ETT étrangère mais utilisateur français redevable de la contribution spéciale

CAA de MARSEILLE, chambres réunies, 26/03/2021
N° 18MA03846

Lecture du vendredi 26 mars 2021
Président
Mme HELMLINGER
Rapporteur
M. Bruno COUTIER
Rapporteur public
M. CHANON
Avocat(s)
CABINET SCHEGIN
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL AMSAREL a demandé au tribunal administratif de Nîmes par trois requêtes distinctes, d’une part, d’annuler la décision du 19 novembre 2015 par laquelle le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a décidé de lui appliquer la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 69 800 euros ainsi que la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine prévue à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour un montant de 10 057 euros, d’autre part, d’annuler le titre de perception émis le 23 novembre 2015 en vue du recouvrement de la somme de 76 780 euros au titre de la contribution spéciale, enfin d’annuler le titre de perception émis le 23 novembre 2015 en vue du recouvrement de la somme de 10 057 euros au titre de la contribution forfaitaire.

Par un jugement n° 1601281, 1602374, 1603218 du 14 juin 2018, le tribunal administratif de Nîmes a annulé le titre de perception correspondant à la contribution forfaitaire et a rejeté le surplus de cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 10 août 2018 et le 27 juin 2019, la SARL AMSA, anciennement dénommée AMSAREL, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d’annuler l’article 2 de ce jugement du 14 juin 2018 en ce qu’il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) d’annuler la décision du 19 novembre 2015 par laquelle le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a décidé de lui appliquer la contribution spéciale pour un montant de 69 800 euros ainsi que la contribution forfaitaire pour un montant 10 057 euros ;

3°) d’annuler le titre de perception émis le 23 novembre 2015 en vue du recouvrement de la somme de 76 780 euros au titre de la contribution spéciale ;

4°) de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
 le véritable employeur des quatre salariés en cause est la société d’intérim Cantimetal et elle-même ne pouvait valablement être destinataire de la mise en demeure adressée par le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ;
 le jugement de relaxe rendu le 15 novembre 2017 par le tribunal correctionnel de Rodez prive de tout fondement légal le procès-verbal du 23 juin 2013 qui lui-même fonde les titres de perception relatifs à la contribution spéciale et à la contribution forfaitaire ;
 elle n’avait nullement connaissance de la situation irrégulière dans laquelle étaient placés ces quatre salariés et il ne peut donc être retenu d’éléments intentionnels à son encontre ;
 sa bonne foi fait obstacle à ce qu’elle soit sanctionnée ;
 la décision du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration porte atteinte au principe de liberté de circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne ;
 elle méconnaît le droit de tout ressortissant d’un État membre, quel que soit le lieu de sa résidence, d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre État membre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2018, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la SARL AMSA la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
 le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
 le règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ;
 le règlement (CE) n° 987/2009 du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 ;
 le règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union ;
 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
 le code du travail ;
 le code de justice administrative.
Une première audience publique s’est tenue le 7 février 2020.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de la seconde audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
 le rapport de M. Coutier, premier conseiller,
 les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
 et les observations de Me A..., représentant la SARL AMSA.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l’instruction que lors d’un contrôle mené le 26 juin 2013 sur le chantier de construction du pôle cancérologie du centre hospitalier universitaire de Nîmes, les services de l’inspection du travail ont constaté la présence de onze personnes déclarant travailler pour le compte de la société AMSAREL, titulaire du lot armatures sur le chantier, dont huit travailleurs mis à disposition par l’entreprise de travail temporaire Cantimetal, établie au Portugal, parmi lesquels quatre d’entre eux étaient dépourvus de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France et à y séjourner. Par décision du 19 novembre 2015, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a décidé d’appliquer à la société la contribution spéciale pour un montant de 69 800 euros et la contribution forfaitaire pour un montant de 10 057 euros. Deux titres de perception ont été émis le 23 novembre 2015 pour avoir paiement de ces sommes. Par trois requêtes distinctes, la SARL AMSAREL a demandé au tribunal administratif de Nîmes l’annulation de la décision du 19 novembre 2015 du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et des deux titres de perception. Par jugement du 14 juin 2018, le tribunal a annulé le titre de perception correspondant à la contribution forfaitaire au motif que la compétence de son signataire n’était pas établie et a rejeté le surplus de cette demande. La SARL AMSA, nouvelle dénomination de la SARL AMSAREL, relève appel de ce jugement en tant qu’il a rejeté le surplus de la demande.
2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l’article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ". Aux termes de l’article L. 8253-1 de ce code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12. (...) / L’Office français de l’immigration et de l’intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine ".
3. Par ailleurs, aux termes de l’article L. 1251-1 du code du travail : " Le recours au travail temporaire a pour objet la mise à disposition temporaire d’un salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d’un client utilisateur pour l’exécution d’une mission. ". Aux termes de l’article L. 1251-5 du même code : " Le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice. ". Et selon l’article L. 1251-6 du même code : " Sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée " mission " et seulement dans les cas suivants : / 1° Remplacement d’un salarié, en cas : / a) D’absence ; / b) De passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur ; / c) De suspension de son contrat de travail ; / d) De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité social et économique, s’il existe ; / e) D’attente de l’entrée en service effective d’un salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ; / 2° Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ; / 3° Emplois à caractère saisonnier définis au 3° de l’article L. 1242-2 ou pour lesquels, dans certains secteurs définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ; (...) ".
4. Enfin, aux termes de l’article L. 1262-2 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur : " Une entreprise exerçant une activité de travail temporaire établie hors du territoire national peut détacher temporairement des salariés auprès d’une entreprise utilisatrice établie ou exerçant sur le territoire national, à condition qu’il existe un contrat de travail entre l’entreprise étrangère et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement ". Et, aux termes de l’article R. 5221-2 du même code : " Sont dispensés de l’autorisation de travail : / 2° Le salarié non ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, d’un autre Etat partie à l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, détaché dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2 et travaillant pour le compte d’un employeur établi sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne (...) à condition qu’il soit titulaire d’une autorisation de travail, délivrée par l’Etat sur le territoire duquel est établi son employeur, valable pour l’emploi qu’il va occuper en France (...) ".
5. D’une part, l’infraction aux dispositions précitées de l’article L. 8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l’emploi de travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français. Il appartient au juge administratif, saisi d’un recours contre une décision mettant à la charge d’un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions de l’article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l’article L 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l’employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions.
6. D’autre part, si, pour l’application de l’article L. 8253-1 du code du travail et de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’employeur d’un travailleur mis à disposition, dans le cadre prévu par l’article L. 1251-1 du code du travail, est, en principe, l’entreprise de travail temporaire et non l’entreprise utilisatrice pour l’exécution de la mission, quand bien même le travailleur se trouve placé sous la subordination hiérarchique de cette dernière, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, sous le contrôle du juge, dans le cas où le recours à la mise à disposition de travailleurs temporaires apparaît manifestement contraire aux conditions et limites prévues par les articles L. 1251-5 à L. 1251-7 de ce code, notamment lorsque l’entreprise utilisatrice a recours de façon systématique aux missions d’intérim afin de pourvoir durablement des emplois liés à son activité normale et permanente, si une relation de travail ne s’est pas nouée directement avec cette dernière.
7. La circonstance que le travailleur soit mis à disposition par une entreprise exerçant une activité de travail temporaire établie sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne, en application de l’article L. 1262-2 du code du travail, ne fait pas obstacle à une telle appréciation, quand bien même l’intéressé est titulaire d’un certificat attestant qu’il demeure soumis à la législation de sécurité sociale de cet Etat, en application des dispositions des articles 11 à 16 du règlement (CE) n° 883/2004 et de l’article 19 du règlement (CE) n° 987/2009, la Cour de justice de l’Union européenne ayant dit pour droit que : " ces certificats ne produisent (...) pas d’effet contraignant à l’égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la sécurité sociale, au sens de ces règlements, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d’emploi et de travail de ces derniers " (CJUE, 14.05.2020, Bouygues travaux publics, Elco construct Bucarest, Welbond armatures, n° C-17/19, point 48).
8. En premier lieu, l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’impose, en principe, à l’administration comme au juge administratif qu’en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d’un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l’autorité administrative d’apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction administrative.
9. En l’espèce, il résulte du jugement du 15 novembre 2017 devenu définitif que le tribunal correctionnel de Rodez a relaxé la société AMSAREL des poursuites relatives, d’une part, aux délits de prêt de main-d’oeuvre illicite et de marchandage, au motif que ces chefs de prévention étaient " insuffisamment démontrés ", d’autre part, au délit de travail dissimulé " dès lors que la preuve de sa volonté d’éluder les règles de déclaration préalable à l’embauche, de diminuer le nombre d’heures réelles effectuer ou de se soustraire aux déclarations sociales n’est pas rapportée en l’espèce " et, enfin, à l’infraction d’emploi de travailleurs étrangers sans titre de travail les autorisant à exercer une activité salariée en France, au motif que " la responsabilité pénale d’une telle infraction incomb(e) en l’espèce à leur employeur, la société Cantimetal ". Aucune des relaxes ainsi prononcées n’est fondée sur des constatations de fait revêtues de l’autorité de la chose jugée. Au demeurant, la société AMSAREL a, par le même jugement, été condamnée pour la réalisation d’une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre en dehors des cas autorisés par la législation relative au travail temporaire, au motif que l’absence de personnel qualifié dans la branche concernée ne permet pas de justifier le recours à l’intérim. La société requérante n’est, par suite, pas fondée à soutenir que l’autorité de chose jugée qui s’attache au jugement du tribunal correctionnel de Rodez s’oppose à ce que l’Office français de l’immigration et de l’intégration mette à sa charge la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire prévue par l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en la regardant comme l’employeur, au sens et pour l’application de ces dispositions, des travailleurs apparemment détachés par la société Cantimetal.
10. En deuxième lieu, il est constant que les quatre travailleurs présents sur le chantier le 26 juin 2013 qui n’ont pu présenter de titres les autorisant à travailler et à séjourner en France étaient présentés comme des travailleurs détachés par l’entreprise de travail temporaire de droit portugais Cantimetal. Il résulte toutefois de l’instruction, particulièrement du procès-verbal de constat d’infraction établi par l’inspecteur du travail le 8 janvier 2014 consécutivement au contrôle du 26 juin 2013, que tant le contrat de mise à disposition conclu le 19 juillet 2012 entre la société AMSAREL et la société Cantimetal que les " contrats de mission " conclus entre ces deux sociétés concernant ces quatre travailleurs étrangers, qui étaient en réalité, ainsi que l’a relevé l’inspecteur du travail, des contrats de mise à disposition, comportaient la mention " accroissement temporaire d’activité ", sans aucune autre précision. Or il résulte de l’instruction que la société AMSAREL a eu recours, pendant une période d’au moins dix-huit mois, aux services de la société Cantimetal, les mêmes intérimaires se déplaçant sur les différents chantiers traités par la société AMSAREL à La Capelle Bleys, puis à Nîmes, enfin à Marseille, et étant donc présents en France de manière permanente, l’inspecteur précisant, du reste, qu’avant juillet 2012, cette dernière utilisait les services d’une entreprise de travail temporaire polonaise. Il ressort également des énonciations de ce procès-verbal que les dates de début et de fin de mission ne correspondaient pas à la réalité, les affectations sur différents chantiers se chevauchant dans le temps et les dates de fin de mission étant constamment modifiées, que les délais de carence entre missions n’ont pas été respectés à plusieurs reprises et que ces contrats ne comportaient pas les mentions prévues par la réglementation ainsi que les éléments détaillés de rémunération, les pièces produites lors de l’enquête n’ayant pas permis d’établir que les intérimaires percevaient certains éléments de rémunération prévus par la réglementation, tels que l’indemnité de fin de mission, l’indemnité compensatrice de congés payés ou encore les heures supplémentaires effectuées.

11. Eu égard à ces constats, qui font foi jusqu’à preuve contraire et qui au demeurant ne sont pas contestés, la société AMSA a eu manifestement recours de manière systématique et durable à des missions d’intérim sur ses différents chantiers en méconnaissance des règles régissant le recours au travail temporaire, et sans en respecter les conditions. En conséquence, c’est à bon droit que le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration l’a regardée comme débitrice de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, pour les travailleurs étrangers dépourvus de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français, qu’elle employait ainsi.

12. En troisième lieu, il résulte des dispositions précitées de l’article L. 8253-1 du code du travail et de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que les contributions qu’ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d’emploi d’un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l’autorisant à exercer une activité salariée, sans qu’un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. La société requérante, qui ne conteste pas la matérialité des faits, ne saurait dès lors, en tout état de cause, utilement se prévaloir de ce qu’elle ignorait que les salariés en cause se trouvaient en situation irrégulière ni invoquer l’absence d’éléments intentionnels dans la commission de l’infraction. En outre, eu égard à ce qui a été dit au point 9, elle ne peut utilement, pour justifier sa bonne foi, se prévaloir ni des termes de l’attestation sur l’honneur de la société d’intérim Cantimetal selon lesquels " les salariés étrangers (qu’elle) emploie et qui sont soumis à l’autorisation de travail mentionnée à l’article L. 5221-2 du code du travail figurent sur la liste nominative fournie à l’entreprise ", sans, au demeurant, produire ladite liste, ni des termes des " contrats de mission " conclus avec ladite société selon lesquelles " le prestataire garantit que le personnel intérimaire mis à disposition du client est employé régulièrement ", cette régularité s’entendant, d’ailleurs, au vu des énonciations de ces contrats, exclusivement comme l’engagement de cette société au respect de la réglementation relative au travail dissimulé et à l’accomplissement des obligations sociales.

13. En dernier lieu, aux termes de l’article 20 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : " 1. Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre. (...) / 2. Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres : / a) le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres ; (...) ". Aux termes de l’article 21 du même traité : " Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application ". Aux termes de l’article 45 de ce Traité : " 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union. (...) ". Et selon le 1 de l’article 1er du règlement (UE) n° 492/2011 : " 1. Tout ressortissant d’un État membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre État membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet État. ".

14. Il résulte de l’instruction que les quatre salariés en cause sont de nationalité sénégalaise, ukrainienne et, pour les deux derniers, guinéenne, et il n’est pas allégué qu’ils seraient parents d’un citoyen de l’Union. Dès lors, la SARL AMSA ne peut utilement soutenir que les décisions querellées méconnaissent le principe de libre circulation des travailleurs posé à l’article 45 du Traité de fonctionnement sur l’Union européenne citées au point précédent, qui ne trouve à s’appliquer qu’aux citoyens de l’Union et à leurs parents. Pour le même motif, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre État membre reconnu au 1 de l’article 1er du règlement (UE) n° 492/2011 doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL AMSA n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté le surplus de sa demande.

Sur les frais liés au litige :

16. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. ".

17. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SARL AMSA demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la SARL AMSA une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL AMSA est rejetée.
Article 2 : La SARL AMSA versera à l’Office français de l’immigration et de l’intégration une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL AMSA et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
Délibéré après l’audience du 17 mars 2021, à laquelle siégeaient :

 Mme Helmlinger, présidente de la Cour,
 M. Bocquet, président de chambre,
 M. Pocheron, président de chambre,
 M. Marcovici, président assesseur,
 M. Guidal, président assesseur,
 M. Coutier, premier conseiller,
 M. Merenne, premier conseiller.

Abstrats
335-06-02-02 ÉTRANGERS. EMPLOI DES ÉTRANGERS. MESURES INDIVIDUELLES. CONTRIBUTION SPÉCIALE DUE À RAISON DE L’EMPLOI IRRÉGULIER D’UN TRAVAILLEUR ÉTRANGER. - CONTRIBUTION SPÉCIALE PRÉVUE À L’ARTICLE L. 8253-1 DU CODE DU TRAVAIL ET CONTRIBUTION FORFAITAIRE REPRÉSENTATIVE DES FRAIS DE RÉACHEMINEMENT DE L’ÉTRANGER DANS SON PAYS D’ORIGINE PRÉVUE À L’ARTICLE L. 626-1 DU CESEDA - PRESTATION DE SERVICE INTERNATIONALE AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE - RECOURS À DES TRAVAILLEURS DÉTACHÉS EN FRANCE PAR UNE ENTREPRISE DE TRAVAIL TEMPORAIRE RELEVANT D’UN ETAT MEMBRE - APPRÉCIATION PAR LE JUGE ADMINISTRATIF DE LA RELATION DE TRAVAIL ENTRE L’ENTREPRISE UTILISATRICE ET LES TRAVAILLEURS INTÉRIMAIRES.
Résumé
335-06-02-02 D’une part, l’infraction aux dispositions précitées de l’article L. 8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l’emploi de travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français. Il appartient au juge administratif, saisi d’un recours contre une décision mettant à la charge d’un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions de l’article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l’article L 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l’employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions.,,,D’autre part, si, pour l’application de l’article L. 8253-1 du code du travail et de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’employeur d’un travailleur mis à disposition, dans le cadre prévu par l’article L. 1251-1 du code du travail, est, en principe, l’entreprise de travail temporaire et non l’entreprise utilisatrice pour l’exécution de la mission, quand bien même le travailleur se trouve placé sous la subordination hiérarchique de cette dernière, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, sous le contrôle du juge, dans le cas où le recours à la mise à disposition de travailleurs temporaires apparaît manifestement contraire aux conditions et limites prévues par les articles L. 1251-5 à L. 1251-7 de ce code, notamment lorsque l’entreprise utilisatrice a recours de façon systématique aux missions d’intérim afin de pourvoir durablement des emplois liés à son activité normale et permanente, si une relation de travail ne s’est pas nouée directement avec cette dernière.,,,La circonstance que le travailleur soit mis à disposition par une entreprise exerçant une activité de travail temporaire établie sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne, en application de l’article L. 1262-2 du code du travail, ne fait pas obstacle à une telle appréciation, quand bien même l’intéressé est titulaire d’un certificat attestant qu’il demeure soumis à la législation de sécurité sociale de cet Etat, en application des dispositions des articles 11 à 16 du règlement (CE) n° 883/2004 et de l’article 19 du règlement (CE) n° 987/2009, la Cour de justice de l’Union européenne ayant dit pour droit que : « ces certificats ne produisent (…) pas d’effet contraignant à l’égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la sécurité sociale, au sens de ces règlements, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d’emploi et de travail de ces derniers » (CJUE, 14.05.2020, Bouygues travaux publics, Elco construct Bucarest, Welbond armatures, n° C-17/19, point 48).,,[RJ1].
Renvois jurisprudentiels
[RJ1] Comp. CE, 11 octobre 1985, Société Chambourcy, n° 51125,,Rappr. CE, 15 octobre 1999, SARL Revêtements et Peintures du Midi, n° 188864,,Cf. Cass. crim., 13 novembre 2012, n° 10-80.862, Bulletin criminel 20121, n° 245,,Cf. Cass. crim., 12 janvier 2021, n° 17-82.553, Lettre de la chambre criminelle n° 7 - février 2021.