Pas réclamation mais pas renonciation

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 27 novembre 2013

N° de pourvoi : 12-21186

ECLI:FR:CCASS:2013:SO01993

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Blatman (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l’article L. 3171-4 du code du travail, ensemble l’article 1134 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... épouse Y... a été engagée le 2 novembre 2002 comme responsable de salon de coiffure par la société Werisys alors dénommée Tanncoif ; que par lettre du 15 janvier 2005, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur, auquel elle reprochait notamment un manquement aux dispositions légales sur le temps de travail ; qu’elle a saisi la juridiction prud’homale ;

Attendu qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ;

Attendu que pour rejeter la demande de la salariée en paiement d’heures supplémentaires, l’arrêt retient, par motifs propres, que si la salariée fournit des indications sur l’amplitude de ses journées de travail, elle n’apporte aucun élément précis sur le nombre des heures effectivement travaillées, et que les tickets de caisse qu’elle verse aux débats, s’ils montrent qu’elle travaillait à des heures diverses, ne fournissent aucun renseignement sur le nombre d’heures accomplies ; qu’elle relève ensuite, par motifs adoptés, qu’à part un tableau récapitulatif et des attestations de témoins, la salariée n’apporte aucune preuve irréfutable de ce nombre considérable d’heures qu’elle prétend avoir effectuées, qu’une prime est octroyée en tant que compensation des dépassements d’horaires prévus qui ne peuvent pas toujours être respectés, et enfin que la salariée ne s’est pas manifestée pendant deux ans ce qui semble signifier qu’elle était en accord avec son employeur sur cette façon de fonctionner ;

Qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, que le juge ne peut rejeter une demande en paiement d’ heures supplémentaires aux motifs que les éléments produits par le salarié pour l’étayer ne prouvent pas le bien-fondé de celle-ci, et d’autre part, que l’absence de réclamation ne vaut pas renonciation à se prévaloir d’un droit, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve des horaires effectués sur la seule salariée, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute Mme X... des ses demandes en paiement d’heures supplémentaires, de congés payés et de dommages-intérêts pour travail dissimulé, l’arrêt rendu le 17 avril 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz ;

Condamne la société Werisys aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté Madame Nathalie X... épouse Y... de l’ensemble de ses demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Même si la société défenderesse et intimée ne comparaît pas et alors qu’elle a reçu la convocation, il doit être statué sur les demandes, en application de l’article 472 du code de procédure civile, mais n’y être fait droit que dans la mesure où elles apparaissent régulières, recevables et bien fondées. En la forme, la salariée appelante a un intérêt légitime à voir attribuer les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la rupture de contrat de travail qu’elle a provoquée, et toutes ses demandes subséquentes sont recevables. Sur le fond, dès lors que Madame Nathalie X... a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur, cette prise d’acte doit emporter les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements de l’employeur la justifiaient, et les effets d’une démission dans le cas contraire. A hauteur de Cour, pour tenter de justifier sa prise d’acte de rupture, Madame Nathalie X... ne présente plus qu’un seul grief à l’encontre de son employeur, à savoir un manquement à l’obligation de rémunérer les heures supplémentaires effectuées, d’où elle tire des demandes subséquentes en rappel de salaire et en paiement d’une indemnité pour dissimulation d’emploi. En application de l’article L 3171-4 du code du travail, dès lors que le litige vient à porter sur le nombre d’heures de travail accomplies, il incombe à la partie salariée de préalablement étayer sa demande par la production d’éléments de fait suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments. La salariée appelante présente trois éléments. En premier lieu, Madame Nathalie X... se réfère aux stipulations de son contrat de travail qui énumère les taches dont elle était chargée. Mais même si elle considère comme évident qu’elle ne pouvait assurer la totalité de sa mission sans dépasser l’horaire collectif, la liste stipulée ne contient aucune indication sur les heures qu’elle a effectivement travaillées. En deuxième lieu, Madame Nathalie X... produit une série d’attestations rapportant qu’elle assurait l’ouverture et la fermeture du salon de coiffure. Mais si elle fournit ainsi des indications sur l’amplitude de ses journées de travail, elle n’apporte aucun élément précis sur le nombre des heures effectivement travaillées. En troisième et dernier, Madame Nathalie X... verse aux débats des lots de tickets de caisse. Mais si ces pièces montrent qu’elle travaillait à des heures diverses, elles ne fournissent aucun renseignement sur le nombre d’heures accomplies. Il s’ensuit que, faute pour la salariée appelante de satisfaire à son obligation préalable, elle doit être déboutée de sa demande en rappel de salaire sur heures supplémentaires. Il s’ensuit également que la salariée appelante n’établit pas la dissimulation partielle de son emploi qu’elle a alléguée pour nonpaiement des heures supplémentaires, et qu’elle doit être déboutée de sa prétention à une indemnité pour travail clandestin. Il s’ensuit enfin que la salariée appelante n’établit pas le manquement de l’employeur qu’elle a invoqué comme justifiant la rupture du contrat de travail dont elle a pris l’initiative. La prise d’acte de rupture emporte donc les effets d’une démission. Madame Nathalie X... est dès lors mal fondée en ses prétentions à des indemnités compensatrices de préavis qu’elle n’a ellemême pas respecté, à une indemnité de licenciement, et à des dommages et intérêts pour rupture abusive. Quant au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour rupture vexatoire, la salariée appelante reproche à son employeur de l’avoir dénigrée et d’avoir tenu des propos grossiers et déplacés sur son physique et sur sa vie privée. Mais faute pour elle d’apporter la preuve des fautes qu’elle impute à son employeur, elle doit aussi être déboutée de sa prétention à des dommages et intérêts pour préjudice spécifique. Le jugement entrepris mérite donc une entière confirmation. » ;

ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QUE : « Sur la rupture du contrat de travail : Attendu que Madame Y..., par courrier du 15 janvier 2005 dit qu’elle est contrainte de démissionner du fait que l’employeur : - ne paye pas les heures supplémentaires, - dénigrement de Madame Y... auprès de ses collègues de travail. Attendu qu’il revient au Conseil de déterminer si cette rupture est justifiée ou non. 1) Non paiement des heures supplémentaires : Attendu que Madame Y... a toujours touché son salaire.

touché chaque mois une certaine somme allant jusqu’à 457 euros en tant que “prime bénévole”. Attendu que dans le secteur de la coiffure, cette prime est octroyée au salarié en tant que compensation des dépassements d’horaires prévus qui ne peuvent pas toujours être respectés. Attendu que Madame Y... ne s’est pas manifestée pendant 2 ans ce qui semble signifier qu’elle était en accord avec son employeur sur cette façon de fonctionner. Attendu que Madame Y..., à part un tableau récapitulatif, et des attestations de témoins, n’apporte au Conseil aucune preuve irréfutable de ce nombre d’heures considérables qu’elle prétend avoir effectué. Attendu que ce prétendu non paiement d’heures supplémentaires ne justifie pas la prise d’acte de rupture aux entiers torts de l’employeur. Madame Y... aurait pu continuer de travailler tout en engageant une procédure prud’homale. 2) Dénigrement auprès de ses collègues : Attendu que sur ce point également, Madame Y... aurait pu engager une procédure au pénal pour faire condamner son employeur, tel n’a pas été le cas. Dans ces conditions, le Conseil dit que la rupture du contrat de travail de Madame Y... doit s’analyser en une démission. 3) Sur le paiement d’heures supplémentaires : Comme présentée ci-dessus, la demande de paiement d’heures supplémentaires ne peut qu’être rejetée par le Conseil. En conclusion : Le Conseil dit que la rupture du contrat de travail de Madame Y... s’analyse en une démission, l’ensemble des demandes se trouve rejetée. » ;

ALORS 1°) QUE : en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ; que dans ses conclusions oralement soutenues à l’audience, Madame Y... soulignait qu’elle avait effectué douze heures supplémentaires hebdomadaires sur son temps de pause entre 11 heures et 15 heures et le soir après 18 heures ou 17 heures (page 10), puis effectuait un chiffrage dans un tableau récapitulatif (page 11) ; que l’arrêt attaqué a par ailleurs constaté que Madame Y... produisait, outre son contrat de travail énumérant ses missions qu’elle considérait ne pas pouvoir accomplir pendant la durée collective du travail, des attestations rapportant qu’elle ouvrait et fermait le salon de coiffure et établissant son amplitude de travail journalier, ainsi que des tickets de caisse prouvant qu’elle travaillait à des heures diverses de la journée ; qu’il s’agissait d’éléments suffisamment précis pour permettre à la société WERISYS, si elle avait bien voulu comparaître, de répondre en fournissant ses propres éléments ; qu’en retenant, par motif réputé adopté des premiers juges, que le tableau récapitulatif et les attestations n’apportaient aucune preuve irréfutable du nombre d’heures supplémentaires effectuées, et par motifs propres, que le contrat de travail, les tickets de caisse et les attestations n’étaient pas des éléments précis sur le nombre d’heures effectivement travaillées, la cour d’appel a violé l’article L. 3171-4 du code du travail ;

ALORS 2°) QUE : dans ses conclusions oralement soutenues à l’audience (page 7), Madame Y... soulignait qu’elle produisait non seulement des tickets de caisse mais aussi des relevés informatiques « Storno » et son planning signé par le gérant de la société WERISYS, puis elle ajoutait que leur comparaison établissait les heures supplémentaires effectuées, sur la base de quoi elle prenait pour exemples les journées de travail du mercredi 12 novembre 2004, du mardi 13 avril 2004, et du lundi 24 février 2003 durant lequel elle était censée être de repos ; qu’en s’abstenant de rechercher si les relevés « Storno » et le planning, comparés entre eux et avec les tickets de caisse, n’étaient pas des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés par Madame Y..., la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 3171-4 du code du travail ;

ALORS 3°) QUE : l’arrêt attaqué a retenu, par motif réputé adopté des premiers juges, que Madame Y... ne s’était pas manifestée pendant deux ans ce qui semblait signifier qu’elle était en accord avec son employeur quant au fait de percevoir chaque mois une « prime bénévole » qui serait censée, dans le secteur de la coiffure, compenser les dépassements d’horaires ; qu’en statuant ainsi, quand le silence de Madame Y... ne pouvait valoir renonciation à son droit d’être rémunérée pour les heures supplémentaires de travail qu’elle a effectuées, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil ;

ALORS 4°) QUE : en prononçant par le motif susmentionné, qui est dubitatif, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d’appel de Colmar , du 17 avril 2012