La société absorbante est débitrice en raison de l’emploi illégal par la société absorbée

CAA de MARSEILLE

N° 19MA01010

Inédit au recueil Lebon

7ème chambre

M. GUIDAL, président

Mme Jeannette FEMENIA, rapporteur

M. CHANON, rapporteur public

AARPI THALAMAS, avocat(s)

lecture du vendredi 10 juillet 2020

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Derichebourg Propreté et Services Associés a demandé au tribunal administratif de Montpellier d’annuler la décision du 24 mars 2017 par laquelle le directeur général de l’office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a mis à sa charge les sommes de 52 800 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail et de 2 398 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d’un étranger prévue à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ainsi que la décision du 29 mai 2017 rejetant son recours gracieux dirigé sollicitant la décharge des sommes afférentes.

Par un jugement n° 1703604 du 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 1er mars 2019, la société Derichebourg Propreté et Services Associés, représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 28 décembre 2018 ;

2°) d’annuler la décision du 24 mars 2017 du directeur général de l’office français de l’immigration et de l’intégration ainsi que la décision du 29 mai 2017 portant rejet de son recours gracieux ;

3°) de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 s’agissant de la compétence du signataire de la décision du 24 mars 2017, la publication de l’arrêté de délégation de signature au bulletin officiel du ministère de l’intérieur n’est pas de nature, contrairement à une publication au journal officiel, à rendre cet arrêté opposable aux tiers ;

 elle n’a pas matériellement commis les faits reprochés.

La requête a été communiquée à l’office français de l’immigration et de l’intégration qui n’a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 ;

 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 le code du travail ;

 le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l’article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de Mme D...,

 et les conclusions de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Lors d’un contrôle effectué le 27 juillet 2016, les services de police ont constaté que la SAS Groupe Alter Services avait recruté un ressortissant kosovare démuni de titres l’autorisant à travailler et séjourner en France. Le procès-verbal d’infraction dressé le même jour lui ayant été transmis en application de l’article R. 8271-17 du code du travail, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), par une décision du 24 mars 2017, a infligé à la SAS Groupe Alter Services la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, en cas d’emploi d’un salarié étranger dépourvu d’autorisation de travail, pour la somme de 52 800 euros, et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine mentionnée à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), compte tenu de la situation irrégulière de l’étranger au regard du droit au séjour en France, pour la somme de 2 398 euros. La SAS Derichebourg Propreté et Services Associés, qui a acquis le 1er juin 2016 la société Groupe Alter Services, a formé le 11 mai 2017 un recours gracieux contre cette décision qui été rejeté par une décision du 29 mai 2017. La SAS Derichebourg Propreté et Services Associés relève appel du jugement du 28 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l’annulation des décisions des 24 mars et 29 mai 2017.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l’article R. 5223-21 du code du travail : “ Le directeur général [de l’Office français de l’immigration et de l’intégration] peut déléguer sa signature à tout agent de l’établissement exerçant des fonctions d’encadrement. (...) “.

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... C..., chef du pôle de veille juridique et de suivi du contentieux, signataire des décisions en litige, avait reçu délégation du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration par décision du 2 novembre 2016. La publication de cette délégation au bulletin officiel du ministère de l’intérieur du 15 décembre 2016 a, en raison de l’objet d’une telle décision, été suffisante pour lui conférer date certaine et la rendre opposable aux tiers.

4. Aux termes des dispositions de l’article L. 8251-1 du code du travail : “ Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France “. Selon l’article L. 5221-8 du même code : “ L’employeur s’assure auprès des administrations territorialement compétentes de l’existence du titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi tenue par l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1. “. Aux termes des dispositions de l’article L. 8253-1 du même code : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions de l’article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur sans titre de travail, une contribution spéciale au bénéfice de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. (...) “. L’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine. (...) L’Office français de l’immigration et de l’intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. (...) “.

5. La SAS Derichebourg Propreté et Services Associés qui soutient être étrangère aux faits sanctionnés commis par la SAS Groupe Alter Services et à leur réitération et qu’il n’est pas acceptable qu’elle soit le débiteur de l’obligation et non la société Groupe Alter Services qu’elle a ultérieurement absorbée, doit être regardée comme invoquant le principe de valeur constitutionnelle de personnalité des peines selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait.

6. En l’espèce, à la date du contrôle, la société Derichebourg Propreté et Services Associés avait déjà absorbé la société Groupe Alter Services. Il résulte d’ailleurs du recours gracieux du 11 mai 2017 qu’elle avait désigné dès le 1er juin 2016, date du rachat, un nouveau directeur général. En sa qualité d’employeur à la date du contrôle, elle ne peut donc utilement se prévaloir du principe de personnalité des peines. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu’avant son rachat par la SAS Derichebourg Propreté et Services Associés, la SAS Groupe Alter Services avait fait l’objet d’une contribution spéciale par une décision du 5 mars 2015, à la suite d’un contrôle du 29 juillet 2014. La décision en litige a ainsi porté le montant de la contribution spéciale à un taux majoré de 15 000 fois le taux horaire du minimum garanti en raison de la réitération des faits. Eu égard à l’objectif de lutte contre le travail illégal et l’immigration économique illégale poursuivi par les articles L. 8251-1 et suivants du code du travail, le principe de personnalité des peines ne fait pas obstacle à ce que la SAS Derichebourg Propreté et Services Associés, qui vient aux droits et obligations de la SAS Groupe Alter Services dont elle a absorbé le patrimoine, soit sanctionnée par une contribution spéciale au taux prévu en cas de réitération alors même qu’elle est étrangère aux manquements initiaux.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Derichebourg Propreté et Services Associés n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Derichebourg Propreté et Services Associés est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Derichebourg Propreté et Services Associés et à l’office français de l’immigration et de l’intégration.

Délibéré après l’audience du 26 juin 2020, où siégeaient :

 M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l’article R. 222-26 du code de justice administrative,

 Mme D..., première conseillère,

 M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 juillet 2020.