Dpae tardive

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 30 novembre 2010

N° de pourvoi : 10-81023

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

Me Spinosi, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 M. Nasreddine Riad Y...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 5-12, en date du 13 janvier 2010, qui, pour usurpation de titre, diplôme ou qualité, exercice illégal de la profession d’avocat, opérations de banque effectuées à titre habituel par personne autre qu’un établissement de crédit et éxécution de travail dissimulé, l’a condamné à douze mois d’emprisonnement dont huit mois avec sursis, 100 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 433-17, 111-4 du code pénal, 74 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1990, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

” en ce que l’arrêt attaqué a condamné le prévenu du chef d’usurpation de titre de conseil juridique ;

” aux motifs que l’article 74 de la loi du 31-1971, dans sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1990, dispose : “ quiconque aura fait usage, sans remplir les conditions exigées pour le porter d’un titre tendant à créer dans l’esprit du public une confusion avec le titre et la profession réglementée par la présente loi, sera puni des peines prévues à l’article 433-17 du code pénal “ ; que les mêmes peines seront applicables à celui qui aura fait usage du titre de conseil juridique ou d’un titre équivalent pouvant prêter à confusion ; que, dès lors que depuis la fusion des professions de conseil juridique et d’avocat, ces derniers sont habilités à se plaindre de l’usurpation du titre de conseil juridique ; que M. Y... a été renvoyé par le magistrat instructeur pour avoir, courant 1997, 1998, 1999, 2000, 2001 et le 6 décembre 2002, fait usage, sans droit, d’un titre attaché à une profession réglementée par l’autorité publique ou d’un diplôme officiel ou d’une qualité dont les conditions d’attribution sont réglementées par l’autorité publique, en l’espèce en faisant usage du titre de conseil juridique ; que le prévenu a reconnu devant les enquêteurs de police que son activité consistait à aider les gens du voyage à accomplir leur démarches administratives, commerciales, artisanales, sociales et fiscales en vue de leur immatriculation au registre du commerce et qu’en sa qualité de juriste fiscaliste il avait établi des requêtes auprès des tribunaux administratifs et de commerce ; que Mme Z..., commerçante, a déclaré avoir eu à faire à M. Y... qui avait la réputation d’être « un conseil financier et juridique » pour procéder à l’achat d’un local commercial et qu’il avait parfaitement accompli sa mission ; qu’il résulte du dossier que le prévenu rédigeait de nombreux courriers à entête « Assas juris conseil » dans lesquels il indiquait représenter les clients dans les litiges les opposant à des administrations ou des collectivités locales ; qu’il se faisait remettre également par ses clients « un pouvoir spécial » lui donnant pouvoir de les représenter devant toutes les institutions judiciaires et extra-judiciaires et pour faire toutes démarches administratives, sociales et fiscales ; que la majorité de ses courriers adressés aux différentes administrations comportait la mention « le service juridique » suivi du nom de A... et de sa signature ; qu’également étaient découvertes lors de la perquisition au domicile du prévenu des cartes de visites « Assas juris conseil » au nom de Me A..., pseudonyme de M. Y... ; que, par ailleurs, plusieurs courriers figurant au dossier démontrent que le prévenu était appelé « Maître » par une partie de ses interlocuteurs, ce qui était confirmé par ses secrétaires ; que, dès lors, l’utilisation conjointe et répétée auprès de la clientèle ou des administrations des termes, maître, service juridique, assistance juridique, représentation devant les institutions judiciaires, est de nature à entraîner dans l’esprit du public la confusion avec le titre de conseil juridique ; que M. Y..., juriste de formation et qui a toujours travaillé dans le conseil juridique, ne pouvait ignorer la réglementation en vigueur ; que, dès lors, le délit visé à la prévention est établi, la cour confirmera en conséquence les premiers juges sur ce point ;

” 1) alors que la cour d’appel ne pouvait condamner le prévenu, créateur d’une association à vocation d’aide juridique, sur le fondement du délit d’usurpation de titre de conseil juridique, sans constater au moins un acte positif d’usurpation du titre de conseil juridique ; que, de ce point de vue, le simple fait de délivrer une assistance juridique avec usage de la terminologie afférente et la réputation d’être un conseil financier et juridique ne sauraient suffire à constituer le délit susvisé ;

” 2) alors que la cour d’appel, qui précisait que depuis la fusion des professions de conseil juridique et d’avocat, ces derniers sont habilités à se plaindre de l’usurpation du titre de conseil juridique, ne pouvait cumuler les délits d’usurpation de titre de conseil juridique et d’exercice illégal de la profession d’avocat pour les mêmes faits ; qu’ainsi, l’utilisation de la formule « Maître » retenue pour caractériser le premier délit ne pouvait également servir à reconnaître l’existence du second sans violer les textes précités “ ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 433-17 et 111-4 du code pénal, 74 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

” en ce que l’arrêt attaqué a condamné le prévenu du chef d’exercice illégal de la profession d’avocat ;

” aux motifs que, concomitamment à l’ordonnance de renvoi du magistrat instructeur, le procureur de la République d’Evry faisait citer directement devant le tribunal correctionnel M. Y... pour avoir, à Juvisy-sur-Orge, entre le 1er avril 2005 et le 22 novembre 2007, sans être régulièrement inscrit à un barreau, assisté ou représenté des parties, postulé ou plaidé devant les juridictions ou organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, en l’espèce, notamment, en établissant des réclamations contentieuses et des requêtes en sursis de paiement auprès des trésoreries générales de Créteil et de Melun, en faisant référence à des textes et à de la jurisprudence, des mises en demeure sur le fondement du code civil ; qu’il résulte des pièces versées au dossier, que M. Y... a représenté devant le tribunal administratif M. B... dans un litige qui l’opposait au Trésor public ; qu’à ce titre, aux termes d’un document intitulé « pouvoir spécial », il avait reçu pouvoir de M. B... « pour le représenter ou l’assister devant toutes les institutions administratives, judiciaires ou extrajudiciaires … » ; que c’est ainsi que : septembre 2006, adressé à l’Association du droit et justice, accusait réception de sa requête dans le dossier B.../ trésorier payeur général ; octobre 2006 communiquait à l’Association du droit et justice copie du mémoire en défense présenté par le trésorier payeur général du Val-de-Marne dans l’instance B.../ TPG ; par courrier du 31 octobre 2006, le « service juridique » de « l’Association du droit et justice », adressait au tribunal administratif des conclusions en réplique ainsi qu’un bordereau de communication de pièces ; que M. C..., maire de Villiers-sur-Orge, expliquait aux enquêteurs de police que la mairie avait refusé le permis de construire déposé par Mme D..., le 13 juin 2006, laquelle avait alors saisi l’Association droit et justice qui avait introduit un recours gracieux au nom de cette dernière, qui était refusé le 8 décembre 2006 ; que, dès lors, le 16 mars 2007, l’Association droit et justice, au nom de Mme D..., avait contesté le refus du permis de construire devant le tribunal administratif de Versailles en demandant la reconnaissance tacite du permis de construire ; que Mme E... expliquait que l’association l’avait défendue dans un litige l’opposant avec le propriétaire des locaux où elle exerçait et que M. A... l’avait défendue par rapport à cette affaire et que pour elle, il était son avocat ; que Mme F..., compagne du prévenu, précisait que pour elle il était avocat, ce qu’il lui avait toujours dit ; que, d’ailleurs, les gens qui le côtoyaient l’appelaient Maître ; que, personnellement, il lui avait été présenté au tribunal de Melun pour qu’il s’occupe de la régularisation de sa situation administrative française ; qu’il lui avait dit qu’il allait plaider son cas ; qu’il apparaît dès lors que M. Y..., qui a défendu des clients contre rémunérations dans des litiges devant des juridictions administratives et qui se trouvait au moment des faits sous contrôle judiciaire pour des faits similaires, a bien commis le délit visé à la prévention ; qu’en conséquence, le jugement déféré sera confirmé de ce chef ;

” 1) alors qu’en confirmant la condamnation du chef d’exercice illégal de la profession d’avocat lorsqu’il résulte des mentions de l’arrêt que le prévenu n’avait fait qu’assister les justiciables devant les juridictions administratives et commerciales où le ministère d’avocat n’est pas obligatoire, la cour d’appel a violé les articles susvisés ;

” 2) alors que la juridiction du second degré ne pouvait, sans méconnaître les dispositions précitées, condamner le prévenu de ce chef tout en relevant qu’il était bien titulaire d’un pouvoir spécial conformément aux dispositions en vigueur “ ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 311-1, L. 511-5, L. 571-3 du code monétaire et financier, 111-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

” en ce que l’arrêt attaqué a condamné le prévenu du chef d’exercice illégal de la profession de banquier ;

” aux motifs qu’il est reproché au prévenu d’avoir, à Juvisy-sur-Orge, entre courant 1997 à 2001 et le 6 décembre 2002, effectué à titre habituel des opérations de banque, en l’espèce des opérations de réception de fonds du public, de crédits ou de mises à dispositions ou de gestion de moyens de paiement sans être titulaire d’un agrément délivré par le Comité des établissements de crédit ; qu’au cours de leurs auditions Mme M... et Mme N..., secrétaires de l’association « Assas Juris Conseil », déclaraient avoir remarqué que des personnes exerçant la profession de forains avaient coutume de remettre à M. Y... de nombreux chèques dont le montant ne correspondait pas au prix des cotisations, qui étaient encaissés sur le compte de l’association, et dont le montant était ensuite reversé en liquide ; qu’elles ajoutaient lors d’une seconde audition qu’elles avaient déposé sur le compte de Mme F..., compagne du prévenu, de nombreux chèques d’adhérents de l’association ou de leurs clients, qui ne portaient pas le nom du bénéficiaire ; que Mme F... indiquait qu’elle n’était pas surprise que les policiers soient venus l’interpeller car elle savait que « Me A... » avait fait transiter des sommes très importantes sur son compte bancaire ; que les investigations entreprises démontraient, qu’entre le 6 juin 2000 et le 6 novembre 2002 avaient été déposés sur le compte bancaire de Mme F... des sommes à hauteur de 422 740 euros puis retirés en espèces pour un montant total de 372 436 euros ; que l’un des adhérents de l’association, M. G..., reconnaissait avoir donné à M. Y... cinq chèques remis par ses clients en paiement de l’achat de tapis pour un montant de 9 013 euros, qui avaient été encaissés sur le compte de l’association, puis lui avaient été reversés sous forme d’espèces, après que M. Y... ait prélevé une commission de 6 % ; que M. Y... reconnaissait les faits et avouait avoir agi de la même façon avec les deux autres membres de l’association, MM. H... et I..., pour des sommes de 39 000 euros et 23 000 euros ; qu’il niait cependant toute perception d’une commission, mais admettait seulement avoir obtenu des tapis en cadeau ; qu’il réfutait également être à l’origine des mouvements de fonds sur le compte de Mme F..., bien qu’ayant reçu procuration sur le compte ; qu’il apparaît, au vu de l’ensemble de ces constatations, que le prévenu a, de façon habituelle, perçu des fonds du public sous forme de chèques pour les restituer sous forme d’espèces moyennant remise d’une commission ou de cadeaux ; que ce dernier, qui a toujours revendiqué être juriste et être titulaire d’un DESS, ne pouvait ignorer la législation en vigueur ; qu’il s’est donc bien rendu coupable du délit visé à la prévention ; qu’en conséquence, le jugement sera également confirmé de ce chef ;

” alors que la perception de fonds sous forme de chèques pour les restituer sous forme d’espèces moyennant remise d’une commission ou de cadeaux n’est pas suffisante à caractériser le délit d’exercice illégal de la profession de banque à titre habituel ; qu’à supposer pour les besoins du raisonnement que la formation de juriste d’une personne titulaire d’un DESS suffise à établir l’existence de l’élément moral de l’infraction, aucun élément matériel propre à l’infraction reprochée n’a été relevé par la cour d’appel qui a, dès lors, privé sa décision de toute base légale “ ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 362-3, L. 362-4, L. 362-5, L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11, L. 320 du code du travail, applicables à l’époque des faits, 111-4, 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

” en ce que l’arrêt attaqué a condamné le prévenu du chef de travail dissimulé ;

” aux motifs qu’il résulte du procès-verbal, dressé par les agents de l’URSAFF lors d’un contrôle effectué dans les locaux de l’association « Assas Juris Conseil » le 17 juin 2004, que Mmes J... et K... avaient été embauchées par cette association, en l’occurrence par M. Y..., le 1er novembre 2003, alors que la déclaration préalable à l’embauche n’avait été réalisée que le 1er décembre 2003 et qu’elles n’avaient reçu que partiellement leurs bulletins de salaires ; que Mme L... avait été embauchée le 1er mars 2004 alors que la déclaration préalable à l’embauche avait été effectuée le 3 mai 2004 et qu’elle n’avait reçu que le bulletin de mai 2004 ; que, de même, il apparaît que l’association avait transmis à l’URSAFF des déclarations sociales avec la mention néant pour le 4e trimestre 2003 et le 1er trimestre 2004 ; que, si le prévenu a contesté le délit de travail dissimulé devant les premiers juges au prétexte qu’il y avait eu un simple retard pour l’établissement des déclarations préalables à l’embauche, devant la cour le conseil du prévenu n’a pas remis véritablement en cause la condamnation de ce chef ; qu’en conséquence, le délit visé par la prévention est établi en tous ses éléments, le prévenu juriste de métier ne pouvant ignorer la législation en la matière ; qu’en conséquence, le jugement sera confirmé de ce chef ;

” alors que le seul retard de déclaration préalable à l’embauche ne peut suffire à lui-seul à constituer le délit de travail dissimulé reproché au prévenu à défaut de caractérisation précise de l’élément moral ; qu’en s’abstenant de se prononcer sur cet élément essentiel lorsque le retard pourrait découler d’une simple négligence, la cour d’appel a violé les textes susvisés “ ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l’allocation, au profit des parties civiles, de l’indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;

D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. Y... devra payer à L’Ordre des avocats au barreau de l’Essonne au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Le Corroller conseiller rapporteur, M. Palisse conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 13 janvier 2010