Contenu

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 1 février 2017

N° de pourvoi : 15-23723

ECLI:FR:CCASS:2017:SO00249

Non publié au bulletin

Cassation

M. Huglo (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Coutard et Munier-Apaire, SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le premier moyen :

Vu les articles 3 et 6 de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Songey Limited, immatriculée aux Iles Vierges britanniques, est propriétaire du yacht King K, battant pavillon des Iles Saint-Vincent et Grenadines, dont le port habituel d’attache est Fréjus dans le département du Var ; qu’elle a engagé Mme X... dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée, d’abord en qualité de marin de pont, puis en qualité de « stewardesse » ; que les contrats de travail stipulaient que la loi applicable en cas de litige est la loi de Saint-Vincent et des Grenadines ; que la salariée a définitivement quitté ses fonctions et le navire le 6 mai 2010 ; que le 7 mai 2010, elle a adressé une lettre au capitaine du navire dans laquelle elle se plaignait de son comportement à son égard ; qu’elle a saisi la juridiction prud’homale le 29 mars 2011 en diverses demandes ;

Attendu que pour dire que la loi française est applicable et pour requalifier les contrats de travail à durée déterminée à compter du 9 octobre 2009 en un contrat à durée indéterminée, dire que la démission de la salariée s’analyse en une prise d’acte de rupture du contrat de travail, dire que cette prise d’acte de rupture emporte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner l’employeur à payer à la salariée diverses sommes et à s’acquitter des cotisations sociales correspondant à l’emploi de celle-ci depuis le 1er février 2009, l’arrêt retient que la question de la détermination de la loi applicable, eu égard à la date de signature des contrats de travail, et au fait que les contrats prévoient tous que la loi applicable en cas de litige est la loi de Saint-Vincent et des Grenadines, relève, soit des articles 3 et 6 de la convention de Rome du 19 juin 1980 suivant lesquels le contrat est régi par la loi choisie par les parties et que ce choix ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assure les dispositions impératives de la loi qui lui serait applicable, à défaut de choix, à savoir la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, ou, si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, la loi du pays où se trouve l’établissement qui l’a embauché, soit des articles 3 et 8 du Règlement n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 suivant lesquels le contrat est régi par la loi choisie par les parties sans que ce choix puisse priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable, à savoir la loi du pays dans lequel, ou à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, ou à défaut, la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui l’a embauché, ou encore, s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays, la loi de cet autre pays, que les contrats ont été signés à Fréjus et stipulent que l’employé est engagé pour travailler sur le navire dont le port d’attache est Fréjus, que, par ailleurs, le navire n’a quitté son port d’attache, en 2009, que la journée du 20 mars, et du 11 juin au 19 août 2009, et en 2010, jusqu’au départ de Mme X..., que la journée du 25 avril, principalement pour rejoindre d’autres ports français, de sorte que la France est le pays dans lequel Mme X... a accompli habituellement son travail, et que le contrat ne présente pas de liens plus étroits avec un autre pays, ce dont il suit qu’en application des dispositions précitées, les dispositions d’ordre public de la loi française, dont font partie les dispositions du code du travail, en particulier celles relatives au contrat à durée déterminée et au licenciement, sont applicables au litige ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans justifier en quoi les dispositions impératives de la loi française, dont font partie les dispositions du code du travail, celles relatives au contrat à durée déterminée et au licenciement, seraient plus protectrices que celles de la loi choisie par les parties dans le contrat de travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 juin 2015, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Nîmes ;

Condamne Mme X... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Songey Limited.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR retenu que la loi française était applicable et d’AVOIR en conséquence requalifié les contrats de travail à durée déterminée à compter du 9 octobre 2009 en un contrat à durée indéterminée, dit que la démission de Madame X... s’analysait en une prise d’acte de rupture du contrat de travail, dit que cette prise d’acte de rupture emportait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société SONGEY LIMITED à payer à Madame X... les sommes de 3.000 euros, 3.000 euros, 300 euros (brut), 11.500 euros (brut), 3.000 euros, et de 18.000 euros ; et d’AVOIR condamné la société SONGEY LIMITED à s’acquitter des cotisations sociales correspondant à l’emploi salarié de Madame X... depuis le 1er février 2009 ;

AUX MOTIFS QUE « La question de la détermination de la loi applicable, eu égard à la date de signature des contrats de travail, et au fait que les contrats prévoient tous que la loi applicable en cas de litige est la loi de Saint-Vincent et des Grenadines, relève, soit des articles 3 et 6 de la convention de Rome du 19 juin 1980 suivant lesquels le contrat est régi par la loi choisie par les parties et ce choix ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assure les dispositions impératives de la loi qui lui serait applicable, à défaut de choix, à savoir la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, ou, si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, la loi du pays où se trouve l’établissement qui l’a embauché, soit des article 3 et 8 du Règlement nº 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 suivant lesquels le contrat est régi par la loi choisie par les parties sans que ce choix puisse priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable, à savoir la loi du pays dans lequel, ou à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, ou à défaut, la loi du pays dans lequel est situé l’établissement qui l’a embauché, ou encore, s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays, la loi de cet autre pays. Les contrats ont été signés à Fréjus et stipulent que l’employé est engagé pour travailler sur le navire dont le port d’attache est Fréjus. Par ailleurs le navire n’a quitté son port d’attache, en 2009, que la journée du 20 mars, et du 11 juin au 19 août 2009, et en 2010, jusqu’au départ de Madame X..., que la journée du 25 avril, principalement pour rejoindre d’autres ports français, de sorte que la France est le pays dans lequel Madame X... a accompli habituellement son travail, et que le contrat ne présente pas de liens plus étroits avec un autre pays, ce dont il suit qu’en application des dispositions précitées, les dispositions d’ordre public de la loi française, dont font partie les dispositions du Code du travail, en particulier celles relatives au contrat à durée déterminée et au licenciement, s’appliquent au litige » ;

ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES, EN LES SUPPOSANT ADOPTES, QUE « Sur la loi applicable : La société SONGEY LIMITED soutient que la loi applicable en la matière est celle des Iles St Vincent et Grenadines, comme stipulé à l’article 23 du contrat de travail. La société SONGEY LIMITED est domiciliée dans les Iles Vierges Britanniques. En l’espèce, le contrat de travail a été signé à Fréjus et le navire se trouvait au chantier naval de LA CIOTAT au moment de la rupture du contrat de travail. Le capitaine du bateau, Monsieur Y..., qui donne les ordres à tout l’équipage, demeure à PUGET/ARGENS et le domicile de Mme X... est situé à SAINT-RAPHAEL. Au vu du conflit de lois applicables ; loi du contrat imposée par SONGEY LIMITED et acceptée par Mme X... (St Vincent et Grenadines), loi de l’Etat du pavillon du navire (Iles Vierges Britanniques), loi du port du navire (France) Mme X... recevant toutes ses instructions de Monsieur Y..., capitaine du bateau, il convient de se rapprocher de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui rappelle que la loi d’autonomie contractuelle choisie par les contractants, imposée par l’employeur au marin, ne saurait priver le travail de la protection des dispositions impératives de la loi du lieu habituel de travail ou de celle du lieu de conclusion du contrat (C.J.U.E. 15/12/2011). Le critère du lieu habituel de travail est prioritaire même en cas de travail mobile. Le lieu habituel de travail est déterminé par le lieu de conclusion du contrat de travail. Mme X... a signé le contrat à FREJUS et recevait toutes ses instructions à PUGET/SUR/ARGENS relève du droit français en matière de rupture de la relation de travail » ;

ALORS, D’UNE PART, QU’en retenant que « la question de la détermination de la loi applicable (…) relève soit des articles 3 et 6 de la convention de ROME du 19 juin 1980 », « soit des articles 3 et 8 du règlement n° 593/2008 du Parlement européen et du conseil du 17 juin 2008 » (arrêt p. 4 § 1), sans préciser sur lesquels de ces textes elle s’est fondée pour dire que la loi française était applicable au présent litige, la cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle, a violé l’article 12 du code de procédure civile ;

ALORS, D’AUTRE PART ET EN TOUTE HYPOTHESE, QU’aux termes de l’article 6 § 1 de la convention de Rome du 19 juin 1980, le choix par les parties de la loi applicable dans le contrat de travail ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du présent article ; que les dispositions impératives de la loi d’exécution habituelle du contrat de travail n’ont toutefois vocation à prévaloir sur la loi d’autonomie prévue dans le contrat de travail qu’à la condition qu’elles s’avèrent plus protectrices pour le salarié concerné ; que, tel qu’il ressort des constatations de l’arrêt, l’article 23 du contrat de travail prévoit que la loi applicable était celle des Iles ST VINCENT et GRENADINES ; qu’en se bornant à constater que la FRANCE est le pays dans lequel Madame X... accomplit habituellement son travail pour juger que « les dispositions d’ordre public de la loi française, dont font partie les dispositions du Code du travail, en particulier celles relatives au contrat à durée déterminée et au licenciement, s’appliquent au litige », sans constater, ni justifier en quoi les dispositions impératives de la loi française seraient plus protectrices que celles de la loi choisie par les parties dans le contrat de travail, c’est à dire la loi des Iles ST VINCENT et GRENADINES, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR requalifié les contrats de travail à durée déterminée à compter du 9 octobre 2009 en un contrat à durée indéterminée et d’AVOIR condamné la société SONGEY LIMITED a payer à Madame X... la somme de 3.000 € à ce titre ;

AUX MOTIFS QUE « à la demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la société SONGEY oppose vainement que dans le domaine maritime, s’agissant de navires affectés à l’activité de charters, les contrats de travail ne sont jamais destinés à pourvoir un emploi permanent et qu’il s’agit toujours d’emplois saisonniers, quand Madame X... n’a pas été engagée pour une, voire plusieurs saisons, ou encore pour les besoins d’une ou plusieurs activités de charters, mais en dernier lieu pour une durée ininterrompue du 9 octobre 2009 au 15 septembre 2010, et quand du 9 octobre 2009 au 6 mai 2010, le navire n’a navigué que du 11 juin au 19 août 2009, et la journée du 25 avril 2010, ce dont il suit qu’elle l’a été pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Les contrats de travail se rapportant à cette période seront donc requalifiés en contrat à durée indéterminée, ce qui ouvre droit, par application de l’article L.1245-2 alinéa 2 du code du travail, à l’allocation au profit de Madame X... d’une indemnité de 3.000 euros » ;

ALORS, D’UNE PART, QUE la seule répétition de contrats à durée déterminée ne suffit pas à caractériser la nature permanente de l’emploi et le besoin structurel de main-d’oeuvre ; qu’en se bornant à constater que « Madame X... n’a pas été engagée pour une, voire plusieurs saisons, ou encore pour les besoins d’une ou plusieurs activités de charters, mais en dernier lieu pour une durée ininterrompue du 9 octobre 2009 au 15 septembre 2010, et quand du 9 octobre 2009 au 6 mai 2010, le navire n’a navigué que du 11 juin au 19 août 2009, et la journée du 25 avril 2010 », pour en déduire qu’elle avait été employée pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, cependant que le fait d’avoir employé la salariée pendant 12 mois consécutifs n’était pas en soi de nature à conférer au contrat de travail une nature permanente, la cour d’appel a violé les articles L1242-1, L1242-2, L1245-1 et L1245-2 du code du travail ;

ALORS, D’AUTRE PART ET POUR LA MEME RAISON, QU’en vertu des articles L. 1242-8 à L. 1242-13 du code du travail la durée totale du contrat de travail à durée déterminée ne peut excéder 18 mois compte tenu, le cas échéant, de son renouvellement ; que pour faire droit à la demande de requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée la cour d’appel a retenu que « Madame X... n’a pas été engagée pour une, voire plusieurs saisons, ou encore pour les besoins d’une ou plusieurs activités de charters, mais en dernier lieu pour une durée ininterrompue du 9 octobre 2009 au 15 septembre 2010 », c’est à dire pour une durée de 12 mois inférieure à la durée maximale de 18 mois ; qu’en statuant ainsi, par des motifs d’où il ne s’inférait pas que la salariée avait été employée « pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise », la cour d’appel a violé les articles L. 1242-1, L. 1242-2, L. 1242-8, L. 1245-1 et L. 1245-2 du code du travail ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE la navigation ou l’absence de navigation du navire sur lequel travail le salarié est sans incidence sur la nature ou non temporaire de son emploi ; qu’en se fondant encore sur le motif inopérant selon lequel « du 9 octobre 2009 au 6 mai 2010, le navire n’a navigué que du 11 juin au 19 août 2009, et la journée du 25 avril 2010 » pour faire droit à la demande de requalification en contrat de travail à durée indéterminée, la cour d’appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1245-1 et L. 1245-2 du code du travail, et l’article 1134 du code civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que la démission de la salariée s’analysait en une prise d’acte de rupture du contrat de travail, d’AVOIR dit que cette prise d’acte de rupture emportait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’AVOIR condamné la société SONGEY LIMITED à payer à la salariée les sommes de 3.000 euros, 300 euros, 11.500 euros et 3.000 € à ce titre ;

AUX MOTIFS QUE « la démission de Madame X... revêt un caractère équivoque à la lecture de son courriel précité du 7 mai 2010 et s’analyse ainsi en une prise d’acte de rupture de son contrat de travail. La matérialité de la plupart des griefs, notamment ceux relatifs à un harcèlement moral, ne sont pas établis par les témoignages fournis par Madame X..., qui, peu nombreux, sont rédigés en termes généraux et insuffisamment précis. Sont établis toutefois, par le témoignage de Monsieur Loïc Z..., le fait que Madame X... n’a pas été rendue destinataire, en dépit de ses réclamations, et contrairement au reste de l’équipage, de son dernier contrat d’embarquement, et l’envoi le 19 novembre 2009 par le capitaine du navire, Monsieur Y..., d’un courriel sur une boîte électronique « Mikvilla », mentionnant en objet : « Encore du Q adulte X only », au sujet de laquelle Madame X... indique sans être contestée que cette boîte était celle du bureau dans lequel elle travaillait, ce dont elle est en droit de conclure que ce courriel lui était destiné et qu’il constituait à son endroit une humiliation à caractère sexuel. L’ensemble de ces faits font présumer un harcèlement, au sujet duquel la société SONGEY n’apporte aucune démonstration de ce que ces agissements auraient été justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. La société SONGEY reconnaît par ailleurs qu’il avait été demandé à Madame X... d’exercer les fonctions de cuisinier de bord à compter du mois de janvier 2009, en plus des fonctions pour lesquelles elle avait été engagée, et cette dernière est fondée à estimer qu’elle aurait dû percevoir une compensation financière, ce qui n’a pas été le cas. Elle est encore fondée à faire grief à la société SONGEY d’avoir méconnu son obligation de la déclarer aux divers organismes sociaux français. Il suit de ce qui précède que la prise d’acte de rupture, qui a été causée par des agissements suffisamment graves de l’employeur, doit emporter les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui entraîne, en faveur de Madame X..., les conséquences financières suivantes : - indemnité compensatrice de préavis : 3.000 euros (brut), - indemnité compensatrice de congés payés y afférents : 300 euros (brut), - indemnité légale de licenciement : aucune, Madame X... n’ayant pas eu à la date de la rupture une année d’ancienneté ininterrompue (article L.1234-9 du Code du travail), - dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, eu égard à l’ancienneté de Madame X... à la date de la rupture, à sa situation économique : 11.500 euros ; Madame X... est encore fondée à demander réparation de son préjudice résulté du harcèlement dont elle a été victime à hauteur d’une somme de 3.000 euros » ;

ALORS, D’UNE PART, QU’en se bornant à retenir, après avoir reproché à l’employeur de ne pas avoir adressé à la salariée son dernier contrat d’embarquement et d’avoir envoyé un courriel à connotation sexuelle sur une boîte de courrier électronique, que « ces faits font présumer un harcèlement », sans préciser si elle avait entendu retenir l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ou un harcèlement sexuel au sens de l’article L. 1153-1 du code du travail, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et a violé l’article 12 du code de procédure civile ;

ALORS, D’AUTRE PART ET A TITRE SUBSIDIAIRE, QUE le harcèlement sexuel est constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à la dignité de la victime en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; qu’en se bornant à relever, à supposer qu’elle ait entendu relever l’existence d’un harcèlement sexuel, « l’envoi le 19 novembre 2009 par le capitaine du navire, Monsieur Y..., d’un courriel sur une boîte électronique « Mikvilla », mentionnant en objet : « Encore du Q adulte X only », au sujet de laquelle Madame X... indique sans être contestée que cette boîte était celle du bureau dans lequel elle travaillait, ce dont elle est en droit de conclure que ce courriel lui était destiné et qu’il constituait à son endroit une humiliation à caractère sexuel », cependant qu’un tel acte isolé ne pouvait caractériser des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L. 1153-1 du code du travail ;

ALORS, DE TROISIEME PART ET A TITRE SUBSIDIAIRE, QUE ne peuvent constituer un harcèlement moral que les agissements ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu’aussi en se bornant à relever, à supposer qu’elle ait entendu relever l’existence d’un harcèlement moral, la non-remise par l’employeur à la salariée de son dernier contrat d’embarquement, cependant qu’un tel fait isolé ne pouvait constituer, faute de répétition, un harcèlement moral, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail ;

ALORS, ENFIN ET A TITRE PLUS SUBSIDIAIRE, QUE seul un manquement de l’employeur de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail peut justifier la prise d’acte, par le salarié, de la rupture de son contrat, ou une demande de résiliation judiciaire de celui-ci, équivalent à un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu’en se bornant à faire état du « harcèlement » de Madame X..., de l’absence de compensation financière de ses activités de cuisinière et de son absence de déclaration auprès d’organismes de sécurité sociale pour faire droit à sa demande de prise d’acte de la rupture, sans constater, ni rechercher si les manquements reproché à l’employeur étaient, au regard des circonstances de l’espèce, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1231-1 du code du travail.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR condamné la société SONGEY LIMITED à payer à Madame X... la somme de 18.000 euros ;

AUX MOTIFS QUE « le caractère intentionnel de la dissimulation par la société SONGEY du travail de Madame X... découle de l’établissement d’un contrat de travail soumis artificiellement à une loi étrangère, sans rapport avec le lieu de son établissement, ni même avec le pays d’immatriculation du navire, alors que le port d’attache du navire était situé en France, et que l’ensemble de l’équipage, dont le capitaine, était français. Madame X... est donc en droit d’obtenir une indemnité de 18.000 euros en application de l’article L.8223-1 du Code du travail » ;

ALORS QU’en vertu de l’article L. 8221-5 du code du travail, le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié n’est caractérisé que lorsque l’employeur s’est soustrait à l’accomplissement des formalités prévues aux articles L. 1221-10 et L. 3243-2 du code du travail de manière intentionnelle ; que le fait de choisir comme loi applicable au contrat une loi étrangère ne saurait caractériser, à lui seul, l’existence d’un travail dissimulé ; qu’il incombe donc aux juges du fond de motiver leur décision par des éléments de fait susceptibles de caractériser une véritable intention frauduleuse de l’employeur ; que pour retenir la dissimulation d’emploi salarié, la cour d’appel s’est bornée à retenir que « le caractère intentionnel de la dissimulation par la société SONGEY du travail de Madame X... découle de l’établissement d’un contrat de travail soumis artificiellement à une loi étrangère, sans rapport avec le lieu de son établissement, ni même avec le pays d’immatriculation du navire, alors que le port d’attache du navire était situé en FRANCE, et que l’ensemble de l’équipage, dont le capitaine, était français » ; qu’en déduisant ainsi l’existence d’une dissimulation intentionnelle d’activité du seul constat du choix par les parties d’une loi étrangère comme loi applicable au contrat de travail, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 8221-3, L. 8221-5, L.8223-1 et L. 8223-2 du code du travail ;

CINQUIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR condamné la société SONGEY LIMITED à s’acquitter des cotisation sociales correspondant à l’emploi salarié de Madame Brigitte X... depuis le 1er février 2009.

AUX MOTIFS QUE « il y a lieu de condamner la société SONGEY à s’acquitter des cotisations sociales correspondant à l’emploi salarié de Madame X... depuis le 1er février 2009, sans qu’il y ait lieu dès à présent à astreinte. Il n’ya pas lieu de transmettre le jugement à l’URSSAF. La cour constate que Madame X... ne demande pas la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné la société SONGEY à lui remettre sous astreinte des documents sociaux. »

ALORS, D’UNE PART, QUE tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu’en retenant péremptoirement qu’ « il y a lieu de condamner la société SONGEY à s’acquitter des cotisations sociales correspondant à l’emploi salarié de Madame X... depuis le 1er février 2009 », sans aucunement motiver décision sur ce point - c’est à dire sans justifier en quoi les activités de Madame X... sur le navire de la société relevaient d’un régime de sécurité sociale français -, ce ne serait-ce que sommairement, la cour d’appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;

ALORS, D’UNE PART, QU’en vertu des articles L. 311-2 et R. 142-19 du code de la sécurité sociale, la juridiction saisie d’un conflit d’assujettissement doit appeler d’office tous les organismes de sécurité sociale concernés ; qu’en retenant qu’ « il y a lieu de condamner la société SONGEY à s’acquitter des cotisations sociales correspondant à l’emploi salarié de Madame X... depuis le 1er février 2009 », la cour d’appel, qui a décidé en cela que les activités de Madame X... ouvraient droit à cotisations au régime de sécurité sociale français, sans appeler en la cause les organismes de sécurité sociale français, a violé les articles L. 311-2 et R. 142-19 du code de la sécurité sociale.

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE l’organisme collecteur des cotisations et contributions sociales des marins est l’ENIM ; qu’il n’est possible d’affilier un marin à l’ENIM que si le navire vogue sous pavillon français, si l’armateur à son siège social en FRANCE, ou si le marin est employé par une entreprise de travail maritime agrée en FRANCE ; qu’en condamnant la société SONGEY à s’acquitter des cotisations sociales correspondant à l’emploi de Madame X... depuis le 1er février 2009 sans vérifier si l’une de ces conditions était remplie, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article R. 711-1 et L. 134-4 et L. 134-5 du Code de la sécurité sociale.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 23 juin 2015