Réparation navale - fausse psi
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du 4 juin 1998
N° de pourvoi : 96-86679
Non publié au bulletin
Cassation Rejet
Président : M. MILLEVILLE conseiller, président
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatre juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général COTTE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– TESSANDIER Christian, contre l’arrêt de la cour d’appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 24 octobre 1996, qui, pour travail clandestin par dissimulation d’emplois salariés, emploi de travailleurs étrangers non munis d’une autorisation de travail et non-respect du monopole de l’Office des migrations internationales, l’a condamné à une amende de 20 000 francs et à 30 amendes de 100 francs, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1er du Code civil, L. 143-3, L. 143-5, L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11, L. 362-3, alinéa 1, R. 341-1, R. 341-3-1, R. 341-7, L. 341-9, L. 362-4, L. 362-4, alinéa 1, L. 362-5, alinéa 1, L. 362-6, L. 364-2-1, alinéas 1 et 3, L. 364-2-2, L. 364-3, L. 364-3-1, L. 620-3 du Code du travail, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation du principe de territorialité de la loi française ;
”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Christian Tessandier, président directeur-général de la société SIREN, qui effectuait des travaux de réparation sur un navire norvégien en arrêt technique dans le port du Havre, coupable d’avoir :
”- employé des travailleurs clandestins exerçant une activité de réparation navale sans procéder aux déclarations exigées par les organismes de protection sociale et par l’Administration fiscale en employant des salariés sans effectuer au moins deux des formalités suivantes : remise aux salariés d’un bulletin de paie, tenue d’un livre de paie et tenue d’un registre du personnel, en l’espèce non tenue des livres du personnel et livres de paie ;
”- engagé comme salariés... (suivent les noms des 30 polonais), étrangers non munis d’une autorisation de travail ;
”- omis de respecter le monopole de l’OMI ;
”aux motifs que la société SIREN s’était vu imposer la réalisation des travaux supplémentaires par une équipe d’ouvriers polonais, mais que les textes réglementant l’organisation du travail en France étant d’ordre public, de simples clauses contractuelles ne pouvaient y déroger ;
que Christian Tessandier n’avait jamais invoqué son ignorance de cette réglementation qu’il se devait de respecter ;
que la société SIREN était bien l’employeur des ouvriers polonais qui ont été employés sans qu’aucune des formalités prévues à l’article L. 620-3 du Code du travail aient été respectées ;
”alors, d’une part, que le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération ;
qu’en l’espèce, il résulte des propres constatations de l’arrêt attaqué que la compagnie Wesnav s’était adressée directement à Cross Ship Repair Limited pour qu’il lui fournisse les 30 soudeurs ou chaudronniers dont elle avait besoin pour effectuer le remplacement des plaques du fond du navire pendant son séjour chez SIREN (arrêt p. 8 pén. ) ;
qu’il se déduit que les ouvriers polonais qui n’avaient passé aucun contrat avec la société SIREN étaient soit les employés de la société Cross Ship Repair Limited, soit ceux de la compagnie Wesnav, mais en aucun cas ceux de la société SIREN, laquelle intervenait d’ailleurs sur le navire en vertu d’un contrat de carénage en date du 22 juin 1992 passé entre elle et la compagnie norvégienne Wesnav et qui ne portait pas sur les travaux de réfection de la coque du navire Ellida ;
que, d’ailleurs, l’arrêt attaqué a également relevé que les travaux confiés aux soudeurs polonais étaient des travaux supplémentaires qui n’étaient pas compris dans le contrat passé avec la société SIREN ;
qu’il s’ensuit qu’étant restée étrangère au contrat passé entre la compagnie Wesnav et la société Cross Ship Repair Limited en vue d’effectuer ces travaux supplémentaires, la société SIREN ne pouvait être déclarée être l’employeur de ces ouvriers et Christian Tessandier, son président directeur-général ne pouvait être retenu dans les liens de la prévention pour des infractions commises à l’occasion de ce contrat de travail ;
que, par conséquent, c’est en contradiction avec les éléments du dossier que la Cour a affirmé que la société SIREN était l’employeur desdits ouvriers ;
qu’il s’ensuit que l’infraction reprochée à Christian Tessandier n’est pas constituée et que la déclaration de culpabilité est illégale ;
”alors, d’autre part, que contrairement aux énonciations de l’arrêt attaqué, la société SIREN ne s’est pas vu imposer par la compagnie Wesnav la réalisation des travaux supplémentaires par une équipe d’ouvriers polonais puisqu’il résulte du dossier qu’elle a refusé d’exécuter ces travaux ;
que, compte tenu des circonstances et des exigences de l’armateur, la société SIREN s’est vue seulement dans l’obligation, alors qu’elle-même effectuait des travaux de réparation sur le navire, de permettre à une autre équipe, travaillant pour le compte d’une autre entreprise (Cross Ship Repair Limited), d’effectuer les travaux qu’elle avait refusés d’exécuter et qui étaient totalement étrangers au contrat de carénage passé entre elle et la compagnie Wesnav le 22 juin 1992 ;
que cette obligation d’autoriser l’accès des ouvriers d’une autre entreprise au navire se trouvant dans son chantier pour la réalisation de travaux distincts n’était pas de nature à transformer la société SIREN en employeur desdits ouvriers et à permettre à la Cour d’affirmer que les travaux supplémentaires avaient été imposés par l’armateur à la société SIREN qui les aurait réalisés ;
qu’ainsi, c’est par une fausse application des textes susvisés que la Cour est entrée en voie de condamnation à l’encontre de Christian Tessandier qu’elle a illégalement retenu dans les liens de la prévention ;
”alors de troisième part, qu’il est établi par les éléments du dossier, notamment par les déclarations de Per Hatlen, que le coût de la main-d’oeuvre n’était pas à la charge de la société SIREN, mais exclusivement à celle de la société Cross Ship Repair Limited qui facturait directement la compagnie Wesnav ;
que, dès lors, l’affirmation de l’arrêt attaqué selon laquelle le coût de la main-d’oeuvre était à la charge de la société SIREN, en contradiction avec les éléments du dossier, est dépourvue de tout fondement en sorte que, cet élément du contrat de travail faisant aussi défaut, la déclaration de culpabilité apparaît, derechef illégale ;
”alors de quatrième part que, dans ses conclusions demeurées sans réponse, Christian Tessandier avait fait valoir que M. X..., entendu le 10 juillet 1992, avait déclaré, dans son procès-verbal d’audition, que “le 7 juillet, le responsable d’armement, Per Hatlen, m’a ordonné de prendre en charge 30 ouvriers polonais à leur arrivée à Roissy le 8 juillet 1992” (concl. p. 10 2), ce qui établissait que la société SIREN n’était pas l’employeur des ouvriers polonais qu’elle n’avait pas recrutés ;
qu’il était par ailleurs établi par les déclarations du consignataire WJ Service qu’il n’agissait que sur l’ordre de l’armement ;
qu’en affirmant que la société SIREN avait donné au chef de service consignataire WJ Service l’ordre le 7 juillet 1992 d’aller chercher à l’aéroport les 30 polonais et de les conduire à bord du navire Ellida sans s’expliquer sur ce moyen péremptoire des conclusions qui démontrait que la société SIREN qui était restée étrangère à l’intervention de l’équipe polonaise n’avait donc pas pu être son employeur, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à la déclaration de culpabilité ;
”alors de cinquième part, que la société SIREN s’est bornée à fournir à l’équipe de soudeurs employés par la Cross Ship Repair Limited les matériels et les équipements nécessaires à l’exécution des travaux et à la sécurité des employés, et à mettre le site à leur disposition ;
qu’en aucun cas, ce contrat, qui n’était qu’un contrat de fournitures de matériels, qui était distinct du contrat de réparation du 22 juin 1992 et qui a donné lieu à une facturation distincte par la société SIREN à la compagnie Wesnav ne pouvait permettre aux juges du fond d’affirmer que la société SIREN était l’employeur des ouvriers polonais ;
que, derechef, la déclaration de culpabilité est illégale ;
”alors enfin que, compte tenu des conditions d’intervention de l’équipe envoyée par la société Cross Ship Repair Limited, il appartenait à la société SIREN d’assurer la coordination des travaux de la nouvelle équipe avec celle par elle mise en place ;
que c’est aux seuls fins d’assurer cette coordination, en vertu de la réglementation sur la responsabilité civile des intervenants sur un navire transportant une cargaison d’hydrocarbures, que M. X... ou l’un de ses adjoints est intervenu auprès des ouvriers polonais qui n’étaient, en aucun cas, dans un lien de subordination avec la société SIREN ;
que, dès lors, l’énonciation que M. X... avait précisé que lui-même ou l’un de ses adjoints “guidait le travail des ouvriers polonais” qui n’établit pas que les ouvriers polonais étaient dans un lien de subordination avec la société SIREN n’est pas de nature non plus à justifier la déclaration de culpabilité” ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme, qu’au cours de l’exécution de travaux confiés à la société SIREN, suivant un contrat de réparations navales conclu avec la société Wesnav, propriétaire du bateau, trente travailleurs étrangers, démunis de titre de travail, ont été recrutés et introduits en France, en violation du monopole de l’Office des migrations internationales, pour effectuer certains travaux supplémentaires sur la coque de ce bateau ;
que Christian Tessandier, président de la société SIREN, a été poursuivi pour travail clandestin par dissimulation d’emplois salariés, emploi illicite de travailleurs étrangers et non-respect du monopole de l’OMI ;
Attendu que pour le déclarer coupable de l’ensemble de ces délits, les juges relèvent que la société SIREN, après avoir donné l’ordre d’aller chercher à l’aéroport ces ouvriers venant de Pologne, a réparti leur travail, leur a fourni le matériel et les matériaux nécessaires à la réalisation des travaux et a fait donner par son personnel d’encadrement les directives et instructions relatives à l’exécution de leur tâche ;
qu’ils déduisent de ces constatations que l’analyse des conditions réelles d’exécution du travail révèle l’existence d’un lien de subordination juridique entre ces travailleurs et la société SIREN, et établit qu’elle en était le véritable employeur ;
Attendu qu’en l’état de ces motifs, exempts d’insuffisance et de contradiction, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Mais sur le moyen relevé d’office et pris de la violation de l’article 5 ancien du Code pénal ;
Vu ledit article, alors applicable ;
Attendu qu’en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits en concours, la peine la plus forte est seule prononcée ;
Attendu qu’après avoir déclaré Christian Tessandier coupable des délits de travail clandestin, d’emploi de 30 étrangers non munis de titre de travail et de non-respect du monopole de l’OMI, commis en juillet 1992, la cour d’appel l’a condamné à une amende de 20 000 francs et à 30 amendes de 100 francs ;
Mais attendu qu’en prononçant 31 amendes, alors que la peine la plus forte encourue était celle afférente à l’emploi illicite de 30 travailleurs étrangers, délit réprimé par l’article L.364-2-1 du Code du travail alors applicable, lequel stipule qu’il est prononcé autant d’amendes qu’il y a d’étrangers employés, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé ;
Que la cassation est dès lors encourue ;
Et attendu que la déclaration de culpabilité n’encourant pas elle-même la censure, la cassation sera limitée aux seules peines prononcées ;
Par ces motifs, CASSE ET ANNULE, en ses seules dispositions concernant le prononcé des peines, l’arrêt de la cour d’appel de ROUEN, en date du 24 octobre 1996, Et pour qu’il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de ROUEN, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de ROUEN, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Simon conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Chanet, Anzani conseillers de la chambre, Mme Batut, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Cotte ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
Décision attaquée : cour d’appel de Rouen, chambre correctionnelle du 24 octobre 1996