Utilisateur employeur de fait - contrats de mission injustifiés

Arrêt n°1028 du 12 novembre 2020 (19-11.402) - Cour de cassation - Chambre sociale
 ECLI:FR:CCAS:2020:SO01028
Travail temporaire
Rejet

Sommaire
Aux termes de l’article L.124-2 alinéa 1 devenu l’article L.1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

Selon les articles L. 124-2 alinéa 2, L.124-2-1 et D. 124-2 devenus les articles L. 1251-6 et D. 1251-1 du même code, dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il peut être fait appel à un salarié temporaire pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée « mission » pour certains des emplois en relevant lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats de mission successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié.

Il résulte de l’application combinée de ces textes, que le recours à l’utilisation de contrats de missions successifs impose de vérifier qu’il est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

Doit être approuvé, l’ arrêt qui requalifie la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du premier contrat de mission irrégulier au motif que l’entreprise utilisatrice, qui avait ensuite directement recruté le salarié au moyen de contrats à durée déterminée d’usage successifs, ne produisait aucun élément permettant au juge de contrôler de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

Demandeur(s) : Terminal des Flandres, société par actions simplifiée
Défendeur(s) : M. A... X... et autre(s)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué ( Douai, 30 novembre 2018), M. X... a été engagé à compter du mois de février 2006, en qualité d’ouvrier docker occasionnel, par plusieurs entreprises de travail temporaire qui l’ont mis à disposition de la société Terminal des Flandres, l’une des sociétés de manutention portuaire sur le port de Dunkerque, au moyen de deux cent un contrats de mission.

2. A compter du 1er janvier 2013, il a été recruté directement par la société Terminal des Flandres dans le cadre de contrats à durée déterminée d’usage.

3. La relation de travail ayant pris fin le 16 juillet 2014, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant à obtenir la requalification en contrat à durée indéterminée des contrats de mission temporaire ainsi que des contrats à durée déterminée, avec toutes les conséquences attachées à la rupture injustifiée d’un contrat à durée indéterminée.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

5. L’employeur fait grief à l’arrêt de dire que la relation de travail doit être requalifiée en contrat à durée indéterminée à compter du 16 février 2006, de dire que la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement de sommes en conséquence, alors :

« 2° / que constituent des éléments objectifs établissant la nature temporaire de l’emploi, au sens des articles L. 12421 et L. 12422 du code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l’accord cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000, le caractère fluctuant du trafic maritime et la variation continue de la charge d’activité de chargement et déchargement des navires, de sorte que la conclusion de contrats à durée déterminée successifs est justifiée par des raisons objectives ; qu’en l’espèce, pour dire que la relation de travail du salarié devait être requalifiée en contrat à durée indéterminée à compter du 16 février 2006 et que la rupture du dernier contrat devait s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a considéré que, par principe, les contrats de missions et à durée déterminée étaient liés à l’activité normale et permanente de la société, fût-elle fluctuante ; que pourtant, le caractère fluctuant du trafic maritime et la variation continue de la charge d’activité de chargement et déchargement des navires peuvent constituer des raisons objectives justifiant la conclusion de contrats à durée déterminée successifs ; qu’en considérant le contraire, la cour d’appel a violé l’ensemble des textes susvisés ;

3°/ qu’en affirmant que les contrats de missions et à durée déterminée étaient liés à l’activité normale et permanente de la société, fût elle fluctuante et que les pièces produites par la société ne permettait pas d’établir l’existence de raisons objectives justifiant le recours à des contrats à durée déterminée successifs, quand elle constatait elle-même que le trafic maritime avait un caractère par essence fluctuant et que l’activité continue de la société était variable en fonction de la charge d’activité de chargement et déchargement des navires, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations, a violé l’ensemble des articles L. 12421 et L.12422 du code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l’accord cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000 ;

4°/ qu’en affirmant que le caractère par essence fluctuant de l’activité de manutention portuaire ne saurait constituer concrètement une raison objective établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné car à suivre la société c’est du même coup l’existence des dockers mensualisés embauchés à durée indéterminée qui serait une anomalie, et que la société avait la possibilité d’adapter le travail des salariés à l’activité par essence fluctuante de l’entreprise en agissant sur la durée du travail (modulation, temps partiel), la cour d’appel a statué par des motifs inopérants qui n’étaient en rien de nature à exclure l’existence d’une raison objective justifiant le recours à des contrats à durée déterminée successifs, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard des articles L. 12421 et L. 12422 du code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l’accord cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l’article L. 124-2, alinéa 1, devenu l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

7. Selon les articles L. 124-2, alinéa 2, L. 124-2-1 et D. 124-2 devenus les articles L. 1251-6 et D. 1251-1 du même code, dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il peut être fait appel à un salarié temporaire pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée « mission » pour certains des emplois en relevant lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats de mission successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié.

8. Il résulte de l’application combinée de ces textes, que le recours à l’utilisation de contrats de missions successifs impose de vérifier qu’il est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

9. Ayant relevé que les contrats de mission conclus en 2006 et 2007 mentionnaient comme motif de recours « emploi pour lequel il n’est pas d’usage de recourir au contrat à durée indéterminée » et que l’entreprise utilisatrice, avec laquelle la relation de travail s’était poursuivie de manière continue au moyen de contrats à durée déterminée d’usage, se contentait d’affirmer que, compte tenu du caractère fluctuant et imprévisible de l’activité de la manutention portuaire, le recours aux ouvriers dockers occasionnels se justifiait nécessairement par une tâche précise et temporaire indissociablement liée au secteur d’activité de la manutention portuaire sans qu’elle ne verse, aucun élément permettant au juge, de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par le salarié, la cour d’appel a pu, par ces seuls motifs, en déduire que la relation de travail devait être requalifiée en contrat à durée indéterminée à compter du premier contrat de mission irrégulier.

10. Le moyen, n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Président : M. Cathala
Rapporteur : Mme Ala, conseiller référendaire
Avocat général : Mme Rémery
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez - SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés