Non mention des heures supplémentaires oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 3 octobre 2018

N° de pourvoi : 16-24705

ECLI:FR:CCASS:2018:SO01361

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Chauvet (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP Foussard et Froger, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Z... été engagé le 11 octobre 2000 par la société Fiduciaire comptable (la société Soficom) en qualité de responsable du service social ; qu’il a été licencié pour faute grave le 29 mars 2013 ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de la société :

Vu l’article L. 1232-6 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable ;

Attendu que pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que le grief concernant le comportement du salarié n’est pas autrement explicité dans la lettre de licenciement, qu’il est trop vague pour pouvoir être matériellement vérifiable et ne saurait donc valablement fonder un licenciement ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la lettre de licenciement mentionnait que bien que responsable du service social le salarié n’avait jamais été en mesure de gérer efficacement le personnel, qu’il n’avait jamais su imposer de discipline et avait permis des « pauses café à rallonges », le non suivi des horaires, ce qui avait entraîné des retards, des disparités et injustices entre collègues, et que du fait du comportement du salarié il avait été constaté un « turn over » important de son personnel, ce qui avait contraint l’employeur à changer régulièrement la répartition des dossiers des clients, d’où un mécontentement évident de ceux-ci, motivation dont il résultait que le grief tiré du comportement du salarié qui était énoncé dans la lettre de rupture constituait un motif de licenciement matériellement vérifiable pouvant être précisé et discuté devant les juges du fond, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident du salarié :

Vu les articles 1147 du code civil et R. 3243-1 du code du travail, dans leur rédaction alors applicable ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts, l’arrêt retient qu’il était rémunéré, au vu de ses bulletins de paie, par un salaire de base correspondant à 169 heures mensuelles, qu’il est constant que cette mention, qui ne faisait pas apparaître de manière manifeste la réalisation d’heures supplémentaires, n’a pas permis l’application de l’exonération que la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, prévoyait sur les cotisations salariales et patronales, que la société fait valoir que le salarié, responsable du service social, était l’auteur de cette erreur dont auraient également pâti des clients de l’entreprise, que le service des paies faisant partie de ses attributions, l’intéressé aurait pu, voire dû, proposer de modifier la présentation des bulletins de paie, ce que la société avait toutes chances d’accepter puisque cette modification lui aurait permis de bénéficier des réductions de cotisations patronales sur ces mêmes heures, que si cette présentation des bulletins de paie a nui au salarié, rien n’établit un manquement de l’employeur en la matière puisque son salarié était précisément responsable du service gérant cette question ;

Qu’en statuant ainsi par des motifs inopérants, alors que l’employeur doit remettre au salarié des bulletins de paie précisant le nombre d’heures de travail et distinguant les heures payées au taux normal et celles qui comportent une majoration pour heures supplémentaires, et qu’elle avait constaté que les bulletins délivrés au salarié ne faisaient pas apparaître la réalisation d’heures supplémentaires et que cette présentation avait nui à ce dernier en ne lui permettant pas de bénéficier des exonérations prévues par la loi TEPA, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il condamne la société Soficom à verser à M. Z... la somme de 2 594 euros au titre du prorata du 13e mois outre la somme de 259,40 euros au titre des congés payés afférents, l’arrêt rendu le 16 septembre 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Rouen ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois octobre deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société Fiduciaire comptable Soficom.

L’arrêt attaqué encourt la censure

EN CE QU’IL a condamné la société Soficom à verser au salarié diverses sommes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, du prorata du 13ème mois, des congés payés afférents, de l’indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 5 février 2014, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’à rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage éventuellement versées à Monsieur Z... dans la limite de six mois à compter du licenciement ;

AUX MOTIFS QUE la Soficom a licencié M. Z... pour faute grave à raison de diverses erreurs commises dans six dossiers, à raison d’une gestion inefficace de son service où il n’a “jamais su imposer de discipline”, à raison de son “comportement” qui a entraîné “un turn-over important de votre personnel” et enfin pour avoir, lors de la première réunion qui a suivi l’élection des délégués du personnel, transmis à ces délégués des documents comportant des informations confidentielles ; sur les erreurs dans les dossiers, gestion inefficace du service ; que l’exécution défectueuse de la prestation de travail n’est fautive que si elle est due à l’abstention volontaire du salarié ou à sa mauvaise volonté délibérée ; qu’il appartient à l’employeur qui a choisi de se placer sur le terrain disciplinaire d’en rapporter la preuve ; qu’en l’espèce, non seulement cet élément n’est pas visé dans la lettre de licenciement mais de surcroît la Soficom n’apporte aucun élément l’établissant puisqu’elle se contente d’une pétition de principe selon laquelle “manifestement” les erreurs et les manquements qu’elle lui reproche proviendraient “de son désintérêt, de son manque d’implication, de sa négligence” ; qu’en conséquence, à supposer ces griefs réels et imputables à M. Z..., ils ne caractérisent pas une faute disciplinaire ; sur le comportement ; que ce grief, qui n’est pas autrement explicité dans la lettre de licenciement, est trop vague pour pouvoir être matériellement vérifiable et ne saurait donc valablement fonder un licenciement ;

ALORS QUE, premièrement, la répétition d’erreurs commises par un salarié peut être de nature à révéler, en elle-même, une mauvaise volonté délibérée, constitutive de faute rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et à caractériser une faute grave ou, à tout le moins, une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu’en décidant, en l’espèce, que les faits ne caractérisaient pas la faute grave, ni même une faute disciplinaire, dès lors que l’exécution défectueuse de la prestation de travail n’était fautive que si elle était due à l’abstention volontaire du salarié ou à sa mauvaise volonté délibérée, tout en constatant une multiplicité des erreurs et manquements professionnels de Monsieur Z... qui caractérisait, en elle-même, la faute grave ou, à tout le moins, une faute simple constitutive de cause réelle et sérieuse de licenciement, la cour d’appel a violé les articles L. 1231-1, L. 1232-1, L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail ;

ALORS QUE, deuxièmement, la faute grave s’apprécie in concreto ; que le caractère fautif d’un ensemble d’erreurs et de manquements s’apprécie en fonction du niveau de responsabilité du salarié ; de sorte qu’en décidant, en l’espèce, que les multiples erreurs et manquements commis par Monsieur Z... ne caractérisaient pas la faute grave ni même une faute simple de nature à constituer une cause réelle et sérieuse, sans s’interroger sur les responsabilités confiées à Monsieur Z..., cadre responsable du service social de la société Soficom, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1, L. 1232-1, L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail ;

ALORS QUE, troisièmement, et en toute hypothèse, lorsqu’un salarié, cadre responsable de service, a, à de multiples reprises, commis des erreurs dans le traitement des dossiers qui lui étaient confiés et que ces erreurs ont occasionné un préjudice financier important et ont nui à la crédibilité de son employeur, les manquements relevés à l’encontre de l’intéressé sont constitutifs d’une faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise ; de sorte qu’en décidant, en l’espèce, que les multiples erreurs commises par Monsieur Z..., cadre responsable du service social de la société Soficom, ne caractérisaient pas la faute grave ni même une faute simple de nature à constituer une cause réelle et sérieuse, sans s’interroger sur les conséquences que cet ensemble d’erreurs avait pu avoir sur l’entreprise et sa crédibilité auprès de ses clients, bien qu’il n’était pas contesté que le salarié avait commis des erreurs ayant entraîné une lourde condamnation par le conseil de prud’hommes de Caen, ainsi que plusieurs redressements par l’URSSAF, ainsi qu’un trop versé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1, L. 1232-1, L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail ;

ALORS QUE, quatrièmement, le grief tiré de ce qu’un responsable de service n’a jamais su gérer efficacement le service dont il était responsable, de telle sorte que son comportement avait entraîné un « turn over » important du personnel, perturbant le traitement des dossiers et le fonctionnement du service, ainsi qu’un mécontentement consécutif des clients, constitue un grief précis et matériellement vérifiable qui peut être précisé et discuté devant les juges du fond ; qu’en décidant, en l’espèce, que le grief tiré « du comportement » du salarié était « trop vague pour pouvoir être matériellement vérifiable » et, partant, qu’il ne pouvait justifier la mesure de licenciement, la cour d’appel a violé les dispositions des articles L. 1232-6, L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail du Code du travail

ALORS QUE, cinquièmement, et en toute hypothèse, le juge a pour obligation première de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu’en décidant, en l’espèce, que le grief tiré « du comportement » du salarié « n’(était) pas autrement explicité dans la lettre de licenciement », alors qu’il résultait très clairement de la lettre de licenciement qu’il était reproché à Monsieur Z..., responsable de service, de n’avoir jamais su gérer efficacement le service dont il était responsable, de telle sorte que son comportement avait entraîné un « turn over » important du personnel, perturbant le traitement des dossiers et le fonctionnement du service, ainsi qu’un mécontentement consécutif des clients, la cour d’appel a dénaturé la lettre de licenciement, violant, ainsi, la règle selon laquelle le juge ne peut dénaturer les documents de la cause, ensemble l’article 1134 du Code civil. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour M. Z....

Il est fait grief à la décision attaquée d’AVOIR débouté M. Z... de sa demande de dommages et intérêts pour défaut d’application de la loi TEPA.

AUX MOTIFS QUE « Sur la réduction TEPA : Outre une prime d’ancienneté et un treizième mois, M. Z... était rémunéré, au vu de ses bulletins de paie, par un salaire de base correspondant à 169h mensuelles. Il est constant que cette mention, qui ne faisait pas apparaitre de manière manifeste la réalisation d’heures supplémentaires, n’a pas permis l’application de l’exonération que cette loi prévoyait sur les cotisations salariales et patronales. La Soficom fait valoir que M. Z..., responsable du service social, est l’auteur de cette erreur dont auraient également pâti des clients de l’entreprise. M. Z... indique, quant à lui, qu’il aurait demandé à Mme A... une rectification que celle-ci aurait refusée. Le service des paies faisant partie de ses attributions, M. Z... aurait pu - voire dû – proposer de modifier la présentation des bulletins de paie, ce que la Soficom avait toutes chances d’accepter puisque cette modification lui aurait permis de bénéficier des réductions de cotisations patronales sur ces mêmes heures. A supposer que Mme A... ait eu un quelconque pouvoir de décision en la matière, M. Z... ne justifie pas lui avoir demandé cette modification et avoir essuyé un refus. De surcroit, cette salariée avait quitté l’entreprise avant le 1/1/2009 alors que la demande de M. Z... porte sur la période postérieure à cette date. En conséquence, si cette présentation des bulletins de paie a nui à M. Z..., rien n’établit un manquement de l’employeur en la matière puisque son salarié était précisément responsable du service gérant cette question. M. Z... sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef ».

1) ALORS QUE l’employeur est tenu de plein droit d’établir des bulletins de paie conformes à la législation sociale ; que l’établissement de bulletins de paie non conformes caractérise donc une faute de l’employeur, peu important la circonstance que le salarié qui s’en plaint soit responsable du service des paies ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que la mention, sur les bulletins de paie de M. Z..., d’un salaire de base correspondant à 169 heures mensuelles, ne faisait pas apparaitre de manière manifeste la réalisation d’heures supplémentaires, ce qui n’avait pas permis l’application de l’exonération que la loi TEPA prévoyait sur les cotisations salariales ; qu’elle en a déduit que cette présentation des bulletins de paie avait nui à M. Z... ; qu’en affirmant que dès lors que le service des paies faisait partie des attributions du salarié et que celui-ci n’avait pas proposé une modification de la présentation des bulletins de paie, aucun manquement de l’employeur n’était établi, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil dans sa rédaction alors applicable.

2) ALORS QUE la faute de la victime ne peut être totalement exonératoire de responsabilité que si elle présente les caractères de la force majeure ; qu’en l’espèce, en écartant toute responsabilité de l’employeur dès lors que M. Z... était responsable du service gérant les paies et qu’il n’avait pas proposé de modifier la présentation des bulletins de paie, sans relever aucun élément permettant de caractériser une faute exclusive de la victime présentant les caractères de la force majeure, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1148 du code civil dans leur rédaction alors applicable.

Décision attaquée : Cour d’appel de Caen , du 16 septembre 2016