Obligation pour l’employeur de se faire présenter l’original du titre d’identité du salarié

CAA de VERSAILLES, 4ème chambre, 17/12/2021
N° 20VE02089
Inédit au recueil Lebon

Lecture du vendredi 17 décembre 2021
Président
M. BROTONS
Rapporteur
M. Thierry ABLARD
Rapporteur public
Mme GROSSHOLZ
Avocat(s)
SELARL GRIMBERG ET ASSOCIES
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société S.Safia Coiffure a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’annuler la décision du 12 septembre 2016 par laquelle le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration lui a appliqué la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de
7 040 euros et la contribution forfaitaire prévue à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour un montant de 2 124 euros, d’annuler la décision du 2 janvier 2017 par laquelle le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a rejeté son recours gracieux formé à l’encontre de la décision du 12 septembre 2016, et de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1701998 du 5 mars 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 18 août 2020 et 3 septembre 2020, la société S.Safia Coiffure, représentée par Me Lin, avocat, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) d’annuler ces décisions ;

3°) de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
 elle n’a pas délibérément employé un étranger en situation irrégulière ;
 l’intéressé s’est présenté lors de son recrutement comme un ressortissant portugais en produisant la copie d’un faux document d’identité ;
 elle a procédé à une déclaration unique d’embauche auprès de l’URSSAF, laquelle n’a pas décelé la fraude commise par ce salarié ;
 aucun texte ne l’obligeait à demander la présentation du document d’identité original ;
 l’intéressé a d’ailleurs reconnu, lors de son audition par les services de police, que son employeur ignorait sa véritable identité.
......................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
 le code du travail ;
 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
 le rapport de M. Ablard,
 et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 avril 2016, les services de police ont procédé au contrôle d’un salon de coiffure exploité par la société S.Safia Coiffure, situé au 47 avenue de Paris à Soisy-sous-Montmorency. Lors de ce contrôle, a été constatée la présence en situation de travail d’un ressortissant tunisien dépourvu de titre de séjour et d’une autorisation de travail. Par un courrier du 5 juillet 2016, l’Office français de l’immigration et de l’intégration a informé la société S.Safia Coiffure qu’elle était passible, à raison de ces infractions, des contributions prévues par l’article L. 8253-1 du code du travail et par l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et l’a invitée à présenter ses observations. Par une décision du 12 septembre 2016, l’OFII a appliqué à la requérante la contribution spéciale, prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail, à hauteur de 7 040 euros, et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement, prévue par l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à hauteur de 2 124 euros. Le recours gracieux formé par la société S.Safia Coiffure contre cette décision le 4 novembre 2016 a été rejeté le 2 janvier 2017. La société S.Safia Coiffure relève appel du jugement du 5 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l’annulation des décisions des 12 septembre 2016 et 2 janvier 2017.

Sur la légalité des décisions attaquées :

2. Aux termes de l’article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ". Aux termes de l’article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d’infractions ou en cas de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l’article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. (...) ". Aux termes de l’article R. 8253-2 de ce code : " I. -Le montant de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l’infraction, du minimum garanti prévu à l’article
L. 3231-12. / II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l’un ou l’autre des cas suivants : 1° Lorsque le procès-verbal d’infraction ne mentionne pas d’autre infraction commise à l’occasion de l’emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 ; 2° Lorsque l’employeur s’est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l’article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7./ III.- Dans l’hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d’infraction ne mentionne l’emploi que d’un seul étranger sans titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ". Aux termes des dispositions de l’article L. 5221-8 de ce code : " L’employeur s’assure auprès des administrations territorialement compétentes de l’existence du titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi tenue par l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1. ". Enfin, aux termes de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine (...) ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi d’un recours contre une décision mettant à la charge d’un employeur la contribution spéciale ou la contribution forfaitaire prévues par les dispositions précitées de vérifier la matérialité des faits reprochés à l’employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient, également, de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d’en diminuer le montant jusqu’au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d’en décharger l’employeur.

4. La société S.Safia Coiffure soutient qu’elle n’a pas délibérément employé un étranger en situation irrégulière, que l’étranger concerné s’est présenté lors de son recrutement le 7 janvier 2013 comme un ressortissant portugais en produisant la copie d’un document d’identité dont le caractère frauduleux était indécelable, qu’elle a procédé à une déclaration unique d’embauche auprès de l’URSSAF, laquelle n’a pas non plus décelé la fraude commise par ce salarié, qu’aucun texte ne l’obligeait à demander la présentation du document d’identité original, et que l’intéressé a d’ailleurs reconnu, lors de son audition par les services de police le 6 avril 2016, que son employeur ignorait sa véritable identité.
5. Lorsqu’un salarié s’est prévalu lors de son embauche de la nationalité française ou de sa qualité de ressortissant d’un État pour lequel une autorisation de travail n’est pas exigée, l’employeur ne peut être sanctionné s’il s’est assuré que ce salarié disposait d’un document d’identité de nature à en justifier et s’il n’était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d’une usurpation d’identité. En l’espèce, il est constant que la société S.Safia Coiffure n’a pas demandé à son salarié de présenter l’original de son document d’identité afin de procéder aux vérifications nécessaires. En outre, la circonstance que l’URSSAF, qui n’a d’ailleurs pas l’obligation de procéder à ces vérifications, n’ait pas non plus décelé la fraude est sans incidence sur la légalité des décisions attaquées. Dans ces conditions, la matérialité des faits d’emploi d’un étranger en situation irrégulière doit être regardée comme établie.

6. Enfin, et dès lors que les infractions prévues aux articles L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et L. 8251-1 du code du travail sont constituées du seul fait de l’emploi de travailleurs étrangers en situation de séjour irrégulier et démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français, la société requérante ne peut utilement invoquer l’absence d’élément intentionnel ou encore sa prétendue bonne foi, ces circonstances étant sans incidence sur la matérialité de l’infraction. Par suite, la société S.Safia Coiffure, qui n’a pas accompli les diligences qui lui incombait afin de vérifier la qualité de ressortissant européen de son salarié, n’est pas fondée à soutenir que l’OFII ne pouvait légalement mettre à sa charge les contributions mentionnées au point 1.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société S.Safia Coiffure n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. ".

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la société S.Safia Coiffure et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société S.Safia Coiffure une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration dans la présente instance et non compris dans les dépens.

DECIDE :
Article 1er : La requête de la société S.Safia Coiffure est rejetée.
Article 2 : La société S.Safia Coiffure versera à l’Office français de l’immigration et de l’intégration une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.
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