Question préjudicielle DPAE à CJUE Bouygues

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 8 janvier 2019

N° de pourvoi : 17-82553

ECLI:FR:CCASS:2019:CR03314

Non publié au bulletin

Sursis a statuer

M. Soulard (président), président

SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par

La société Bouygues travaux publics,

La société Elco construct Bucarest,

La société Welbond armatures,

contre l’arrêt de la cour d’appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 20 mars 2017, qui, pour recours aux services de travailleurs dissimulés et prêt illicite de main d’oeuvre a condamné la première à 29 950 euros d’amende et la troisième à 15 000 euros d’amende et, pour travail dissimulé, a condamné la deuxième à 60 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 27 novembre 2018 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, MM. Ricard, Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, conseillers de la chambre ;

Avocat général : Mme Le Dimna ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller Parlos, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général Le Dimna ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires et les observations complémentaires produits ;

Exposé du litige

1. La société Bouygues travaux publics, ayant obtenu l’attribution de marchés pour la construction, à Flamanville, d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération EPR, a constitué pour leur exécution, avec deux autres entreprises, une société en participation, laquelle a sous-traité à un groupement d’intérêt économique composé, notamment, de la société Welbond Armatures (la société Welbond). Ce groupement a eu recours à d’autres sous-traitants, dont la société Elco Construct Bucarest (la société Elco), et à une société de travail temporaire Atlanco Limited (la société Atlanco).

2. Après une dénonciation sur les conditions d’hébergement de travailleurs étrangers, un mouvement de grève de salariés intérimaires polonais portant sur l’absence ou l’insuffisance de couverture sociale en cas d’accident, ainsi que la révélation de plus d’une centaine d’accidents du travail non déclarés, et l’enquête menée par l’Autorité de sûreté nucléaire, puis par les services de police, les sociétés Bouygues, Welbond et Elco ont été poursuivies pour des faits compris entre juin 2008 et octobre 2012, notamment, des chefs de recours aux services de travailleurs dissimulés et prêt illicite de main d’oeuvre pour les deux premières et de travail dissimulé pour la troisième.

3. La société Elco a soutenu qu’elle avait fourni à l’Etat d’accueil les attestations E 101 (devenues certificats A1) attestant de la législation applicable au régime de sécurité sociale pour les salariés qu’elle avait détachés en France, et que, par conséquent, il existait une présomption de régularité de ces détachements.

4. Pour déclarer la société Elco coupable du délit de travail dissimulé pour avoir omis de procéder aux déclarations nominatives préalables à l’embauche de salariés et aux déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales, la cour d’appel constate que, tout d’abord, la très grande majorité des salariés a été embauchée par la société dans le seul but de venir en France, sur le chantier de l’EPR, quelques jours avant leur départ, la plupart d’entre eux n’ayant pas travaillé ou ne travaillant que récemment pour la société Elco, ensuite que l’activité de celle-ci dans son pays d’origine est devenue accessoire par rapport à l’activité en France, spécialement sur le chantier de l’EPR, le chiffre d’affaires réalisé en France passant à 67% en 2009, 70% en 2010 et 60% en 2011, pendant que celui réalisé en Roumanie était de 17% en 2009 et 2% en 2011, enfin, la gestion administrative des salariés dits détachés n’était pas assurée par la société roumaine, certains détachements ayant duré plus de vingt-quatre mois. La cour d’appel en déduit que la société Elco a eu, en France, une activité habituelle, stable et continue, pour laquelle elle avait recruté, dans cette seule perspective, différents salariés, ce qui ne l’autorisait pas à se prévaloir de la législation sur les détachements.

5. Les juges relèvent aussi que l’absence des déclarations préalables à l’embauche n’est pas contestée et ajoutent que l’objectif poursuivi par la société Elco a été, avant tout, la recherche d’un profit en jouant sur le coût du travail en Europe, cette fraude sociale ayant touché, d’une part les salariés concernés, d’autre part les sociétés françaises qui ont subi une concurrence déloyale.

6. Pour déclarer les sociétés Bouygues travaux publics et Welbond coupables des chefs de recours aux services de travailleurs dissimulés, mis à disposition par la société Atlanco, et prêt illicite de main d’oeuvre, après avoir relevé qu’une société, dont le siège est en Irlande, a, par l’intermédiaire de sa filiale chypriote Atlanco et d’un bureau de cette filiale en Pologne, laquelle n’avait aucune activité dans l’un de ces trois pays, recruté des travailleurs polonais, en leur faisant signer un contrat rédigé en grec, en vue de leur mise à disposition de sociétés françaises, grâce à l’intermédiation de deux salariés, basés à Dublin et travaillant en France, de cette filiale chypriote, qui n’était pas immatriculée au registre du commerce, la cour d’appel énonce que les sociétés Bouygues et Welbond ont demandé à la société Atlanco les pièces et documents relatifs aux travailleurs intérimaires sur le site, notamment les certificats E 101 ou A 1, sans en obtenir une communication complète et en poursuivant l’emploi de travailleurs polonais pour lesquels ces certificats n’avaient pas été transmis.

7. Les juges relèvent que, pour disposer d’une main-d’oeuvre indispensable au bon déroulement du chantier, qui avait pris un retard considérable, les sociétés Bouygues et Welbond, agissant, la première, par l’entremise du directeur du projet relatif aux lots pour lesquels cette mise à disposition a été réalisée, la seconde, par celle de son dirigeant de droit, qui n’a consenti aucune délégation de pouvoir, ont eu recours à des travailleurs intérimaires polonais en connaissant les conditions de leur recrutement et de leur présence sur le site. Ils ajoutent que ces sociétés ont fait appel à une main-d’oeuvre temporaire, tout en sachant que la société Atlanco ne respectait pas le cadre légal du travail temporaire.

8. Ayant formé un pourvoi en cassation, les sociétés Bouygues, Welbond et Elco font valoir que la cour d’appel a méconnu les effets attachés aux certificats E 101 devenus A 1.

Réglementation applicable

9. Selon l’article L. 8221-1 du code du travail, sont interdits :

1°) Le travail totalement ou partiellement dissimulé, défini et exercé dans les conditions prévues aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;

2°) La publicité, par quelque moyen que ce soit, tendant à favoriser, en toute connaissance de cause, le travail dissimulé ;

3°) Le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé.

10. La méconnaissance de cette interdiction est punie d’un emprisonnement de trois ans et d’une amende de 45 000 euros (article L. 8224-1 du code du travail).

11. Aux termes de l’article L. 8221-3 du même code, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’activité, l’exercice à but lucratif d’une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations :

1°) Soit n’a pas demandé son immatriculation au répertoire des métiers ou, dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, au registre des entreprises ou au registre du commerce et des sociétés, lorsque celle-ci est obligatoire, ou a poursuivi son activité après refus d’immatriculation, ou postérieurement à une radiation ;

2°) Soit n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur. Cette situation peut notamment résulter de la non-déclaration d’une partie de son chiffre d’affaires ou de ses revenus ou de la continuation d’activité après avoir été radié par les organismes de protection sociale en application de l’article L. 133-6-7-1 du code de la sécurité sociale.

12. Il résulte également de l’article L. 8221-5 dudit code qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1°) Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2°) Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3°) Soit de ne pas accomplir auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci (en vigueur du 22 décembre 2010 au 18 juin 2011) ;

3°) Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales (en vigueur du 18 juin 2011 au 10 août 2016).

13. La situation des salariés embauchés par les sociétés dans leur Etat d’origine et envoyés dans l’Etat d’accueil fait l’objet de dispositions communautaires. En effet, le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa dernière version consolidée, dispose :

”Article 13 : Règles générales

1. Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre.

Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.

2. Sous réserve des articles 14 à 17 : / (...) /a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat, même si elle réside sur le territoire d’un autre Etat membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre Etat membre (...) ;

Art. 14 : Règles particulières applicables aux personnes autres que les gens de mer, exerçant une activité salariée. La règle énoncée à l’art. 13 par. 2 point a) est appliquée compte tenu des exceptions et particularités suivantes :

1) a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise sur le territoire d’un autre Etat membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier Etat membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois et qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne parvenue au terme de la période de son détachement

b) si la durée du travail à effectuer se prolonge en raison de circonstances imprévisibles au-delà de la durée primitivement prévue et vient à excéder douze mois, la législation du premier État membre demeure applicable jusqu’à l’achèvement de ce travail, à condition que l’autorité compétente de l’État membre sur le territoire duquel l’intéressé est détaché ou l’organisme désigné par cette autorité ait donné son accord ; cet accord doit être sollicité avant la fin de la période initiale de douze mois. Toutefois, cet accord ne peut être donné pour une période excédant douze mois ;

2) La personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation déterminée comme suit :

a) la personne qui fait partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant, pour le compte d’autrui ou pour son propre compte, des transports internationaux de passagers ou de marchandises par voies ferroviaire, routière, aérienne ou batelière et ayant son siège sur le territoire d’un État membre, est soumise à la législation de ce dernier État. Toutefois :

i) la personne occupée par une succursale ou une représentation permanente que ladite entreprise possède sur le territoire d’un État membre autre que celui où elle a son siège est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel cette succursale ou représentation permanente se trouve ;

ii) la personne occupée de manière prépondérante sur le territoire de l’État membre où elle réside est soumise à la législation de cet État, même si l’entreprise qui l’occupe n’a ni siège, ni succursale, ni représentation permanente sur ce territoire ;

b) la personne autre que celle visée au point a) est soumise :

i) à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle réside, si elle exerce une partie de son activité sur ce territoire ou si elle relève de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs ayant leur siège ou leur domicile sur le territoire de différents États membres ;

ii) à la législation de l’État membre sur le territoire duquel l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile, si elle ne réside pas sur le territoire de l’un des États membres où elle exerce son activité”.

14. Le règlement n° 1408/71 a été abrogé et remplacé, à compter du 1er mai 2010, par le règlement n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, dont l’article 12 dispose :

”1.La personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne.

2. La personne qui exerce normalement une activité non salariée dans un État membre et qui part effectuer une activité semblable dans un autre État membre demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de cette activité n’excède pas vingt-quatre mois.

15. L’article 13 régit l’exercice d’activités dans deux ou plusieurs États membres :

”1. La personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise :

a) à la législation de l’État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre ou si elle dépend de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs ayant leur siège social ou leur siège d’exploitation dans différents États membres, ou b) à la législation de l’État membre dans lequel l’entreprise ou l’employeur qui l’emploie a son siège ou son domicile, si la personne n’exerce pas une partie substantielle de ses activités dans l’État membre de résidence.

2. La personne qui exerce normalement une activité non salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise :

a) à la législation de l’État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre, ou b) à la législation de l’État membre dans lequel se situe le centre d’intérêt de ses activités, si la personne ne réside pas dans l’un des États membres où elle exerce une partie substantielle de son activité.

3. La personne qui exerce normalement une activité salariée et une activité non salariée dans différents États membres est soumise à la législation de l’État membre dans lequel elle exerce une activité salariée ou, si elle exerce une telle activité dans deux ou plusieurs États membres, à la législation déterminée conformément au paragraphe 1.

4. Une personne employée comme fonctionnaire dans un État membre et qui exerce une activité salariée et/ou non salariée dans un ou plusieurs autres États membres est soumise à la législation de l’État membre dont relève l’administration qui l’emploie.

5. Les personnes visées aux paragraphes 1 à 4 sont traitées, aux fins de la législation déterminée conformément à ces dispositions, comme si elles exerçaient l’ensemble de leurs activités salariées ou non salariées et percevaient la totalité de leurs revenus dans l’État membre concerné.

16. Le règlement n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa dernière version consolidée, disposait :

”Article 11 : Formalités en cas de détachement d’un travailleur salarié en application de l’art. 14, par. 1, et de l’art. 14 ter, par. 1, du règlement en cas d’accords conclus en application de l’art. 17 du règlement

1. L’institution désignée par l’autorité compétente de l’Etat membre dont la législation reste applicable délivre un certificat attestant que le travailleur salarié demeure soumis à cette législation et indiquant jusqu’à quelle date (...)”.

17. Le règlement n° 574/72 a été abrogé et remplacé, à compter du 1er mai 2010, par le règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004, lequel dispose :

”Article 14 : Précisions relatives aux articles 12 et 13 du règlement de base [....] 5. Aux fins de l’application de l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, une personne qui « exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres » désigne en particulier une personne qui : a) tout en maintenant une activité dans un État membre, en exerce simultanément une autre, distincte, dans un ou plusieurs autres États membres, quelles que soient la durée ou la nature de cette activité distincte ;

b) exerce en permanence des activités alternantes, à condition qu’il ne s’agisse pas d’activités marginales, dans deux États membres ou plus, quelles que soient la fréquence ou la régularité de l’alternance.

Article 15 : Procédure pour l’application de l’article 11, paragraphe 3, points b) et d), de l’article 11, paragraphe 4, et de l’article 12 du règlement de base (sur la fourniture d’informations aux institutions concernées)

”1. Sauf disposition contraire de l’article 16 du règlement d’application, lorsqu’une personne exerce son activité dans un État membre autre que l’État membre compétent conformément au titre II du règlement de base, l’employeur ou, si la personne n’exerce pas une activité salariée, la personne concernée en informe, préalablement lorsque c’est possible, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable. Cette institution remet à la personne concernée l’attestation visée à l’article 19, paragraphe 2, du règlement d’exécution et met sans délai à la disposition de l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre où l’activité est exercée des informations sur la législation applicable à ladite personne, conformément à l’article 11, paragraphe 3, point b), ou à l’article 12 du règlement de base”.

Article 19 : Information des personnes concernées et des employeurs “(...) 2. À la demande de la personne concernée ou de l’employeur, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu d’une disposition du titre II du règlement de base atteste que cette législation est applicable et indique, le cas échéant, jusqu’à quelle date et à quelles conditions”.

18. L’attestation, appelée certificat E 101 ou “attestation concernant la législation applicable”, correspondait à un formulaire-type rédigé par la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, visée par le titre IV du règlement n° 1408/71. À partir du 1er mai 2010, ce certificat est devenu, sous l’empire des nouveaux règlements n° 883/2004 et n° 987/2009, le document portable A1.

Présentation et enjeux de la question

19. Il se déduit des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne du 27 avril 2017 (A-Rosa Flussschiff GmbH, n° C-620/15) et du 6 février 2018 (Ömer Y..., n° C- 359/16) que le juge, lorsqu’il est saisi de poursuites pénales du chef de travail dissimulé, pour défaut de déclarations aux organismes de protection sociale, et que la personne poursuivie produit des certificats E101, devenus A1, à l’égard des travailleurs concernés, délivrés au titre de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71, ne peut, à l’issue du débat contradictoire, écarter lesdits certificats que si, sur la base de l’examen des éléments concrets recueillis au cours de l’enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement et que l’institution émettrice saisie s’était abstenue de prendre en compte, dans un délai raisonnable, il caractérise une fraude constituée, dans son élément objectif, par l’absence de respect des conditions prévues à la disposition précitée et, dans son élément subjectif, par l’intention de la personne poursuivie de contourner ou d’éluder les conditions de délivrance dudit certificat pour obtenir l’avantage qui y est attaché.

20. Toutefois, en l’espèce, des employeurs sont poursuivis du chef de travail dissimulé pour avoir omis de procéder, non seulement aux déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales, mais aussi aux déclarations nominatives préalables à l’embauche de salariés, sur le fondement des articles L. 8221-3, L. 8221-5 et L. 8224-1 du code du travail, tandis que deux autres sociétés sont poursuivies, sur celui des articles L. 8221-1 et L. 8224-1 du même code, du chef de recours aux services de travailleurs dissimulés employés par une société à qui il est reproché un manquement aux mêmes obligations.

21. Dès lors, se pose la question de savoir si les effets attachés aux certificats E 101, devenus A 1, délivrés au titre de l’article 14, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1408/71, puis de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, quant à la détermination de la loi applicable au régime de sécurité sociale et aux déclarations de l’employeur aux organismes de protection sociale, s’étendent à la détermination de la loi applicable quant au droit du travail et aux obligations incombant à l’employeur et résultant de l’application du droit du travail de l’Etat où les salariés concernés par les certificats effectuent leur travail, en particulier aux déclarations qui doivent être faites par l’employeur préalablement à l’embauche de ces salariés.

22. Le premier objectif de la répression du travail dissimulé est, en effet, de protéger les droits des salariés concernés, plus encore lorsque leur état de vulnérabilité, lié à l’éloignement de leur pays d’origine, ou de dépendance les expose à accepter cette situation, à laquelle s’ajoutent les conditions peu respectueuses de la dignité humaine dans lesquelles s’effectue ce travail.

Par ces motifs :

RENVOIE à la Cour de justice de l’Union européenne la question suivante :

Les articles 11 du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, et 19 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale doivent-ils être interprétés en ce sens qu’un certificat E 101 délivré par l’institution désignée par l’autorité compétente d’un État membre, au titre de l’article 14, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, ou A 1 délivré au titre de l’article 13, paragraphe 1, du règlement, n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale lie les juridictions de l’Etat membre dans lequel le travail est effectué pour déterminer la législation applicable, non seulement au régime de sécurité sociale, mais aussi au droit du travail, lorsque cette législation définit les obligations des employeurs et les droits des salariés, de sorte qu’à l’issue du débat contradictoire, elles ne peuvent écarter lesdits certificats que si, sur la base de l’examen des éléments concrets recueillis au cours de l’enquête judiciaire ayant permis de constater que ces certificats avaient été obtenus ou invoqués frauduleusement et que l’institution émettrice saisie s’était abstenue de prendre en compte, dans un délai raisonnable, ces juridictions caractérisent une fraude constituée, dans son élément objectif par l’absence de respect de conditions prévues à l’une ou l’autre des dispositions précitées des règlements (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971 et (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004 et, dans son élément subjectif, par l’intention de la personne poursuivie de contourner ou d’éluder les conditions de délivrance dudit certificat pour obtenir l’avantage qui y est attaché ?

SURSOIT à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ;

RENVOIE l’affaire au 17 septembre 2019 à 9 heures à l’audience de formation ordinaire ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit janvier deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Caen , du 20 mars 2017