CJUE Commission/Autriche - vraie prestation de services - autorisation de travail non nécessaire (avec réserves)

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

21 septembre 2006 (*)

« Manquement d’État – Article 49 CE – Libre prestation des services – Entreprise employant des travailleurs ressortissants d’États tiers – Entreprise accomplissant des prestations dans un autre État membre –’Confirmation de détachement européen’ »

Dans l’affaire C-168/04,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 5 avril 2004,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme B. Eggers, MM. E. Traversa et G. Braun, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République d’Autriche, représentée par MM. E. Riedl, G. Hesse et Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, M. Ilešič et E. Levits (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Léger,

greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 octobre 2005,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 février 2006,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en restreignant le détachement des travailleurs salariés ressortissants d’États tiers dans le cadre d’une prestation de services d’une façon disproportionnée, au moyen de l’article 18 de la loi autrichienne sur l’emploi de travailleurs étrangers (Ausländerbeschäftigungsgesetz), du 20 mars 1975 (BGBl. I, 218/1975), dans sa version publiée au BGBl. I, 120/1999 (ci-après l’« AuslBG »), et de l’article 10, paragraphe 1, point 3, de la loi relative aux étrangers (Fremdengesetz), du 14 juillet 1997, (BGBl. I, 75/1997), dans sa version publiée BGBl. I, 34/2000 (ci-après la « FrG »), la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.

Le cadre juridique

2 L’AuslBG instaure, à l’article 18, paragraphe 1, l’obligation d’obtenir une autorisation avant que des étrangers ne soient employés en Autriche par un employeur n’ayant pas son siège sur le territoire de cet État membre. En ce qui concerne le détachement, par une entreprise ayant son siège dans un État membre, de ressortissants d’un État tiers en vue de la réalisation d’une prestation de services en Autriche, l’article 18, paragraphes 12 à 16, de l’AuslBG prévoit une procédure spéciale. L’autorisation est remplacée par une confirmation de détachement européen, octroyée sous réserve du respect de certaines conditions.

3 L’article 18, paragraphe 12, de l’AuslBG énonce :

« L’emploi d’étrangers qui ne sont pas couverts par l’article 1er, paragraphe 2, point m), et qui sont envoyés sur le territoire fédéral par un employeur étranger ayant son siège sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne en vue d’une prestation de services temporaire doit être déclaré au bureau régional du Service de l’emploi avant le début de la prestation. Le bureau régional compétent du Service de l’emploi doit délivrer une attestation de déclaration (confirmation de détachement européen) dans un délai de six semaines. […] »

4 Les conditions de délivrance de la confirmation de détachement européen sont fixées par le paragraphe 13 dudit article 18. Cette délivrance a ainsi lieu :

– si le travailleur détaché, ressortissant d’un État tiers, dispose auprès de l’entreprise qui l’emploie dans l’État membre d’origine d’un emploi habituel et régulier depuis au moins un an ou d’un contrat de travail à durée indéterminée, et

– si les conditions de salaire, d’emploi et de dispositions en matière de sécurité sociale prévues par la législation autrichienne sont respectées durant la période de détachement.

5 Aux termes de la FrG, les salariés ressortissants d’États tiers qui sont détachés en Autriche par une entreprise ayant son siège dans un autre État membre de l’Union en vue d’y fournir une prestation de services sont soumis, pour leur entrée et leur séjour sur le territoire autrichien, à une obligation de visa et de permis de séjour.

6 Conformément à l’article 8, paragraphe 1, de la FrG :

« Les titres d’entrée et de séjour peuvent être octroyés aux étrangers à leur demande dès lors qu’ils possèdent un document de voyage valable et qu’aucun motif de refus n’est applicable (articles 10 à 12). Les visas ne peuvent être accordés que pour une durée limitée, les titres de séjour peuvent aussi avoir une durée indéterminée. La durée de validité des visas et des titres de séjour à durée limitée ne peut dépasser celle du document de voyage. […] »

7 L’article 10, paragraphe 1, point 3, de la FrG prévoit que l’octroi d’un titre d’entrée ou de séjour doit être refusé lorsque ce titre doit être octroyé après une entrée sans visa sur le territoire autrichien. Il découle de cette disposition que, lorsqu’un ressortissant d’un État tiers est entré illégalement sur le territoire autrichien, sa situation n’est pas susceptible d’être régularisée sur place par la délivrance d’un titre d’entrée ou de séjour.

8 Enfin, la loi sur les contrats de travail (Arbeitsvertragsrechts- Anpassungsgesetz) de 1993 (BGBl., 459/1993, ci-après l’« AVRAG »), qui transpose dans la réglementation autrichienne la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO L 18, p. 1), impose à l’employeur ayant son siège dans un État membre de l’Union une obligation générale de déclaration. Ainsi, en vertu de l’article 7b, paragraphe 3, de l’AVRAG, l’employeur doit déclarer le détachement de travailleurs envoyés en Autriche pour y réaliser un travail d’une certaine durée au Service central de coordination pour le contrôle du travail illégal au moins une semaine avant le début du travail.

9 À cet égard, l’employeur doit fournir une série d’informations le concernant, concernant le client national, les travailleurs détachés, l’activité en cause et les rémunérations. Le paragraphe 9 dudit article 7b prévoit des amendes en cas d’infraction à cette obligation de déclaration.

La procédure précontentieuse

10 Après avoir reçu une plainte concernant l’incompatibilité des règles autrichiennes en matière de détachement de ressortissants d’États tiers avec la libre prestation des services garantie par l’article 49 CE, la Commission a, le 14 juillet 1997, adressé une lettre de mise en demeure à la République d’Autriche. Elle y exposait que l’autorisation de détachement et le permis de séjour alors exigés par la réglementation autrichienne constituaient une entrave au commerce intracommunautaire. Les griefs de la Commission concernaient plus particulièrement les conditions matérielles de l’autorisation de détachement et le caractère automatique du refus d’octroi de permis de séjour en cas d’entrée du travailleur étranger sans visa sur le territoire autrichien.

11 En réponse, le gouvernement autrichien a indiqué, par lettre du 12 décembre 1997, que les dispositions de droit national relatives au détachement de travailleurs étrangers avaient été modifiées avec effet au 1er janvier 1998. Une nouvelle procédure de déclaration de détachement appelée « confirmation de détachement européen » avait été introduite, en remplacement de la procédure d’autorisation, en vue de vérifier l’existence de certaines conditions préalables au détachement.

12 Le 2 juillet 1998, la Commission a adressé à la République d’Autriche une lettre de mise en demeure complémentaire indiquant qu’elle considérait que cette nouvelle procédure n’avait pas le caractère d’une simple déclaration, mais qu’il s’agissait d’une procédure d’autorisation complexe, similaire à celles que la jurisprudence de la Cour avait qualifiées de restrictions à l’article 49 CE.

13 Par lettre datée du 2 septembre 1998, le gouvernement autrichien a indiqué que la procédure de confirmation de détachement européen n’avait qu’une valeur déclaratoire et qu’elle remplissait les exigences prescrites, en la matière, par la jurisprudence de la Cour. En outre, concernant la disposition relative au refus automatique d’octroi de permis de séjour, il indiquait que la libre prestation des services n’affectait pas la possibilité, pour les États membres, de décider de l’entrée et du séjour des ressortissants d’États tiers sur leur territoire.

14 N’étant pas convaincue par ces explications, la Commission a, le 5 avril 2002, adressé un avis motivé à la République d’Autriche invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Elle estimait que la charge administrative entraînée par la procédure de détachement conformément à la législation autrichienne ainsi que l’impossibilité de régulariser la situation d’un travailleur détaché, entré sur le territoire autrichien sans titre d’entrée et de séjour, ont un effet dissuasif à l’égard d’entreprises établies dans un autre État membre, de sorte que ces dispositions sont constitutives d’une entrave à la libre prestation des services.

15 Dans sa réponse du 7 juin 2002, le gouvernement autrichien a indiqué que les dispositions relatives à la confirmation de détachement européen étaient justifiées par la nécessité de protéger les travailleurs détachés contre d’éventuels abus tandis que la clause de refus automatique reposait sur les prérogatives accordées aux États membres aux termes de la convention d’application de l’accord Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée le 19 juin 1990 à Schengen (Luxembourg).

16 Estimant que la République d’Autriche ne s’était pas conformée à l’avis motivé, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le recours

Argumentation des parties

17 La Commission considère que la procédure de délivrance de la confirmation de détachement européen ainsi que la possibilité d’un refus automatique de permis de séjour en cas d’entrée d’un travailleur détaché sur le territoire autrichien sans titre d’entrée ni de séjour constituent des entraves à la libre prestation des services prohibées par l’article 49 CE qui ne sauraient être justifiées par les objectifs invoqués par la République d’Autriche.

18 Le gouvernement autrichien ne conteste pas le fait que les dispositions de l’article 18 de l’AuslBG et de l’article 10 de la FrG constituent des restrictions à la libre prestation des services. Se référant à la jurisprudence de la Cour, et notamment aux arrêts du 25 octobre 2001, Finalarte e.a. (C-49/98, C-50/98, C-52/98 à C-54/98 et C-68/98 à C‑71/98, Rec. p. I-7831) et du 24 janvier 2002, Portugaia Construções (C-164/99, Rec. p. I-787), il considère toutefois que lesdites restrictions sont justifiées par des raisons impératives d’intérêt général, à savoir, s’agissant des dispositions de l’article 18 de l’AuslBG, la protection des travailleurs et, s’agissant de l’article 10 de la FrG, la sauvegarde de l’ordre public et de la sécurité publique. À cet égard, ces dispositions seraient proportionnées aux objectifs qu’elles poursuivent.

Sur la procédure de délivrance de la confirmation de détachement européen

19 La Commission soutient, en premier lieu, que la confirmation de détachement européen n’est pas le fruit d’une procédure purement déclaratoire, mais constitue une véritable autorisation administrative. En effet, elle ne serait délivrée qu’après la vérification par les autorités nationales compétentes des conditions prévues à l’article 18, paragraphe 13, de l’AuslBG. Au demeurant, elle serait un préalable indispensable à l’exécution de toute prestation sur le territoire autrichien dans la mesure où elle serait nécessaire à l’obtention du permis de séjour des travailleurs détachés, le démarrage de la prestation de services avant l’obtention de cette confirmation entraînant le refus automatique dudit permis de séjour.

20 La Commission fait en outre valoir que, même si la confirmation de détachement européen ne devait être que de nature déclaratoire, l’existence d’une double procédure, à savoir celle du visa et celle de la confirmation de détachement, constitue, en soi, une restriction disproportionnée au principe de la libre prestation des services, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 9 août 1994, Vander Elst (C-43/93, Rec. p. I‑3803).

21 En effet, l’obligation, pour tout prestataire de services établi dans un autre État membre souhaitant détacher des travailleurs ressortissants d’un État tiers sur le territoire autrichien, d’obtenir une confirmation de détachement européen, ajoutée à la procédure de visa prévue par la FrG et à la procédure de déclaration de l’AVRAG, enfreindrait le principe de proportionnalité. À cet égard, les objectifs invoqués par le gouvernement autrichien pourraient être atteints par des mesures moins contraignantes.

22 Le gouvernement autrichien soutient, pour sa part, que la procédure d’octroi de la confirmation de détachement européen n’a pas la lourdeur décrite par la Commission.

23 D’une part, la confirmation de détachement européen serait une procédure déclaratoire. Le montant peu élevé de l’amende en cas de non‑respect de cette formalité en serait un indice. Au surplus, il s’agirait d’une procédure souple, l’article 18, paragraphe 16, de l’AuslBG permettant aux différentes personnes concernées par le détachement de l’introduire.

24 D’autre part, on ne saurait, d’après lui, parler d’une double procédure dans la mesure où celle relative à la confirmation de détachement européen aurait un autre objectif que celle relative au permis de séjour, les vérifications opérées par les administrations compétentes étant dans chaque cas différentes.

25 La Commission conteste, en second lieu, les conditions de fond requises pour l’octroi de la confirmation de détachement européen.

26 D’une part, la garantie du respect des conditions de salaire et d’emploi nationales, dans le cadre d’une prestation transfrontalière de services, prévue par l’article 18, paragraphe 13, point 2, de l’AuslBG, serait déjà prévue à la directive 96/71, transposée en droit autrichien par l’AVRAG. Les dispositions de ladite directive prévoyant la possibilité de contrôle a posteriori de ces conditions, les autorités autrichiennes disposeraient ainsi d’un instrument moins contraignant pour garantir le respect desdites conditions.

27 D’autre part, s’agissant de l’exigence d’une période d’emploi préalable d’au moins un an ou d’un contrat à durée indéterminée prévue à article 18, paragraphe 13, point 1, de l’AuslBG, la Commission considère que la formule « de façon régulière et habituelle », employée dans l’arrêt Vander Elst, précité, ne saurait justifier une restriction temporelle ou juridique de la nature de celle en cause. En effet, cette formule serait étroitement liée au contexte de la question préjudicielle qui avait alors été posée à la Cour.

28 Enfin, les motifs d’ordre économique invoqués par le gouvernement autrichien ne justifieraient pas une telle restriction à la libre prestation des services, la Cour ayant explicitement exclu, dans les arrêts du 27 mars 1990, Rush Portuguesa (C-113/89, Rec. p. I-1417) , et Finalarte e.a., précité, la possibilité pour un État membre d’invoquer des considérations liées au marché de l’emploi. S’agissant du motif lié à la protection des travailleurs, la condition de durée d’emploi préalable aurait un effet négatif pour les travailleurs ressortissants des États tiers dans la mesure où une telle disposition serait de nature à entraver leur engagement. Par ailleurs, celle-ci serait totalement disproportionnée dans le cas de prestations ponctuelles de services.

29 Le gouvernement autrichien fait valoir que les dispositions de l’AVRAG ne sont pas, à elles seules, suffisantes pour permettre le détachement de travailleurs ressortissants d’États tiers, ce qui justifierait l’application des exigences supplémentaires prévues par la procédure de confirmation de détachement européen.

30 Au demeurant, la législation en cause ne ferait que transposer la jurisprudence de la Cour telle qu’elle ressort de l’arrêt Vander Elst, précité, aux termes duquel le travailleur détaché ressortissant d’un État tiers devrait être employé « de façon régulière et habituelle » dans l’État membre d’origine pour que l’autorisation de détachement soit octroyée. À cet égard, il lui faudrait prouver un certain lien avec son employeur au travers d’une relation de travail d’au moins un an ou d’un contrat à durée indéterminée. Cette exigence permettrait de protéger le travailleur détaché contre d’éventuels abus.

Sur le refus automatique de permis d’entrée et de séjour

31 La Commission fait valoir que, dans le cadre de la libre prestation des services, tout prestataire de services transmet à ses employés le « droit dérivé » de recevoir un permis de séjour pour la durée nécessaire à la prestation. Dans la mesure où les travailleurs détachés ne prétendent aucunement accéder au marché de l’emploi de l’État de détachement, le motif de refus automatique prévu à l’article 10, paragraphe 1, point 3, de la FrG serait disproportionné par rapport à l’objectif de sauvegarde de l’ordre public et de la sécurité publique.

32 En effet, le visa octroyé aux ressortissants d’un État tiers dont le droit de séjour découlerait du droit communautaire aurait un caractère purement formel et devrait être reconnu de manière automatique. Ainsi, le refus automatique en cas d’entrée « formellement illégale » sur le territoire limiterait considérablement la libre prestation des services et la rendrait illusoire pour certains secteurs. À cet égard, les autorités autrichiennes disposeraient de moyens moins contraignants et tout à la fois efficaces de vérifier si le ressortissant d’un État tiers ne représente pas une menace pour l’ordre public et la sécurité publique.

33 Le gouvernement autrichien fait valoir que les travailleurs disposant d’un titre de séjour délivré par un État partie aux accords de Schengen et qui sont détachés en Autriche pour une période inférieure à trois mois ne sont pas, par nature, concernés par le motif de refus automatique de titre d’entrée et de séjour.

34 Ce gouvernement rappelle qu’il convient de distinguer la procédure de confirmation de détachement européen de celle concernant le permis d’entrée et de séjour. Ainsi, la seconde ne concernerait pas la libre prestation des services, mais le droit des étrangers. Dans ces conditions, la légalité de l’entrée sur le territoire ne dépendrait pas exclusivement de la légalité du détachement, mais également d’autres facteurs liés à la police des étrangers.

35 En outre, il considère que l’État de détachement devrait être en mesure de pouvoir vérifier si une personne représente une menace pour l’ordre public et la sécurité publique ou encore si elle est interdite de séjour sur le territoire autrichien. Il soutient qu’il ne serait pas opportun d’édicter une mesure d’interdiction de séjour à l’égard d’une personne qui sollicite un permis de séjour alors même qu’elle se trouve déjà sur le territoire autrichien.

Appréciation de la Cour

36 À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que l’article 49 CE exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (voir, notamment, arrêt Portugaia Construções, précité, point 16 et jurisprudence citée).

37 Toutefois, une réglementation nationale qui relève d’un domaine n’ayant pas fait l’objet d’une harmonisation au niveau communautaire et qui s’applique indistinctement à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l’État membre concerné peut, en dépit de son effet restrictif pour la libre prestation des services, être justifiée pour autant qu’elle répond à une raison impérieuse d’intérêt général et que cet intérêt n’est pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi, qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (voir arrêts du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369/96 et C-376/96, Rec. p. I-8453, points 34 et 35, ainsi que Portugaia Construções, précité, point 19).

38 La matière relative au détachement de travailleurs salariés ressortissants d’un État tiers dans le cadre d’une prestation de services transfrontalière n’étant, à ce jour, pas harmonisée au niveau communautaire, c’est à la lumière des principes rappelés aux deux points précédents du présent arrêt qu’il convient d’examiner la compatibilité de la législation autrichienne en matière de détachement de travailleurs avec l’article 49 CE.

Sur le premier grief tiré de l’exigence de l’obtention de la confirmation de détachement européen telle que prévue à l’article 18, paragraphes 12 à 16, de l’AuslBG

39 Il n’est pas contestable que les conditions à respecter, en vertu de l’article 18, paragraphes 12 à 16, de l’AuslBG, par une entreprise prestataire de services qui entend détacher, sur le territoire autrichien, des travailleurs ressortissants d’États tiers entravent, en raison des charges administratives et en particulier du délai requis de six semaines pour la délivrance de la confirmation de détachement européen qu’elles impliquent, le détachement envisagé et, par voie de conséquence, l’exercice par cette entreprise d’activités de prestation de services (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg, C‑445/03, Rec. p. I-10191, point 23 et jurisprudence citée).

40 S’agissant du détachement de travailleurs d’un État tiers par une entreprise communautaire prestataire de services, il a déjà été jugé qu’une réglementation nationale qui subordonne l’exercice de prestations de services sur le territoire national, par une entreprise établie dans un autre État membre, à la délivrance d’une autorisation administrative constitue une restriction à cette liberté au sens de l’article 49 CE (voir arrêts précités Vander Elst, point 15, et Commission/Luxembourg, point 24).

41 À cet égard, et contrairement à ce que fait valoir le gouvernement autrichien, la procédure de confirmation de détachement européen revêt le caractère d’une procédure d’autorisation. En effet, dans la mesure où la délivrance de cette confirmation est indispensable pour procéder au détachement et qu’elle n’intervient qu’après le contrôle par les autorités nationales compétentes des exigences prescrites à l’article 18, paragraphe 13, de l’AuslBG, il ne saurait être allégué qu’il s’agit d’une simple procédure déclaratoire.

42 Une telle procédure est, en outre, d’autant plus susceptible de rendre difficile, voire impossible, l’exercice de la prestation des services en employant des travailleurs détachés ressortissants d’un État tiers qu’elle implique un délai de traitement de la demande de ladite confirmation pouvant atteindre six semaines.

43 Il y a lieu de rappeler que la Cour a reconnu aux États membres la faculté de vérifier le respect des dispositions nationales et communautaires en matière de prestation de services. De même, elle a admis le bien-fondé de mesures de contrôle nécessaires pour vérifier le respect d’exigences elles-mêmes justifiées par des raisons d’intérêt général (voir arrêt Arblade e.a., précité, point 38). La Cour a toutefois également jugé que ces contrôles doivent respecter les limites imposées par le droit communautaire et ne doivent pas rendre illusoire la liberté de prestation des services (voir arrêt Rush Portuguesa, précité, point 17).

44 Il convient, dans ces conditions, d’examiner si les restrictions à la libre prestation des services qui découlent de l’article 18, paragraphe 12 à 16, de l’AuslBG apparaissent justifiées par un objectif d’intérêt général et, le cas échéant, si elles sont nécessaires pour poursuivre effectivement et par les moyens appropriés cet objectif (voir arrêts Commission/Luxembourg, précité, point 26, et du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, C-244/04, Rec. p. I-885, point 37).

45 En l’espèce, des motifs de protection des travailleurs, d’une part, et de stabilité du marché de l’emploi, d’autre part, sont invoqués au soutien des exigences prévues à l’article 18, paragraphes 12 à 16, de l’AuslBG.

46 En premier lieu, le gouvernement autrichien invoque la nécessité de veiller à ce que les conditions d’un détachement dans le cadre de la liberté de prestation des services soient réunies. À ce titre, il s’agirait de garantir que l’entreprise effectuant le détachement n’abuse pas du droit que lui confère le traité CE au détriment des travailleurs détachés. En particulier, les conditions de délivrance prévues à l’article 18, paragraphe 13, de l’AuslBG visent, selon ce gouvernement, à écarter les risques d’exploitation abusive de la main d’œuvre en provenance d’États tiers et, notamment, à ce que cette dernière ne soit employée qu’aux fins uniques du détachement.

47 Parmi les raisons impérieuses d’intérêt général déjà reconnues par la Cour figure la protection des travailleurs (voir, notamment, arrêts précités Finalarte e.a., point 33, et Portugaia Construções, point 20). En outre, le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que les États membres étendent leur législation, ou les conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux, à toute personne effectuant un travail salarié, même de caractère temporaire, sur leur territoire, quel que soit le pays d’établissement de l’employeur, et il n’interdit pas davantage aux États membres d’imposer le respect de ces règles par les moyens appropriés (voir arrêt du 3 février 1982, Seco et Desquenne & Giral, 62/81 et 63/81, Rec. p. 223, point 14) lorsqu’il s’avère que la protection conférée par celles-ci n’est pas garantie par des obligations identiques ou essentiellement comparables auxquelles l’entreprise est déjà soumise dans l’État membre de son établissement (voir arrêt Commission/Luxembourg, précité, point 29 et jurisprudence citée).

48 Toutefois, la confirmation de détachement européen telle que prévue à l’article 18, paragraphes 12 à 16, de l’AuslBG ne saurait être qualifiée de moyen approprié pour atteindre l’objectif allégué.

49 En effet, d’une part, en imposant le respect systématique des conditions de salaire et d’emploi autrichiennes, une telle procédure ne tient pas compte des mesures de protection des travailleurs auxquelles l’entreprise qui entend procéder au détachement est soumise dans l’État d’origine, notamment en matière de conditions de travail et de rémunération, en vertu du droit de l’État membre en question ou d’un éventuel accord de coopération conclu entre la Communauté européenne et l’État tiers concerné, et dont l’application est de nature à exclure des risques appréciables d’exploitation des travailleurs et d’altération de la concurrence entre les entreprises (voir, en ce sens, les arrêts précités Vander Elst, point 25, et Commission/Luxembourg, point 35).

50 D’autre part, s’agissant de la subordination de la délivrance de la confirmation de détachement européen à l’existence de contrats de travail d’au moins un an ou à durée indéterminée, une telle mesure excède ce qui peut être exigé au nom de l’objectif de protection sociale comme condition nécessaire pour effectuer des prestations de services au moyen d’un détachement de travailleurs ressortissants d’un État tiers (arrêts précités Commission/Luxembourg, points 32 et 33, ainsi que Commission/Allemagne, point 58).

51 Par ailleurs, le gouvernement autrichien ne saurait se fonder sur la formule employée par la Cour au point 26 de l’arrêt Vander Elst, précité, en soutenant que cette exigence permettrait de vérifier que le travailleur détaché ressortissant d’un État tiers dispose d’un emploi régulier et habituel dans l’État membre d’établissement de son employeur. En effet, il convient de rappeler que la Cour n’a pas assorti la notion d’« emploi régulier et habituel » d’une condition de résidence ou d’emploi d’une durée déterminée dans l’État d’établissement de l’entreprise prestataire de services (arrêt Commission/Allemagne, précité, point 55).

52 À cet égard, l’obligation faite, dans le cadre de l’AVRAG, à une entreprise prestataire de services de signaler, préalablement à un détachement, aux autorités locales la présence d’un ou de plusieurs travailleurs salariés à détacher, la durée prévue de cette présence et la ou les prestations de services justifiant le détachement constitue une mesure aussi efficace et moins restrictive que l’exigence en cause. En effet, elle permet à ces autorités de contrôler le respect de la réglementation sociale et salariale autrichienne pendant la durée du détachement en tenant compte des obligations auxquelles l’entreprise est déjà soumise en vertu des règles de droit social applicables dans l’État membre d’origine.

53 Il en résulte que la procédure de confirmation de détachement européen excède ce qui est nécessaire pour poursuivre l’objectif de protection des travailleurs.

54 En second lieu, le gouvernement autrichien souligne que la procédure de confirmation de détachement européen tend à éviter que le marché national de l’emploi soit perturbé par un afflux de travailleurs ressortissants d’États tiers.

55 À cet égard, il convient de rappeler que les travailleurs employés par une entreprise établie dans un État membre et qui sont détachés dans un autre État membre en vue d’y effectuer une prestation de services ne prétendent pas accéder au marché de l’emploi de ce second État, dès lors qu’ils retournent dans leur pays d’origine ou de résidence après l’accomplissement de leur mission (voir arrêt Commission/Luxembourg, précité, point 38).

56 Certes, un État membre peut vérifier que l’entreprise établie dans un autre État membre, qui détache sur son territoire des travailleurs d’un État tiers, ne se sert pas de la liberté de prestation des services dans un but autre que l’accomplissement de la prestation concernée, par exemple celui de faire venir son personnel aux fins de placement ou de mise à la disposition de travailleurs (voir arrêts précités Rush Portuguesa, point 17, et Commission/Luxembourg, point 39). Toutefois, la procédure de confirmation de détachement européen ne saurait être considérée comme un moyen approprié pour atteindre l’objectif invoqué par le gouvernement autrichien.

57 Les informations fournies aux termes de la procédure relative à la déclaration préalable prévue par l’AVRAG et rappelées au point 52 du présent arrêt ainsi que celles transmises dans le cadre de la procédure d’octroi du permis de séjour permettent aux autorités autrichiennes de s’assurer que les travailleurs concernés sont en situation régulière, notamment en termes de résidence, d’autorisation de travail et de couverture sociale, dans l’État membre où l’entreprise les emploie et offrent auxdites autorités, de manière moins restrictive et aussi efficace que les exigences en cause, des garanties quant à la régularité de la situation de ces travailleurs et au fait que ceux-ci exercent leur activité principale dans l’État membre où est établie l’entreprise prestataire de services.

58 Il en résulte que la procédure de confirmation de détachement européen ne saurait être justifiée par l’objectif visant à éviter une perturbation du marché national de l’emploi et, partant, doit être considérée comme disproportionnée pour atteindre les objectifs poursuivis par la République d’Autriche.

Sur le second grief tiré du caractère automatique du refus de permis d’entrée et de séjour tel que prévu à l’article 10, paragraphe 1, point 3, de la FrG

59 À titre liminaire, il convient de rappeler que la matière relative à l’entrée et au séjour des ressortissants d’États tiers sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un détachement opéré par une entreprise prestataire de services établie dans un autre État membre, n’est pas harmonisée au niveau communautaire.

60 Toutefois, le contrôle qu’exerce un État membre en ce qui concerne cette matière ne saurait remettre en cause la liberté de prestation des services de l’entreprise qui emploie lesdits ressortissants (arrêt Seco et Desquenne & Giral, précité, point 12).

61 En l’espèce, en excluant toute possibilité de régularisation de la situation d’un travailleur ressortissant d’un État tiers détaché légalement par une entreprise établie dans un autre État membre et qui est entré sur le territoire autrichien sans visa, alors qu’une telle exigence est requise par la législation autrichienne, l’article 10, paragraphe 1, point 3, de la FrG apporte une restriction à l’exercice par cette entreprise d’activités de prestation de services. En effet, cette disposition expose ce travailleur à un risque d’éloignement du territoire national, ce qui est de nature à compromettre la réalisation de l’opération de détachement envisagée.

62 Ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 105 de ses conclusions, l’entreprise prestataire soucieuse d’éviter les difficultés liées à l’impossibilité de régulariser une telle situation se voit contrainte de veiller, avant même de procéder au détachement, à ce que chaque travailleur concerné par ce détachement dispose d’un titre lui permettant d’entrer sur le territoire autrichien, ce qui est susceptible de dissuader une entreprise établie dans autre État membre de réaliser, en Autriche, une prestation de services au moyen du détachement de travailleurs ressortissants d’un État tiers.

63 Le gouvernement autrichien justifie, toutefois, une telle restriction par des motifs liés à la sauvegarde de l’ordre public et de la sécurité publique.

64 À ce titre, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, une telle justification ne peut être invoquée qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société (voir arrêts du 29 octobre 1998, Commission/Espagne, C-114/97, Rec. p. I-6717, point 46, et du 14 octobre 2004, Omega, C-36/02, Rec. p. I-9609, point 30).

65 Il n’est certes pas contestable que l’entrée d’un ressortissant d’un État tiers, soumis à une obligation de visa, sur le territoire d’un État membre en l’absence de visa constitue une infraction. Toutefois, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général au point 110 de ses conclusions, l’interdiction automatique de l’octroi d’un titre d’entrée ou de séjour à un travailleur détaché ressortissant d’un État tiers et entré sur le territoire national sans être titulaire du visa requis constitue une sanction d’autant moins proportionnée à la gravité de l’infraction commise qu’elle fait abstraction du fait que le travailleur détaché, qui n’est pas en possession d’un visa, est en situation régulière sur le territoire de l’État membre à partir duquel il est détaché ainsi qu’au regard des règles autrichiennes en matière de détachement et, par conséquent, qu’il ne saurait représenter d’office une menace pour l’ordre public et la sécurité publique.

66 En outre, les arguments du gouvernement autrichien tirés du nombre restreint de ressortissants d’États tiers auquel est susceptible de s’appliquer cette obligation de refus automatique et du fait qu’il ne serait pas judicieux d’édicter une interdiction de séjour à l’égard d’un ressortissant d’un État tiers présent sur le territoire autrichien ne sont pas pertinents. En effet, au travers des informations fournies dans le cadre de la déclaration préalable au détachement rappelée aux points 52 et 57 du présent arrêt, il est tout à fait loisible aux autorités nationales compétentes de prendre, au cas par cas, les mesures qui s’imposent s’il s’avérait qu’un travailleur à détacher représentait une menace pour l’ordre public et la sécurité publique avant que ce dernier ne pénètre sur le territoire autrichien.

67 Par conséquent, il convient de constater que le caractère automatique du refus de la délivrance d’un titre d’entrée et de séjour en cas d’entrée d’un travailleur légalement détaché ressortissant d’un État tiers sans visa sur le territoire autrichien doit être considéré comme disproportionné par rapport à l’objectif qu’il vise à atteindre.

68 Il résulte de ce qui précède que, d’une part, en subordonnant le détachement de travailleurs ressortissants d’États tiers, par une entreprise établie dans un autre État membre, à l’obtention de la « confirmation de détachement européen » prévue à l’article 18, paragraphes 12 à 16, de l’AuslBG, dont la délivrance nécessite, premièrement, que les travailleurs concernés soient employés depuis au moins un an par ladite entreprise ou y soient liés par un contrat de travail à durée indéterminée et, deuxièmement, la preuve du respect des conditions d’emploi et de salaire autrichiennes, et, d’autre part, en prévoyant à l’article 10, paragraphe 1, point 3, de la FrG un motif de refus automatique de titre d’entrée et de séjour, sans exception, ne permettant pas de régulariser la situation des travailleurs ressortissants d’un État tiers, détachés légalement par une entreprise établie dans un autre État membre, lorsque lesdits travailleurs sont entrés sur le territoire national sans visa, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.

Sur les dépens

69 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République d’Autriche et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

1) D’une part, en subordonnant le détachement de travailleurs ressortissants d’États tiers, par une entreprise établie dans un autre État membre, à l’obtention de la « confirmation de détachement européen » prévue à l’article 18, paragraphes 12 à 16, de la loi autrichienne sur l’emploi de travailleurs étrangers (Ausländerbeschäftigungsgesetz), dont la délivrance nécessite, premièrement, que les travailleurs concernés soient employés depuis au moins un an par ladite entreprise ou y soient liés par un contrat de travail à durée indéterminée et, deuxièmement, la preuve du respect des conditions d’emploi et de salaire autrichiennes, et, d’autre part, en prévoyant à l’article 10, paragraphe 1, point 3, de la loi relative aux étrangers (Fremdengesetz) un motif de refus automatique de titre d’entrée et de séjour, sans exception, ne permettant pas de régulariser la situation des travailleurs ressortissants d’un État tiers, détachés légalement par une entreprise établie dans un autre État membre, lorsque lesdits travailleurs sont entrés sur le territoire national sans visa, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.

2) La République d’Autriche est condamnée aux dépens.