Prise en charge par la sécurité sociale oui

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 15 juin 2017

N° de pourvoi : 15-24510

ECLI:FR:CCASS:2017:C200877

Publié au bulletin

Cassation partielle

Mme Flise, président

SCP François-Henri Briard, SCP Rousseau et Tapie, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Donne acte à l’Etablissement national des invalides de la Marine du désistement de son pourvoi en ce qu’il est dirigé contre la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les ayants droit de William Y..., décédé en [...] lors du naufrage d’un navire de pêche à bord duquel il était clandestinement employé comme marin, ont saisi une juridiction de sécurité sociale afin de faire reconnaître une faute inexcusable de l’armateur M. A..., et d’obtenir l’avance par l’Établissement national des invalides de la marine (l’ENIM) des réparations pécuniaires ;

Sur les premier et troisième moyens réunis du pourvoi principal :

Attendu que l’ENIM fait grief à l’arrêt d’accueillir le recours, alors, selon le moyen :

1°/ que la faute inexcusable de l’employeur ne saurait être retenue en l’absence de contrat de travail ; qu’il ressort des constatations des juges du fond, non seulement que William Y... avait embarqué clandestinement, sans être inscrit au rôle d’équipage, mais encore qu’il ne possédait pas le diplôme minimum requis pour l’exercice de la profession de marin et qu’il ne bénéficiait d’aucune dispense de condition de diplôme ; qu’en retenant que le décès en mer de William Y... était dû à la faute inexcusable de l’armateur, considéré comme son employeur, sans préciser en quoi ces circonstances ne faisaient pas obstacle à la reconnaissance d’un contrat d’engagement maritime valable entre les parties, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l’article 9 du décret-loi modifié du 17 juin 1938 ;

2°/ qu’en cas de faute inexcusable de l’employeur, l’organisme social ne peut être conduit à supporter une majoration de rente, et à faire l’avance des sommes allouées en réparation des préjudices complémentaires, que s’il prend lui-même en charge l’accident au titre de la législation sur les risques professionnels ; qu’en constatant que le décès de William Y... n’avait donné lieu à aucune déclaration d’accident du travail auprès de l’ENIM, mais en accordant néanmoins une majoration de rente aux ayants droit de la victime, et en condamnant l’ENIM à faire l’avance des sommes allouées en réparation des préjudices complémentaires, la cour d’appel a violé les articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, ensemble les articles 9 et 19 du décret-loi modifié du 17 juin 1938 ;

Mais attendu, d’une part, que le régime des marins français victimes d’accidents maritimes prévu par l’article 1er du décret-loi modifié du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l’unification du régime d’assurance des marins s’étend aux intéressés peu important la régularité de leur embarquement ; qu’il résulte, d’autre part, des articles L. 412-8, 8°, et L. 413-12, 2°, du code de la sécurité sociale, tels qu’interprétés par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2011-127 QPC du 6 mai 2011, ainsi que de l’article 20 du décret-loi susvisé que le marin victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle au cours de l’exécution du contrat d’engagement maritime ou ses ayants droit peuvent, en cas de faute inexcusable de l’employeur, demander, devant la juridiction de sécurité sociale, le bénéfice du livre IV du code de la sécurité sociale ainsi que l’indemnisation des préjudices complémentaires non expressément couverts par les dispositions de ce livre ;

Et attendu que l’arrêt constate que, lors de l’accident, le marin victime se trouvait placé sous la direction et le contrôle du capitaine que l’armateur s’était substitué ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais, sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa première branche :

Vu l’article L. 453-1 du code de la sécurité sociale ;

Attendu que, pour retenir une faute inexcusable de la victime et réduire la majoration de la rente allouée à ses ayants droit, l’arrêt énonce, d’une part, que l’accident ne résulte pas de la faute intentionnelle de William Y... à raison du travail dissimulé auquel il se livrait, mais des fautes du capitaine et de l’armateur, consacrées par la juridiction pénale, d’autre part, que William Y... était informé qu’il ne disposait pas du certificat de travail d’initiation nautique et que l’administration des affaires maritimes avait refusé de l’en dispenser après l’avoir invité une fois de plus à suivre une formation à cette fin, de sorte qu’il savait être embarqué dans une situation irrégulière ;

Qu’en statuant ainsi, par des motifs qui se contredisent et ne caractérisent pas de faute volontaire de la victime d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et attendu que l’accueil du pourvoi incident prive d’objet le deuxième moyen du pourvoi principal ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre branche du moyen unique du pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il réduit la majoration de rente versée aux ayants droit de William Y..., l’arrêt rendu le 2 juillet 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Rennes ;

Condamne l’Établissement national des invalides de la marine aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l’Établissement national des invalides de la marine ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP François-Henri Briard, avocat aux Conseils, pour l’Etablissement national des invalides de la marine

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit que le décès de William Y... était la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, M. A... ;

Aux motifs propres qu’« en application de l’article L452-1 du code de la sécurité sociale, lorsqu’un accident du travail ou une maladie professionnelle est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants ; qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens des dispositions de l’article L452-2 du code de la sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en protéger ; qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de la maladie professionnelle ou de l’accident mais il suffit que la responsabilité de l’employeur soit engagée alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage ; que la condamnation pénale de l’employeur établit la conscience qu’il avait du danger auquel il exposait son salarié ; qu’en l’espèce, M. A... a été déclaré coupable d’homicide involontaire sur les personnes d’Antoine D... et William Y... par arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Bordeaux du 22 octobre 2012, de sorte qu’il doit être considéré qu’il avait conscience du danger auquel il exposait William Y... en laissant partir le bateau sous la responsabilité du capitaine M. E... F... qui avait démontré lors d’une très récente marée son irresponsabilité et son refus d’appliquer la règle de veille au mouillage, ce qui avait provoqué la rupture de la ligne de mouillage, la dérive du bateau pendant plusieurs heures et le départ d’un marin légitimement inquiet pour sa sécurité, M. G..., sans que cela dissuade M. A... de le laisser à nouveau patronner son navire, ni qu’il soit établi qu’il ait rappelé à M. F... le caractère impératif de la veille à la passerelle au mouillage, alors en outre que cette portion de côte est particulièrement dangereuse par l’effet des courants changeants et d’une houle qui peut être importante et provoquer la rupture du mouillage ; que là encore, c’est par des motifs complets et pertinents qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte que le premier juge a caractérisé la faute inexcusable de M. A..., au regard de ses propres fautes et de celles commises par M. F..., à qui il avait délégué le pouvoir de direction du navire ; qu’en effet, l’échouage du navire sur la côte résulte de la rupture de la ligne de mouillage sous l’effet d’une forte houle et d’un vent d’ouest, rupture qui n’aurait pu se produire si la veille avait été assurée, dès lors que le marin de veille se serait aperçu que le bateau dérivait vers la côte et aurait pu prendre ou faire prendre par le capitaine les mesures pour y remédier, et que la ligne de mouillage qui s’est rompue avait été réalisée par bricolage d’une ligne volée sans que sa solidité soit acquise ; qu’il sera ajouté, s’agissant de William Y..., qu’il n’était pas titulaire du CIN, certificat d’initiation à la navigation, et avait obtenu à plusieurs reprises de l’administration des affaires maritimes des dispenses, que cette administration avait insisté pour qu’il passe le CIN, et avait refusé à M. A... le 13 octobre 2010, peu avant l’accident, une nouvelle dispense, de sorte que l’employeur était particulièrement informé de la situation irrégulière de William Y... et du danger particulier que constituait l’absence de ce certificat qui valide la capacité du marin à embarquer, et l’a ainsi d’autant plus exposé à un danger ; qu’il doit donc être retenti que le décès de William Y... est imputable à la faute inexcusable de son employeur et le jugement sera confirmé » (arrêt attaqué, p. 10, § 4 à p. 11, § 4) ;

Et aux motifs adoptés des premiers juges qu’« en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers ce dernier d’une obligation de sécurité de résultat, le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du Code de la Sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident du travail du salarié mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage ; qu’en l’espèce, il n’est pas discuté que le vendredi [...] vers 1h28, le navire de pêche « [...] » ayant à son bord quatre membres d’équipage, a rompu sa ligne de mouillage sous l’effet d’une mer forte et d’un vent violent et s’est échoué sur les brisants de la côte, en face de la plage d’[...] ; qu’il est constant que deux membres d’équipage, dont le patron du navire de pêche Monsieur F..., sont parvenus à regagner la plage à la nage alors que deux autres trouvaient la mort par submersion, Messieurs D... et Y... ; que le navire était armé par Monsieur David A... et avait donc été confié à la responsabilité de Monsieur F... ; qu’en sa qualité d’armateur et d’employeur, lié à son patron de pêche et aux autres membres de l’équipage par un contrat d’engagement maritime, non exclusif de l’application des dispositions générales des articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail, M. David A... se devait de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité et la protection de la santé de ses marins pêcheurs préalablement à leur embarquement, de conduire des actions d’information et de prévention des risques professionnels, de s’assurer personnellement de la mise en place d’une organisation ou de moyens adaptés à la prévention de tels risques et de donner toutes instructions utiles, notamment à son capitaine, afin de les combattre ; qu’or, il résulte des pièces versées aux débats qu’à l’occasion d’une précédente marée, entre le 6 et le 13 octobre 2010, à la suite d’une absence de veille en passerelle au mouillage, pourtant imposée par les dispositions légales et réglementaires de sécurité, le navire avait déjà rompu sa ligne de mouillage et avait donc dérivé plusieurs heures sans surveillance ; qu’il n’a pas été contesté que Monsieur F..., avant de reprendre la mer pour une nouvelle marée, a dérobé une ligne de mouillage sur un autre navire ; qu’il ressort également de l’audition du marin pêcheur Georges G... qu’à l’occasion de cette précédente marée, celui-ci s’était plaint auprès de Monsieur David A... des manquements du patron de pêche aux règles de sécurité, avec notamment l’absence de veille en passerelle, ce qui l’avait incité à quitter le navire ; qu’il doit donc être considéré que Monsieur David A..., en sa qualité d’armateur, alerté sur la réalité et l’étendue des manquements de son patron de pêche aux règles de sécurité à la fois par l’un de ses marins pêcheurs ainsi que par la survenance d’un incident grave, devait nécessairement avoir conscience des risques que courrait l’équipage lors de son départ pour une nouvelle marée ; que dès lors, en ayant délégué la responsabilité de l’équipage à un patron de pêche dont il n’ignorait pas les insuffisances en matière de sécurité, en omettant de rappeler à Monsieur F... l’obligation impérative de veille en passerelle lors des mouillages et en ne s’assurant pas de la qualité de la nouvelle ligne de mouillage du navire, Monsieur David A... n’a pas procédé à une évaluation adaptée des risques en violation des dispositions des articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail et n’a donc pas pris les mesures nécessaires pour préserver l’équipage ; que ce manquement constitue l’une des causes nécessaires de l’accident dont Monsieur William Y... a été victime ; qu’il convient donc de retenir que le décès de Monsieur William Y... est dû à la faute inexcusable de Monsieur David A..., étant rappelé qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident » (jugement entrepris, p. 4, § 7 à p. 5, dernier §) ;

Alors que la faute inexcusable de l’employeur ne saurait être retenue en l’absence de contrat de travail ; qu’il ressort des constatations des juges du fond, non seulement que William Y... avait embarqué clandestinement, sans être inscrit au rôle d’équipage, mais encore qu’il ne possédait pas le diplôme minimum requis pour l’exercice de la profession de marin et qu’il ne bénéficiait d’aucune dispense de condition de diplôme ; qu’en retenant que le décès en mer de William Y... était dû à la faute inexcusable de l’armateur, considéré comme son employeur, sans préciser en quoi ces circonstances ne faisaient pas obstacle à la reconnaissance d’un contrat d’engagement maritime valable entre les parties, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l’article 9 du décret-loi modifié du 17 juin 1938.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir fixé à 28 000 euros l’indemnité revenant à la succession de William Y... au titre des souffrances endurées lors de la noyade, et d’avoir fixé à 27 000 euros l’indemnité revenant à chaque ayant droit au titre du préjudice d’affection ;

Aux motifs propres que, sur l’action successorale, « c’est par des motifs complets et pertinents qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte que le premier juge a fixé à 28 000 € le préjudice de William Y... lié aux souffrances physiques et à la conscience de la survenance de son décès alors que le naufrage s’est produit de nuit, qu’il a eu des difficultés à s’extraire de la cabine pour accéder au pont et que ses compagnons de navigation ne se sont pas préoccupés de son sort » (arrêt attaqué, p. 12, § 1) ;

Et aux motifs propres que, sur le préjudice moral des ayants droit, « le jugement sera confirmé par adoption de motifs, le premier juge ayant fait du préjudice des consorts Z... Y... une juste appréciation au regard de l’âge des ayants droit, des circonstances du décès et de la durée de la vie commune » (arrêt attaqué, p. 12, § 2) ;

Et aux motifs adoptés des premiers juges qu’« il y a lieu d’autre part de fixer l’indemnisation des préjudices de la manière suivante :

 au titre de l’action successorale,

 le préjudice lié aux souffrances endurées par Monsieur William Y... recouvre les souffrances physiques qui ont précédé pendant quelques minutes sa mort ;

 ce préjudice sera réparé par une indemnité de 28.000,00 € [

] ;

 au titre de la réparation des préjudices personnels des ayants droit, - l’indemnisation des préjudices d’affection de Madame Céline Z... et de son fils sera fixée à hauteur des sommes suivantes :

 pour Madame Céline Z..., compte tenu de son âge et de la durée de vie commune avec Monsieur William Y... : 27.000,00 €,

 pour Nolan Y... : 27.000,00 € » (jugement entrepris, p. 6, § 5 à p. 7, § 1) ;

Alors qu’en cas d’accident du travail dû à la faute inexcusable de l’employeur, la propre faute inexcusable de la victime, qui entraîne une réduction du montant de la majoration de rente, implique de réduire dans la même proportion les indemnités complémentaires lui revenant ou revenant à ses ayants droit ; qu’en jugeant que William Y... avait lui-même commis une faute inexcusable justifiant de réduire de moitié le montant de la majoration de rente, mais en s’abstenant d’en tenir compte pour réduire dans la même proportion les indemnités complémentaires allouées au titre des souffrances endurées par la victime directe et du préjudice d’affection de ses ayants droit, la cour d’appel a violé les articles 1382 du code civil et L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (également subsidiaire)

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit que la faute inexcusable de l’employeur emportait majoration, à la moitié du taux maximum, des rentes allouées aux ayants droit de William Y..., et d’avoir dit que l’Enim devrait faire l’avance des « sommes fixées en réparation des conséquences financières de la faute inexcusable » ;

Aux motifs réputés adoptés des premiers juges qu’« il est constant que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2011-127 QPC du 6 mai 2011, a décidé que le 8° de l’article L.412-8 et le 2° de l’article L.413-12 du code de la sécurité sociale étaient conformes à la Constitution sous la réserve suivante : “ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, être interprétées comme faisant, par elles-mêmes, obstacle à ce qu’un marin victime, au cours de l’exécution de son contrat d’engagement maritime, d’un accident du travail imputable à une faute inexcusable de son employeur puisse demander, devant les juridictions de la sécurité sociale, une indemnisation complémentaire dans les conditions prévues par le chapitre 2 titre V du livre IV du code de la sécurité sociale ; que, sous cette réserve, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de responsabilité” ; qu’il en résulte qu’en application des articles L.412-8, 8° et L.413-12, 2° du Code de la sécurité sociale, tels qu’interprétés par le Conseil constitutionnel, le marin victime d’un accident du travail au cours de l’exécution du contrat d’engagement maritime, ou ses ayants droit, peuvent, en cas de faute inexcusable de l’employeur, demander devant la juridiction de sécurité sociale le bénéfice du livre IV du Code de la sécurité sociale ainsi que l’indemnisation des préjudices complémentaires non expressément couverts par les dispositions de ce livre (Cass. 2e civ., 22 sept. 2011) ; qu’il en résulte que les victimes d’une faute inexcusable (et leurs ayants droit) doivent pouvoir se voir appliquer les règles du régime général, en matière d’indemnisation des préjudices subis, c’est à dire les règles du chapitre 2 du titre V du livre IV, et notamment les dispositions prévues aux articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale ; que l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale prévoit que la majoration de capital ou de rente est payée par la caisse, qui en récupère le montant par l’imposition d’une cotisation complémentaire à l’employeur ; que par ailleurs, le dernier alinéa de l’article L.452-3 du même code énonce que la réparation des préjudices énumérés par ce texte est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur ; que par suite, le régime applicable en matière d’indemnisation des préjudices subis par une victime en droit général de la sécurité sociale doit également s’appliquer à la victime d’une faute inexcusable relevant du régime spécial des marins ; qu’en conséquence, il convient de rejeter la demande de mise hors de cause de l’ENIM qui devra verser aux ayants droit de Monsieur William Y... les sommes susvisées (majoration de rente et indemnisation des préjudices), étant précisé que l’ENIM pourra récupérer le montant des sommes versées auprès de Monsieur David A... » (jugement entrepris, p. 7, antépénult. § à p. 8, § 4) ;

Alors qu’en cas de faute inexcusable de l’employeur, l’organisme social ne peut être conduit à supporter une majoration de rente, et à faire l’avance des sommes allouées en réparation des préjudices complémentaires, que s’il prend lui-même en charge l’accident au titre de la législation sur les risques professionnels ; qu’en constatant que le décès de William Y... n’avait donné lieu à aucune déclaration d’accident du travail auprès de l’Enim, mais en accordant néanmoins une majoration de rente aux ayants droit de la victime, et en condamnant l’Enim à faire l’avance des sommes allouées en réparation des préjudices complémentaires, la cour d’appel a violé les articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, ensemble les articles 9 et 19 du décret-loi modifié du 17 juin 1938.

Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour Mme Z... et l’UDAF de la Gironde

Il est reproché à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir fixé à la moitié du maximum la majoration de la rente versée aux ayants droit de William Y... ;

Aux motifs que contrairement à ce que soutenait l’ENIM, il ne pouvait pas être considéré que William Y... avait commis une faute intentionnelle privative de toute indemnité au sens de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ; qu’en effet, l’accident ne résultait pas de la faute intentionnelle du salarié à raison du travail dissimulé auquel il se livrait mais des fautes du capitaine et de l’armateur consacrées par la juridiction pénale ; qu’en revanche, il y avait lieu de réduire la majoration de la rente, dès lors que William Y... était informé qu’il ne disposait pas du certificat de travail d’initiation nautique et que l’administration des affaires maritimes avait refusé de l’en dispenser après l’avoir invité une fois de plus à suivre une formation à cette fin, de sorte que William Y... savait être embarqué en situation irrégulière ; que Mme Z..., qui déclarait son concubin à la CPAM dans le cadre du RSA couple en était aussi informée ; qu’en conséquence, la majoration de la rente ne serait fixée qu’à la moitié du maximum ;

Alors 1°) que seule la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable le salarié à un danger dont il aurait dû avoir conscience, constitutive d’une faute inexcusable, peut limiter la majoration de la rente ; qu’en procédant à une réduction de la majoration de la rente en raison de la simple connaissance qu’avait William Y... de sa situation irrégulière, insusceptible de constituer une faute inexcusable, la cour d’appel a violé les articles L. 452-2 et L. 453-1 du code de la sécurité sociale ;

Alors 2°) que seul le comportement de la victime directe de l’accident du travail peut être pris en compte pour limiter la majoration de la rente ; qu’en s’étant fondée sur le fait que Mme Z..., concubine de William Y..., était informée de la situation irrégulière de la victime, la cour d’appel a de nouveau violé les articles L. 452-2 et L. 453-1 du code de la sécurité sociale. Publication :

Décision attaquée : Cour d’appel de Bordeaux , du 2 juillet 2015