du code du travail, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration indique à l’employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l’article L. 626-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu’il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours. / II. - A l’expiration du délai fixé, le directeur général décide, au vu des observations éventuelles de l’employeur, de l’application de la contribution forfaitaire prévue à l’article L. 626-1, la liquide et émet le titre de perception correspondant. (...) “.
3. S’agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense, applicable même sans texte, suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu’elle en fait la demande. L’article L. 122-2 du code des relations entre le public et l’administration, entré en vigueur le 1er janvier 2016, précise d’ailleurs désormais que les sanctions “ ne peuvent intervenir qu’après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant “.
4. Si les dispositions législatives et réglementaires relatives à la contribution spéciale mentionnée à l’article L. 8253-1 du code du travail et à la contribution forfaitaire mentionnée à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne prévoient pas expressément que le procès-verbal transmis au directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration en application de l’article L. 8271-17 du code du travail, constatant l’infraction aux dispositions de l’article L. 8251-1 relatif à l’emploi d’un étranger non autorisé à exercer une activité salariée en France, soit communiqué au contrevenant, le silence de ces dispositions sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, en particulier lorsque la personne visée en fait la demande, afin d’assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de ces contributions, qui revêtent le caractère de sanctions administratives. Il appartient seulement à l’administration, le cas échéant, d’occulter ou de disjoindre, préalablement à la communication du procès-verbal, celles de ses mentions qui seraient étrangères à la constatation de l’infraction sanctionnée par la liquidation des contributions spéciale et forfaitaire et susceptibles de donner lieu à des poursuites pénales.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un courrier du 10 septembre 2013, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a informé la société Nord-Ouest Transports qu’il avait été établi par procès-verbal, lors d’un contrôle effectué le 3 octobre 2012 par les services de police, qu’elle avait employé un travailleur démuni de titre de séjour et de titre l’autorisant à exercer une activité salariée, qu’elle était donc susceptible de se voir appliquer la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et qu’elle disposait d’un délai de quinze jours à compter de la réception de cette lettre pour faire valoir ses observations. Par suite, en retenant que la société Nord-Ouest Transports n’avait pas été mise à même de solliciter le procès-verbal d’infraction du 3 octobre 2012, la cour administrative d’appel de Bordeaux a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
6. Il résulte de ce qui précède que l’Office français de l’immigration et de l’intégration est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n’est pas nécessaire d’examiner l’autre moyen de son pourvoi.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Nord-Ouest Transports une somme de 1 500 euros à verser à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 27 novembre 2017 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 3 : La société Nord-Ouest Transports versera à l’Office français de l’immigration et de l’intégration une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration et à la société Nord-Ouest Transports.