Arrêt de principe - obligation de vérifier

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 27 septembre 2005

N° de pourvoi : 05-80170

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept septembre deux mille cinq, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller POMETAN, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général FRECHEDE ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" X... Dominique,

contre l’arrêt de la cour d’appel de LYON, 4ème chambre, en date du 2 décembre 2004, qui, pour recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, l’a condamné à 1 an d’emprisonnement avec sursis, à 10 000 euros d’amende et à 5 ans d’exclusion des marchés publics ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10 et L. 362-3 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a condamné le demandeur du chef de recours à une personne exerçant un travail dissimulé ;

”aux motifs que Dominique X... a eu recours, courant octobre et novembre 1999 aux services de Dragoljub Y... exerçant une activité dissimulée pour s’être intentionnellement soustrait à son obligation de requérir son immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés ainsi qu’à son obligation de procéder à la déclaration préalable à l’embauche de ses salariés ; qu’en réalité, Dragoljub Y..., qui avait été mis en liquidation judiciaire, avait poursuivi son activité en utilisant le concours d’une entreprise fictive en l’espèce J.K. Bâtiments qui lui servait de prête-nom dans l’attente de créer une nouvelle entreprise qu’il aurait mise au nom de sa fille ; que l’élément matériel du délit d’avoir eu recours aux services d’une personne exerçant une activité dissimulée est ainsi constitué ;

”et aux motifs que le prévenu s’est abstenu de procéder à toute vérification sérieuse concernant les obligations auxquelles son nouveau partenaire (J.K. Bâtiments) était tenu ; que, bien plus, n’ayant reçu aucune réponse à son courrier susvisé, il a continué de confier des chantiers en sous-traitance à cette entreprise qui n’avait pas justifié de la régularité de l’emploi de ses salariés ; que sa mauvaise foi est d’autant plus patente que professionnel avisé, il savait mieux que quiconque que l’activité concernée, portant sur des travaux saisonniers dans le bâtiment, était le domaine d’élection du travail dissimulé ; que son pourvoi en cassation contre l’arrêt du 16 mars 1999 de la cour d’appel de céans venant d’être rejeté, il avait été solennellement mis en garde contre le caractère illégal des pratiques qui étaient les siennes et qui ont pourtant perduré jusqu’au contrôle intervenu le 9 novembre 1999 ; qu’il est ainsi démontré que Dominique X... a sciemment eu recours aux services de Dragoljub Y..., exerçant un travail dissimulé ;

”alors que le délit de recours à un travail dissimulé par personne interposée n’est constitué qu’autant que la personne poursuivie a, en toute connaissance de cause, eu recours aux services de celui qui exerce un travail dissimulé au sens de l’article L. 324-10 du Code du travail ; que la cour d’appel, qui n’a établi à l’encontre du demandeur qu’une simple faute de négligence pour s’être abstenu de procéder à toute vérification sérieuse concernant les obligations auxquelles la société J.K. Bâtiment était tenue et avoir continué de confier des chantiers en sous-traitance à cette entreprise qui n’avait pas justifié de la régularité de l’emploi de ses salariés, n’a pas, par ces constatations, caractérisé l’élément intentionnel du délit retenu par elle ;

”alors que la responsabilité pénale de la personne qui a recours aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, ne peut être retenue que si ce recours a été fait sciemment ; que, dès lors, ne caractérise pas l’élément intentionnel, en violation de l’article L. 324-9 du Code du travail, l’arrêt qui déduit l’intention coupable du prévenu de ce qu’il n’aurait pas exercé toutes les vérifications auxquelles l’article L. 324-14 du Code du travail subordonne l’exemption de solidarité dans le paiement des impôts et des charges sociales entre le prestataire et son cocontractant, ce texte n’instituant aucune présomption de responsabilité pénale ;

”alors que, à supposer que l’activité concernée soit un domaine d’élection du travail dissimulé, cette seule constatation, qui est tout au plus de nature à inciter les personnes à faire montre d’une plus grande vigilance en ce domaine, ne suffit pas à établir l’intention du demandeur de recourir sciemment aux services d’une personne qui exerce un travail dissimulé ; qu’en se prononçant par ces motifs inopérants, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

”alors que l’obligation de vérifier la régularité de l’entreprise chargée de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de service ou de l’accomplissement d’un acte de commerce ne s’applique qu’autant que l’objet du contrat en cause porte sur une obligation d’un montant au moins égal à 3 000 euros ;

qu’en omettant de constater cette circonstance, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure de vérifier le bien-fondé de sa décision” ;

Attendu que, pour déclarer Dominique X... coupable d’avoir eu recours sciemment aux services d’une personne qui exerce un travail dissimulé, la cour d’appel prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en statuant ainsi, les juges ont justifié leur décision ;

Qu’en effet, commet sciemment le délit prévu par l’article L. 324-9 du Code du travail celui qui ne vérifie pas, alors qu’il y est tenu tant par ledit article que par l’article L. 324-14 du même Code, la régularité au regard de l’article L. 324-10, de la situation de l’entrepreneur dont il utilise les services ;

D’où il suit que le moyen qui, en sa quatrième branche, est irrecevable, ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 362-3, L. 362-4 du Code du travail, de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article préliminaire et des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, atteinte au principe du contradictoire, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a condamné le demandeur à un an d’emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d’amende et a prononcé la peine complémentaire d’exclusion des marchés publics pendant cinq ans ;

”alors que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire ; qu’en prononçant d’office la peine d’exclusion des marchés publics pendant cinq ans, sans que le demandeur et son avocat n’aient pu en débattre, la cour a violé les principes visés au moyen et le droit pour tout prévenu à un procès équitable” ;

Attendu que l’article L. 362-4 qui édicte la peine complémentaire d’interdiction des marchés publics étant visé à la prévention, l’arrêt n’encourt pas le grief allégué ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Pometan conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Lyon, 4ème chambre du 2 décembre 2004