Faux prestataires de services établis à l’étranger
Cour administrative d’appel de Lyon
N° 91LY00470
Inédit au recueil Lebon
4E CHAMBRE
M. COURTIAL, rapporteur
M. BONNAUD, commissaire du gouvernement
lecture du vendredi 29 janvier 1993
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 30 mai 1991, présentée pour l’Office des Migrations Internationales, représenté par son directeur en exercice, par la SCP DEFRENOIS et LEVIS, avocat au Conseil d’Etat et à la cour de Cassation ;
L’office demande à la cour d’annuler le jugement du 19 février 1991 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé l’état exécutoire émis le 31 Janvier 1989 à l’encontre de M. Filipe X... pour un montant de 145 200 francs ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 12 janvier 1993 :
– le rapport de M. COURTIAL, conseiller ;
– et les conclusions de M. BONNAUD, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes du 1er alinéa de l’article L. 341-6 du code du travail : “Il est interdit à toute personne d’engager ou de conserver à son service un étranger non muni de titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France lorsque la possession de ce titre est exigée en vertu, soit de dispositions législatives ou règlementaires, soit de traités ou accords internationaux” ; que le même code dispose, en son article L. 341-7, que “sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L. 341-6 premier alinéa sera tenu d’acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l’office national d’immigration ...” ;
Considérant que le 26 mai 1988 deux inspecteurs du travail, accompagnés des gendarmes, sont intervenus sur un chantier de construction de bâtiments industriels à Puget-sur-Argens (Var) ; qu’ils ont constaté la présence sur ce chantier de cinq personnes de nationalité portugaise, dépourvues de titre de travail, occupées à couler une dalle de béton ; que l’exécution de ces travaux ayant été confiés à l’entreprise de M. Filipe X... , le directeur de l’office des migrations internationales a mis à la charge de ce dernier, par voie d’état exécutoire, la contribution spéciale prévue par les dispositions susmentionnées d’un montant de 145 200 francs ; que le tribunal administratif a annulé l’état exécutoire en jugeant, comme le lui demandait M. Filipe X..., que les ressortissants portugais étaient des artisans agissant comme sous-traitants de l’entreprise du requérant et qu’ils n’étaient pas visés, en cette qualité, par les dispositions précitées du code du travail ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal dressé par les inspecteurs du travail ainsi que des procès verbaux d’auditions établis par les gendarmes, que ces étrangers ont travaillé en France exclusivement sur des chantiers de M. Filipe X... ; que la caravane dans laquelle ils habitaient tous à proximité du chantier, les matériaux et l’outillage qu’ils utilisaient étaient fournis par l’entreprise, y compris le véhicule utilitaire et les taloches mécaniques même si l’un d’eux a servi de prête-nom pour l’établissement du contrat de location du véhicule et des factures d’achat desdits outils ainsi que cela ressort de l’audition de celui-ci ; que les chantiers et le travail à accomplir leur étaient désignés par l’entreprise de M. Filipe X... ; qu’aucun contrat d’entreprise n’a été signé par eux et que les documents, se présentant comme des factures, établis postérieurement au contrôle et allouant aux cinq étrangers une rémunération identique pour le mois de mai 1988, ne sont pas suffisants, alors que, de leur propre aveu, les travailleurs ignoraient le 26 mai quels seraient les éléments de base de leur rémunération, pour permettre de démontrer que ces “factures” ont été émises pour le paiement du prix convenu des services d’artisans ; qu’ils n’ont d’ailleurs pas été déclarés comme sous-traitants au maître de l’ouvrage ; qu’enfin quatre des cinq étrangers avaient été employés par M. Filipe X... de juin à novembre 1987 en qualité de “stagiaires professionnels”, alors même qu’ils avaient, comme ils l’ont reconnu, une bonne connaissance de leur métier ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, même si les travailleurs portugais se sont inscrits au répertoire des métiers, ils se trouvaient en ce qui concerne l’exécution de leur travail, qu’ils effectuaient sous le contrôle et avec les moyens de l’entreprise Filipe X... et dont il n’est pas allégué qu’ils en assumaient les risques, dans un rapport de subordination caractéristique du travail salarié ; que, dès lors, c’est à tort que le tribunal administratif s’est fondé sur la qualité d’artisans des cinq ressortissants portugais pour annuler l’état exécutoire litigieux ;
Considérant toutefois qu’il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. Filipe X... devant le tribunal administratif ;
Considérant qu’en vertu de l’article R. 341-34 du code du travail, au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis, le directeur de l’office des migrations internationales décide de l’application de la contribution spéciale prévue à l’article L. 341-7 et notifie sa décision à l’employeur ainsi que le titre de recouvrement ; que, par suite, le moyen tiré de l’irrégularité de l’état exécutoire en raison de l’incompétence de son auteur n’est pas fondé ;
Considérant que ledit état exécutoire comporte l’indication des éléments de liquidation des sommes dues, la mention des textes applicables et le relevé des infractions, par référence à un procès-verbal ; que la lettre jointe, par laquelle le directeur de l’office notifiait à M. Filipe X... sa décision de mettre en recouvrement la contribution spéciale indiquait que cette décision était prise à la suite de la constatation des infractions, notifiée par un précédent courrier du 9 août 1988 ; que cette motivation répond aux exigences de la loi du 11 juillet 1979 ; qu’il ressort enfin des pièces du dossier que le requérant a été régulièrement mis en mesure de présenter des observations écrites à l’administration avant l’établissement de l’état exécutoire litigieux ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’office des migrations internationales est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé l’état exécutoire émis le 31 janvier 1989 à l’encontre de M. Filipe X... pour avoir paiement de la contribution spéciale mise à sa charge ;
Article 1er : Le jugement en date du 19 février 1991 du tribunal administratif de Nice est annulé.
Article 2 : la demande présentée par M. Filipe X... devant le tribunal adminsitratif de Nice est rejetée.
Abstrats : 66-032-01-02-02 TRAVAIL ET EMPLOI - REGLEMENTATIONS SPECIALES A L’EMPLOI DE CERTAINES CATEGORIES DE TRAVAILLEURS - EMPLOI DES ETRANGERS - MESURES INDIVIDUELLES - CONTRIBUTION SPECIALE DUE A RAISON DE L’EMPLOI IRREGULIER D’UN TRAVAILLEUR ETRANGER