Paiement des heures de travail dû car nécessaires en raison de l’activité

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 13 mars 2019

N° de pourvoi : 17-28492

ECLI:FR:CCASS:2019:SO00421

Non publié au bulletin

Rejet

M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP Piwnica et Molinié, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 4 octobre 2017), que M. B... a été engagé à compter du 1er mars 2007 en qualité de responsable de magasin par la société Sebb ; qu’il a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant notamment à la résiliation judiciaire de son contrat de travail, puis, après avoir fait valoir ses droits à la retraite, à dire que son départ à la retraite s’analysait en une prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à la condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes à titre salarial et indemnitaire ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner au paiement de certaines sommes à titre de rappel d’heures supplémentaires, de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour la contrepartie obligatoire en repos non prise, d’indemnité pour travail dissimulé, d’indemnité légale de licenciement, de dire que le départ à la retraite du salarié s’analyse en une prise d’acte de rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 15 janvier 2015 et de le condamner au paiement de dommages-intérêts à ce titre, alors, selon le moyen :

1°/ que si la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties, il appartient au salarié d’étayer préalablement sa demande en fournissant des éléments auxquels l’employeur peut répondre ; que ces documents doivent permettre d’établir l’horaire revendiqué par le salarié ; que la cour d’appel a relevé que le journal quotidien des ventes versé par M. B... au soutien de sa demande d’heures supplémentaire ne comportait aucune indication quant à l’horaire des ventes réalisées par l’intéressé, précisant que cette pièce n’apportait pas d’élément aux débats sur l’accomplissement d’heures supplémentaires ; qu’en faisant droit à une demande d’heures supplémentaires qui n’était étayée par aucune pièce jugée probante pour permettre d’établir les horaires de travail du salarié, qui disposait au demeurant, en sa qualité de responsable du magasin, d’une grande liberté dans ses horaires, la cour d’appel a violé l’article L. 3174-4 du code du travail ;

2°/ que ne peuvent être rémunérées que les heures de travail contractuellement prévues ou réalisées sur commande ou autorisation de l’employeur, seules ces heures étant susceptibles de caractériser du temps de travail effectif ; que la société Sebb avait fait valoir que les heures supplémentaires dont M. B... réclamait le paiement n’avaient pas été commandées et n’avaient pas été soumises à son approbation, rappelant que les stipulations contractuelles en prohibaient par principe la réalisation ; qu’en faisant droit à la demande en paiement d’heures supplémentaires du salarié sans constater que ces heures avaient été demandées par l’employeur ou que leur exécution avait été approuvée par la société Sebb, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 3171-4 du code du travail ;

3°/ que la société Sebb avait fait valoir dans ses conclusions d’appel que les fonctions de M. B..., prévues pour être exécutées selon une durée mensuelle de 35 heures ne nécessitaient pas, sauf exception, de dépassement de la durée mensuelle de travail convenue ; qu’en faisant droit à la demande de M. B... sans s’expliquer sur ce moyen qui permettait de rejeter le paiement des heures supplémentaires réclamées, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d’appel, ayant relevé que le salarié versait aux débats des tableaux de décomptes journaliers des heures de travail revendiquées, a constaté qu’il étayait sa demande ;

Et attendu que la cour d’appel, appréciant souverainement les pièces produites par les parties et répondant à leurs conclusions, a constaté que l’accomplissement par le salarié d’heures supplémentaires avait été rendu nécessaire par l’activité du magasin notamment lors des absences des vendeurs ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen, ci-après annexé :

Attendu que sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi, le moyen ne tend qu’à remettre en cause le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond qui ont estimé que le caractère intentionnel du travail dissimulé était établi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Sebb aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Sebb à payer à M. B... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille dix-neuf. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Sebb.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir condamné la société Sebb à verser à M. B... les sommes de 17 908,55 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, outre 1 790,85 euros au titre des congés payés afférents, de 1 660,96 euros à titre de dommages et intérêts pour la contrepartie obligatoire en repos non prise, de 20 310,36 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé, de 9 093,03 à titre d’indemnité légale de licenciement, d’avoir dit que le départ à la retraite de M. B... s’analyse en une prise d’acte de rupture aux torts de la société Sebb produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 15 janvier 2015 et d’avoir condamné la société Sebb au paiement d’une somme de 21 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS QU’qu’à l’appui de sa demande, M. B... verse aux débats des tableaux de décomptes journaliers des heures de travail revendiquées ; qu’il étaye ainsi suffisamment sa demande pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ;

Qu’en premier lieu, la société Sebb fait valoir à juste titre que le journal quotidien des ventes versé par M. B... au soutien de son allégation d’un travail régulier accompli dès l’ouverture du magasin à 9h30 ne comporte aucune indication quant à l’horaire des ventes réalisées par l’intéressé ; que cette pièce n’apporte donc pas d’élément aux débats sur l’accomplissement d’heures supplémentaires ;

Qu’en deuxième lieu, la société Sebb verse pour la première fois en appel de nombreux documents dénommés « plannings hebdomadaires » couvrant une bonne part de la période de travail en cause et pour partie revêtus de la signature de M. B... ; qu’il ressort de ces pièces et des débats que ces documents ont été établis hebdomadairement par M. B... lui-même aux fins de comptabiliser les heures de travail qu’il a accomplies pendant la semaine ainsi que celles de ses trois collaborateurs au sein du magasin dont il avait la responsabilité et ont été transmis par ses soins par fax chaque semaine au siège de la société à Saint-Flour, la circonstance qu’un certain nombre de ces documents ne sont pas signés par M. B... étant sans incidence dès lors qu’ils ont été sciemment envoyés par le salarié à son employeur et aucune correction de ces documents par la société n’étant établie par M. B... ; qu’il ressort également de ces pièces ainsi que des bulletins de salaire que M. B... a souvent accompli 35 heures par semaine selon un horaire de travail de 13 heures à 20 heures du mardi au samedi et non 43 heures par semaine comme il le prétendait de manière erronée en première instance et a accompli plus ponctuellement des heures supplémentaires rendues nécessaires par l’activité du magasin donnant lieu à des repos compensateurs de remplacement, ainsi que prévus par l’accord du 27 avril 1999 annexé à la convention collective, et en 2010 et 2011 à des paiements partiels, ce dont il convient lui-même en appel pour partie en diminuant ses prétentions en fonction de ces éléments ;

Qu’en troisième lieu, il convient toutefois de relever que la société Sebb ne verse pas la totalité des documents dits « plannings hebdomadaires » remplis par M. B... pour la période en cause, ne produisant notamment aucun de ces documents pour l’année 2010 et seulement une dizaine pour l’année 2011 ; que les deux attestations émanant du superviseur de la société et de la remplaçante de M. B... que la société verse aux débats, se bornent à dénier l’accomplissement d’heures supplémentaires par l’intéressé sans contenir aucun élément précis sur les horaires de M. B... en litige ; que l’employeur ne justifie ainsi pas d’une partie significative des horaires de travail du salarié ; qu’il convient de relever également que la société Sebb ne justifie pas non plus que les repos compensateurs de remplacement accordés au salarié ou le paiement d’heures supplémentaires accomplies le remplissent de l’intégralité de ces droits, les tableaux produits par ses soins pour les besoins de la cause étant sur ce point confus ;

Que dans ces conditions, au vu des éléments produits par les parties, M. B... est fondé à se prévaloir : pour l’année 2007, de l’accomplissement 56 heures supplémentaires ; pour l’année 2008, de l’accomplissement de 98 heures supplémentaires ; pour l’année 2009, de [’accomplissement de 261 heures supplémentaires ; pour l’année 2010, de l’accomplissement 332 heures supplémentaires ; pour l’année 2011, de l’accomplissement 275 heures supplémentaires ; pour le mois de janvier 2012, de l’accomplissement d’aucune heure supplémentaire ;

Que par ailleurs, il ressort des pièces versées aux débats et notamment des « plannings hebdomadaires » que 203 heures supplémentaires ont donné lieu à repos compensateurs de remplacement ;

Que 819 heures supplémentaires peuvent ainsi être réclamées par M. B..., rendues nécessaires par l’activité du magasin notamment lors des absences des vendeurs, et correspondant, eu égard aux majorations de 25% et 50%, à la somme de 20 889,61 euros ;

Que 2 981,06 euros ont été payées par l’employeur au titre d’heures supplémentaires accomplies ;

Qu’il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à réclamer la condamnation de la société Sebb à lui verser une somme de 17 908,55 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, outre 1 790,85 euros au titre des congés payés afférents ;

1) ALORS QUE si la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties, il appartient au salarié d’étayer préalablement sa demande en fournissant des éléments auxquels l’employeur peut répondre ; que ces documents doivent permettre d’établir l’horaire revendiqué par le salarié ; que la cour d’appel a relevé que le journal quotidien des ventes versé par M. B... au soutien de sa demande d’heures supplémentaire ne comportait aucune indication quant à l’horaire des ventes réalisées par l’intéressé, précisant que cette pièce n’apportait pas d’élément aux débats sur l’accomplissement d’heures supplémentaires ; qu’en faisant droit à une demande d’heures supplémentaires qui n’était étayée par aucune pièce jugée probante pour permettre d’établir les horaires de travail du salarié, qui disposait au demeurant, en sa qualité de responsable du magasin, d’une grande liberté dans ses horaires, la cour d’appel a violé l’article L.3174-4 du code du travail ;

2) ALORS QUE ne peuvent être rémunérées que les heures de travail contractuellement prévues ou réalisées sur commande ou autorisation de l’employeur, seules ces heures étant susceptibles de caractériser du temps de travail effectif ; que la société Sebb avait fait valoir que les heures supplémentaires dont M. B... réclamait le paiement n’avaient pas été commandées et n’avaient pas été soumises à son approbation, rappelant que les stipulations contractuelles en prohibaient par principe la réalisation ; qu’en faisant droit à la demande en paiement d’heures supplémentaires du salarié sans constater que ces heures avaient été demandées par l’employeur ou que leur exécution avait été approuvée par la société Sebb, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1221-1 et L.3171-4 du code du travail ;

3) ALORS QUE la société Sebb avait fait valoir dans ses conclusions d’appel que les fonctions de M. B..., prévues pour être exécutées selon une durée mensuelle de 35 heures ne nécessitaient pas, sauf exception, de dépassement de la durée mensuelle de travail convenue ; qu’en faisant droit à la demande de M. B... sans s’expliquer sur ce moyen qui permettait de rejeter le paiement des heures supplémentaires réclamées, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir condamné la société Sebb à verser à M. B... les sommes de 17 908,55 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, outre 1 790,85 euros au titre des congés payés afférents, de 1 660,96 euros à titre de dommages et intérêts pour la contrepartie obligatoire en repos non prise, de 20 310,36 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé, de 9 093,03 à titre d’indemnité légale de licenciement, d’avoir dit que le départ à la retraite de M. B... s’analyse en une prise d’acte de rupture aux torts de la société Sebb produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 15 janvier 2015 et d’avoir condamné la société Sebb au paiement d’une somme de 21 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS QU’il ressort des pièces versées aux débats que de manière régulière la société Sebb n’a pas mentionné avant 2010 sur les bulletins de salaire les heures supplémentaires pourtant déclarées par M. B... dans les documents dénommés « plannings hebdomadaires » qu’il lui adressait et a entretenu un système obscur de gestion des repos compensateurs de remplacement ; que la soustraction intentionnelle à l’obligation de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli est ainsi établie ; qu’en conséquence, M. B... est fondé à réclamer l’allocation de l’indemnité pour travail dissimulé prévu par l’article L.8223-1 du code du travail, laquelle au vu de la rémunération moyenne mensuelle du salarié mentionné ci-dessous, sera fixée à la somme de 20 310,36 euros ;

1) ALORS QUE ne suffit pas à caractériser la dissimulation intentionnelle d’emploi, la seule absence de mention des heures sur les bulletins de paie d’un salarié ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L.8221-5 du code du travail ;

2) ALORS QUE ne caractérise pas non plus une dissimulation intentionnelle d’emploi, l’affirmation que l’employeur a « entretenu un système obscur de gestion des repos compensateurs de remplacement », affirmation d’ordre général qui ne permet pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle de motivation, l’existence d’un tel système permettant au contraire d’établir que les heures supplémentaires ont fait l’objet d’une contrepartie en repos ; qu’en se fondant sur de tels motifs, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 4 octobre 2017