Novation du contrat de travail

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 13 mai 2009

N° de pourvoi : 08-42485

Non publié au bulletin

Rejet

M. Bailly (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 5 décembre 2007), statuant sur renvoi après cassation (chambre sociale, 31 octobre 2006, n° 2430 F-D), que Mme X..., employée depuis 1974 par le groupe Rohm and Haas, exerçait en dernier lieu, au service de la filiale française de ce groupe les fonctions de “manager européen”, dans le département “financial business support” de la division agrochimie ; qu’en juin 2001, dans le cadre d’une restructuration de ce secteur au niveau du groupe, la société Rohm et Haas France a cédé à la société Dow Agrosciences, dépendant du groupe Dow chemical, l’activité relative aux produits chimiques destinés à l’agriculture ; qu’après avoir refusé une mutation dans un établissement de la société Dow agrosciences, Mme X... a été employée par la société Dow agrosciences Switzerland ; que, soutenant que son contrat de travail avait été rompu par la société Rohm and Haas, qui l’avait radiée de ses effectifs, elle a saisi le juge prud’homal de demandes indemnitaires ;

Attendu que la société Rohm and Haas fait grief à l’arrêt de la condamner au paiement d’indemnités de préavis et de licenciement et de dommages-intérêts alors, selon le moyen :

1°/ que l’entité économique constitue un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre ; que l’existence du transfert d’une telle entité économique autonome doit être appréciée par les juges du fond en considération des conditions effectives dans lesquelles une activité et les éléments d’exploitation correspondants sont cédés puis repris au jour du transfert ; qu’en se fondant uniquement sur l’absence de production de certains contrats par la société Rohm And Haas France pour dire qu’il n’était pas établi que la cession de l’activité constituait le transfert d’une entité économique autonome, sans rechercher si l’activité transférée constituait dans les faits une telle entité, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et partant, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1224-1 , ancien article L. 122-12 ; alinéa 2, du code du travail ;

2°/ qu’en vertu de l’article 455 du code de procédure civile, le jugement doit être motivé ; qu’en vertu de l’article 12, alinéa premier du même code, le juge a l’obligation de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; que pour condamner l’exposante à verser à Mme X... diverses sommes au titre d’un prétendu licenciement injustifié, la cour d’appel s’est contentée d’affirmer qu’il n’était pas établi que la cession par la société Rohm And Haas France à la société Dow Agrosciences de son activité « produits chimiques pour l’agriculture » constituait le transfert d’une unité économique autonome ; qu’en statuant ainsi, sans établir si le transfert de l’activité constituait ou non effectivement le transfert d’une entité économique autonome, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences des textes susvisés ;

3°/ qu’ en énonçant que les notes d’information remises par la société Rohm and Haas à son comité central d’entreprise ne suffisaient pas à établir que l’activité cédée à la société Dow Agrosciences constituait au sein de la société Rohm And Haas une entité économique autonome et son transfert, certaines pièces n’étant pas produites, et que les seules pièces produites ne permettaient pas d’établir un transfert à la société Dow Agrosciences par la société Rhom And Haas d’une entité économique autonome entendue, la cour d’appel a reproché à la société Rhom And Haas de ne pas avoir rapporté la preuve que les conditions d’application de l’article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail devenu l’article L. 1224-1 étaient réunies ; qu’en se prononçant de la sorte, cependant que l’action avait été intentée par Mme X... qui se prévalait de l’inexistence d’un transfert d’une entité économique autonome, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l’article 1315 du code civil ;

4°/ que l’acceptation d’une modification du contrat de travail peut être tacite dès lors que cette acceptation n’est pas équivoque ; que cette acceptation, conformément au principe du consensualisme, n’a donc pas à être nécessairement expresse ; que pour condamner l’exposante à verser à Mme X... diverses sommes, la cour d’appel s’est bornée à relever qu’aucune acceptation expresse du transfert n’était démontrée ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 1134 du code civil ;

Mais attendu d’abord, qu’appréciant souverainement les éléments de fait qui lui étaient soumis, sans méconnaître les règles d’administration de la preuve, la cour d’appel a retenu que le transfert à la société Dow Agrosciences d’une entité économique autonome à laquelle aurait été rattachée Mme X... n’était pas établi ;

Attendu ensuite que, lorsque les conditions d’application de l’article L. 122-12, alinéa 2, devenu l’article L. 1224-1 du code du travail ne sont pas réunies, le transfert du contrat de travail d’un salarié à un autre employeur constitue une novation qui ne peut s’opérer sans son accord exprès, lequel ne peut être induit de la seule poursuite du travail sous une autre direction ; que la cour d’appel, qui a retenu que l’acceptation du changement d’employeur par Mme X... n’était pas démontrée, en a exactement déduit qu’il n’y avait pas eu de transfert volontaire de son contrat de travail ;

Que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Rohm And Haas France aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la société Rohm And Haas France.

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR dit qu’il n’était pas établi que la cession par la Société ROHM AND HAAS de son activité « produits chimiques pour l’agriculture » à la Société DOW AGROSCIENCES constituait le transfert d’une entité économique autonome, d’AVOIR dit que la radiation de Mme X... des effectifs de la Société ROHM AND HAAS s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’AVOIR, en conséquence, condamné la société ROHM AND HAAS à lui payer les sommes de 21.249,27 à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 2.124,93 au titre des congés payés afférents, 96.330,02 au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, 45.900 à titre de dommages et intérêts pour licenciement sas cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS QUE « que l’article L.122-12 du Code du Travail est applicable en cas de transfert d’une entité économique autonome qui conserve son entité et dont l’activité est poursuivie ou reprise ; que constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre ; que la société Rohm and Haas France produit deux notes d’information sur le projet de cession à la société Dow Agrosciences de son activité « produits chimiques pour l’agriculture » datée du 26 mars 2001 et du 22 mai 2001 destinées au comité d’entreprise en vue de la consultation du comité sur le projet de cession ; que la note du 26 mars 2001, après une description de l’opération au niveau global, précise les sites concernés par le projet en France : l’usine de Lauderbourg où Dow Agrosciences opérerait sur les installations dédiées à l’agrochimie sur le site, le site d’essai de Moulon dont la propriété reviendrait à Dow AgroSciences, le bureau de Paris où se trouvent les fonctions commerciales, marketing, service client, département homologation etc., les sites de stockage, de sous traitance divers en France dédiés à l’activité agrochimique ; que la note du 22 mai 2OO1 indique que seront signés par Rohm and Haas France et Dow AgroSciences :
"-" un contrat de cession de fonds de commerce par lequel Dow AgroSciences devient propriétaire du Business Ag et comportant une clause relative au transfert des contrats de travail du personnel du Business Ag en application de l’article L.122.12 du Code du Travail,
"-" un contrat de bail emphytéotique par lequel Dow AgroSciences devient locataire des bâtiments et des aires de stockage du Business Ag à Lauterbourg,
"-" un contrat de vente immobilière par lequel la société Dow AgroSciences devient propriétaire de Moulon et un contrat de services, sans limitation de durée, par lequel Dow AgroSciences bénéficie de certains services sur le site de Lauterbourg, la note précisant que la liste des services achetés par Dow AgroSciences figure dans l’annexe I ; que ces notes d’information du comité d’entreprise exposant un projet ne suffisent pas à établir que l’activité cédée à la société Dow AgroSciences constituait au sein de la société Rhom and Haas une entité économique autonome et son transfert dans les conditions précitées, les contrats visés par la note du 22 mai n’étant pas produits, l’annexe I censée fournir la liste des services achetés par Dow AgroSciences au surplus étant trois pages blanches ; que Mme X... produit un accord, à effet au 1er janvier 2000, intitulé opérations européennes contrat de partage de coûts, qui, pour l’amélioration de l’efficacité de la production, les systèmes et le support informatiques, la comptabilité des transactions financières et l’analyse des opportunités de nouvelles affaires, la gestion du personnel, a pour objet l’apport aux filiales européennes, dont la société Rohm and Haas France, de services administratifs et de commercialisation ; que les seules pièces produites, en ce comprise la plaquette publicitaire de la société Rohm and Haas indiquant que sur le site de Lauterbourg « Dow AgroSciences fabrique des produits pour l’agriculture, entre autres des fongicides (190 personnes) ; que cette ligne de production a été cédée par Rohm and Haas ne permettent pas d’établir un transfert à la société Dow AgroSciences par la société Rohm and Haas d’une unité économique autonome entendue comme ci-dessus précisé ; que Mme X... est dès lors bien fondée à contester le transfert de son contrat de travail à la société Dow AgroSciences par application des dispositions de l’article L.122.12 du Code du Travail et par suite, une acceptation expresse de ce transfert n’étant pas démontrée, à soutenir que sa radiation des effectifs de la société Rohm and Haas s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, peu important qu’elle ait, après négociations, accepté le poste d’analyse financier mondial pour les unités opérationnelles mondiales fongicides et herbicides à Horgen, en Suisse, à compter du 1er décembre 2001 ; qu’en application de l’article L.122.14.4 du Code du Travail, la cour dispose des éléments pour évaluer le préjudice subi par la salariée à la somme de 45.900,
Qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur le droit de l’ASSEDIC au remboursement d’allocations de chômage ; que l’indemnité compensatrice de préavis étant égale au salaire qu’aurait perçu le salarié s’il avait travaillé pendant la période de délai-congé, l’indemnité de préavis due à Mme X... s’élève, au vu des bulletins de paie versés aux débats, à la somme de 21.249,27 et l’indemnité de congés payés afférents est de 2.124,93 ; que faute de production par Mme X... de ses bulletins de paie des douze derniers mois précédant la rupture, l’indemnité de licenciement que devra lui verser par la société Rohm and Haas, calculée sur la base du salaire du mois de mai 2001 conformément aux dispositions de la convention collective des industries chimiques s’élève à la somme de 96.330,02 » ;

ALORS, DE PREMIÈRE PART, QUE l’entité économique constitue un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre ; que l’existence du transfert d’une telle entité économique autonome doit être appréciée par les juges du fond en considération des conditions effectives dans lesquelles une activité et les éléments d’exploitation correspondants sont cédés puis repris au jour du transfert ; qu’en se fondant uniquement sur l’absence de production de certains contrats par la Société ROHM AND HAAS FRANCE pour dire qu’il n’était pas établi que la cession de l’activité constituait le transfert d’une entité économique autonome, sans rechercher si l’activité transférée constituait dans les faits une telle entité, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et partant, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1224-1, ancien article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail ;

ALORS, DE DEUXIÈME PART, QU’en vertu de l’article 455 du Code de procédure civile, le jugement doit être motivé ; qu’en vertu de l’article 12, alinéa premier du même code, le juge a l’obligation de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; que pour condamner l’exposante à verser à Madame X... diverses sommes au titre d’un prétendu licenciement injustifié, la Cour d’appel s’est contentée d’affirmer qu’il n’était pas établi que la cession par la Société RHOM and HAAS FRANCE à la Société DOW AGROSCIENCES de son activité « produits chimiques pour l’agriculture » constituait le transfert d’une unité économique autonome ; qu’en statuant ainsi, sans établir si le transfert de l’activité constituait ou non effectivement le transfert d’une entité économique autonome, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences des textes susvisés ;

ALORS, DE TROISIÈME PART, ET EN TOUTE HYPOTHESE, QU’ en énonçant que les notes d’information remises par la Société ROHM and HAAS à son comité central d’entreprise ne suffisaient pas à établir que l’activité cédée à la Société DOW AGROSCIENCES constituait au sein de la Société ROHM and HAAS une entité économique autonome et son transfert, certaines pièces n’étant pas produites, et que les seules pièces produites ne permettaient pas d’établir un transfert à la Société DOW AGROSCIENCES par la Société RHOM and HAAS d’une entité économique autonome entendue, la cour d’appel a reproché à la société RHOM and HAAS de ne pas avoir rapporté la preuve que les conditions d’application de l’article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail devenu l’article L. 1224-1 étaient réunies ; qu’en se prononçant de la sorte, cependant que l’action avait été intentée par Madame X... qui se prévalait de l’inexistence d’un transfert d’une entité économique autonome, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l’article 1315 du Code civil ;

ALORS, DE QUATRIEME PART, ET SUBSIDIAIREMENT, QUE l’acceptation d’une modification du contrat de travail peut être tacite dès lors que cette acceptation n’est pas équivoque ; que cette acceptation, conformément au principe du consensualisme, n’a donc pas à être nécessairement expresse ; que pour condamner l’exposante à verser à Madame X... diverses sommes, la Cour d’appel s’est bornée à relever qu’aucune acceptation expresse du transfert n’était démontrée ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 1134 du Code civil.

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles du 5 décembre 2007