Bulletin de paie incomplet - cadre - oui
Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du 24 avril 2013
N° de pourvoi : 11-28691
ECLI:FR:CCASS:2013:SO00841
Publié au bulletin
Rejet
M. Bailly (conseiller doyen faisant fonction de président), président
SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, le 27 octobre 2011), que M. X... alors « responsable audit » au sein de la société Cabinet Thibout dont l’activité relève de la convention collective des cabinets d’experts-comptables et des commissaires aux comptes, a été licencié le 28 avril 2008 ; qu’il a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes à titre d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de rappel de salaire pour heures supplémentaires ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Cabinet Thibout fait grief à l’arrêt de la condamner à payer au salarié des rappels de salaire à titre d’heures supplémentaires et une indemnité pour travail dissimulé, alors, selon le moyen :
1°/ que l’article 8.1.2.2 de la convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables et des commissaires aux comptes prévoit pour le personnel itinérant non autonome, « dont les entrées et les sorties ne correspondent pas toujours à l’horaire collectif affiché et effectuant au moins partiellement son travail en dehors du cabinet » que leur « temps de travail effectif est évalué sur la base d’un temps budgété », que sur la base de ce temps budgété, « la charge annuelle de travail correspondant à la fonction est définie pour que la durée annuelle du travail soit de 1 596 heures pour une durée hebdomadaire moyenne de travail effectif de 35 heures, hors congés annuels légaux, jours fériés chômés et dimanches. Le temps budgété permet une gestion prévisionnelle de la charge de travail. La charge de travail peut être de ce fait répartie entre les différents jours de la semaine et entre les différentes semaines de l’année ; que dès lors, seules les heures effectuées par M. X..., itinérant non autonome, au-delà du contingent de 1 596 heures annuelles pouvaient être considérées comme des heures supplémentaires ; qu’en faisant droit aux demandes du salarié qui avait comptabilisé semaine après semaine toutes les heures effectuées au-delà de 35 heures hebdomadaires, sans vérifier que le contingent annuel aurait été dépassé, la cour d’appel a violé les dispositions de ladite convention collective ;
2°/ qu’en tout état de cause, en ne précisant pas les durées annuelles de travail effectuées par M. X... et les modalités de calcul de ses heures supplémentaires, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de la convention collective nationale des cabinets d’experts comptables et des commissaires aux comptes et de l’article L. 3171-4 du code du travail ;
3°/ que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles et ne peut, en conséquence, se prononcer par des motifs dubitatifs ; qu’en décidant, par des motifs supposés adoptés, que les demandes émises par le salarié lui paraissaient cohérentes, sans contrôler ni vérifier ces chiffres et les calculs entrepris, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail ;
4°/ que le cabinet Thibout produisait les tableaux des « temps par collaborateur et par mois » pièces n° 44, 45 et 46 dont il résultait le nombre d’heures de travail accomplies par le salarié ; qu’en entrant en voie de condamnation à son égard, au motif qu’il ne « justifie, ni n’allègue même, qu’il n’a pas facturé ses honoraires sur la base des documents dont M. X... se prévaut », la cour d’appel a manifestement dénaturé ces pièces ; que ce faisant, elle a violé les dispositions de l’article 1134 du code civil ;
Mais attendu, d’abord, que l’article 8.1.2.2. de la convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables et des commissaires aux comptes prévoit que pour le personnel itinérant non autonome « dont les entrées et les sorties ne correspondent pas toujours à l’horaire collectif affiché et effectuant au moins partiellement son travail en dehors du cabinet, le temps de travail effectif est évalué sur la base d’un temps budgété », que « sur la base du temps budgété, la charge annuelle de travail correspondant à la fonction est définie pour que la durée annuelle du travail soit de 1 596 heures pour une durée hebdomadaire moyenne de travail effectif de 35 heures, hors congés annuels légaux, jours fériés chômés et dimanches », que « le temps budgété permet une gestion prévisionnelle de la charge de travail », laquelle « peut être de ce fait répartie entre les différents jours de la semaine et entre les différentes semaines de l’année sur la base des modalités de répartition de l’horaire collectif en vigueur dans le cabinet en application des articles 8.2 ci-après » et que, selon l’article 8.1.5.2, « le contrôle de la durée du travail s’effectue à partir de documents établis par le salarié faisant apparaître les temps de travail de chaque journée avec récapitulatif hebdomadaire. Ces documents sont communiqués par le salarié à la direction qui dispose de deux mois pour valider même tacitement le temps de travail effectif par rapprochement avec les temps budgétés » ; que ces dispositions n’instaurent pas, à elles seules, une annualisation du temps de travail permettant un décompte des heures supplémentaires seulement au-delà du seuil annuel de 1 596 heures ;
Attendu, ensuite, que sous couvert de griefs de violation de la loi, le moyen ne tend qu’à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, du nombre d’heures supplémentaires effectuées par le salarié et de l’évaluation des sommes dues à ce titre ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société Cabinet Thibout fait grief à l’arrêt de la condamner à payer au salarié une somme à titre d’indemnité pour travail dissimulé, alors, selon le moyen, que la seule circonstance que l’employeur n’ait pas payé des heures supplémentaires qu’il contestait et qui n’avaient pas été réclamées par le salarié pendant la relation de travail, est insuffisante pour justifier de son intention frauduleuse ; qu’en décidant le contraire, par des motifs impropres à caractériser l’élément intentionnel du travail dissimulé, la cour d’appel a violé les articles L. 8221-3 et suivants du code du travail ;
Mais attendu que la cour d’appel, qui a relevé que l’employeur avait fait sciemment travailler le salarié au-delà de la durée légale du travail sans le rémunérer de l’intégralité de ses heures, a par là-même caractérisé l’élément intentionnel du travail dissimulé ; que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Cabinet Thibout aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Cabinet Thibout et la condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre avril deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Cabinet Thibout
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’AVOIR condamné la SA Cabinet Thibout à payer à M. X... des rappels de salaire au titre des heures supplémentaires qu’il aurait effectuées et une indemnité pour travail dissimulé ;
AUX MOTIFS QUE M. X... relevait de la catégorie Personnel itinérant « non autonome » de la convention collective nationale des cabinets d’experts comptables et des commissaires aux comptes, dont l’article 8.1.2.2 prévoit que le temps de travail effectif de cette catégorie de personnel est évalué sur la base d’un temps budgété, et que sur la base du temps budgété, la charge annuelle de travail correspondant à la fonction est définie pour que la durée annuelle du travail soit de 1.596 heures pour une durée hebdomadaire moyenne de travail effectif de 35 heures, hors congés annuels légaux, jours fériés, chômés et dimanches, et dont l’article 8.1.5.2 prévoit que le contrôle de la durée du travail s’effectue à partir de documents établis par le salarié faisant apparaître les temps de travail de chaque journée avec récapitulatifs hebdomadaires, que ces documents sont communiqués par le salarié à la direction qui dispose de 2 mois pour valider même tacitement le temps de travail effectif par rapprochement avec les temps budgétés, et qu’ils constituent un élément de preuve au sens de l’article L.212-1-1 et correspondent à l’exigence de l’article D.212-21 du Code du travail ; … ; que M. X..., dont le temps de travail était de 35h hebdomadaires, correspondant aux 151,67 h/mois figurant sur son bulletin de paie, explique qu’au sein du cabinet Thibout, les temps sont saisis sur un logiciel nommé “DIA”, se présentant sous forme d’un journal comportant différentes colonnes, pour la date, le nom du dossier, le nom du collaborateur, la date de fin d’exercice, le type de mission et le type de prestation, ainsi que pour la durée et le calcul automatique de la facturation, la dernière colonne, intitulée prix facturé, correspondant à un état des factures émises et payées ou non par le client ; qu’au soutien de ses prétentions chiffrées détaillées pour chaque période dans ses écritures, il verse son journal de temps détaillé d’octobre 2005 à janvier 2008 ainsi que les états récapitulatifs mensuels de saisie de ses temps de janvier 2006 à mars 2008 ; que, jointes aux attestations de deux anciens salariés qui témoignent que M. X... a effectué de nombreuses heures supplémentaires au service du cabinet Thibout, ces pièces étayent suffisamment la demande en paiement d’heures supplémentaires ; que, pour combattre la prétention adverse, le cabinet Thibout excipe de ce que M. X... n’a pas décompté le 22 janvier 2008 qui a correspondu à un jour de formation Excel ni non plus les journées de formation stagiaire, aussi de ce que le relevé contrôle des heures saisies pour le mois de janvier 2008 indique 109,4 alors que pour la même période le document “journal des temps détaillé par collaborateur” fait apparaître un cumul de 117,40 heures, également de ce que M. X... revendiquait initialement 340 heures alors qu’il a demandé en justice le règlement de 315 heures, enfin de ce qu’il a fourni d’autres relevés de temps à l’Ordre des experts comptables pour valider son stage ; mais que le Cabinet Thibout ne justifie, ni n’allègue même, qu’il n’a pas facturé ses honoraires sur la base des documents dont M. X... se prévaut ; que partant il conteste vainement être redevable du paiement des heures supplémentaires de travail revendiquées ; que de l’ensemble de ce qui précède, il résulte que la réalité de l’existence des heures supplémentaires réclamées est établie ;
ET AUX MOTIFS SUPPOSES ADOPTES QUE M. X... n’avait pas d’horaire précis et comptabilise ses heures de travail dans un logiciel en réseau, permettant à l’employeur et au responsable hiérarchique de le consulter à tout moment ; que l’employeur n’a pas contesté les heures indiquées dans le logiciel, comptabilisées pour la facturation des clients, dans le journal des temps détaillé par collaborateur ; qu’il lui a reproché d’avoir inscrit les heures fictives dans la lettre de licenciement, sans préciser pour quels clients ; qu’il a été reconnu que M. X... est arrivé à 11 heures du matin à partir de mars 2008, et que son arrivée tardive a été à l’origine de l’avertissement du 26 mars 2008 ; qu’il n’avait plus accès au logiciel à partir du 1er avril 2008 ; qu’il est généralement constaté que dans les cabinets d’audit, les collaborateurs travaillent plus de 7 heures 30 par jour chez les clients lors des missions d’audit ou de commissaire aux comptes durant les périodes de forte activité fiscale, et qu’ils peuvent accomplir des heures supplémentaires ; que le contingent de 1.596 heures de travail pouvant être accomplies sur l’année, M. X... demande le paiement de 136 heures 80 pour l’année 2006, de 158 heures 50 pour 2007 et 30 heures 75 pour 2008, ce qui semble cohérent pour son activité de responsable audit ;
ALORS, D’UNE PART, QUE l’article 8.1.2.2 de la convention collective nationale des cabinets d’experts comptables et des commissaires aux comptes prévoit pour le personnel itinérant non autonome, « dont les entrées et les sorties ne correspondent pas toujours à l’horaire collectif affiché et effectuant au moins partiellement son travail en dehors du cabinet » que leur « temps de travail effectif est évalué sur la base d’un temps budgété », que sur la base de ce temps budgété, « la charge annuelle de travail correspondant à la fonction est définie pour que la durée annuelle du travail soit de 1.596 heures pour une durée hebdomadaire moyenne de travail effectif de 35 heures, hors congés annuels légaux, jours fériés chômés et dimanches. Le temps budgété permet une gestion prévisionnelle de la charge de travail. La charge de travail peut être de ce fait répartie entre les différents jours de la semaine et entre les différentes semaines de l’année ; que dès lors, seules les heures effectuées par M. X..., itinérant non autonome, au-delà du contingent de 1.596 heures annuelles pouvaient être considérées comme des heures supplémentaires ; qu’en faisant droit aux demandes du salarié qui avait comptabilisé semaine après semaine toutes les heures effectuées au-delà de 35 heures hebdomadaires, sans vérifier que le contingent annuel aurait été dépassé, la Cour d’appel a violé les dispositions de ladite convention collective ;
ALORS, D’AUTRE PART, QU’ en tout état de cause, en ne précisant pas les durées annuelles de travail effectuées par M. X... et les modalités de calcul de ses heures supplémentaires, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de la convention collective nationale des cabinets d’experts comptables et des commissaires aux comptes et de l’article L.3171-4 du Code du travail ;
ALORS, EGALEMENT, QUE le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles et ne peut, en conséquence, se prononcer par des motifs dubitatifs ;
qu’en décidant, par des motifs supposés adoptés, que les demandes émises par le salarié lui paraissaient cohérentes, sans contrôler ni vérifier ces chiffres et les calculs entrepris, la Cour d’appel a violé les dispositions de l’article L.3171-4 du Code du travail ;
ALORS, ENFIN, QUE le cabinet Thibout produisait les tableaux des « temps par collaborateur et par mois » pièces n°44, 45 et 46 dont il résultait le nombre d’heures de travail accomplies par le salarié ; qu’en entrant en voie de condamnation à son égard, au motif qu’il ne « justifie, ni n’allègue même, qu’il n’a pas facturé ses honoraires sur la base des documents dont M. X... se prévaut », la Cour d’appel a manifestement dénaturé ces pièces ; que ce faisant, elle a violé les dispositions de l’article 1134 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR condamné la SA Cabinet Thibout à payer à M. X... une somme à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;
AUX MOTIFS QU’il résulte de ce qui précède que le cabinet Thibout a utilisé sciemment, sans le rémunérer de l’intégralité de ses heures, la force de travail de M. X... au-delà de la durée légale de travail ;
ALORS QUE la seule circonstance que l’employeur n’ait pas payé des heures supplémentaires qu’il contestait et qui n’avaient pas été réclamées par le salarié pendant la relation de travail, est insuffisante pour justifier de son intention frauduleuse ; qu’en décidant le contraire, par des motifs impropres à caractériser l’élément intentionnel du travail dissimulé, la Cour d’appel a violé les articles L.8221-3 et suivants du Code du travail.
Publication :
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 27 octobre 2011