Cadre dirigeant non

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 25 novembre 2015

N° de pourvoi : 14-10529

ECLI:FR:CCASS:2015:SO01944

Non publié au bulletin

Cassation partielle

Mme Goasguen (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

Me Haas, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Donne acte à la société Bouygues immobilier de ce qu’elle se désiste de son pourvoi incident ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de la salariée :

Vu l’article L. 3111-2 du code du travail ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée par le groupe Bâtir, devenu société Bouygues immobilier (la société), le 2 janvier 1992 ; qu’elle occupait en dernier lieu les fonctions de directeur adjoint marketing, position C2, coefficient 162, responsable du show-room clients Ile-de-France ; qu’en mars 2008, en sus de sa dernière responsabilité, elle a été nommée directrice de la stratégie espaces clients ; qu’elle a été licenciée le 7 avril 2009 ; qu’elle a saisi la juridiction prud’homale ;

Attendu que pour débouter la salariée de sa demande au titre des heures supplémentaires, après avoir relevé qu’à compter du 1er janvier 2004, celle-ci relevait de la catégorie des cadres dirigeants, conformément au nouvel avenant contractuel, l’arrêt retient que ses fonctions de directeur adjoint marketing s’exerçaient dans le cadre de la responsabilité du show-room Ile-de-France, fonctions dont les organigrammes produits par la société permettent d’établir qu’elles la conduisaient à encadrer une équipe de onze personnes, alors que, dans le même temps, elle se trouvait directement rattachée au directeur Ile-de-France ; qu’en outre, l’intéressée, qui ne conteste pas avoir, en mars 2008, cumulé des fonctions de directrice de la stratégie des espaces clients avait des responsabilités dont l’importance impliquait une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps, et était habilitée à prendre des décisions de façon largement autonome ;

Attendu, cependant, que selon le texte susvisé, sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ; que ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise ;

Qu’en statuant comme elle l’a fait, sans caractériser la participation de la salariée à la direction de l’entreprise, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute la salariée de ses demandes en paiement de diverses sommes à titre de rappels d’heures supplémentaires, de rappels de salaires, de prime et d’indemnité conventionnelle de licenciement dues en raison de la revalorisation du salaire moyen mensuel, de dommages-intérêts au titre de la période prescrite du 1er janvier au 31 octobre 2004, de dommages-intérêts au titre des repos compensateurs non pris, et d’indemnité à titre de travail dissimulé, et de la débouter de sa demande tendant à ce que soit mise à la charge de la société l’obligation de régulariser sa situation auprès des organismes de retraite, l’arrêt rendu le 13 novembre 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne la société Bouygues immobilier aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils pour Mme X...

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté Madame X... de sa demande en paiement de diverses sommes à titre de rappels d’heures supplémentaires, de rappels de salaires, de prime et d’indemnité conventionnelle de licenciement dues en raison de la revalorisation du salaire moyen mensuel, de dommages-intérêts au titre de la période prescrite du 1er janvier au 31 octobre 2004, de dommages-intérêts au titre des repos compensateurs non pris, et d’indemnité à titre de travail dissimulé, et d’AVOIR débouté Madame X... de sa demande tendant à ce qu’il soit mis à la charge de la société BOUYGUES IMMOBILIER la régularisation de sa situation auprès des organismes de retraite ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « lors de l’avenant au contrat de travail, signé par Mme X... le 28 juillet 2000, à effet rétroactif au 1er juin précédent, celle-ci a été nommée Chef de service marketing et s’est vue, en qualité de cadre autonome, attribuer un forfait de 215 jours annuels, en application de l’accord d’entreprise sur l’aménagement et la réduction du temps de travail, conclu le 26 juin 2000. A compter du 1er janvier 2004, devenue Directeur adjoint marketing, elle relevait de la catégorie des cadres dirigeants, conformément au nouvel avenant contractuel. Mme X... entend cependant remettre en cause la licéité de la convention de forfait, mais aussi son statut de cadre dirigeant, pour, échappant ainsi aux règles du forfait jours, solliciter le paiement d’heures supplémentaires et voir majorer, en conséquence, divers éléments de salaires non prescrits. S’agissant du forfait jours, la salariée affirme, sans toutefois le démontrer, que l’accord d’entreprise ne contiendrait pas de mesures concrètes permettant d’assurer le respect des règles relatives à la santé et au repos des salariés. Elle évoque également le non respect des règles édictées par l’article L.2323-29 du code du travail, relatives à la consultation du comité d’entreprise sur la durée et l’aménagement du temps de travail et celles prescrites par l’article L.3121-46 du même code, relatives à l’entretien annuel de l’employeur avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année, portant notamment sur sa charge de travail, l’articulation entre activité professionnelle et vie familiale et sa rémunération, textes dont la société BOUYGUES IMMOBILIER fait justement observer que leur entrée en vigueur n’est intervenue qu’au 1er mai 2008. Contrairement à ce que soutient Mme X..., cet argumentaire ne saurait, dans ces conditions, conduire à priver la convention de forfait jours de tout effet. En ce qui concerne la notion de cadre dirigeant, que l’article 2 C du chapitre III de l’accord d’entreprise du 26 juin 2000, considèrent être “les directeurs adjoints, les directeurs et au-delà”, l’octroi de 10 jours de RTT annuels est explicitement inscrit dans l’accord, quand bien même ces salariés ne sont pas soumis aux dispositions “du Titre I Livre II du code du travail” et ne vient donc pas remettre en cause ce statut. Ces fonctions de Directeur adjoint marketing s’exerçaient dans le cadre de la responsabilité du show-room Ile de France, fonctions dont les organigrammes produits par la société permettent d’établir qu’elles la conduisaient à encadrer une équipe de 11 personnes, alors que, dans le même temps, elle se trouvait directement rattachée au Directeur Ile de France. En outre, Mme X... ne conteste pas avoir, en mars 2008, cumulé des fonctions de Directrice de la stratégie des Espaces clients. Ainsi, l’appelante avait des responsabilités dont l’importance impliquait une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et était habilitée à prendre des décisions de façon largement autonome. La société BOUYGUES IMMOBILIER fournit des éléments qui démontrent que Mme X... percevait une rémunération moyenne mensuelle de plus de 35% supérieure au minimum conventionnel et de 20% supérieure à la moyenne des cadres de la société. La salariée ne peut donc sérieusement se baser sur cet argumentaire pour se voir écartée de l’application de la convention annuelle de forfait jours. L’existence d’une telle convention n’est toutefois pas exclusive d’une demande au titre des heures supplémentaires, pour autant que, dans le cadre des dispositions de l’article L.3171-4 du code du travail, le salarié établisse valablement leur existence. La simple production d’agendas électroniques pour les années non prescrites de 2004 à 2009, tous édités le 17 septembre 2009, n’est cependant pas de nature à rapporter la preuve suffisante de ses affirmations en la matière. Le premier juge sera donc suivi et son jugement confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande de rappel de salaires ainsi que toutes celles en découlant, à savoir, celles relatives aux repos compensateurs non pris, aux rappels de 13ème mois, 14ème mois, prime de vacances, indemnité conventionnelle de licenciement, indemnité complémentaire du plan, indemnités journalières de chômage ou encore la demande de dommages et intérêts au titre de la période prescrite entre le 1er janvier et le 31 octobre 2004. Il s’en déduit qu’il n’y a non plus lieu à faire droit à ses demandes de régularisation de sa situation auprès des organismes de retraite » ;

ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES, EN LES SUPPOSANT ADOPTES, QUE « madame X... a signé une convention jours par lettre avenant le 28 juillet 2000 elle ne peut valablement réclamer a posteriori le paiement des heures supplémentaires pas plus qu’elle n’est fondée à porter réclamation du paiement des heures supplémentaires et du repos compensateur pour la période postérieure au 1er janvier 2004 car elle acquérait par voie d’avenant le statut de cadre dirigeant, valablement reconnu au regard des responsabilités et de l’autonomie dont elle disposait et de la rémunération supérieure à celle des autres cadres de l’entreprise » ;

ALORS, D’UNE PART, QUE selon l’article L. 3111-2 du code du travail, sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ; que ces critères cumulatifs impliquent que relèvent seuls de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise ; que pour retenir que Madame X... disposait du statut de cadre dirigeant à compter de sa désignation le 1er janvier 2004 en qualité de directeur adjoint marketing responsable du show-room client, et la débouter en conséquence de sa demande de rappel d’heures supplémentaires, la cour d’appel s’est fondée sur les motifs selon lesquels la salariée disposait à compter de cette époque de responsabilités impliquant une indépendance dans l’organisation de son emploi du temps, d’une autonomie dans la prise de ses décisions et d’un niveau de rémunération 20 % supérieure à la moyenne ; qu’en se fondant sur ces seuls motifs pour déduire la qualité de cadre dirigeant de la salariée sans constater que cette dernière participait effectivement à la direction de la société BOUYGUES IMMOBILIER, condition indispensable pour que soit caractérisé le statut de cadre dirigeant, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L. 3111-2 du code du travail ;

ALORS, D’AUTRE PART, QU’un accord d’entreprise ne peut comporter des stipulations moins favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur ; qu’il ne peut en outre déroger aux dispositions légales revêtant un caractère d’ordre public ; qu’en se fondant sur le motif selon lequel l’article 2 C du chapitre III de l’accord d’entreprise du 26 juin 2000 considère que « les directeurs adjoints, les directeurs et au-delà » rentrent dans la notion de cadre dirigeant (arrêt p. 6 § 4), pour déduire que le poste de directeur adjoint marketing responsable du show-room client occupé par la salariée constituait un poste de cadre dirigeant, cependant que cet accord d’entreprise ne permettait pas de déroger aux dispositions d’ordre public plus favorables de l’article L. 3111-2 du code du travail qui donnent une définition beaucoup plus stricte de la notion de cadre dirigeant, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble l’article L. 2251-1 du code du travail et le principe de faveur ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QU’en se fondant encore sur l’existence d’une convention de forfait en jours conclue par avenant au contrat de travail du 28 juillet 2000 pour débouter Madame X... de sa demande de rappel d’heures supplémentaires, sans tenir compte de l’avenant au contrat ultérieur du 1er janvier 2004 par lequel la société BOUYGUES IMMOBILIER avait abandonné le forfait en jours, la cour d’appel a violé les articles L. 3111-2, L. 3121-40 et L. 3121-45 du code du travail ;

ALORS, DE QUATRIEME PART, QUE pour la même raison en se fondant sur l’existence d’une convention de forfait en jours conclue par avenant au contrat de travail de la salariée du 28 juillet 2000 pour débouter la salariée de sa demande d’heures supplémentaires, sans répondre aux conclusions déterminantes de Madame X... faisant valoir que par avenant au contrat de travail du 1er janvier 2004 la société BOUYGUES IMMOBILIER avait « abandonn é le forfait jours » (conclusions p. 13 § 3), la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

ALORS, DE CINQUIEME PART ET EN TOUTE HYPOTHESE, QU’en vertu de l’article L. 3121-46 du code du travail, issu de l’article 19 III de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, en présence d’une convention de forfait, un entretien annuel individuel doit être organisé par l’employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année ; que ce texte ayant pour objet de sécuriser les accords collectifs conclus sous l’empire des dispositions régissant antérieurement le recours aux conventions de forfait, est applicable aux conventions de forfait en cours d’exécution lors de son entrée en vigueur ; que Madame X... se prévalait en conséquence de l’inopposabilité de la convention de forfait en jours du 28 juillet 2000 à défaut d’organisation par l’employeur de l’entretien annuel spécifique prévu par l’article L. 3121-46 du code du travail ; qu’en écartant ce moyen au motif erroné selon lequel la salariée ne pouvait opposer à l’employeur la méconnaissance des obligations découlant de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, la cour d’appel a violé l’article L. 3121-46 du code du travail ;

ALORS, DE SIXIEME PART, QU’en cas de litige relatif au nombre d’heures travaillées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, dès lors que ce dernier a préalablement apporté des éléments de nature à étayer sa demande ; que Madame X... a versé aux débats des agendas électroniques extrêmement précis pour les années de 2004 à 2009 de nature à étayer l’existence d’heures supplémentaires impayées (cf. productions) ; qu’en retenant néanmoins, pour débouter la salariée de ses demandes, que la demande de rappel d’heures supplémentaires n’était pas étayée, la cour d’appel a violé l’article L. 3171-4 du code du travail ;

ALORS, DE SEPTIEME PART ENFIN, QU’en se bornant à retenir, pour débouter Madame X... de ses demandes de rappel d’heures supplémentaires, que « la simple production d’agendas électroniques pour les années non prescrites de 2004 à 2009, tous édités le 17 septembre 2009, n’est cependant pas de nature à rapporter la preuve suffisante de ses affirmations en la matière », la cour d’appel a plus encore fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée et a violé l’article L. 3171-4 du code du travail.

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 13 novembre 2013