Chantier association religieuse - salarié oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 27 septembre 1989

N° de pourvoi : 88-81182

Publié au bulletin

Rejet

Président :M. Le Gunehec, président

Rapporteur :Mme Guirimand, conseiller apporteur

Avocat général :M. Rabut, avocat général

Avocat :la SCP Riché, Blondel et Thomas-Raquin, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET du pourvoi formé par X... Jean-Claude, contre l’arrêt de la cour d’appel de Pau, chambre des appels correctionnels, en date du 3 février 1988, qui pour infraction à la réglementation concernant la sécurité des travailleurs, l’a condamné à trois amendes de 1 000 francs chacune, avec sursis.

LA COUR,.

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles L. 263-2, L. 263-6, L. 231-2 du Code du travail, des articles 107, 115 et 148 du décret du 8 janvier 1965, ensemble violation de l’article 593 du Code de procédure pénale :

” en ce que, l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré l’abbé Mercier coupable d’avoir enfreint la législation en matière d’hygiène et de sécurité du travail, à l’égard de trois “ ouvriers “ et de l’avoir en conséquence condamné à trois amendes de 1 000 francs chacune ;

” aux motifs qu’il résulte des pièces de la procédure et des débats que lors des visites du chantier par l’inspection du Travail, il a été constaté et déclaré que les ouvriers utilisaient du matériel et des matériaux fournis par le prévenu ; qu’ils étaient encadrés par un dénommé Georges et par le père de l’abbé Mercier ; qu’ils respectaient des horaires précis ; qu’ils étaient logés, nourris et pourvus en argent de poche par le prévenu ; que leur équipement individuel était fourni par le prévenu ;

” et qu’il existait donc bien un lien de subordination entre l’abbé Mercier et les ouvriers qu’il utilisait, lesquels se trouvaient dans un état de dépendance économique et juridique ;

” que la seule volonté des parties est impuissante à soustraire les travailleurs au statut social qui découle nécessairement des conclusions d’accomplissement de leur tâche ;

” que la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité du travail est d’ordre public et qu’il ne peut y être dérogé de la seule intention des particuliers ;

” alors que, d’une part, n’est pas caractérisé le lien de subordination directe des personnes recueillies et ayant participé à la restauration de l’abbaye de Tarasteix avec le père Jean-Claude X..., puisque la cour d’appel se borne à constater que les “ ouvriers “ étaient encadrés par un dénommé Georges et par le père de l’abbé Mercier ; qu’ainsi l’arrêt se trouve insuffisamment motivé au regard des textes visés au moyen ;

” alors que, d’autre part, le fait pour des personnes hébergées à l’abbaye de Tarasteix d’être nourries et pourvues en argent de poche par le père Jean-Claude X..., caractérise certes un secours mais ne permet pas de déduire l’existence d’une rémunération ou d’un salaire au sens technique du terme, élément essentiel du contrat de travail ; qu’en décidant le contraire, sans s’expliquer davantage sur la nature et la consistance des rémunérations perçues, la Cour viole les textes susvisés ;

” et alors enfin qu’il appartenait à la cour d’appel en l’état des pièces et du dossier qu’elle vise et des débats, de rechercher si Jean-Claude X... ne recueillait pas temporairement des personnes traversant une phase difficile de leur existence et dont les institutions officielles ne voulaient plus, dans une perspective de pure charité, en se bornant à mettre à la disposition desdites personnes qui devaient nécessairement respecter un certain horaire, un équipement, du matériel et des matériaux, charité en elle-même antinomique avec un contrat de travail ; qu’ainsi l’arrêt attaqué se trouve à nouveau insuffisamment motivé au regard des textes visés au moyen “ ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que le 28 avril 1986, un contrôleur du Travail, visitant le chantier de l’association de l’abbaye Notre-Dame de Tarasteix (Hautes-Pyrénées), dont Jean-Claude X... avait entrepris la restauration, a constaté que les escaliers et échafaudages fixes utilisés n’étaient pas conformes aux prescriptions du décret du 8 janvier 1965 concernant les mesures particulières de protection et de salubrité applicables aux établissements dont le personnel exécute des travaux du bâtiment et que 3 ouvriers, qui obéissaient aux instructions de personnes agissant pour le compte de Jean-Claude X..., travaillaient en étant exposés à des risques de chute dans le vide ;

Attendu que cité devant la juridiction répressive sur le fondement des articles 107, 115 et 148 du décret susvisé, Jean-Claude X... a sollicité sa relaxe en soutenant qu’agissant dans un but charitable, il avait eu recours aux services de personnes bénévoles n’étant pas ses salariés et qu’en conséquence, la réglementation instituée en matière d’hygiène et de sécurité ne devait pas recevoir application ;

Attendu que pour infirmer le jugement entrepris qui avait accueilli cette argumentation et pour déclarer la prévention établie, la cour d’appel relève que les travailleurs en cause, qui utilisaient l’outillage et les matériaux fournis par Jean-Claude X..., étaient occupés selon des horaires précis, travaillaient sous le contrôle du personnel d’encadrement de l’abbaye et recevaient du prévenu, en contrepartie, un logement, de la nourriture et quelques subsides ;

Attendu que les juges du second degré déduisent de ces éléments que les ouvriers concernés se trouvaient dans un état de dépendance économique et de subordination juridique caractérisant l’existence de contrats de travail et que, quelle qu’ait été l’intention des parties, il ne pouvait être dérogé à la réglementation définie par le décret du 8 janvier 1965, celle-ci étant d’ordre public ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs exempts d’insuffisance, la cour d’appel a, sans encourir les griefs allégués au moyen, justifié sa décision au regard tant des dispositions de l’article L. 231-1 du Code du travail, applicables en l’espèce, que des prescriptions des articles 1, 107, 115 et 148 du décret du 8 janvier 1965 auxquelles il appartenait au demandeur, en sa qualité de chef d’établissement, de satisfaire ;

Qu’il s’ensuit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi

Publication : Bulletin criminel 1989 N° 332 p. 807

Décision attaquée : Cour d’appel de Pau (chambre correctionnelle), du 3 février 1988

Titrages et résumés : TRAVAIL - Hygiène et sécurité des travailleurs - Réglementation - Domaine d’application - Cas En droit du travail, il appartient aux juges du fond d’interpréter les contrats liant le chef d’entreprise aux travailleurs dont il utilise les services, afin de restituer à ces contrats leur véritable nature juridique. La seule volonté des parties est, en effet, impuissante à soustraire les travailleurs au statut social découlant nécessairement des conditions d’exécution de leurs tâches. Justifie, en conséquence, sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer coupable d’infractions au décret du 8 janvier 1965 le responsable des travaux d’une abbaye ayant eu recours, selon ses dires, aux services de personnes bénévoles recueillies à titre charitable, relève que les ouvriers concernés avaient, en réalité, oeuvré sous le contrôle du personnel d’encadrement de l’abbaye, en utilisant le matériel fourni par le prévenu, et avaient reçu de celui-ci, en contrepartie de leur travail, un logement, de la nourriture et des subsides. C’est à bon droit que les juges du fond déduisent de ces constatations que les travailleurs en cause se trouvaient dans un état de dépendance économique et de subordination juridique caractérisant l’existence de contrats de travail, et qu’ainsi les dispositions du décret du 8 janvier 1965 s’imposaient au prévenu, en sa qualité de chef d’un établissement entrant dans les prévisions de l’article L. 231-1 du Code du travail (1).

TRAVAIL - Contrat de travail - Définition - Lien de subordination - Portée - Réglementation en matière d’hygiène et de sécurité (décret du 8 janvier 1965)

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). (1) Cf. Assemblée Plénière, 1983-03-04 , Bulletin 1983, Ass. Plén., n° 3, p. 5 (cassation) ; Chambre criminelle, 1985-10-29 , Bulletin criminel 1985, n° 335, p. 858 (rejet).

Textes appliqués :
Décret 65-48 1965-01-08 art. 107, art. 115, art. 148