Chantier du bâtiment

Cour Administrative d’Appel de Paris

N° 04PA02587

Inédit au recueil Lebon

3ème Chambre - formation B

M. FOURNIER DE LAURIERE, président

M. Jérome BIARD, rapporteur

Mme DESTICOURT, commissaire du gouvernement

LEVY, avocat(s)

lecture du lundi 26 mars 2007

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 21 juillet 2004, présentée pour la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN, dont le siège social est ZI de Villemilan 19 boulevard Arago à

Wissous (91320), par Me Lévy ; la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 02-1715 et 02-1716 du 13 mai 2004 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes tendant à l’annulation, d’une part, de la décision du directeur de l’office des migrations internationales du 19 novembre 2001 mettant à sa charge la contribution spéciale prévue à l’article L. 341-7 du code du travail pour l’emploi d’un travailleur étranger en situation irrégulière, et d’autre part, de l’état exécutoire en date du 19 novembre 2001 émis par le directeur de l’office des migrations internationales en conséquence de la décision précitée du même jour ;

2°) d’annuler les décisions précitées du directeur de l’office des migrations internationales ;

3°) de condamner l’office des migrations internationales à lui verser une somme de

3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

……………………………………………………………………………………………………...

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 12 mars 2007 :

"-" le rapport de M. Biard, rapporteur,

"-" les observations de Me Caporiccio, pour la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN,

"-" et les conclusions de Mme Desticourt, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à l’appui de sa demande de première instance, la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN faisait valoir que le directeur de l’office des migrations internationales ne pouvait légalement, sans méconnaître les dispositions de l’article

L. 341-6-4 du code du travail, décider de mettre à sa charge la contribution spéciale instituée par l’article L. 341-7 du même code ; que les premiers juges ont estimé que les conditions d’exercice de l’activité professionnelle de M. permettaient d’assimiler les liens l’unissant à la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN à une relation salariale ; qu’ainsi le jugement attaqué a implicitement mais nécessairement répondu au moyen tiré de la violation des dispositions de l’article L. 341-6-4 du code du travail ; qu’il suit de là que la société requérante n’est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier et à demander, pour ce motif, son annulation ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 341-6 du code du travail : « Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France… » ; et qu’aux termes de l’article L. 341-7 du même code : « Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L. 341-6, premier alinéa, sera tenu d’acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l’office des migrations internationales. Le montant de cette contribution spéciale ne saurait être inférieur à 500 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 141-8 » ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’office public d’habitations à loyers modérés d’Ivry-sur-Seine a confié à la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN, en qualité d’entreprise générale, un marché à bons de commandes portant sur la réhabilitation d’appartements ; qu’à l’issue d’un contrôle effectué le 8 mars 2000 sur le chantier, les contrôleurs du travail du Val-de-Marne ont constaté la présence d’un ressortissant de nationalité polonaise, M. , démuni de tout titre de travail et cependant occupé à des travaux de pose de dalles sur le sol ; qu’il ressort des pièces du dossier que M. travaillait pour l’entreprise artisanale , laquelle avait été chargée par la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN des travaux de pose de revêtements de sol pour l’ensemble des appartements faisant l’objet de l’opération de réhabilitation ; qu’à la suite de ce contrôle, la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle du Val-de-Marne a établi le 15 novembre 2000 un procès-verbal de constatation d’infraction à l’article L. 341-6 du code du travail ; que sur le fondement de ce procès-verbal et après avoir recueilli les observations de la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN, le directeur de l’office des migrations internationales a, par décision du 19 novembre 2001 confirmée par décision du 25 mars 2002, décidé de mettre à sa charge la contribution spéciale instituée par l’article L. 341-7 et a émis en conséquence le 19 novembre 2001 un état exécutoire d’un montant de 18 460 francs ;

Considérant que la qualification de contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont entendu donner à la convention qui les lie mais des seules conditions de fait dans lesquelles le travailleur exerce son activité ; que la qualité de salarié suppose nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l’emploie, le contrat de travail ayant pour objet et pour effet de placer le travailleur sous la direction, la surveillance et l’autorité de son cocontractant, lequel dispose de la faculté de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que pour l’application des dispositions précitées de l’article L. 341-6 du code du travail, il appartient en conséquence à l’administration du travail de relever, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, les indices objectifs de subordination permettant d’établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu’il emploie ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’aucun contrat d’entreprise ou de sous-traitance relatif aux travaux de pose des revêtements de sol des appartements visés par le chantier de réhabilitation n’a été conclu entre l’entreprise artisanale et la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN avant le 8 mars 2000, date de la constatation de l’infraction à l’article L. 341-6 du code du travail ; qu’il ressort des propres déclarations de M. , lors de son audition par les services de l’inspection du travail, et du procès-verbal établi par l’administration du travail, dont les mentions relatives aux faits constitutifs de l’infraction font foi jusqu’à preuve contraire, qu’à la date de l’infraction

M. travaillait exclusivement pour la société requérante depuis près de six mois, que sa rémunération était fixée unilatéralement par ladite société, selon un bordereau de prix unitaires établi par le maître de l’ouvrage, et qu’il ne disposait pas d’une autonomie effective dans la détermination de ses activités, lesquelles étaient dirigées et contrôlées directement par le conducteur de travaux de la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN ; que cette dernière n’établit pas, par les pièces versées au dossier, que la rémunération de M. résultait d’une libre discussion entre les parties ni qu’il disposait d’une autre clientèle ; que par suite, les conditions de fait dans lesquelles était exercée l’activité de M. révèlent, nonobstant son inscription en qualité d’artisan au registre des métiers, l’existence d’un lien de subordination juridique caractérisant une relation de nature salariale ; que par voie de conséquence, il existait un même lien de subordination entre M. et la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN, laquelle doit être regardée comme son employeur au sens des dispositions précitées de l’article L. 341-6 du code du travail ; qu’il suit de là que le directeur de l’office des migrations internationales a pu légalement décider de mettre à la charge de la société requérante la contribution spéciale instituée par l’article L. 341-7 du code du travail et d’émettre en conséquence un état exécutoire à l’encontre de cette même société ;

Considérant que, si la société requérante fait valoir que le marché à bons de commandes conclu entre elle et l’office public d’habitations à loyers modérés d’Ivry-sur-Seine est parfaitement régulier, cette circonstance est sans incidence sur la légalité des décisions attaquées du directeur de l’office des migrations internationales ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 341-6-4 du code du travail : « Toute personne qui ne s’est pas assurée, lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant au moins égal à 3 000 euros en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, que son cocontractant s’acquitte de ses obligations au regard des dispositions du premier alinéa de l’article L. 341-6 sera tenue solidairement responsable avec ce dernier, sans préjudice de l’application des dispositions des articles L. 324-14 à L. 324-14-2, au paiement de la contribution spéciale prévue à l’article L. 341-7 » ; que les conditions de fait dans lesquelles l’activité de

M. était exercée permettent toutefois, pour les motifs précédemment exposés, d’assimiler les liens l’unissant à la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN à une relation de nature salariale ; que, par suite, la société requérante ne saurait utilement se prévaloir des dispositions précitées de l’article L. 341-6-4 du code du travail ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes tendant à l’annulation, d’une part, des décisions par lesquelles le directeur de l’office des migrations internationales a mis à sa charge la contribution spéciale prévue à l’article L. 341-7 du code du travail et, d’autre part, de l’état exécutoire émis à son encontre par le directeur de l’office des migrations internationales ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations, qui n’est pas la partie perdante, soit condamnée à verser une quelconque somme à la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN ; qu’il y a lieu, en revanche, de condamner ladite société à verser à l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par la SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN est rejetée.

Article 2 : La SOCIETE CENTRALE D’ENTRETIEN est condamnée à verser à l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 04PA02587