Faux stagiaire oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 16 septembre 2009

N° de pourvoi : 08-40716

Non publié au bulletin

Rejet

Mme Collomp (président), président

Me Blanc, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles,13 décembre 2007), que, répondant à une petite annonce de la société Europe et communication qui cherchait à recruter une infographiste, Mme X... a œuvré au sein de cette entreprise entre le 15 et le 27 septembre 2004 ; que, soutenant que les tâches professionnelles accomplies au cours de cette période, sous l’autorité de la société, s’inscrivaient dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, l’intéressée a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de l’exécution et de la rupture de ce contrat ; que pour s’opposer à ces prétentions, la société Europe et communication a expliqué la présence de Mme X... dans ses locaux, par une action de formation préalable à l’embauche menée avec le concours de l’ASSEDIC et de l’ANPE qui n’aurait pu être réalisée, faute de signature par ces organismes de la convention de formation qui devait la formaliser ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Europe et communication fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que Mme X... avait été liée à elle par un contrat de travail, alors, selon le moyen :

1°/ c’est à la partie qui invoque l’existence d’une relation salariale d’en rapporter la preuve ; que la cour d’appel qui, après avoir exactement rappelé que “pour prétendre être liée avec la société Europe et communication par un contrat de travail, Marie X... doit démontrer qu’elle a exercé son activité en se mettant à la disposition de cette personne morale sous la subordination de laquelle elle s’est placée moyennant une rémunération”, a retenu que n’était pas établi “l’accord des parties au 15 septembre 2004 sur une période de formation dans l’entreprise”, a inversé la charge de la preuve (violation de l’article 1315 du code civil) ;

2°/ qu’en énonçant qu’il résultait de l’attestation de M. Y... que Mme X... avait effectué certains travaux sous son contrôle, pour en déduire l’existence d’une relation de travail entre la société Europe et communication et Mme X..., la cour d’appel a dénaturé la portée de cette pièce, dans laquelle il précisait que Mme X... lui avait été présentée “en tant que stagiaire de façon à ce que je lui présente le fonctionnement de la machine et des différents logiciels permettant l’activité d’infographiste au sein de la société Europe et communication”, que pouvait être envisagée à moyen terme après une formation son intégration dans la société en tant qu’infographiste, que les travaux qu’il lui avait confié étaient réalisés avec beaucoup de lenteur sans appréciation des formes et de la perspective, ce qui mettait en évidence que M. Y... lui avait confié ces travaux en sa qualité de stagiaire (violation de l’article 1134 du code civil) ;

3°/ que l’existence d’un contrat de travail suppose un lien de subordination, soit, dans un cadre rémunéré, l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que la seule circonstance que Mme X... avait, au sein de la société Europe et communication, effectué “certains travaux” sous le “contrôle” de M. Y..., ne caractérisait pas l’existence d’un contrat de travail (manque de base légale au regard de l’article L. 121-1 et L. 511-1 du code du travail) ;

Mais attendu qu’appréciant la portée et la valeur probante des éléments qui lui étaient soumis, la cour d’appel, qui a constaté, hors toute dénaturation et sans inverser la charge de la preuve, qu’en l’absence de toute convention de formation justifiant la présence de Mme X... au sein de l’entreprise, l’intéressée qui avait spontanément et personnellement répondu à l’annonce passée par la société Europe et communication pour pourvoir, par contrat à durée indéterminée un emploi disponible d’infographiste, avait participé pendant plusieurs jours, dans les locaux de la société, à la réalisation de travaux d’infographie sous le contrôle de M. Y... qu’elle devait remplacer, en a exactement déduit que l’intéressée avait travaillé dès le 15 septembre 2004 sous la subordination de la société, ce qui caractérisait l’existence d’un contrat de travail ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que la rupture du contrat de travail de Mme X... devait s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, que ne constitue pas une prise d’acte de la rupture du contrat de travail la décision du salarié de rompre le contrat de travail pendant la période d’essai ; que pour décider que la rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel ne pouvait se fonder sur la circonstance que la société Europe et communication ne pouvait invoquer une rupture en période d’essai en l’absence de contrat écrit et de preuve d’une information donnée à Mme X... sur les modalités d’application de la convention collective de la publicité par l’entreprise, sans rechercher si la circonstance que Mme X... avait, le 8 octobre 2004, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, rappelé à son employeur avoir “mis fin à mon contrat de travail pendant la période d’essai le 27 septembre 2004” n’établissait pas que la salariée avait, en connaissance de cause, mis fin à son contrat en période d’essai, ce qui s’opposait à toute requalification ultérieure de la rupture (manque de base légale au regard des articles L. 122-4 et L. 122-14-3 du code du travail) ;

Mais attendu que la société Europe et communication ne justifie pas avoir soutenu devant les juges du fond que Mme X... avait indiqué dans un courrier du 8 octobre 2004 avoir mis fin au contrat de travail en période d’essai ; que le moyen est nouveau et que, mélangé de fait et de droit, il est irrecevable ;

Sur le troisième moyen :

Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné à payer à Mme X... une somme à titre de dommages-intérêts pour attitude déloyale, alors, selon le moyen, que la cour d’appel n’a caractérisé ni l’attitude déloyale de l’employeur ni le préjudice distinct de la rupture du contrat de travail qui aurait été subi par le salarié (manque de base légale au regard de l’article 1382 du code civil) ;

Mais attendu qu’ayant constaté que l’employeur, en tentant de dissimuler la relation salariale en action de formation, avait privé la salariée de la rémunération du travail accompli, la cour d’appel a pu décider que cette circonstance conférait au comportement de ce dernier, un caractère déloyal engendrant pour celle-ci un préjudice spécifique dont elle a souverainement fixé le montant ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Europe et communication aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Europe et communication ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et signé par Mme Collomp, président, et M. Ludet, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, conformément à l’article 452 du code de procédure civile, en l’audience publique du seize septembre deux mille neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Blanc, avocat aux Conseils pour la société Europe et communication

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir décidé que Madame X... avait été liée avec la société Europe et Communication par un contrat de travail et d’avoir dit que le conseil de prud’hommes était compétent pour connaître du litige opposant les parties ;

Aux motifs que l’existence d’une relation de travail dépendait des conditions de fait dans lesquelles était exercée l’activité du travailleur ; que pour prétendre être liée avec la société Europe et Communication par un contrat de travail, Madame X... devait démontrer qu’elle avait exercé son activité en se mettant à la disposition de cette personne morale sous la subordination de laquelle elle s’était placée moyennant une rémunération ; que le lien de subordination était caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui avait le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que les parties s’opposaient sur la nature de la relation ayant existé entre les 15 et 27 septembre 2004, la société Europe et Communication invoquant une action de formation préalable à l’embauche (AFPE) alors que Madame X... invoquait une embauche définitive le 15 septembre ; qu’il n’était pas contesté qu’aucun contrat de travail n’avait été signé dans le cadre d’un contrat initiative-emploi avec formation préalable puisque les documents relatifs à un tel contrat étaient produits en originaux par la société Europe et Communication sans signature de Madame X... ; que ces documents étaient incomplets puisque les mentions relatives à un contrat à durée déterminée ou à un contrat à durée indéterminée ou au temps de travail (35 ou 39 heures) n’étaient pas portées avec précision ; qu’enfin un contrat à durée indéterminée distinct était également produit comme ayant été proposé à Madame X... à une date incertaine et selon des modalités différentes de celles mentionnées dans l’annonce passée par l’entreprise ou de celles relatives au contrat initiative-emploi ; que la production de documents différents pour un même emploi ne permettait pas d’établir l’accord des parties au 15 septembre 2004 sur une période de formation dans l’entreprise ; que Madame X... s’était présentée spontanément et personnellement auprès de la société Europe et Communication en réponse à l’annonce passée par l’entreprise pour pourvoir, sous forme de contrat à durée indéterminée, un emploi disponible d’infographiste après la démission par Monsieur Y... de cet emploi, devant prendre effet au 30 septembre 2004 ; que Madame X..., à la recherche d’un emploi, bénéficiaire des allocations chômage, pouvait prétendre directement à un engagement à durée indéterminée sur le poste disponible au sein de la société Europe et Communication, sans formation préalable, dès lors qu’antérieurement et pendant des années elle avait occupé des postes de maquettiste, graphiste PAO depuis 1991 selon le curriculum vitae produit à son entrée dans l’entreprise et dès lors que l’annonce n’exigeait que la connaissance des imprimantes courantes et une expérience de deux à trois ans ; qu’il résultait de l’ensemble de ces éléments que les relations ne pouvaient s’analyser dans le cadre d’une action de formation et que la présence de Madame X... dans l’entreprise du 15 au 27 septembre 2004 ne pouvait s’analyser que dans le cadre d’une embauche hors signature d’un acte écrit puisqu’il résultait de l’attestation de Monsieur Y... que celle-ci avait effectué certains travaux sous son contrôle, même si à ce jour il portait une mauvaise appréciation sur son travail ;

Alors que 1°) c’est à la partie qui invoque l’existence d’une relation salariale d’en rapporter la preuve ; que la cour d’appel qui, après avoir exactement rappelé que « pour prétendre être liée avec la société Europe et Communication par un contrat de travail, Marie X... doit démontrer qu’elle a exercé son activité en se mettant à la disposition de cette personne morale sous la subordination de laquelle elle s’est placée moyennant une rémunération », a retenu que n’était pas établi « l’accord des parties au 15 septembre 2004 sur une période de formation dans l’entreprise », a inversé la charge de la preuve (violation de l’article 1315 du Code civil) ;

Alors que 2°) en énonçant qu’il résultait de l’attestation de Monsieur Y... que Madame X... avait effectué certains travaux sous son contrôle, pour en déduire l’existence d’une relation de travail entre la société Europe et Communication et Madame X..., la cour d’appel a dénaturé la portée de cette pièce, dans laquelle il précisait que Madame X... lui avait été présentée « en tant que stagiaire de façon à ce que je lui présente le fonctionnement de la machine et des différents logiciels permettant l’activité d’infographiste au sein de la société Europe et communication », que pouvait être envisagée à moyen terme après une formation son intégration dans la société en tant qu’infographiste, que les travaux qu’il lui avait confié étaient réalisés avec beaucoup de lenteur sans appréciation des formes et de la perspective, ce qui mettait en évidence que Monsieur Y... lui avait confié ces travaux en sa qualité de stagiaire (violation de l’article 1134 du Code civil) ;

Alors que 3°) l’existence d’un contrat de travail suppose un lien de subordination, soit, dans un cadre rémunéré, l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que la seule circonstance que Madame X... avait, au sein de la société Europe et Communication, effectué « certains travaux » sous le « contrôle » de Monsieur Y..., ne caractérisait pas l’existence d’un contrat de travail (manque de base légale au regard de l’article L. 121-1 et L. 511-1 du Code du travail).

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir décidé que la rupture du contrat de travail de Madame X... devait s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Aux motifs que par lettre du 27 septembre 2004, Madame X... avait informé son employeur qu’elle ne donnait plus suite à la relation professionnelle du fait de la modification apportée à l’engagement qu’elle avait accepté et de sa volonté de lui imposer une action de formation ; que cette manifestation de volonté s’analysait en une prise d’acte par la salariée de la rupture de son contrat de travail pour motif légitime, dès lors que la société Europe et Communication l’avait engagée à compter du 15 septembre 2004 à durée indéterminée en qualité d’infographiste ; que cette rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse puisque la société ne pouvait invoquer une rupture en période d’essai en l’absence de contrat écrit et de toute preuve d’une information donnée à Madame X... sur les modalités d’application de la convention collective de la publicité par l’entreprise ;

Alors que ne constitue pas une prise d’acte de la rupture du contrat de travail la décision du salarié de rompre le contrat de travail pendant la période d’essai ; que pour décider que la rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel ne pouvait se fonder sur la circonstance que la société Europe et Communication ne pouvait invoquer une rupture en période d’essai en l’absence de contrat écrit et de preuve d’une information donnée à Marie X... sur les modalités d’application de la convention collective de la publicité par l’entreprise, sans rechercher si la circonstance que Madame X... avait, le 8 octobre 2004, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, rappelé à son employeur avoir « mis fin à mon contrat de travail pendant la période d’essai le 27 septembre 2004 » n’établissait pas que la salariée avait, en connaissance de cause, mis fin à son contrat en période d’essai, ce qui s’opposait à toute requalification ultérieure de la rupture (manque de base légale au regard des articles L. 122-4 et L. 122-14-3 du Code du travail).

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir condamné la société Europe et Communication à payer à Madame X... la somme de 136,30 à titre d’heures supplémentaires, outre les congés payés y afférents ;

Aux motifs que la société n’avait jamais contesté la réalité des heures supplémentaires effectuées par Madame X... et réclamées depuis le 27 septembre 2004 ;

Alors que la cour d’appel ne pouvait se fonder sur la seule circonstance que la société Europe et Communication n’avait pas contesté la réalité des heures supplémentaires effectuées par Madame X..., sans constater quels éléments étaient produits par le salarié pour étayer sa demande de paiement d’heures supplémentaires (manque de base légale au regard de l’article L. 212-2 du Code du travail).

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir condamné la société Europe et Communication à payer à Madame X... la somme de 300 à titre de dommages-intérêts pour attitude déloyale ;

Aux motifs qu’il convenait de sanctionner l’attitude déloyale de la société Europe et Communication en allouant à Madame X... une indemnité complémentaire de 300 ;

Alors que la cour d’appel n’a caractérisé ni l’attitude déloyale de l’employeur ni le préjudice distinct de la rupture du contrat de travail qui aurait été subi par le salarié (manque de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil) ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 13 décembre 2007