Partie civile oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 6 janvier 2009

N° de pourvoi : 06-80209

Non publié au bulletin

Rejet

M. Joly (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 

LA SOCIETE STUDEC, civilement responsable,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 5e chambre, en date du 16 novembre 2005, qui, dans la procédure suivie notamment contre Elie X... et Bernard Y... pour prêt illicite de main d’oeuvre, a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur la recevabilité du mémoire en défense produit pour Carine Z..., partie civile :

Attendu que ce mémoire n’est pas signé par un avocat à la Cour de cassation ; que, dès lors, il est irrecevable, par application de l’article 585 du code de procédure pénale ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 31, 388, 551, 698-2 et 802 du code de procédure pénale, 593 du même code, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a rejeté l’exception de nullité de la citation directe délivrée le 17 mars 2004 par le ministère public, soulevée par la société Studec ;

”aux motifs que la société Studec soulève la nullité de la citation en faisant valoir que le ministère public n’ayant pas qualité pour exercer l’action civile ne pouvait la citer valablement en qualité de civilement responsable ; que, cependant, la citation à comparaître devant le tribunal n’est qu’un simple acte de procédure visant à mettre la procédure en état d’être jugée par la juridiction saisie, les parties civiles ayant la faculté de ne se constituer qu’à l’audience ; que cet acte est distinct de l’exercice de l’action civile proprement dite et n’est nullement réservée par les dispositions du code de procédure pénale, à la partie civile ; que, par ailleurs, la société Studec fait encore valoir qu’en étant citée devant la 6ème chambre du tribunal correctionnel de Marseille, elle ignorait qu’elle était attraite devant une formation statuant en matière militaire ; que, cependant, l’absence de la mention qu’elle devait comparaître devant une formation militaire du tribunal n’a pas porté atteinte à ses intérêts, dès lors qu’elle était appelée dans la cause pour répondre sur le plan civil du comportement de ses propres employés ;

”alors, d’une part, que le ministère public, qui n’exerce pas l’action publique, ne saurait citer directement, en qualité de civilement responsable, une partie non mise en cause par les parties civiles ; qu’en l’espèce, les parties civiles n’avaient mis en cause la société Studec ni dans une plainte initiale ni au cours de l’instruction, de sorte que la citation directe délivrée le 17 mars 2004 par le ministère public à l’encontre de la société Studec en qualité de civilement responsable était irrégulière ; qu’en refusant de l’annuler au motif erroné que l’action civile n’était pas réservée à la partie civile, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

”alors, d’autre part, que, si, lorsque le tribunal est saisi par une ordonnance de renvoi, la citation a pour seul but de donner les différents renseignements nécessaires à la comparution de la partie à l’audience, tel n’est pas le cas d’une citation directe, qui, délivrée à une partie en qualité de civilement responsable, saisit à son égard le tribunal d’une action civile, ce qui est interdit au ministère public ; qu’en refusant d’annuler la citation directe au motif erroné qu’il s’agissait d’un simple acte de procédure visant à mettre la procédure en état, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

”alors, enfin, que les articles 697 et suivants du code de procédure pénale prévoient, pour les infractions mentionnées à l’article 697-1, une procédure spécifique, et pour le jugement de ces infractions, lorsqu’il s’agit de délits, une formation spécialisée en matière militaire siégeant auprès du tribunal de grande instance déclaré compétent par décret ; qu’est donc nulle la citation qui ne mentionne pas que la personne citée en qualité de civilement responsable doit comparaître devant la formation spécialisée en matière militaire du tribunal correctionnel étant précisé que cette irrégularité porte nécessairement atteinte à ses intérêts, dès lors qu’elle n’est pas informée du régime pénal particulier et de la procédure spécifique applicables, ni de la nature de la juridiction devant laquelle elle doit se défendre ; qu’en refusant néanmoins de prononcer la nullité de la citation directe délivrée à la société Studec ne portant pas mention de la juridiction spécialisée en matière militaire, au motif erroné de l’absence d’un grief, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision” ;

Attendu que le moyen, qui se borne à reprendre l’argumentation que, par une motivation exempte d’insuffisance ou de contradiction, la cour d’appel a écartée à bon droit, ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L.125-3 et 152-3 du code du travail, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société Studec civilement responsable d’Elie X... et Pascal Y..., déclarés coupables de prêt de main-d’oeuvre illicite, et l’a condamnée à payer diverses sommes aux parties civiles ;

”aux motifs que les marchés et bons de commande litigieux ont été signés par Elie X..., chef de l’agence de Toulon de 1994 jusqu’à juillet 1997 ou par Pascal Y..., directeur de département de la société Studec au cours des années 1995 à 1999, en vertu d’une délégation de pouvoir ; que l’élément matériel du prêt exclusif de main-d’oeuvre a été établi par le tribunal, selon lequel la société Studec a, dans le cadre de divers marchés publics de documentation technique attribués par la DCN et la DGA, détaché du personnel sur les sites de celle-ci, détachements assimilables à un prêt exclusif de main-d’oeuvre ; que l’élément intentionnel est constitué par la conscience qu’avaient les prévenus du caractère illégal des mises à disposition ;

”alors, d’une part, que le prêt de main-d’oeuvre n’est pas prohibé par l’article L. 125-3 du code du travail, lorsqu’il n’est que la conséquence nécessaire de la transmission d’un savoir-faire ou de la mise en oeuvre d’une technicité qui relève de la spécificité propre de l’entreprise prêteuse ; que la société Studec faisait valoir (cf. concl. p. 23 à 25) que ses préposés avaient détaché du personnel sur les sites de la DCN dans le cadre de prestations de services faisant l’objet de marchés de documentation technique attribués par la DCN ou la DGA, et qu’il n’a jamais été conclu de contrat dont le seul objet était la fourniture de main-d’oeuvre ; qu’en considérant néanmoins que ces détachements étaient assimilables à des prêts de main d’oeuvre exclusif, sans s’expliquer sur cette argumentation pertinente et sans procéder à une analyse détaillée des marchés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

”alors, d’autre part, que le délit de prêt exclusif de main-d’oeuvre nécessite un élément intentionnel que les juges du fond doivent caractériser ; qu’en se bornant à affirmer que l’élément intentionnel était constitué par la conscience qu’avaient les prévenus du caractère illégal des mises à disposition, sans s’expliquer sur les conclusions de la société Studec faisant valoir (cf. concl. p. 26 à 29) que ses préposés n’avaient fait que répondre à des appels de candidatures émanant de la DGA ou de la DCN qui définissaient elles-mêmes le contenu des marchés, et s’étaient bornés à exécuter ces marchés qui avaient été validés et réglés sous le contrôle du comptable public, de sorte qu’ils ne pouvaient imaginer qu’ils étaient susceptibles de commettre une infraction en répondant favorablement à la demande étatique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale” ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 et 698-2 du code de procédure pénale, 593 du même code, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a rejeté la demande de la société Studec, tendant à voir déclarer irrecevables les constitutions de parties civiles de Corinne A..., Wanda B..., Anne-Marie C... et Carine Z..., et condamné la société Studec à payer diverses sommes à ces quatre parties civiles ;

”aux motifs que la société Studec affirme que les parties civiles n’ont subi aucun préjudice ; que, cependant, le salarié victime d’un prêt de main-d’oeuvre exclusif est privé du bénéfice des dispositions favorables qui encadrent le travail temporaire dont celles de l’article L. 124-4 du code du travail ; que, s’agissant de Corinne A..., elle a été privée du bénéfice des dispositions favorables concernant le travail temporaire ; que le fait, pour Wanda B..., d’avoir été mise à disposition d’une entreprise dans des conditions illégales, par son employeur, est en soi constitutif d’un préjudice moral ; que, s’agissant d’Anne-Marie C..., sa demande de dommages-intérêts est fondée sur une inégalité de salaire qui est la conséquence directe du prêt exclusif de main-d’oeuvre en ce qu’il élude l’application des dispositions relatives au travail temporaire ; qu’enfin, Carine Z... a subi un préjudice directement causé par l’infraction de prêt de main-d’oeuvre exclusif, résultant des conditions de notation et de la non-prise en considération par son employeur des tâches qui lui étaient effectivement confiées du fait de sa mise à disposition, alors qu’elle aurait pu bénéficier des mêmes conditions de rémunération que les agents de l’Etat employés à des tâches équivalentes ;

”alors, d’une part, que la constitution de partie civile n’est recevable que de la part de ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ; qu’en se bornant, concernant Corinne A... et Anne-Marie C..., à affirmer l’existence d’un préjudice de ces salariées parties civiles au motif que les dispositions favorables relatives au travail temporaire avaient été éludées, sans s’expliquer sur les conclusions de la société Studec faisant valoir que l’indemnité de 10 % qui est versée au travailleur temporaire à l’issue de sa mission était, en l’espèce, bien inférieure aux avantages cumulés résultant du 13ème mois servi au personnel de Studec, de l’indemnité de précarité en CDD de 6 % et, dans le cas des salariées s’étant constituées parties civiles, des indemnités d’ancienneté, de préavis et de licenciement effectivement perçues, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

”alors, d’autre part, qu’en affirmant, à propos de Wanda B..., que le fait d’avoir été mise à disposition d’une entreprise dans des conditions illégales, par son employeur, était en soi constitutif d’un préjudice moral, sans caractériser autrement le préjudice moral prétendument subi par cette salariée, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;

”alors, enfin, qu’en affirmant que Carine Z... aurait subi un préjudice du fait que, mise à la disposition de la DCN-DGA, elle n’avait pu bénéficier des mêmes conditions de rémunération que les agents publics, sans démontrer en quoi Carine Z... aurait pu prétendre à un emploi d’agent public, et sans s’expliquer sur les conclusions de la société Studec faisant valoir que cette salariée avait occupé un emploi pendant dix ans et perçu au moment de son licenciement des indemnités importantes qu’elle n’aurait touchées ni en qualité d’intérimaire ni en qualité d’agent public, et qu’elle n’avait, en réalité, subi aucun préjudice, la cour d’appel a privé sa décision de base légale” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments les faits poursuivis, et a ainsi justifié l’allocation, au profit des parties civiles, des indemnités propres à réparer le préjudice en découlant ;

D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Beauvais conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lambert ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 16 novembre 2005