Réclamation du salarié non suivie d’effet - élément intentionnel oui

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 septembre 2020, 18-26.670, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale

N° de pourvoi : 18-26.670
ECLI:FR:CCASS:2020:SO00671
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du mercredi 09 septembre 2020
Décision attaquée : Cour d’appel de Douai, du 26 octobre 2018

Président
M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s)
Me Le Prado, SCP Spinosi et Sureau
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

FB

COUR DE CASSATION


Audience publique du 9 septembre 2020

Rejet

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 671 F-D

Pourvoi n° M 18-26.670

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 SEPTEMBRE 2020

La société [...], société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° M 18-26.670 contre l’arrêt rendu le 26 octobre 2018 par la cour d’appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l’opposant à M. C... Y..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société [...], de Me Le Prado, avocat de M. Y..., après débats en l’audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Douai, 26 octobre 2018), M. Y... a été engagé par la société [...] (la société) suivant contrat du 2 juillet 2002 en qualité d’agent de fabrication, pour une durée de travail hebdomadaire portée, par avenant en date du 7 janvier 2008, à 38 heures 30 pour une rémunération mensuelle forfaitaire.

2. Faisant valoir qu’il avait été rémunéré à un taux horaire inférieur à celui convenu et qu’il n’avait pas été rémunéré de nombreuses heures de travail, incluant ses temps de trajet, il a saisi, le 18 août 2015, la juridiction prud’homale de demandes de résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que de paiement de diverses sommes.

3. Le 4 octobre 2016, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l’arrêt de la condamner d’abord à un rappel au titre des heures supplémentaires accomplies durant la période du 19 juin 2000 au 30 avril 2015, y compris les congés payés afférents, et à une indemnité pour travail dissimulé, de dire ensuite que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié est justifiée et s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de la condamner en conséquence à verser à ce salarié diverses sommes à titre de dommages-intérêts au titre de la perte d’emploi et des préjudices personnel et financier liés à la rupture, d’indemnité conventionnelle de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis avec incidence de congés payés et d’indemnité pour travail dissimulé, alors :

« 1°/ qu’il résulte des articles L. 3171-4 et L. 3121-38 que le juge, saisi d’une demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires, est tenu, pour évaluer le temps de travail réalisé par le salarié soumis à une convention de forfait en heures incluant des heures supplémentaires, de distinguer entre les heures supplémentaires incluses dans ce forfait et rémunérées à ce titre et les heures supplémentaires accomplies au-delà de ce forfait, qui, seules, peuvent donner lieu à un rappel de rémunération ; qu’en l’espèce, quand l’employeur l’invitait expressément à tenir compte de la convention de forfait conclue avec le salarié pour procéder à la détermination du nombre heures supplémentaires non rémunérées, la cour d’appel s’est pourtant contentée de relever que les bulletins de paie indiquaient un nombre d’heures supplémentaires inférieur à celui effectivement réalisé par le salarié, ce qui ne permet pas de savoir si elle a pris en compte le forfait applicable et intégrant des heures supplémentaires pour les heures comprises entre 35 heures et 38,5 heures par semaine et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des textes précités ;

2°/ que le défaut de réponse aux conclusions constitue le défaut de motif ; qu’en l’espèce, l’employeur soutenait qu’en l’absence d’obligation pour le salarié de se rendre au siège de l’entreprise avant ou après s’être déplacé sur le lieu d’exécution du travail, il avait pu valablement lui verser une contrepartie financière pour ses temps de trajet qui ne constituaient pas du temps de travail effectif ; que la cour d’appel, qui s’est bornée à relever que le salarié devait parfois à l’issue de sa mission, retourner à l’atelier, sans expliquer en quoi il réalisait alors un temps de travail effectif ouvrant droit à rémunération, pour en déduire néanmoins que les heures supplémentaires incluaient un temps de déplacement professionnel du salarié, a laissé sans réponse le moyen des conclusions de l’employeur, en méconnaissance des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que la cour d’appel ayant jugé que le non-paiement intégral des heures supplémentaires justifie la requalification de la prise d’acte de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cassation à intervenir sur l’une ou l’autre des deux premières branches entraînera l’annulation par voie de conséquence, en application de l’article 624 du code de procédure civile, du chef de l’arrêt ayant décidé que la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

4°/ que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié est justifiée et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si les manquements imputés à l’employeur sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail, ce qui exclut les manquements anciens n’ayant donné lieu à aucune réclamation du salarié au cours de l’exécution du contrat de travail ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui n’a pas recherché, comme elle y était pourtant invité, si l’ancienneté du seul manquement retenu à l’encontre de l’employeur n’était pas de nature à le priver de tout caractère de gravité, de sorte que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié n’était pas justifiée, s’étant contentée de considérer qu’il constitue une violation grave et répétée par l’employeur de ses obligations contractuelles, n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 231-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Répondant aux conclusions prétendument omises et analysant les bons de travail établis lorsque le salarié était affecté sur un chantier extérieur, la cour d’appel a, d’abord, constaté qu’il devait nécessairement passer par le siège de l’entreprise pour transporter du matériel avant de se rendre sur les chantiers, avec un retour à l’atelier après la fin des chantiers, ce dont elle a exactement déduit que ces temps de déplacements professionnels constituaient du temps de travail effectif ;

6. Ayant, ensuite, constaté l’existence d’heures supplémentaires, la cour d’appel, qui, contrairement à ce que soutient la première branche du moyen, a pris en compte la convention de forfait, en a, sans être tenue de préciser le détail du calcul appliqué, souverainement évalué l’importance et fixé en conséquence les créances salariales s’y rapportant en fonction des éléments de fait qui lui étaient soumis et qu’elle a analysés, en sorte que le rejet des deux premières branches du moyen prive de portée la troisième branche prise d’une cassation par voie de conséquence.

7. Ayant enfin relevé que la société qui avait ainsi minoré le nombre d’heures de travail réalisées par le salarié et s’était abstenue de payer la rémunération qui lui était due, n’avait procédé à aucune régularisation de la situation ce, malgré une lettre de réclamation de l’intéressé et la saisine de la juridiction prud’homale, la cour d’appel a pu en déduire que les manquements invoqués par le salarié étaient de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

8. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société [...] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [...] et la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société [...].

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir condamné la société [...] à verser à M. Y... un rappel d’heures supplémentaires pour la période du 19 juin 2000 au 30 avril 2015 avec incidence de congés payés et une indemnité pour travail dissimulé, d’avoir dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié est justifiée et s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, d’avoir en conséquence condamné la société [...] à verser à M. Y... diverses sommes à titre de dommages et intérêts au titre de la perte d’emploi et des préjudices personnel et financier liés à la rupture, de l’indemnité conventionnelle de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis avec incidence de congés payés et d’indemnité pour travail dissimulé, outre une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et d’avoir ordonné à la société [...] de remettre à M. Y... une fiche de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi dûment rectifiés en considération du présent arrêt ;

Aux motifs que « Monsieur Y..., se référant à un tableau récapitulatif qu’il a établi dans le cadre de la procédure prud’homale et qui concerne la période de mai 2010 à avril 2015, sollicite un rappel de salaires au titre des heures supplémentaires non réglées par son employeur à hauteur de 13 020,80 euros outre les congés payés afférents.

Il soutient que son employeur lui a fait réaliser de nombreuses heures supplémentaires qui n’étaient pas toutes rémunérées et n’a jamais pris en compte dans l’évaluation de son temps de travail, les temps de trajets entre les différents chantiers alors que ce temps doit être comptabilisé comme du temps de travail effectif.

Il précise qu’il lui arrivait fréquemment de devoir passer par l’entreprise pour prendre du matériel ou à l’issue de sa journée. Il affirme qu’il lui arrivait également régulièrement de se rendre d’un chantier à l’autre au cours d’une même journée.

La société [...] s’oppose à cette demande en faisant valoir, en premier lieu, que par l’effet de la prescription, l’appelant ne peut réclamer des salaires antérieurs à juin 2010. En second lieu, elle relève que celui-ci a présenté un décompte truffé d’erreurs et inexactitudes, en établissant ses calculs sur la base légale de 35 heures alors qu’il est soumis à une convention de forfait de 38,50 heures, qu’il n’a pas davantage déduit les temps de pause hebdomadaire à raison de 1H30 minutes, et qu’il a intégré l’ensemble des temps de trajets y compris depuis son domicile, alors que ceux-ci ne constituent pas du temps de travail effectif.

Elle ajoute que les déplacements sur les chantiers étaient peu fréquents, que Monsieur Y... n’était pas contraint de passer par l’entreprise et qu’en tout état de cause, elle a toujours versé à ce dernier une indemnité de 12 euros pour les trajets domicile-lieu d’exécution de missions lesquels ne peuvent être assimilés à du temps de travail effectif.

Aux termes de l’article L3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande auprès avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction utiles. La preuve des horaires de travail effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties et il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Par ailleurs, l’article L3121-4 du code du travail rappelle que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu habituel de travail n’est pas du temps de travail effectif. Toutefois, lorsque le temps de déplacement excède le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail le salarié doit bénéficier d’une contrepartie, soit sous forme de repos, soit financière. La part de ce temps de déplacement professionnel, lorsqu’elle coïncide avec l’horaire de travail, ne doit, en outre, entraîner aucune perte de salaire.

Dans certains cas, cependant, les déplacements professionnels peuvent être assimilés à du travail effectif si durant cette période et conformément aux dispositions de l’article L 3121-1 du code du travail, le salarié reste à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles.

Il en est ainsi des temps de transport du salarié entre l’entreprise et un chantier lorsque le salarié est contraint de passer par la première avant d’être transporté sur son lieu de mission, des temps de trajet effectués par un salarié avec le véhicule de l’entreprise, pour se rendre de l’entreprise sur différents chantiers, ou lorsqu’il se déplace d’un chantier à un autre.

En l’espèce, la cour constate que, même si Monsieur Y... ne détaille aucunement les trajets qu’il soutient avoir réalisés depuis l’entreprise pour se rendre sur ses lieux de missions ou d’un chantier à l’autre, ni leurs dates, l’analyse des bons de travail sur la période 2010-2016, ( documents qui ne sont établis que lorsque le salarié est affecté sur un chantier extérieur) permet de relever qu’il effectuait régulièrement des déplacements et devait nécessairement utiliser du matériel pour réaliser les missions confiées, ce qui implique un passage par le siège de l’entreprise, en l’absence de véhicule de dotation. Certains bons de travail relatifs à l’année 2010, mentionnent, par ailleurs, un retour à l’atelier après la fin du chantier lorsque celui-ci a duré plusieurs jours.

Il s’ensuit que ces temps de déplacements auraient dû être comptabilisés comme du temps de travail effectif.

En revanche, les éléments produits ne permettent pas, de constater que l’appelant se rendait sur plusieurs chantiers dans la même journée.

Par ailleurs, s’il n’est pas envisageable de se fier aux calculs présentés par Monsieur Y... pour quantifier le nombre d’heures supplémentaires qu’il revendique au regard des nombreuses erreurs et inexactitudes qu’il comporte ( non prise en compte de la convention de forfait dont la régularité n’est pas remise en cause, non prise en considération de la prescription applicable alors que la saisine de la juridiction intervient le 18 août 2015 et qu’une partie des sommes réclamées étaient éteintes au 17 juin 2010, intégration dans le décompte de l’ensemble de ses temps de déplacements, ayant pour certains, donné lieu à une indemnité de trajet alors que tous ne peuvent pas peuvent être assimilés à du temps de travail effectif), force est de constater à l’analyse des bons de travail, des relevés de badgeage et des bulletins de paie, que l’employeur a sous-évalué les heures supplémentaires accomplies par Monsieur Y....
Ainsi, même s’il n’était pas constamment en déplacement, il apparaît que l’intéressé lorsqu’il travaillait sur des chantiers, effectuait fréquemment des journées de plus de 9 heures de travail, déduction faite des temps de pause et devait parfois à l’issue de sa mission, retourner à l’atelier ( Pièces 56 à 61 - notamment pièce 57 : bon 4694, pièce 56 : bons n° 4373, 4374, 4379 et 4383, pièce 58 : bon n° 4965 du 17 juillet 2012, départ atelier 9h15 -arrivée atelier minuit, bon n° 4966 du 18 juillet 2012 - départ atelier 7h30- retour atelier 20h15, bon de travail n° 4898 du 29 octobre 2012 – départ atelier 13h15, retour atelier 23h00 – pièce 59 : bon n° 5167, du 22 avril 2013, bon n° 5509 où entre le 6 décembre 2013 et le 9 décembre 2013, le salarié a effectué plus de 36 heures en 4 jours ).
Or, les relevés de badgeage mentionnent parfois « des horaires de sortie » qui ne correspondent pas aux horaires de fin de mission du salarié ( cf notamment bon de travail n° 5167 pour la période du 22 avril au 25 avril 2013 au cours de laquelle Monsieur Y... a quitté le chantier, le 23 à 19h30, le 24 à 19h45 et le 25 à 19h15, alors que le listing de l’employeur fait état d’une sortie le 23 à 17h11, le 24 à 17h30 et le 25 à 19h45).
De même, les indications figurant sur les fiches de paie quant au nombre d’heures supplémentaires enregistrées (rarement supérieures à 10 par mois) ne reflètent pas la réalité du volume horaire de travail accompli, si l’on recoupe les informations contenues sur les bons de travail et le relevés de pointage.

Les attestations versées aux débats par Monsieur Y... viennent confirmer le caractère habituel des dépassements horaires de travail au sein de la société, celle-ci devant souvent intervenir sur des opérations délicates dans des délais contraints (pièces 22-1 et 25-1), alors que le registre d’entrée et de sortie du personnel ne met pas en évidence d’’embauche significative de personnel supplémentaire au moment de l’exécution du contrat de travail de Monsieur Y....

Surtout, il est produit une note manuscrite (pièce 16) établie sur un papier à entête « RUBBER PLASTICS », qui ne comporte pas le nom de son auteur mais qui émane nécessairement d’un représentant de la société au vu de son contenu et qui, d’après les éléments de comparaison dont la cour dispose, a manifestement été écrite par Madame X... O..., assistante de direction (même signature sur l’attestation qu’elle a rédigée que celle figurant en bas de la note, écriture similaire), laquelle mentionne :
« Prime d’objectif = pour chantier A... K... et pour les projets de l’année bien menés,
Prime exceptionnelle = 11h12 à 100% (dimanche A...) + heures à 25% soit 11h12 à 100 % = 261,05 euros + 9h33 à 25% = 132,00 } 393 = 400 euros. Bonne fin d’année. »
Ce document qui est à rapprocher du bon de travail de décembre 2013, n° 5509 et de la fiche de paie du mois correspondant où apparaît une prime exceptionnelle de 400 euros au profit de Monsieur Y... mais aucune heure supplémentaire, prouve le paiement d’heures supplémentaires sous forme de prime et constitue un élément d’appréciation quant à la fiabilité des mentions figurant sur les bulletins de paie établis par l’employeur.

Au vu des éléments de calculs dont la cour dispose et après avoir retranché les heures intégrées à tort dans le décompte du salarié, (soit qu’elles sont prescrites, soit qu’elles ne sont pas dues), il y aura lieu de condamner la société [...] à verser à Monsieur Y... la somme de 2 555,49 euros au titre des heures supplémentaires accomplies et non rémunérées sur la période comprise entre le 19 juin 2010 et avril 2015 outre les congés payés afférents.

Il est ainsi mis en évidence divers manquements de l’employeur consistant à ne pas intégrer dans l’évaluation du travail effectif les temps de trajet durant lequel le salarié reste sous sa subordination et soumis à ses directives, à minorer ainsi le nombre total d’heures réalisées et à ne pas payer la rémunération intégrale due au salarié, ce, qui constitue une violation grave et répétée de ses obligations contractuelles.

Au vu de ce qui a déjà été mentionné et, dans la mesure où la société n’a procédé à aucune régularisation de la situation de Monsieur Y..., ce, malgré une lettre de réclamation et la saisine de la juridiction prud’homale, il y aura lieu de dire que les griefs invoqués, justifient la prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur.

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Il résulte de ce qui précède que seul le non paiement intégral des heures supplémentaires justifie la requalification de la prise d’acte de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision déférée, en ce qu’elle a débouté Monsieur Y... de cette demande et de toutes ses demandes subséquentes sera ainsi réformée.

B) Sur les demandes financières subséquentes :

Lorsqu’elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail ouvre droit au profit du salarié à des dommages et intérêts réparant le préjudice subi du fait de cette rupture, à une indemnité de licenciement, le cas échéant, ainsi qu’à une indemnité compensatrice de préavis.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Le salarié justifiant de plus 2 années d’ancienneté et travaillant dans une entreprise d’au moins 11 salariés peut prétendre à des dommages et intérêts dont le montant ne peut être inférieur à 6 mois de salaires.

En l’espèce, au regard des circonstances entourant la rupture, de l’ancienneté dont justifiait Monsieur Y... à l’époque, (14 ans d’ancienneté), de son niveau de rémunération (environ 2.250 euros bruts mensuels) et de sa situation personnelle et financière (création d’une entreprise en février 2016), il y aura lieu de lui allouer une somme de 16.500 euros à titre de dommage et intérêts.

Sur l’indemnité de licenciement :

En application des dispositions de la convention collective lesquelles instaurent un mode de calcul plus favorable, il conviendra d’allouer à Monsieur Y... qui disposait de 14 années et 3 mois d’ancienneté au sein de l’entreprise, une indemnité de licenciement à hauteur de 8.763,82 euros (2.368,60 euros x 3,7).

Sur l’indemnité de préavis et les congés payés y afférents :

Il sera fait droit aux demandes financières de Monsieur Y..., fixées à 4.289,88 euros au titre du préavis et à 428, 98 euros au titre des congés payés y afférents.

IV) sur la demande indemnitaire au titre du travail dissimulé :

Aux termes de l’article L 8221- 5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
 soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L 1221-10 relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
 soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du Titre II du livre premier de la troisième partie
 soit de ne pas accomplir auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci".

La qualification de travail dissimulé suppose la démonstration d’un élément intentionnel qui ne peut se déduire du seul constat d’une omission de l’employeur, fût-elle répétée. Si cette preuve est rapportée et conformément aux dispositions de l’article L 8223-1 du code du Travail, le salarié dont les services ont été requis dans les conditions rappelées ci-dessus, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l’espèce, la demande indemnitaire formulée au titre du travail dissimulé sera accueillie favorablement dans son principe dans la mesure où, d’une part, il a déjà été relevé qu’au moins à une reprise, en décembre 2013, la société a réglé sous forme de prime exceptionnelle les heures supplémentaires accomplies par Monsieur Y... au cours de ce mois, d’autre part, qu’il a été constaté que de façon systématique, l’employeur a omis de prendre en compte dans le temps de travail effectif les temps de trajets accomplis par le salarié entre le siège de l’entreprise et les chantiers où il était affecté, alors qu’elle n’ignorait pas que celui-ci ne disposait d’aucun véhicule attitré, avait besoin de récupérer du matériel avant de se rendre sur ses lieux de missions, ce qui impliquait un passage par les locaux de la société, et alors que le retour en atelier était de rigueur à l’issue de certains chantiers comme en attestent les mentions figurant sur certains bons de travail.

En conséquence, la société [...] sera condamnée à verser à Monsieur Y... une indemnité de 13 500 euros au titre du travail dissimulé.

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VII) Sur la demande de délivrance des documents de fin de contrat :

Au vu des précédents développements, il sera fait injonction à la société [...] de remettre à Monsieur C... Y... une fiche de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi dûment rectifiés en considération du présent arrêt, sans assortir cette mesure d’une astreinte.

VIII) Sur les intérêts au taux légal et la capitalisation des intérêts :

Il y aura lieu de dire que les sommes de nature salariale à savoir les rappels d’heures supplémentaires et congés payés afférents, ainsi que l’indemnité de licenciement, l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents seront majorées des intérêts au taux légal à compter de la date de la première présentation à l’employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation.
Les autres sommes, de nature indemnitaire, porteront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.

Il y aura lieu de prévoir que les intérêts dus au moins pour une année entière, porteront, à leur tour intérêt. » ;

Alors, d’une part, qu’il résulte des articles L.3171-4 et L.3121-38 que le juge, saisi d’une demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires, est tenu, pour évaluer le temps de travail réalisé par le salarié soumis à une convention de forfait en heures incluant des heures supplémentaires, de distinguer entre les heures supplémentaires incluses dans ce forfait et rémunérées à ce titre et les heures supplémentaires accomplies au-delà de ce forfait, qui, seules, peuvent donner lieu à un rappel de rémunération ; qu’en l’espèce, quand l’employeur l’invitait expressément à tenir compte de la convention de forfait conclue avec le salarié pour procéder à la détermination du nombre heures supplémentaires non rémunérées, la cour d’appel s’est pourtant contentée de relever que les bulletins de paie indiquent un nombre d’heures supplémentaires inférieur à celui effectivement réalisé par le salarié, ce qui ne permet pas de savoir si elle a pris en compte le forfait applicable et intégrant des heures supplémentaires pour les heures comprises entre 35 heures et 38,5 heures par semaine et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des textes précités ;

Alors, d’autre part, que le défaut de réponse aux conclusions constitue le défaut de motif ; qu’en l’espèce, l’employeur soutenait (p.21 de ses conclusions d’appel) qu’en l’absence d’obligation pour le salarié de se rendre au siège de l’entreprise avant ou après s’être déplacé sur le lieu d’exécution du travail, il avait pu valablement lui verser une contrepartie financière pour ses temps de trajet qui ne constituaient pas du temps de travail effectif ; que la cour d’appel, qui s’est bornée à relever que le salarié devait parfois à l’issue de sa mission, retourner à l’atelier, sans expliquer en quoi il réalisait alors un temps de travail effectif ouvrant droit à rémunération, pour en déduire néanmoins que les heures supplémentaires incluaient un temps de déplacement professionnel du salarié, a laissé sans réponse le moyen des conclusions de l’employeur, en méconnaissance des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ;

Alors, en outre, que la cour d’appel ayant jugé que le non-paiement intégral des heures supplémentaires justifie la requalification de la prise d’acte de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cassation à intervenir sur l’une ou l’autre des deux premières branches entraînera l’annulation par voie de conséquence, en application de l’article 624 du code de procédure civile, du chef de l’arrêt ayant décidé que la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Alors, enfin et en tout état de cause, que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié est justifiée et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si les manquements imputés à l’employeur sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail, ce qui exclut les manquements anciens n’ayant donné lieu à aucune réclamation du salarié au cours de l’exécution du contrat de travail ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui n’a pas recherché, comme elle y était pourtant invité, si l’ancienneté du seul manquement retenu à l’encontre de l’employeur n’était pas de nature à le priver de tout caractère de gravité, de sorte que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié n’était pas justifiée, s’étant contentée de considérer qu’il constitue une violation grave et répétée par l’employeur de ses obligations contractuelles, n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L.1231-1 du code du travail.ECLI:FR:CCASS:2020:SO00671