Fraude à l’établissement - fausse prestation de services internationale

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 27 février 2018

N° de pourvoi : 17-80856

ECLI:FR:CCASS:2018:CR00014

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

Me Le Prado, SCP Didier et Pinet, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 

M. B... Z... ,

contre l’arrêt de la cour d’appel de BOURGES, chambre correctionnelle, en date du 19 janvier 2017, qui, pour travail dissimulé, l’a condamné à 5 000 euros d’amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 9 janvier 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. X..., conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Bray ;

Sur le rapport de M. le conseiller X..., les observations de Me C... , de la société civile professionnelle DIDIER et PINET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général Y... ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-5, L. 8224-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. Z... coupable du délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité et dissimulation d’emplois salariés, commis entre le 6 mars 2010 et le 5 mars 2013, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, dans le département de l’Indre, en tout cas sur le territoire national et condamné M. Z... à la peine de 5 000 euros d’amende assortie du sursis ;

”aux motifs qu’en application de l’article L. 1262-3 du code du travail M. Z... ne pouvait se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés puisqu’il exerçait en France son activité de façon habituelle stable et continue ; qu’il est constant qu’à partir de l’année 2008 M. Z..., en tant que gérant de fait de la société de droit roumain Astatcris Srl, a pratiqué, en France, une activité de prestation de service dans le domaine des travaux forestiers sans la déclarer auprès des organismes de protection sociale ou de l’administration fiscale, et en recourant à une main d’oeuvre elle-même non déclarée ; qu’il est constant également qu’à partir de l’année 2011, M. Z..., dans le cadre de sa société Traforest Eurl, a développé une activité de travaux forestiers en recourant à une main d’oeuvre non déclarée, employée dans le cadre de contrats de prestation de service passés avec sa société roumaine Astatcris ; que M. Z..., qui reconnaît cette situation de fait constitutive de travail dissimulé par dissimulation d’activité et dissimulation d’emploi, affirme qu’il n’aurait pris conscience du caractère illégal de la situation qu’après que cela lui a été expliqué à l’occasion du contrôle dont son activité, tant avec Traforest qu’avec Actatcris, a fait l’objet de la part de la Direccte Centre et de la Msa Berry-Touraine, courant mars 2013 ; qu’il soutient qu’ayant reçu l’autorisation de l’administration française de procéder au détachement de salariés roumains pour qu’ils travaillent en France, il pensait qu’il employait ces derniers légalement ; mais qu’en son article L. 1261-3 le code du travail définit comme salarié détaché « tout salarié d’un employeur régulièrement établi et exerçant son activité hors de France et qui, travaillant habituellement pour le compte de celui-ci, exécute son travail à la demande de cet employeur pendant une durée limitée sur le territoire national dans les conditions définies aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2 » ; qu’en l’espèce la société Astatcris n’ayant jamais eu d’activité en Roumanie et n’ayant servi qu’à recruter des ouvriers à la seule fin d’être employés en France, M. Z... ne saurait utilement prétendre avoir procédé, auprès de l’administration française, à des demandes sincères et régulières de détachement d’ouvriers qu’il n’employait pas par ailleurs ; qu’il convient de rappeler que M. Z..., qui a la double nationalité, réside depuis 24 ans en France où il est chef d’entreprise, que l’on ne peut concevoir qu’il ignore que le détachement de salariés et ses conditions de mise en oeuvre sont juridiquement définies, qu’au demeurant la notion-même de détachement au sens professionnel appartient suffisamment au sens commun pour que M. Z... prétende l’avoir ignorée ; qu’en prétendant procéder à des détachements de salariés, c’est intentionnellement que M. Z... a, vis à vis de l’administration et des organismes de protection sociale français, utilisé la société Astatcris comme un écran servant à masquer l’emploi de travailleurs roumains en France sans y assumer de charges sociale et fiscale, augmentant ainsi son profit de façon substantielle en acquittant les charges à l’aune de l’économie et de la monnaie roumaine ; que les opérateurs de démarches légales étant censés agir de bonne foi, il ne saurait être fait grief aux autorités administratives française d’avoir fait droit aux demandes de M. Z... sans procéder à un contrôle a priori de l’activité réelle de la société Astatcris en Roumanie, laquelle ne recrutait des travailleurs que pour les « détacher » en France sans pouvoir pour autant justifier d’un statut entreprise de travail temporaire dont elle ne remplissait pas les conditions légales ; qu’en dissimulant l’activité réelle de la société Astatcris et l’emploi de travailleurs étrangers en France sous l’apparence légale d’opérations de détachements de salariés dont il ne pouvait ignorer le caractère irrégulier, M. Z... s’est rendu coupable du délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité et dissimulation d’emplois salariés ; que le jugement déféré sera à cet égard infirmé ; que la période de prévention ne saurait s’étendre que sur une période de trois ans antérieurement au contrôle réalisé le 5 mars 2013, et qu’elle sera ainsi fixée du 6 mars 2010 au 5 mars 2013 ; que les faits pour lesquels M. Z... est poursuivi sous la qualification de « recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé » ne se distinguant pas de ceux qui ont été précédemment envisagés, il sera relaxé de ce chef de prévention ; que la poursuite dont M. Z... fait l’objet sous la qualification de « publicité tendant à favoriser volontairement le travail dissimulé » ne procédant d’aucune constatation ou aucun acte d’enquête, M. Z... sera également relaxé de ce chef de prévention ; qu’en l’absence d’antécédent judiciaire, M. Z... sera sanctionné par une peine d’amende d’un montant de 5 000 euros en totalité assortie du sursis ; que la fonction et une structure de contrôle sont normalement intégrées à la Msa, que cette dernière ne justifiant pas de dépenses spécifiques qu’elle aurait exposées en l’espèce, résultant de l’infraction imputée à M. Z..., elle sera déboutée de sa demande d’indemnisation au titre d’une « atteinte au bon fonctionnement du régime de la sécurité sociale » ; qu’en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale, M. Z... sera condamné, au titre des frais non recouvrables exposés par la Msa en première instance au paiement de la somme de 1 500 euros, et en cause d’appel à la somme de 750 euros ;

”alors que le délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité ou dissimulation d’emploi salarié suppose que le prévenu se soit soustrait intentionnellement à l’une quelconque des obligations visées par les articles L. 8221-3 ou L. 8221-5 du code du travail ; que M. Z... soulignait, ainsi que l’avaient retenu les premiers juges, qu’ayant déclaré préalablement aux autorités françaises le détachement des salariés roumains, réglé les taxes afférentes et fait dispenser les visites médicales, les demandes de détachement avaient reçu un avis favorable, le maintenant ainsi dans l’ignorance d’une violation des dispositions susvisées du code du travail ; qu’en se bornant à énoncer, pour déclarer M. Z... coupable du délit de travail dissimulé que, la société Astatcris n’ayant aucune activité en Roumanie, celui-ci n’avait pas effectué de demandes sincères et régulières de détachement ouvrier, la cour d’appel, qui n’a constaté aucun acte par lequel le prévenu aurait transmis de faux renseignement sur la société Astatcris, a statué par voie de simple affirmation, sans caractériser concrètement l’élément intentionnel de l’infraction et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’à la suite d’un contrôle réalisé par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) au sein de l’Eurl Traforest, son gérant, M. Z..., qui a eu recours, de manière habituelle, en exécution de contrats de prestation de service pour des travaux forestiers, à des salariés présentés comme des employés détachés de sociétés roumaines dans lesquelles il détenait des intérêts, a été poursuivi des chefs de travail dissimulé et publicité tendant à favoriser le travail dissimulé devant le tribunal correctionnel qui l’a renvoyé des fins de la poursuite et débouté la Msa Berry-Touraine, partie civile, de ses demandes ; que le ministère public et la partie civile ont relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour rejeter l’argumentation de M. Z... selon laquelle il n’avait pas conscience de l’illégalité de la situation, ayant reçu l’autorisation de l’administration française de procéder au détachement de salariés roumains afin qu’ils travaillent en France, et déclarer coupable le prévenu du délit de travail dissimulé, après avoir rappelé qu’en qualité de gérant de fait d’une société de droit roumain, puis à travers l’Eurl Traforest, l’intéressé avait pratiqué et développé une activité de prestation de services dans le domaine des travaux forestiers, sans la déclarer auprès des organismes de protection sociale ou de l’administration fiscale et en recourant à une main d’oeuvre elle-même non déclarée, énonce que les sociétés de droit roumain n’ayant jamais eu d’activité en Roumanie et n’ayant servi qu’à recruter des ouvriers à la seule fin d’être employés en France, M. Z..., qui a la double nationalité, réside depuis 24 ans en France où il est chef d’entreprise et ne peut ignorer que le détachement de salariés et ses conditions de mise en oeuvre sont juridiquement définies, ne saurait utilement prétendre avoir procédé, auprès de l’administration française, à des demandes sincères et régulières de détachement d’ouvriers que, par ailleurs, il n’employait pas ; que les juges relèvent que c’est intentionnellement que M. Z... a, vis à vis de l’administration et des organismes de protection sociale français, utilisé les sociétés de droit roumain comme un écran servant à masquer l’emploi de travailleurs étrangers en France sans y assumer de charges sociales et fiscales, augmentant ainsi son profit de façon substantielle ; qu’ils ajoutent qu’en dissimulant l’emploi de travailleurs étrangers en France sous l’apparence légale d’opérations de détachements de salariés dont il ne pouvait ignorer le caractère irrégulier, M. Z... s’est rendu coupable du délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité et dissimulation d’emplois salariés ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors que la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3 du code pénal, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. Z... devra payer à la Msa Berry-Touraine , partie civile, au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept février deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Bourges , du 19 janvier 2017