Dommages et intérêts oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 29 septembre 2009

N° de pourvoi : 08-82691

Non publié au bulletin

Rejet

M. Pelletier (président), président

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" LA SOCIÉTÉ RANBAXY PHARMACIE GÉNÉRIQUES,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 12e chambre, en date du 26 février 2008, qui, dans la procédure suivie contre elle des chefs de prêt illicite de main-d’oeuvre, recours par personne morale aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé et marchandage, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 1er septembre 2009 où étaient présents : M. Pelletier président, M. Beauvais conseiller rapporteur, Mmes Anzani, Palisse, Guirimand, MM. Guérin, Straehli, Finidori, Monfort conseillers de la chambre, Mme Degorce conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Lucazeau ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
Sur le rapport de M. le conseiller BEAUVAIS, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE de BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LUCAZEAU ;
Vu les mémoires en demande et en défense produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l’article 513 du code de procédure pénale, du principe de respect des droits de la défense ;
”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a décidé que les infractions de prêt de main-d’oeuvre illicite, recours par personne morale aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé et marchandage étaient constituées et a condamné solidairement les sociétés RPG et Repsco à payer à Laurence X... la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice matériel et la somme de 4 000 euros en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
”alors que le principe selon lequel, dans le débat pénal, le prévenu ou son conseil doit toujours avoir la parole en dernier s’impose à peine de nullité ; qu’en s’abstenant de constater que tel avait été le cas, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure de s’assurer qu’il avait été satisfait aux dispositions du texte susvisé et a, ce faisant, violé les dispositions de celui-ci” ;
Attendu que l’arrêt attaqué mentionne qu’après l’audition de la partie civile et de son avocat, Maître Skornicki, avocat de la société Ranbaxy Pharmacie Génériques, et Maître Goossens, avocat de la société Repsco Promotion, ont été entendus en leur plaidoirie, avant que le président avise les parties de la date à laquelle serait prononcé l’arrêt ;
Attendu qu’il résulte de ces mentions que les avocats des prévenus ont eu la parle en dernier, ainsi que le prescrit l’article 513, alinéa 4, du code de procédure pénale ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l’article préliminaire et des articles 388 et 512 du code de procédure pénale et de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;
”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a décidé que les infractions de prêt de main-d’oeuvre illicite, recours par personne morale aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé et marchandage étaient constituées et a condamné solidairement les sociétés RPG et Repsco à payer à Laurence X... la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice matériel et la somme de 4 000 euros en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
”aux motifs qu’il est reproché à la société Repsco d’avoir réalisé une opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre ayant eu pour effet de causer un préjudice à Laurence X... et à la société RPG d’avoir eu recours sciemment aux services de Laurence X..., hors du cadre légal d’un contrat de travail et dans le cadre d’une fourniture de main-d’oeuvre illicite ayant eu pour effet de causer un préjudice à cette dernière, faits constitutifs des infractions de travail dissimulé, prêt de main-d’oeuvre illicite et marchandage ;
”alors que, s’il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c’est à la condition que le prévenu ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ; que la société RPG, renvoyée devant le tribunal correctionnel pour travail clandestin et complicité de marchandage de main-d’oeuvre, a été condamnée à des sanctions civiles pour les infractions de prêt de main-d’oeuvre illicite, recours par personne morale aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé et marchandage, sans avoir été invitée à se défendre sur ces nouvelles qualifications ; que, dès lors, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et le principe sus-énoncé” ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile de Laurence X... pour marchandage, prêt illicite de main-d’oeuvre et travail dissimulé, le juge d’instruction a ordonné le renvoi devant le tribunal correctionnel de la société Ranbaxy Pharmacie Génériques des chefs de travail dissimulé et complicité de marchandage, et de la société Repsco Promotion du chef de marchandage ;
Attendu que, sur le seul appel de la partie civile du jugement ayant renvoyé les prévenus des fins de la poursuite, les juges du second degré ont relevé l’existence de faits de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage à l’encontre des deux sociétés et de travail dissimulé à l’encontre de la société Ranbaxy Pharmacie Génériques, et les ont condamnées solidairement à payer des dommages-intérêts à la partie civile ;
Attendu qu’en cet état, il ne saurait être fait grief à la cour d’appel d’avoir statué ainsi, sans que la société Ranbaxy Pharmacie Génériques, renvoyée pour complicité de marchandage, ait été invitée à se défendre sur les nouvelles qualifications retenues, dès lors qu’il résulte des énonciations de l’arrêt et des pièces de procédure que l’avocat de cette société s’est expliqué dans ses conclusions sur les faits pour lesquels celle-ci a été poursuivie ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11 et L.125-3 du code du travail, défaut de motifs, manque de base légale ;
”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a décidé en l’encontre de la société RPG que l’infraction de recours par personne morale aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé était constituée et l’a condamnée solidairement avec la société Repsco à payer à Laurence X... la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice matériel et la somme de 4 000 euros en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
”aux motifs que l’ensemble de ces éléments constitue un faisceau d’indices permettant de caractériser le délit de prêt de main-d’oeuvre illicite à l’encontre de la société Repsco ; qu’il en résulte que le délit de travail dissimulé peut être imputé à la société RPG ;
”alors, d’une part, que l’infraction de prêt de main-d’oeuvre illicite n’implique pas nécessairement que le travail salarié ait été dissimulé, mais seulement que des employeurs se sont livrés à une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre en dehors du travail intérimaire ; qu’en prononçant des condamnations civiles à l’encontre de la société RPG pour des faits de travail dissimulé, par la seule déduction de sa constatation d’un prétendu délit de main-d’oeuvre illicite à l’encontre de la société Repsco, la cour d’appel a violé les dispositions du code du travail susvisées ;
”alors, d’autre part, que la cour d’appel n’a caractérisé aucun des éléments constitutifs du délit de travail dissimulé, n’ayant constaté aucun des éléments matériels de ce délit ; que l’arrêt attaqué est ainsi privé de toute base légale” ;
Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris et relever à l’encontre de la société Ranbaxy Pharmacie Génériques les faits de travail dissimulé, l’arrêt retient, notamment, que la société Repsco Promotion, qui a procédé au recrutement et à l’embauche de délégués pharmaceutiques, et notamment de Laurence X..., mis à la disposition de la société Ranbaxy Pharmacie Génériques, a été utilisée davantage comme un cabinet de recrutement que comme une entreprise prestataire de services, alors que la société Ranbaxy Pharmacie Génériques dispensait les actions de formation des délégués et leur donnait toutes instructions utiles en matière d’organisation du travail, de stratégie commerciale, de technique de vente et de gestion administrative ; que les juges en déduisent que la société Ranbaxy Pharmacie Génériques s’est comportée comme le véritable employeur de Laurence X... ;
Attendu qu’en l’état de ces motifs, fondés sur une appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus et dont il se déduit que la société poursuivie n’a pas satisfait aux obligations légales qui lui incombaient, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11, L.125-1 et L.125-3 du code du travail, 121-3 du code pénal, 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen, de l’article préliminaire de code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a décidé que les infractions de prêt de main-d’oeuvre illicite, recours par personne morale aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé et marchandage étaient constituées et a condamné solidairement les sociétés RPG et Repsco à payer à Laurence X... la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice matériel et la somme de 4 000 euros en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
”aux motifs que, si Repsco donnait à ses salariés des consignes sur les congés ou sur l’utilisation du véhicule de fonction mis à leur disposition, RPG s’est comporté comme le véritable employeur, en donnant la majorité des instructions et consignes et faisant preuve d’un interventionnisme général ; que Repsco constitue effectivement un acteur important du marché de la prestation de services dans le domaine de la commercialisation des médicaments, et que c’est effectivement Repsco qui a procédé au recrutement et à l’embauche des sept délégués pharmaceutiques mis à la disposition de RPG ; qu’il est néanmoins indifférent que RPG ait été en restructuration au moment des faits, qu’elle n’ait pas disposé de force de vente propre et que tous ses délégués commerciaux aient été salariés de la filiale OPIH, dans la mesure où elle s’est comportée comme le véritable employeur de Laurence X... ; et que l’année de travail pour Repsco peut s’analyser comme une longue période d’essai que lui aurait imposée RPG avant de lui proposer un contrat ; que Laurence X... n’a pu faire valoir pendant cette période les légitimes revendications qui auraient été les siennes pour améliorer sa situation, en terme d’horaires, de salaire, de primes, de participation à la vie de l’entreprise, etc. ; que sa situation s’en est trouvée précarisée, même si elle ne démontre pas, comme elle le prétend, qu’elle aurait bénéficié, en tant que salariée de RPG, des avantages offerts par le groupe Aventis ; et que la formule actuelle de l’article L. 125-1 du code du travail, est symptomatique de l’exclusion de toute recherche de mobiles et limite l’élément moral au dol général, abstraitement apprécié, l’opération de fourniture de main-d’oeuvre étant interdite, si elle a « pour effet », et non pour but de causer un préjudice ; qu’il en résulte que l’intention de nuire n’a pas à être recherchée ;
”alors, d’une part, que le prêt de main-d’oeuvre est licite s’il est la conséquence nécessaire de la transmission d’un savoir-faire ou de la mise en oeuvre d’une technicité qui relève de la spécificité propre de l’entreprise prêteuse et que l’entreprise emprunteuse n’a ni la capacité ni les moyens d’assumer ; qu’il résulte des propres constatations de l’arrêt attaqué que, d’un part, Repsco, entreprise déjà implantée sur le marché, était un acteur important de ce marché de la prestation de services dans le domaine de la commercialisation de médicaments, et que d’autre part RPG, alors en pleine restructuration, ne disposait d’aucune force de vente propre ; que dès lors, la cour d’appel qui reconnaît qu’il n’y a pas prêt illicite de main-d’oeuvre lorsque l’entreprise commanditaire ne déploie pas elle-même la technicité relative à la fonction assumée par le sous-traitant, et qui retient néanmoins l’existence d’un marchandage, sans constater précisément que RPG déployait elle-même la moindre technique de vente, a totalement privé sa décision de fondement légal ;
”alors, d’autre part, que le délit de marchandage suppose que l’opération ait causé un préjudice au salarié concerné ; qu’en décidant que l’infraction était caractérisée en ce qu’elle avait causé un hypothétique préjudice à Laurence X... qui aurait peut-être pu bénéficier des avantages sociaux du groupe Aventis, plus favorables à ceux de la société Repsco, la cour d’appel a fait supporter la charge de la preuve à la société RPG, en violation des textes susvisés, et a statué par motifs purement hypothétiques ;
”alors, enfin, que les délits de marchandage, prêt de main-d’oeuvre illicite et dissimulation d’emploi salarié ne sont caractérisés que s’il est constaté qu’ils étaient intentionnels ; que la société RPG faisait valoir que c’est en toute bonne foi qu’elle avait fait appel à un prestataire de renom, existant bien avant la conclusion du contrat de prestation et ayant d’autres clientes, et qui lui fournissait un service en matière commerciale, compétence qu’elle n’avait pas encore développée ; qu’en outre, elle n’avait à aucun moment entendu dissimuler l’emploi de Laurence X..., qui percevait des bulletins de paie et avait été préalablement déclarée à l’URSSAF ; qu’en la condamnant néanmoins pour ces infractions sans caractériser d’élément intentionnel, au seul motif qu’elle n’avait plus à rechercher d’intention de nuire, la cour d’appel a violé la loi” ;
Attendu que le moyen ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, dont ils ont déduit, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, que la mise à disposition, par la société Repsco Promotion à la société Ranbaxy Pharmacie Génériques, de délégués pharmaceutiques exerçant leur activité pour le compte de cette dernière, dissimulait, en réalité, une opération illicite de prêt de main-d’oeuvre à but lucratif ayant occasionné un préjudice à Laurence X... ;
Que, par ailleurs, la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par les articles L.125-1, L.125-3 et L.324-9, devenus respectivement les articles L. 8321-1, L.8241-1 et L. 8221-1, du code du travail ;
D’où il suit que le moyen ne peut qu’être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que la société Ranbaxy Pharmacie Génériques devra payer à Laurence X... au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-neuf septembre deux mille neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris du 26 février 2008