Requalification temps partiel en temps plein

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 4 décembre 2013

N° de pourvoi : 12-23506

ECLI:FR:CCASS:2013:SO02131

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Frouin (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

Me Le Prado, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Attendu, selon l’arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Soc., 19 mai 2009, n° 07-44.857), que M. X... a été engagé à compter du 5 janvier 2004 par la Mutualité de la Haute-Vienne, en qualité de chirurgien-dentiste, à temps partiel quatre jours par semaine, avec une période d’essai de six mois ; que le 15 juin 2004, l’employeur lui a notifié la fin de sa période d’essai au 24 juin 2004 ; que le salarié, soutenant que la période d’essai ne pouvant excéder trois mois conformément à la convention collective des établissements d’hospitalisation privée à but lucratif, il était engagé définitivement à la date de la rupture et que son contrat de travail devait être requalifié à temps complet, le salarié a saisi la juridiction prud’homale, le 19 octobre 2005, pour obtenir le paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de l’employeur qui est recevable :

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de dire que la rupture du contrat de travail était abusive et de le condamner en conséquence au paiement de diverses sommes, alors, selon le moyen :

1°/ qu’aux termes de l’article L. 2261-2 du code du travail, la convention collective applicable est celle dont relève l’activité principale exercée par l’employeur ; que les juges doivent rechercher quelle est la nature de l’activité principale effectivement exercée par l’employeur ; qu’en se bornant à dire que l’activité principale de la Mutualité de la Haute-Vienne entrait dans le champ d’application de la convention collective de l’hospitalisation privée à but lucratif du 18 avril 2002 qui vise les établissements de soins et de réadaptation fonctionnelle et les établissements d’accueil pour personnes handicapées et pour personnes âgées, de quelque nature que ce soit, pour dire que cette convention était applicable, sans vérifier la nature de l’activité principale effectivement exercée par la Mutualité de la Haute-Vienne, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article L. 2261-2 du code du travail ;

2°/ que la référence à la nomenclature des activités économiques établie par l’INSEE (code APE) n’a qu’une valeur indicative de l’application d’une convention collective dans l’entreprise ; qu’en affirmant, pour dire que la convention collective de l’hospitalisation privée à but lucratif du 18 avril 2002 était applicable, que le code APE de la Mutualité de la Haute-Vienne, qui correspond au code NAF 8610 Z, renvoyait à l’application de cette convention collective, la cour d’appel a violé l’article L. 2261-2 du code du travail ;

Mais attendu que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que la cour d’appel qui ne s’est pas uniquement fondée sur le code APE de l’entreprise, a constaté que l’activité principale effectivement exercée par l’employeur entrait dans le champ d’application de la convention collective de l’hospitalisation privée à but lucratif du 18 avril 2002 ; que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident du salarié :

Vu l’article L. 3123-14 du code du travail ;

Attendu que selon ce texte, le contrat écrit du salarié à temps partiel doit mentionner la durée hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ; qu’il en résulte que l’absence d’écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l’emploi est à temps complet et qu’il incombe à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d’une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d’autre part que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur ;

Attendu que débouter le salarié de sa demande en requalification de son contrat de travail en contrat à temps complet et en paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire et d’une indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt retient que le salarié travaillait les lundis, mardis, mercredis et jeudis, soit seulement quatre jours dans la limite des heures d’ouverture du cabinet ainsi qu’en attestent ses agendas produits aux débats ; que l’absence d’exercice à temps complet est confirmée par les conditions dans lesquelles l’intéressé a contracté à compter du 12 novembre 2002 avec un autre employeur pour l’exercice d’une activité se répartissant sur deux jours par semaine, le vendredi et le samedi, sur la base d’un forfait de quatre vingt-dix jours travaillés par an ;

Qu’en statuant ainsi sans constater que l’employeur faisait la preuve de la durée de travail exacte, mensuelle ou hebdomadaire, convenue qui ne pouvait se déduire du seul énoncé des jours travaillés par le salarié, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes du salarié relatives à la requalification de son contrat de travail en contrat à temps complet et au paiement de sommes à titre de rappel de salaire et d’indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt rendu le 6 juin 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux ;

Condamne la Mutualité de la Haute-Vienne aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour la Mutualité de la Haute-Vienne, demanderesse au pourvoi principal

Le moyen reproche à l’arrêt attaqué :

D’AVOIR jugé que la rupture du contrat de travail était abusive et condamné la Mutualité de la Haute Vienne à verser à M. X... différentes sommes à titre d’indemnités de rupture, de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et pour inobservation de la procédure de licenciement ;

AUX MOTIFS QUE « la Mutualité de la Haute Vienne soutient pour la première fois en cause d’appel devant la cour de céans qu’elle est régie par la convention nationale de la mutualité du 31 janvier 2000 étendue par arrêté du 17 août 2001. L’activité principale de la Mutualité de la Haute Vienne correspond à la définition du champ d’application de la convention collective de l’hospitalisation privée à but lucratif du 18 avril 2002 qui vise les établissements de soins et de réadaptation fonctionnelle et les établissements d’accueil pour personnes handicapées et pour personnes âgées, de quelque nature que ce soit. Le code APE de la Mutualité de la Haute Vienne, qui correspond au code NAF 8610 Z, renvoie à l’application de la convention collective de l’hospitalisation privée. Cette dernière convention collective régit le contrat de travail de M. X... qui exerçait un emploi de chirurgien-dentiste relevant d’un ordre professionnel qui n’est pas expressément exclu. Les dispositions de la convention collective prévoient une période d’essai d’une durée limitée à 3 mois, renouvelable, le cas échéant une fois après accord écrit signé des deux parties, La Mutualité de la Haute Vienne ne pouvait déroger aux dispositions conventionnelles plus favorables en fixant une période d’essai de six mois dans le contrat de travail conclu avec M. X.... Il en résulte que la rupture du contrat de travail de M. X... après expiration de sa période d’essai de trois mois, sans énoncé de motifs réels et sérieux ni respect de la procédure de licenciement, est irrégulière et abusive. Compte tenu de l’ancienneté de M. X... dans l’entreprise inférieure à 6 mois à la date de la rupture du contrat de travail et de son temps partiel, et au vu des pièces produites pour justifier du préjudice que lui a causé la perte de son emploi, il y a lieu de fixer le montant des dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice causé par la rupture abusive du contrat de travail à la somme de 15.000 ¿ en application de l’article L.1235-5 du Code du travail. Il est dû de plein droit à M. X... en raison de la rupture abusive du contrat de travail la somme de 19.249,41 ¿ au titre de l’indemnité compensatrice de préavis en application de l’article 5 du contrat de travail qui fixe un délai de préavis de 4 mois, celle de 1.924,94 ¿ au titre des congés payés afférents. L’inobservation de la procédure de licenciement a causé à M. X... un préjudice dont la Cour évalue la réparation à la somme de 4.812,35 ¿ en application de l’article L.1235-2 du Code du travail. Il sera enjoint à la Mutualité de la Haute Vienne de remettre sous astreinte à M. X... les documents légaux de fin de contrat de travail mis en conformité avec la présente décision, sous astreinte comme indiqué au dispositif. Il lui sera alloué la somme de 1.800 ¿ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile » ;

ALORS QU’aux termes de l’article L.2261-2 du Code du travail, la convention collective applicable est celle dont relève l’activité principale exercée par l’employeur ; que les juges doivent rechercher quelle est la nature de l’activité principale effectivement exercée par l’employeur ; qu’en se bornant à dire que l’activité principale de la Mutualité de la Haute Vienne entrait dans le champ d’application de la convention collective de l’hospitalisation privée à but lucratif du 18 avril 2002 qui vise les établissements de soins et de réadaptation fonctionnelle et les établissements d’accueil pour personnes handicapées et pour personnes âgées, de quelque nature que ce soit, pour dire que cette convention était applicable, sans vérifier la nature de l’activité principale effectivement exercée par la Mutualité de la Haute Vienne, la Cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article L.2261-2 du Code du travail ;

ET ALORS QUE la référence à la nomenclature des activités économiques établie par l’INSEE (code APE) n’a qu’une valeur indicative de l’application d’une convention collective dans l’entreprise ; qu’en affirmant, pour dire que la convention collective de l’hospitalisation privée à but lucratif du 18 avril 2002 était applicable, que le code APE de la Mutualité de la Haute Vienne, qui correspond au code NAF 8610 Z, renvoyait à l’application de cette convention collective, la Cour d’appel a violé l’article L.2261-2 du Code du travail.

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. X..., demandeur au pourvoi incident

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué, rejetant la demande de requalification du contrat de travail en contrat à temps plein, D’AVOIR DEBOUTE M. X... de ses demandes en paiement de rappels de salaire et des congés payés y afférents, d’une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, et de sa demande de rectification des bulletins de paie et de l’attestation Assedic ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE le contrat de travail conclu entre M. X... et la Mutualité de la Haute Vienne prévoit une activité sur 4 jours par semaine, du lundi au jeudi, dans la limite des horaires d’ouverture et de fermeture du cabinet et M. X... s’engageait à ne pas dépasser dans le cadre d’un cumul d’emploi les durées d’emploi maximum fixées par la loi ;

ainsi, M. X... travaillait les lundis, mardis, mercredis et jeudis, soit seulement 4 jours dans la limite des heures d’ouverture du cabinet ainsi qu’en attestent ses agendas produits aux débats ; il n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur ; l’absence d’exercice à temps complet à la Mutualité de la Haute Vienne de M. X... est confirmée par les conditions dans lesquelles celui-ci a contracté à compter du 12 novembre 2002 avec la Mutualité de la Creuse avec un forfait annuel sur la base de 217 jours travaillés par an puis par avenant du 1er janvier 2004, une activité se répartissant sur deux jours par semaine, le vendredi et le samedi, sur la base d’un forfait de 90 jours travaillés par an ;

ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE le contrat de travail prévoit que l’activité se répartira sur 4 jours par semaine du lundi au jeudi, dans la limite des horaires d’ouverture et de fermeture du cabinet ; les éléments fournis par M. X... ne permettent pas d’affirmer que l’exécution du contrat de travail est différente des conditions prévues au contrat ;

1°) ALORS QU’ en l’absence de l’une des mentions impératives énoncées à l’article L. 3123-14 du Code du travail, le contrat de travail est présumé conclu à temps complet et il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption d’établir et la durée exacte du travail, et la possibilité pour le salarié de prévoir à quel rythme il devait travailler ; qu’ainsi, faute de preuve que la durée du travail accomplie correspond à un temps partiel, le contrat doit être requalifié en contrat de travail à temps plein quand bien même le salarié a eu connaissance de son rythme de travail ; que la cour d’appel, pour rejeter la demande de requalification, s’est déterminée au regard d’une part, de la connaissance que M. X... avait eue de son rythme de travail (du lundi au jeudi « dans la limite des heures d’ouverture du cabinet »), d’autre part de la conclusion d’un autre contrat de travail lui permettant d’exercer son activité les vendredis et samedis, et enfin, de la stipulation contractuelle suivant laquelle M. X... s’engageait dans le cadre d’un cumul d’emplois, à ne pas dépasser les durées légales maximum de travail ; que la cour d’appel, qui n’a constaté ni le nombre d’heures de travail hebdomadaires accomplies par M. X... pour le compte de la Mutualité de la Haute Vienne, ni que ce nombre correspondait à un temps partiel, a violé le texte précité ;

2°) ALORS QUE la cour d’appel a constaté que M. X... travaillait pour le compte de la Mutualité de la Haute Vienne 4 jours par semaine, « dans la limite des horaires d’ouverture du cabinet » ; que faute d’avoir examiné, ainsi qu’elle y était invitée (conclusions du salarié p.7 al.8 et 9), l’amplitude de ces horaires d’ouverture qui représentaient une durée de travail journalière de 9 heures, soit 36 heures pour les 4 jours de travail hebdomadaires de M. X..., la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 3123-14 du Code du travail ;

3°) ALORS QUE le juge du fond est tenu de répondre aux chefs de conclusions de nature à déterminer la solution du litige ; que M. X..., dans ses conclusions soutenues à l’audience (arrêt p.3 §3), a invoqué l’accomplissement d’une durée de travail hebdomadaire de 36 h pour le compte de la Mutualité de la Haute Vienne, cette durée du travail étant établie par une attestation de Mme A..., assistante dentaire affectée à son service, et un extrait de son planning de travail, pièces versées aux débats respectivement sous les numéros 21 et 16 ( conclusions du salarié p. 7, bordereau des pièces communiquées annexé auxdites conclusions et pièces n°16 et 21 : production) ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen et d’examiner les pièces qui l’étayaient, la cour d’appel a méconnu les exigences de motivation de l’article 455 du Code de procédure civile, et a violé ce texte.

Décision attaquée : Cour d’appel de Poitiers , du 6 juin 2012