Dissimulation d’heures de travail

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 9 novembre 2010

N° de pourvoi : 10-81074

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
"-" M. Vincent X...,

"-" M. Christian Y...,

"-" M. Dany Z...,
contre l’arrêt de la cour d’appel d’AGEN, chambre correctionnelle, en date du 14 janvier 2010, qui a condamné, le premier, pour travail dissimulé, à 3000 euros d’amende, le deuxième et le troisième, pour complicité de travail dissimulé, à 1 000 euros d’amende dont 500 euros avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1, L. 8221-5, L. 8224-1 du code du travail, 121-6, 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de travail dissimulé et MM. Y... et Z... coupables de complicité de ce délit ;
” aux motifs que « les appelants, pour contester le délit de travail dissimulé qui leur est reproché, font valoir que les salariées étaient engagées suivant un contrat de travail à temps partiel prévoyant un volume de 30 heures hebdomadaires incluant 3 heures le dimanche matin. Elles s’étaient vu accorder, dans un souci de paix sociale, la possibilité de travailler un dimanche sur deux en rattrapant les trois heures du dimanche non travaillées afin de respecter le volume horaire mensuel contractuellement prévu. Selon eux, ce dispositif n’était pas contraire aux dispositions de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire. Ils soutiennent, par ailleurs, que les salariées qui avaient été entendues en septembre 2005 par les gendarmes et avaient signalé que les heures supplémentaires de travail qu’elles étaient dans l’obligation de faire n’étaient ni payées, ni récupérées sont revenues sur leurs déclarations dans les attestations qu’elles ont établi postérieurement à l’enquête ; qu’ils versent aux débats les pièces établies par plusieurs salariées dans lesquelles ces dernières, contrairement à leurs allégations devant les enquêteurs affirment avoir … « récupéré toutes les heures supplémentaires effectuées … » (M-F. A..., M. B...) ; avoir … « toujours été d’accord pour travailler un dimanche sur deux, être payé pour 30 h de travail en accord avec leur employeur … » (J. C...), n’avoir … « accompli entre 2004 et 2005 aucune heure complémentaire qui n’ait pas été récupérée … » (A. D...) ; avoir « … lorsqu’elle effectuait une semaine de 33 h avec le dimanche, effectué en contrepartie des semaines de 27 h sans les dimanches … » (C. E...). Il convient de rappeler cependant que lors de son audition par les services de gendarmerie, M. Y... a déclaré le 3 octobre 2005 : « … il est vrai que les heures complémentaires ou supplémentaires ne sont pas payées … concernant l’obligation de signer des reconnaissances d’horaires fausses, c’est vrai. Il est vrai que les jours fériés étaient non rémunérés et non payés … ». d’autre part, M. Z..., interrogé sur les raisons de l’existence de deux plannings différents, l’un affiché et l’autre dissimulé dans un registre, concernant les mêmes employés sur la même période, n’a pu fournir aucune explication et n’a pas davantage clarifié les motifs pour lesquels sur l’emploi du temps officiel figurait un volume de 30 heures de travail hebdomadaire alors que le planning caché mentionnait un volume de 33 heures. Etant posé en outre que l’analyse de ce dernier document par les premiers juges démontrait que la récupération intégrale des heures supplémentaires n’était pas possible dans le cadre d’un même mois. Une lecture attentive des relevés d’heures sur les années 2002 à 2005 permet également de constater une absolue régularité du temps de travail des salariées qui n’ont jamais connu ni dépassement, ni heures supplémentaires ou complémentaires ce qui est pour le moins inhabituel dans cette branche professionnelle. Enfin il résulte des article L. 313-17 et 18 du code du travail que si la convention collective applicable permet de porter le nombre d’heures complémentaires à1/ 3 du temps inscrit au contrat de travail, elles doivent être rémunérées au taux horaire habituel pour les heures effectuées dans la limite des 10 % et majorées de 25 % lorsqu’elles sont effectuées au-delà du 1/ 10 de la durée du travail fixées au contrat. De plus, les heures complémentaires doivent être décomptées à la semaine et non sur deux semaines et doivent être rémunérées dans le mois où elles ont été accomplies en sus du salaire habituel. Il résulte donc de l’ensemble de ces éléments que la dissimulation des heures de travail est caractérisée. Le fait que les heures effectuées au-delà de la durée du travail inscrite sur le contrat et réellement travaillées par les salariées ne font l’objet d’aucune mention sur les bulletins de salaire ni sur un document accompagnant la fiche de paye et ne permettant pas aux salariées de connaître le nombre d’heures « à récupérer ». M. Y... et M. Z... ont été poursuivis en qualité de directeurs du magasin Leader price de Figeac de mars 2002 à janvier 2005 pour le premier et depuis janvier 2005 pour le second à titre de complice de M. X... pour avoir tenu sur ses instructions des planning de travail inexact et avoir fait signer aux employées des décomptes d’heures inexacts en application d’une politique de la direction qui prohibait les heures supplémentaires. Malgré leurs dénégations lors des débats, force est de constater qu’il résulte tant de leurs auditions respectives, que des documents saisis que leur culpabilité est établie. M. X... a été poursuivi en tant qu’auteur principal du délit de travail dissimulé. Il fait valoir tout comme en première instance que les directeurs des magasins de la chaîne bénéficiaient tous de délégations de pouvoir et produit celles consenties à M. Y... le 1er mars 2002 et à M. Z... le 3 janvier 2005. Ces documents précisent qu’ils ont « … la compétence et les connaissances juridiques pour assumer cette délégation de pouvoir en ce qui concerne le personnel et le règlementation sociale du travail … » et qu’ils s’engagent « à respecter les prescriptions règlementaires et conventionnelles concernant l’emploi du personnel salarié dans les magasins ». il sera observé toutefois que les termes de ces délégations sont contredits par l’audition de christian Y... qui a précisé : « M. X... effectuait les recrutements et le directeur recevait les contrats … la place de directeur de magasin ne lui permet pas d’avoir de regard sur quoi que ce soit si ce n’est l’inventaire et la surveillance du personnel … en fait c’est M. X... qui dirige l’ensemble du magasin ». M. Z... a quant à lui déclaré aux gendarmes que vincent X... était chargé du recrutement du personnel et que : … « la société, en l’espèce M. X..., ne veut pas que fasse faire des heures supplémentaires ». c’est donc à juste titre que les premiers juges ont relevé que vincent X... assurait la maîtrise effective des conditions de travail et que sa responsabilité a été retenue. M. X..., M. Y... et M. Z... se sont donc bien rendus coupables des faits qui leur sont reprochés. En les retenant dans les liens de la prévention les premiers juges ont fait une exacte application de la loi pénale. En les condamnant aux peines ci-dessus rappelées, ils leur ont infligé des sanctions à la juste mesure de la gravité des faits commis et prenant en considération leurs personnalités. Il convient par conséquent de confirmer le jugement dont appel » ;
” 1°) alors que ne constituent pas des heures supplémentaires les heures effectuées par un salarié au-delà de son temps de travail hebdomadaire mais qui sont destinées à se compenser avec les semaines au cours desquelles ce même salarié effectue un nombre d’heures inférieur à ce temps de travail ; qu’au cas d’espèce, la cour d’appel ne pouvait déclarer les prévenus coupables de travail dissimulé ou de complicité de travail dissimulé sans rechercher si, comme l’indiquaient les salariées concernées, les semaines au cours desquelles elles travaillaient 33 heures ne se compensaient pas avec les semaines au cours desquelles elles travaillaient 27 heures ;
” 2°) alors que le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi salarié ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie ; que la cour ne pouvait se borner, pour caractériser l’élément intentionnel des délits de travail dissimulé et de complicité, à constater que les bulletins de salaire remis aux employées ne mentionnaient pas les heures supplémentaires prétendument effectuées par ces dernières “ ;
Attendu que, pour déclarer M. X... coupable de travail dissimulé par mention sur des bulletins de paie d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué, et MM. Y... et Z... complices de ce délit, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués, dès lors que résulte de ces motifs la constatation de la violation en connaissance de cause de prescriptions légales, en l’espèce le défaut de mention sur un bulletin de paie du nombre d’heures de travail réellement accompli, impliquant de la part de leur auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1er, du code pénal ;
D’où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1, L. 8221-5, L. 8224-1 du code du travail, 121-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de travail dissimulé ;
” aux motifs que « les appelants, pour contester le délit de travail dissimulé qui leur est reproché, font valoir que les salariées étaient engagées suivant un contrat de travail à temps partiel prévoyant un volume de 30 heures hebdomadaires incluant 3 heures le dimanche matin. Elles s’étaient vu accorder, dans un souci de paix sociale, la possibilité de travailler un dimanche sur deux en rattrapant les trois heures du dimanche non travaillées afin de respecter le volume horaire mensuel contractuellement prévu. Selon eux, ce dispositif n’était pas contraire aux dispositions de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire. Ils soutiennent par ailleurs que les salariées qui avaient été entendues en septembre 2005 par les gendarmes et avaient signalé que les heures supplémentaires de travail qu’elles étaient dans l’obligation de faire n’étaient ni payées, ni récupérées sont revenues sur leurs déclarations dans les attestations qu’elles ont établi postérieurement à l’enquête. Ils versent aux débats les pièces établies par plusieurs salariées dans lesquelles ces dernières, contrairement à leurs allégations devant les enquêteurs affirment avoir … « récupéré toutes les heures supplémentaires effectuées … » (M-F. A... M. B...) ; avoir … « toujours été d’accord pour travailler un dimanche sur deux, être payé pour 30 h de travail en accord avec leur employeur … » (J. C...) ; n’avoir … « accompli entre 2004 et 2005 aucune heure complémentaire qui n’ait pas été récupérée … » (A. D...) ; avoir « … lorsqu’elle effectuait une semaine de 33 h avec le dimanche, effectué en contrepartie des semaines de 27 h sans les dimanches … » (C. E...). Il convient de rappeler cependant que lors de son audition par les services de gendarmerie, christian Y... a déclaré le 3 octobre 2005 : « … il est vrai que les heures complémentaires ou supplémentaires ne sont pas payées … concernant l’obligation de signer des reconnaissances d’horaires fausses, c’est vrai. Il est vrai que les jours fériés étaient non rémunérés et non payés … ». d’autre part, dany Z..., interrogé sur les raisons de l’existence de deux plannings différents, l’un affiché et l’autre dissimulé dans un registre, concernant les mêmes employés sur la même période, n’a pu fournir aucune explication et n’a pas davantage clarifié les motifs pour lesquels sur l’emploi du temps officiel figurait un volume de 30 heures de travail hebdomadaire alors que le planning caché mentionnait un volume de 33 heures. Etant posé en outre que l’analyse de ce dernier document par les premiers juges démontrait que la récupération intégrale des heures supplémentaires n’était pas possible dans le cadre d’un même mois. Une lecture attentive des relevés d’heures sur les années 2002 à 2005 permet également de constater une absolue régularité du temps de travail des salariées qui n’ont jamais connu ni dépassement, ni heures supplémentaires ou complémentaires ce qui est pour le moins inhabituel dans cette branche professionnelle. Enfin il résulte des article L. 313-17 et 18 du code du travail que si la convention collective applicable permet de porter le nombre d’heures complémentaires à1/ 3 du temps inscrit au contrat de travail, elles doivent être rémunérées au taux horaire habituel pour les heures effectuées dans la limite des 10 % et majorées de 25 % lorsqu’elles sont effectuées au-delà du 1/ 10 de la durée du travail fixées au contrat. De plus, les heures complémentaires doivent être décomptées à la semaine et non sur deux semaines et doivent être rémunérées dans le mois où elles ont été accomplies en sus du salaire habituel. Il résulte donc de l’ensemble de ces éléments que la dissimulation des heures de travail est caractérisée. Le fait que les heures effectuées au-delà de la durée du travail inscrite sur le contrat et réellement travaillées par les salariées ne font l’objet d’aucune mention sur les bulletins de salaire ni sur un document accompagnant la fiche de paye et ne permettant pas aux salariées de connaître le nombre d’heures « à récupérer ». M. Y... et M. Z... ont été poursuivis en qualité de directeurs du magasin Leader price de Figeac de mars 2002 à janvier 2005 pour le premier et depuis janvier 2005 pour le second à titre de complice de M. X... pour avoir tenu sur ses instructions des planning de travail inexact et avoir fait signer aux employées des décomptes d’heures inexacts en application d’une politique de la direction qui prohibait les heures supplémentaires. Malgré leurs dénégations lors des débats, force est de constater qu’il résulte tant de leurs auditions respectives, que des documents saisis que leur culpabilité est établie. M. X... a été poursuivi en tant qu’auteur principal du délit de travail dissimulé. Il fait valoir tout comme en première instance que les directeurs des magasins de la chaîne bénéficiaient tous de délégations de pouvoir et produit celles consenties à M. Y... le 1er mars 2002 et à M. Z... le 3 janvier 2005. Ces documents précisent qu’ils ont « … la compétence et les connaissances juridiques pour assumer cette délégation de pouvoir en ce qui concerne le personnel et le règlementation sociale du travail … » et qu’ils s’engagent « à respecter les prescriptions règlementaires et conventionnelles concernant l’emploi du personnel salarié dans les magasins ». il sera observé toutefois que les termes de ces délégations sont contredits par l’audition de M. Y... qui a précisé : « M. X... effectuait les recrutements et le directeur recevait les contrats … la place de directeur de magasin ne lui permet pas d’avoir de regard sur quoi que ce soit si ce n’est l’inventaire et la surveillance du personnel … en fait c’est M. X... qui dirige l’ensemble du magasin ». M. Z... a quant à lui déclaré aux gendarmes que M. X... était chargé du recrutement du personnel et que : … « la société, en l’espèce monsieur X..., ne veut pas que fasse faire des heures supplémentaires ». c’est donc à juste titre que les premiers juges ont relevé que vincent X... assurait la maîtrise effective des conditions de travail et que sa responsabilité a été retenue. M. X..., M. Y... et M. Z... se sont donc bien rendus coupables des faits qui leur sont reprochés. En les retenant dans les liens de la prévention les premiers juges ont fait une exacte application de la loi pénale. En les condamnant aux peines ci-dessus rappelées, ils leur ont infligé des sanctions à la juste mesure de la gravité des faits commis et prenant en considération leurs personnalités. Il convient par conséquent de confirmer le jugement dont appel » ;
” alors que, sauf lorsque la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise peut s’exonérer de sa responsabilité pénale en rapportant la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne investie par lui de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour veiller à l’observation des dispositions en vigueur ; qu’au cas d’espèce, la société Leader price Figeac avait délégué à MM. Y... et Z... – et à eux seuls – les pouvoirs en matière de gestion des ressources humaines et de réglementation du travail ; qu’en condamnant M. X..., lequel n’avait reçu aucune délégation de pouvoir en cette matière, sans constater que MM. Y... et Z... ne disposaient pas de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exercice des missions qui leur avaient été déléguées, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision “ ;
Attendu que, pour déclarer M. X..., directeur régional de la société Leader Price, coupable de travail dissimulé par mention sur des bulletins de paie d’un nombre d’heures inférieur à celui réellement effectué, l’arrêt retient, après avoir rappelé que le prévenu a fait valoir que les directeurs des magasins de la chaîne bénéficiaient tous de délégations de pouvoir et produit celles consenties à M. Y... et à M. Z..., qu’il assurait la maîtrise effective des conditions de travail ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors que la réalité et la portée d’une délégation de pouvoirs relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Guérin conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
Décision attaquée : Cour d’appel d’Agen du 14 janvier 2010