Dissimulation d’emploi salarié et emploi d’un salarié étranger sans titre de travail

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 22 septembre 2015

N° de pourvoi : 13-83724

ECLI:FR:CCASS:2015:CR03579

Non publié au bulletin

Rejet

M. Guérin (président), président

SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

 M. Franck X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de BASTIA, chambre correctionnelle, en date du 30 avril 2013, qui, pour homicide involontaire, travail dissimulé et emploi d’un étranger non muni d’une autorisation, l’a condamné à dix mois d’emprisonnement avec sursis, 7 500 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 23 juin 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Buisson, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller BUISSON, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DESPORTES ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 9 juillet 2009, à 14 heures, le corps sans vie de Hamid Y...a été retrouvé sous un tracteur, dans un fossé situé sur une parcelle de vigne appartenant à M. X..., exploitant viticole ; qu’il est apparu que la victime avait été écrasée par le tracteur qu’elle conduisait pour labourer la vigne ; que M. X...a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de travail dissimulé, emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail et homicide involontaire ; qu’il a, avec le procureur de la République et les parties civiles, formé appel du jugement le déclarant coupable de ces délits ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5, L. 8224-1, L. 8251-1, L. 8256-2, L. 8256-3, L. 8256-6 et L. 5221-2 du code du travail, 111-4 et 121-3 du code pénal, 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a condamné le prévenu du chef de travail dissimulé et d’emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail ;
” aux motifs qu’il est constant que le corps de Hamid Y...a été trouvé dans les vignes, au lieudit ..., appartenant à M. X..., à Poggio d’Oletta, sous un tracteur appartenant à ce dernier ; qu’il est non moins constant que la victime était logée dans un local appartenant au prévenu et situé dans l’ancienne coopérative viticole de Patrimonio où il avait installé sa société ; que M. X...a déclaré avoir hébergé Hamid Y...à titre gracieux surtout pour être agréable à M. A...qui avait fait des travaux chez lui ; qu’il a été observé que la présence de la victime à la cave n’était pas indispensable à la sûreté des lieux qui étaient fermés ; que si les témoignages des ressortissants de la même communauté que la victime et travaillant sur les lieux ne permettent pas de dire de façon certaine qu’il était arrivé à Hamid Y...de labourer avec un tracteur les vignes de M. X...certains des ouvriers agricoles entendus ont confirmé que la victime avait déjà travaillé pour ce dernier : ainsi Hafid B...a déclaré que Hamid « travaillait trois ou quatre jours chez M. X..., puis à gauche et à droite, où il y avait du travail ; qu’il travaillait uniquement dans la vigne, il enlevait l’herbe entre les vignes » ; que M. Mohamed C...a aussi « vu travailler (Hamid) avec des outils jamais avec un tracteur ou une machine agricole » ; que M. Hamid C...a déclaré de son côté : “ je ne l’ai jamais vu travailler dans les vignes de M. X...mais je savais qu’il y travaillait car c’est Hamid qui me racontait ses journées “ : “ M. X...le logeait gratuitement et le payait 60 euros par jour “ « Hamid nous a dit qu’il avait conduit le tracteur trois fois » ; que M. X...a convenu qu’il lui arrivait « quasiment tous les jours » d’emmener Hamid en voiture ; que cette familiarité avec la victime a pu aussi être observée dans le cadre de la collecte de fonds organisée pour la famille du défunt, pour laquelle la famille X...a été particulièrement généreuse ; qu’enfin, bien qu’il ait donné plusieurs versions concernant la chronologie des événements antérieurs à l’accident (notamment sur la date à laquelle il s’était rendu à ... avec la victime) M. X...a toujours déclaré s’être rendu auprès du tracteur avec Hamid Y...pour le mettre en état de marche, en y attelant le chisel destiné à labourer les vignes ; qu’enfin, le rapport de l’inspection du travail a relevé les infractions de travail dissimulé et d’emploi d’un salarié démuni d’un titre de travail l’autorisant à exercer en France ; qu’au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît clairement que, comme nombre de ses compatriotes, Hamid Y...travaillait, même occasionnellement, dans les vignobles de Patrimonio, que M. X..., dont on peut douter qu’il ait logé, depuis plus d’un mois, la victime sans contrepartie, et qui avait l’habitude de le transporter en voiture, l’avait embauché pour travailler sur sa propriété ;
” 1°) alors qu’il appartient aux juges du fond de caractériser les éléments constitutifs de l’infraction reprochée ; qu’en l’espèce, en se bornant à énoncer que la victime avait été retrouvée dans les vignes appartenant au demandeur, sous un tracteur lui appartenant, avait été logée par ce dernier, lequel avait participé à la collecte de fonds destinés au rapatriement de son corps au Maroc pour en déduire, de manière totalement péremptoire, qu’il s’était rendu coupable de travail dissimulé et d’emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail sans en caractériser les éléments constitutifs, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;
” 2°) alors qu’en tout état de cause, la cour d’appel, qui condamnait le prévenu pour des faits ayant eu lieu du 1er janvier 2009 au 9 juillet 2009, sans répondre au chef péremptoire des conclusions qui soutenaient que la prévention ne pouvait s’étendre, au regard des pièces de la procédure, que du 9 mars 2009 au 9 juillet 2009, n’a pas légalement justifié sa décision “ ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable des délits de travail dissimulé et d’emploi d’un étranger sans autorisation, l’arrêt, après avoir relevé que ses dénégations n’étaient pas crédibles au regard des constatations de fait et des témoignages recueillis, retient, par motifs propres et adoptés, qu’il est établi que la victime était en action de travail sous les ordres de M. X..., qui ne l’avait pas déclarée auprès de la caisse de mutualité sociale agricole ni inscrite sur le registre du personnel, et qu’elle ne bénéficiait pas d’un titre l’autorisant à travailler en France ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations procédant de son appréciation souveraine, la cour d’appel a justifié sa décision, dès lors que la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1er, du code pénal ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 121-3, 221-6, 221-8 et 221-10 du code pénal, L. 4121-1, L. 4321-1, L. 4322-1, L. 4741-1, L. 4741-2, L. 4741-5 et L. 4311-7 du code du travail, 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a condamné le prévenu du chef d’homicide involontaire ;
” aux motifs que, M. X...est poursuivi pour avoir violé de manière manifestement délibérée plusieurs obligations particulières de sécurité ou de prudence prévues par le code du travail, en confiant le binage de ses vignes par un tracteur motorisé dont l’équipement de sécurité n’était pas en place, à un ouvrier non déclaré dont il ne s’était pas assuré auparavant de son expérience de la conduite, ni même s’il comprenait les consignes en langue française, ni s’il savait assurer sa sécurité et utiliser au mieux les ressources de l’engin, et ce sans évaluation préalable du risque lié à la configuration du terrain, les conditions météo et la nécessité de mettre en place les arceaux de sécurité pour prévenir tout dommage lié à un renversement ; que le rapport de l’inspection du travail, rédigé après visite des lieux le jour même, constate que « plusieurs rangées de vignes ont été travaillées, qu’un chisel porté à cinq socs est attelé au tracteur afin de biner et d’effectuer les travaux d’entretien du sol et que les arceaux de sécurité du tracteur sont rabattus alors que les opérations de travail d’entretien du sol ne nécessitent pas l’abaissement de la structure de protection » ; qu’il constate également que la victime portait des gants de travail, qu’elle était dépourvue de titre de travail l’autorisant à exercer sur le territoire français, et que M. X...ne l’avait pas déclarée auprès de la caisse de mutualité sociale agricole ni inscrite sur le registre du personnel ; que l’inspection s’étonne des déclarations de M. X...car « elles suggèrent que la victime, de son propre chef, a deviné le travail qui devait être exécuté, la parcelle qui devait être travaillée, l’endroit où le tracteur se trouvait positionné et l’endroit où le second jeu de clés du tracteur se trouvaient rangées » ; qu’elle conclut que cette version des faits n’est pas crédible ; qu’au terme du rapport, ont été relevées les infractions suivantes : équipements de travail non utilisés en conformité : en effet les arceaux de sécurité étant rabattus le jour de l’accident, alors que ceux-ci ne peuvent être abaissés que pour des travaux le nécessitant, la vie de Hamid Y...a été mise en danger, absence d’information donnée au salarié des risques potentiels sur l’exploitation, et absence de formation du salarié à la conduite d’un tracteur ; que l’infraction d’homicide involontaire par violation manifestement délibérée de ces obligations de sécurité suppose, d’une part, que le décès de la victime soit intervenu à l’occasion de l’exercice d’une tâche confiée par l’employeur à son salarié, et, de l’autre, qu’un lien direct soit établi entre la faute de l’employeur et le décès ; que l’existence préalable d’instructions données au salarié se déduit en l’espèce de plusieurs facteurs : M. X..., lorsqu’il a retracé la chronologie des derniers jours précédant l’accident, a déclaré avoir pris Hamid en voiture pour l’emmener à la poste, puis s’être rendu avec lui sur le lieudit ... le lundi soir 6 juillet pour mettre en place le tracteur et son équipement, avoir constaté qu’il manquait des pièces, et être revenu le lendemain avec M. D...pour finir d’atteler la charrue au tracteur ; que dans son audition devant le juge d’instruction, il a modifié ses déclarations et a indiqué qu’il s’était rendu « un soir » sur les lieux avec M. D...pour monter la charrue mais n’avait pas pu le faire car il manquait des éléments ; que, le lendemain matin, il avait récupéré ce qui manquait ; qu’il a ajouté : « le soir, comme ça m’arrivait quasiment tous les jours, j’ai pris dans ma voiture l’ouvrier qui est décédé, il m’a demandé ce que je faisais, je lui ai expliqué ce que j’allais faire, accrocher l’axe, etc.. comme il aimait bien rendre service, il m’a proposé son aide, moi ça m’arrangeait car pour accrocher le chisel il vaut mieux être deux, comme ça M. Jean-Michel D...pourrait commencer à travailler tout de suite le lendemain matin, çà a dû nous prendre 10 mn sur place » ; que certes, dans sa seconde audition devant le juge d’instruction, M. X...a indiqué que lors de sa précédente audition il avait été noté par erreur qu’il avait indiqué avoir accroché le chisel du tracteur avec Hamid alors qu’il avait fait cela avec M. D...le mardi ; que toutefois, il est étonnant que M. X...ait fait, le 16 avril, dans le cabinet du juge d’instruction, et en présence de son avocat, des déclarations très circonstanciées telles que rappelées ci-dessus et qu’il ait signé le procès-verbal d’audition sans mentionner cette erreur ; qu’en outre, il résulte des auditions de MM. X...et D...que ce dernier devait commencer à travailler dans les vignes le mercredi 8 juillet, mais qu’ayant un empêchement, il n’avait pu venir que le jeudi 9 juillet ; que M. D...a précisé à deux reprises que M. X...lui avait demandé de passer le chisel dans les vignes, car « c’était urgent, parce qu’il y avait de l’herbe, beaucoup d’herbes ; le passage du chisel permettait d’éclater la terre pour faciliter le passage d’un outil plus léger » ; qu’ainsi, les déclarations de M. D..., d’une part, contredisent celles de M. X...qui, après avoir indiqué que le travail devait s’effectuer sur sa vigne, a affirmé devant le magistrat instructeur que les labours devaient s’effectuer dans les oliviers situés en face des vignes, et d’autre part, expliquent que M. X..., au vu de l’urgence que représentait l’état de la vigne, ait fait appel devant le retard imposé par M. D..., à Hamid Y... ; qu’il est d’ailleurs troublant de noter que M. X..., lorsqu’il a été entendu la première fois par les gendarmes avant que l’on identifie le corps de la victime, a immédiatement supposé que le corps trouvé sous le tracteur pouvait être soit M. Jean-Michel D...soit Hamid Y... ; pour lui en effet, seules ces deux personnes pouvaient avoir utilisé le tracteur, dans les circonstances qui viennent d’être relatées ; qu’il se déduit en conséquence de ces éléments que M. X...a bien donné instructions à Hamid Y...de travailler sur la vigne, entre le mardi soir, date à laquelle le tracteur était entièrement monté, et le jeudi matin, date de la découverte du corps ; que s’agissant des circonstances du décès, les constatations faites par les gendarmes font état de la découverte du corps de la victime écrasée sous le tracteur ; que selon les constatations du docteur E..., arrivé sur les lieux avec les enquêteurs, le corps de la victime présente les blessures suivantes : écrasement facial, la nuque est visiblement brisée, la colonne vertébrale est enfoncée ; que le procès-verbal de synthèse note qu’après examen du corps par le docteur E..., le corps a fait l’objet d’un examen par le docteur F...à la morgue de Bastia, qui a conclu à une mort accidentelle par écrasement ; que les circonstances du décès de la victime sont donc suffisamment établies ; qu’en outre, le rapport, sous forme de courrier à l’avocat de M. X..., du docteur G...n’étant pas un document contradictoire, ne constitue pas un élément susceptible de contredire les conclusions du docteur F... ;
” 1°) alors que la responsabilité pénale de l’auteur indirect d’un homicide involontaire ne peut être engagée qu’à raison d’une faute délibérée ou caractérisée ; que la cour d’appel, qui rappelait que l’infraction d’homicide involontaire par violation manifestement délibérée de ces obligations de sécurité suppose, d’une part, que le décès de la victime soit intervenu à l’occasion de l’exercice d’une tâche confiée par l’employeur à son salarié, et, de l’autre, qu’un lien direct soit établi entre la faute de l’employeur et le décès, sans s’expliquer sur la faute délibérée prétendument commise par le prévenu et, en particulier sur le texte légal ou réglementaire, source de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité, n’a pas justifié sa décision ;
” 2°) alors qu’un lien de causalité certain doit être établi entre la faute et le dommage ; que dès lors, la cour d’appel ne pouvait valablement estimer que le prévenu avait donné instructions à la victime de travailler sur la vigne, entre le mardi soir, date à laquelle le tracteur était entièrement monté, et le jeudi matin, date de la découverte du corps sans caractériser, comme l’y invitait les conclusions régulièrement déposées par l’avocat du demandeur, un lien de causalité certain entre la faute prétendue du prévenu et le décès de la victime ;
” 3°) alors que la preuve, en matière pénale, peut être rapportée par tous moyens ; qu’ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision en excluant le rapport médical versé aux débats qui soulignait notamment le défaut de lien de causalité directe entre la faute éventuelle du prévenu et le dommage aux motifs que, non contradictoire, il n’était pas de nature à contredire le rapport médical du docteur F...” ;
Attendu que, pour déclarer M. X...coupable de l’homicide involontaire poursuivi, l’arrêt, après avoir relevé que les manquements reprochés n’ont pas causé directement le décès survenu, énonce, par motifs propres et adoptés, que le prévenu a méconnu plusieurs obligations particulières de prudence et de sécurité tenant aux équipements de travail et aux moyens de protection des travailleurs, à leur formation à la sécurité et à la prévention des risques, en exposant ainsi à un risque d’une particulière gravité la victime qui utilisait un engin par nature dangereux conduit sur un terrain accidenté et instable ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations dont il se déduit qu’est établie à l’encontre de M. X...une faute caractérisée entrant dans les prévisions de l’article 121-3 susvisé, l’arrêt n’encourt pas la censure ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux septembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Bastia , du 30 avril 2013