Contribution due malgré DPAE et déclarations sociales

CAA de MARSEILLE

N° 17MA04849

Inédit au recueil Lebon

7ème chambre - formation à 3

M. POCHERON, président

M. Georges GUIDAL, rapporteur

M. CHANON, rapporteur public

REBIBOU, avocat(s)

lecture du vendredi 14 décembre 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Castel Plage a demandé au tribunal administratif de Nice d’annuler la décision du 24 juillet 2014 par laquelle le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a mis à sa charge les sommes de 6 980 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail et de 2 553 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d’un étranger prévue à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux dirigé contre la décision du 24 juillet 2014.

Par un jugement n° 1500123 du 24 octobre 2017, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 décembre 2017 et le 24 octobre 2018, la SARL Castel Plage, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 24 octobre 2017 ;

2°) d’annuler la décision du 24 juillet 2014 du directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ;

3°) de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 elle est fondée à se prévaloir du caractère non intentionnel du manquement et de sa bonne foi dans la mesure où le salarié a présenté lors de son embauche un titre de séjour lui paraissant authentique et qu’il était inscrit à “ Pôle emploi “ ;

 ce salarié a fait l’objet d’une déclaration aux services de l’URSAFF et les charges sociales ont été régulièrement acquittées ;

 en l’absence de cumul d’infraction et du paiement spontané des salaires et des cotisations sociales la contribution spéciale aurait dû être minorée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2018, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la SARL Castel Plage sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Castel Plage ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

 le code du travail ;

 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de M. Guidal,

 et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d’un contrôle effectué par des agents de la police nationale dans le restaurant exploité par la SARL Castel Plage, le 23 juillet 2013, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a estimé que cette société avait employé un travailleur étranger, M. D..., démuni de titre de séjour et d’autorisation de travail. Par une décision du 24 juillet 2014, confirmée implicitement sur recours gracieux reçu le 18 septembre 2014, il a mis à la charge de cette société les sommes de 6 980 euros et 2 553 euros au titre, respectivement, de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Saisi par la SARL Castel Plage, le tribunal administratif de Nice, par un jugement du 24 octobre 2017, a rejeté la demande de cette société tendant à l’annulation de la décision du 24 juillet 2014 du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ainsi que de la décision implicite rejetant son recours gracieux. La SARL Castel Plage relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. En jugeant au point 7 de son jugement que la SARL Castel Plage ne se trouvait pas dans l’un des cas pour lesquels une minoration des contributions en litige était envisagée par les textes en vigueur et que, hormis ces cas, les dispositions du code du travail n’habilitaient pas l’OFFI pas plus que le juge administratif à en moduler le montant, le tribunal administratif de Nice a implicitement mais nécessairement répondu au moyen tiré de ce le montant des contributions pouvait être minoré dès lors qu’elle avait procédé au règlement des salaires et des charges sociales dans leur intégralité. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait omis de répondre à ce moyen n’est pas fondé.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l’article L. 8251-1 du code du travail : “ Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France (...) “. L’article L. 5221-8 du même code dispose que : “ L’employeur s’assure auprès des administrations territorialement compétentes de l’existence du titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi tenue par l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1 “. Aux termes de l’article L. 8253-1 de ce code, dans sa rédaction en vigueur à la date des manquements relevés à l’encontre de la SARL Castel Plage : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat et est au moins égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12 (...). / L’Office français de l’immigration et de l’intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. / Elle est recouvrée par l’Etat comme en matière de créances étrangères à l’impôt et au domaine (...) “. Le même manquement est sanctionné, en vertu des dispositions combinées des articles L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail dans leur rédaction en vigueur à la date du présent arrêt, dont il y a lieu de faire application eu égard à leur caractère de loi nouvelle plus douce, d’une contribution spéciale dont le montant est égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12 de ce code, réduit à 2 000 fois ce même taux en cas de non-cumul d’infractions ou en cas de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger et à 1 000 fois ce taux en cas de paiement spontané de ces salaires et indemnités, si le procès-verbal d’infraction ne mentionne l’emploi que d’un seul étranger sans titre. Enfin, aux termes de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine (...) “.

4. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 8253-1 du code du travail et de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que les contributions qu’ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d’emploi d’un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l’autorisant à exercer une activité salariée, sans qu’un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d’une part, et sauf à ce que le salarié ait justifié avoir la nationalité française, il s’est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l’article L. 5221-8 du code du travail et que, d’autre part, il n’était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d’une usurpation d’identité.

5. Il ne résulte pas de l’instruction que la SARL Castel Plage aurait procédé à une vérification de l’authenticité du titre de séjour que lui a présenté M. D... lors de son embauche, notamment en se rapprochant des services de la préfecture, ainsi que le prescrit l’article L. 5221-8 du code du travail. Il ne résulte pas davantage des documents produits par la requérante que cet étranger aurait été inscrit lors de son embauche sur la liste des demandeurs d’emploi tenue par “ Pole Emploi “, l’attestation du 30 septembre 2012 qu’elle produit n’émanant pas de cette institution mais de l’entreprise elle-même. Dans ces conditions, la SARL Castel Plage ne peut utilement invoquer ni l’absence d’élément intentionnel du manquement qui lui est reproché, ni sa prétendue bonne foi.

6. Dès lors que les contributions prévues à l’article L. 8253-1 du code du travail et à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sont dues du seul fait de l’emploi de travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français, hormis l’hypothèse mentionnée au point 4, est sans incidence sur le bien-fondé des contributions en litige la circonstance selon laquelle la SARL Castel Plage a rempli ses obligations en tant qu’employeur en procédant à la déclaration unique d’embauche à l’URSSAF pour M. D... et au paiement régulier des charges patronales et salariales afférentes à l’emploi de ce salarié.

7. Il résulte de l’instruction que si M. D... n’était pas autorisé à travailler en France, son employeur a en revanche spontanément transmis à l’URSSAF la déclaration unique d’embauche de l’intéressé. Se fondant sur l’absence de cumul d’infraction, l’OFFI a fixé le montant de la contribution spéciale réclamée à la société à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12 du code du travail à la date de la constatation de l’infraction, ainsi que le prévoit le II de l’article R. 8253-2 du même code, au lieu de lui appliquer le montant de droit commun fixé à 5 000 fois ce même taux horaire prévu par ces mêmes dispositions. Il s’ensuit que la demande de la SARL Castel Plage tendant à ce que le montant de la contribution spéciale soit réduit pour être fixé à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti est dépourvue d’objet.

8. Aux termes de l’article L. 8252-2 du code du travail : “ Le salarié étranger a droit au titre de la période d’emploi illicite : 1° Au paiement du salaire et des accessoires de celui-ci, conformément aux dispositions légales, conventionnelles et aux stipulations contractuelles applicables à son emploi, déduction faite des sommes antérieurement perçues au titre de la période considérée. A défaut de preuve contraire, les sommes dues au salarié correspondent à une relation de travail présumée d’une durée de trois mois. Le salarié peut apporter par tous moyens la preuve du travail effectué ; 2° En cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que l’application des règles figurant aux articles L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1243-4 et L. 1243-8 ou des stipulations contractuelles correspondantes ne conduise à une solution plus favorable. 3° Le cas échéant, à la prise en charge par l’employeur de tous les frais d’envoi des rémunérations impayées vers le pays dans lequel il est parti volontairement ou a été reconduit. Lorsque l’étranger employé sans titre l’a été dans le cadre d’un travail dissimulé, il bénéficie soit des dispositions de l’article

L. 8223-1, soit des dispositions du présent chapitre si celles-ci lui sont plus favorables. (...) “. Selon l’article R. 8252-6 du code du travail : “ L’employeur d’un étranger sans titre s’acquitte par tout moyen, dans le délai mentionné à l’article L. 8252-4, des salaires et indemnités déterminés à l’article L. 8252-2. Il remet au salarié étranger sans titre les bulletins de paie correspondants, un certificat de travail ainsi que le solde de tout compte. Il justifie, auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, par tout moyen, de l’accomplissement de ses obligations légales “.

9. Si la SARL Castel Plage a produit dans le dernier état de ses écritures les bulletins de paye, relatifs aux périodes courant des mois de mai au mois d’octobre 2009, mars 2010 à octobre 2010, avril 2011 à octobre 2011, avril 2012 à septembre 2012 et avril 2013 à août 2013, attestant du paiement par chèque du salaire de M. D..., elle n’établit pas s’être acquittée du versement de l’indemnité forfaitaire de trois mois de salaire mentionnée au 2°) de l’article L. 8252-2 du code du travail dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7 de ce code et en particulier d’avoir versé à l’intéressé la somme qui lui était due dans le délai, mentionné à l’article L. 8252-4, de trente jours à compter de la constatation de l’infraction le 23 juillet 2013. Ainsi, elle n’entre pas dans les prévisions du III de l’article R. 8253-2 dudit code et n’est, par suite, pas fondée à soutenir que c’est à tort que le directeur général de l’OFII s’est abstenu de fixer le montant de la contribution spéciale à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Castel Plage n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par la SARL Castel Plage, partie perdante à l’instance, soit mise à la charge de l’OFII. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la SARL Castel Plage une somme 2 000 euros à verser à l’OFII en application de ces mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Castel Plage est rejetée.

Article 2 : La SARL Castel Plage versera à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Castel Plage et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Délibéré après l’audience du 30 novembre 2018 où siégeaient :

 M. Pocheron, président,

 M. Guidal, président-assesseur,

 Mme A..., première conseillère,

Lu en audience publique, le 14 décembre 2018.

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N° 17MA04849