gardes de nuit hôtel - astreinte non

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 24 octobre 2000

N° de pourvoi : 00-81230

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre octobre deux mille, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" Y... Ronan,

contre un arrêt de la cour d’appel de RENNES, 3ème chambre, en date du 6 janvier 2000, qui l’a condamné, pour exécution de travail dissimulé, à 15 000 francs d’amende ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 111-4, 112-1 du Code pénal, L. 212-4 dans sa rédaction alors applicable, L. 324-9, L. 324-10 du Code du travail, 591, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que Ronan Y... a été déclaré coupable de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié et condamné à 15 000 F d’amende ;

”aux motifs propres que nonobstant le fait que l’employeur n’a pas cherché à dissimuler la situation de ses salariées, force est de constater que celles-ci étant de garde à l’hôtel à la période incriminée, elles étaient astreintes à se tenir sur les lieux du travail, devaient en conséquence faire l’objet de déclaration aux organismes sociaux et percevoir une indemnisation corrélative à leur présence obligatoire dans l’entreprise ;

”et aux motifs adoptés qu’il ressort du procès-verbal établi par l’inspection du travail que lors d’un contrôle effectué le 16 septembre 1997, ont été relevés 26 dépassements des durées quotidiennes et hebdomadaires maximales de travail pour Mmes Z... et Piquet, durant les mois de juillet et août 1997, n’ayant fait l’objet d’aucune déclaration auprès des organismes de protection sociale, d’aucun bulletin de salaire, ni d’aucune rémunération ; que si le prévenu n’est pas poursuivi pour de tels faits, ceux-ci constituent des infractions aux articles L. 122-1 et suivants du Code du travail, lesquels réglementent “la durée légale du travail effectif des salariés” (...) ; que selon l’article L. 212-4 du Code du travail alors applicable, “la durée du travail ... s’entend du travail effectif à l’exclusion du temps nécessaire à l’habillage et au casse-croûte, ainsi que des périodes d’inaction” ; qu’un tel rappel s’imposait au regard du moyen de défense tiré du ‘flou” de la notion de travail effectif, les lois et règlements en vigueur lors des faits reprochés circonscrivant précisément les durées maximales de travail et la jurisprudence ayant de manière constante, avant même la loi du 13 juin 1998, considéré comme travail effectif donnant droit à rémunération et donnant lieu à déclaration les heures passées sur le lieu de travail à la disposition de l’employeur pour participer à l’activité de l’entreprise sans pouvoir vaquer à ses propres occupations ; que, sur les faits eux-mêmes, il ressort du procès-verbal précité et des

débats que les dépassements servant de base à la prévention résultent des gardes de nuit effectuées au delà de 23 heures par Mmes Z... et Piquet, en sus de leurs journées de travail, soit au-delà de la durée normale de travail dans leur branche qui est de 186 heures 33 ; que s’il est soutenu par le prévenu que de telles gardes de nuit ne constituent pas du travail effectif, il doit être relevé que, selon les propres déclarations de M. X... directeur de l’hôtel Climat de France entendu par les agents verbalisateurs, de telles gardes “correspondent à une présence obligatoire sur le lieu de travail, pour des raisons de sécurité” ; les salariées ayant “pour consigne d’alerter les services de secours en cas de besoin” et pouvant être “amenées à répondre aux appels téléphoniques, notamment extérieurs, afin d’annoncer que l’hôtel est fermé” ; qu’il doit être également constaté que la mention de garde “G” apparaît sur les relevés d’horaires individuels annexés au procès verbal ; qu’au regard de telles déclarations et constatations, non contredites par des éléments de preuve contraires, le prévenu ne peut sérieusement soutenir que Mmes Z... et Piquet dormaient à l’hôtel pour des raisons de convenance personnelle (...) ; que selon l’article L. 324-10 du Code du travail applicable lors des faits reprochés, la seule mention sur le bulletin de paie d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué constitue une dissimulation d’emploi salarié, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord conclu en application du chapitre II du titre I du livre II du Code du travail ;

qu’une telle mention d’une durée de travail effectif inférieure, en l’espèce, à celle réellement effectuée doit être relevée sur les bulletins de paie de Mmes Z... et Piquet pour les mois de juillet et août 1997 ; que selon le texte précité, cette circonstance ne constitue pas une simple présomption de travail dissimulé mais un élément constitutif à part entière de l’infraction ; que, de plus, le caractère volontaire et délibéré de l’infraction paraît suffisamment établi, dès lors qu’en sa qualité d’employeur Ronan Y... ne pouvait ignorer les règles de droit applicables, lesquelles lui avaient en outre été au préalable rappelées le 13 mai 1997 par l’inspection du travail ; qu’en définitive, malgré les imprécisions et/ou inexactitudes affectant la citation du 18 juin 1998, dont la nullité n’a toutefois pas été soulevée, les faits reprochés constituent bien l’infraction de travail dissimulé telle que prévue par l’article L. 324-10 du Code du travail ;

”1) alors qu’aux termes du dernier alinéa de l’article L. 324-10 du Code du travail, seule constitue une dissimulation d’emploi “la mention sur le bulletin de paie d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué”, de sorte que l’absence de mention sur le bulletin de paie d’une simple astreinte à laquelle est soumis le salarié n’est pas incriminée par ce texte ; que le temps pendant lequel un salarié est tenu d’être présent à l’intérieur de l’entreprise, en dehors de ses heures normales de travail, en vue de répondre à un éventuel appel pour effectuer un travail au service de l’entreprise, constitue une simple astreinte si le salarié bénéficie d’un logement sur place et reste libre de vaquer à ses occupations personnelles ; qu’en retenant que les nuits pendant lesquelles les salariées étaient astreintes à rester à l’hôtel constituaient des heures de travail effectif devant figurer sur leur bulletin de paie, sans rechercher si les salariées, qui bénéficiaient d’un logement sur place, ne restaient pas libres de vaquer à leurs propres occupations, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

”2) alors qu’en tout état de cause, nul ne peut être puni pour un crime ou un délit dont les éléments ne sont pas clairement et précisément définis par la loi ; qu’en outre, la loi doit être interprétée de façon restrictive en matière pénale ; qu’à l’époque des faits reprochés, l’article L. 212-4 du Code du travail se bornait à définir la durée du travail effectif comme “le temps de travail effectif, à l’exclusion du temps nécessaire à l’habillage et au casse-croûte ainsi que des périodes d’inaction dans les industries et commerces déterminés par décret”, ce qui a priori excluait le temps pendant lequel le salarié est tenu de demeurer présent dans l’entreprise sans être soumis à aucune activité et impliquait que ce temps n’avait pas à être mentionné sur le bulletin de paie ; qu’en raison de son imprécision, ce texte ne saurait servir de fondement à une poursuite du chef de dissimulation d’emploi, peu important l’interprétation extensive qui en a été faite par la chambre sociale de la Cour de Cassation ; qu’en sanctionnant le fait pour le prévenu de ne pas avoir mentionné sur le bulletin de paie de ses employées le temps pendant lequel elles étaient astreintes à dormir sur place en vue seulement de répondre à un éventuel appel en cas de nécessité, la cour d’appel a méconnu le principe de la légalité ;

”3) alors qu’en toute hypothèse, le délit de travail dissimulé est un délit intentionnel qui suppose la constatation de la violation en connaissance de cause de la prescription légale méconnue ; qu’en l’état des incertitudes résultant de l’imprécision de la définition du travail effectif et, par conséquent, des éléments constitutifs du délit de travail dissimulé, la cour d’appel ne pouvait se contenter de retenir, pour caractériser l’élément intentionnel du délit, qu’en sa qualité d’employeur le prévenu ne pouvait ignorer les règles de droit qui étaient applicables et qui lui avaient été rappelées par l’inspection du travail ;

”4) alors que l’affirmation d’un doute par le juge sur l’un des éléments constitutif de l’infraction lui interdit de retenir la culpabilité du prévenu ; qu’en retenant, en l’espèce, que le caractère volontaire et délibéré de l’infraction “parai(ssai)t” seulement suffisamment établi, la cour d’appel, qui a ainsi reconnu l’existence d’un doute sur l’élément intentionnel de l’infraction, n’a pas donné de base légale à sa décision” ;

Attendu qu’en relevant, par motifs propres et adoptés, après avoir souverainement analysé les faits de la cause contradictoirement débattus, que deux salariés étaient occupés à un travail effectif, en l’espèce des gardes de nuit, dans un établissement dont le prévenu était gérant, et que celui-ci, en connaissance de cause, avait dissimulé les heures ainsi effectuées dans les déclarations exigées par la loi, la cour d’appel a caractérisé, en tous ses éléments, le délit prévu et réprimé par l’article L.324-10 du Code du travail ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Karsenty conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Avocat général : Mme Commaret ;

Greffier de chambre : Mme Nicolas ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Rennes 3ème chambre , du 6 janvier 2000