CJUE Essent - vraie prestation de services - autorisation de travail non nécessaire (avec réserves)

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

11 septembre 2014 ( *1 )

« Accord d’association CEE-Turquie — Articles 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et 13 de la décision no 1/80 — Champ d’application — Introduction de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement, à la libre prestation des services et aux conditions d’accès à l’emploi — Interdiction — Libre prestation des services — Articles 56 TFUE et 57 TFUE — Détachement de travailleurs — Ressortissants d’États tiers — Exigence d’une autorisation de travail pour la mise à disposition de main-d’œuvre »

Dans l’affaire C‑91/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Pays-Bas), par décision du 20 février 2013, parvenue à la Cour le 25 février 2013, dans la procédure

Essent Energie Productie BV

contre

Minister van Sociale Zaken en Werkgelegenheid,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis, J.‑C. Bonichot et A. Arabadjiev, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 mars 2014,

considérant les observations présentées :

— 

pour Essent Energie Productie BV, par Me T. L. Badoux, advocaat,

— 

pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents,

— 

pour le gouvernement danois, par Mme M. Wolff, en qualité d’agent,

— 

pour la Commission européenne, par MM. J. Enegren et M. van Beek, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 mai 2014,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) no 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO L 293, p. 1, ci-après le « protocole additionnel »), et 13 de la décision no 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association (ci-après la « décision no 1/80 »). Le conseil d’association a été institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l’« accord d’association »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Essent Energie Productie BV (ci-après « Essent ») au Minister van Sociale Zaken en Werkgelegenheid (ministre des Affaires sociales et de l’Emploi, ci-après le « Minister ») au sujet d’une amende qui lui a été infligée par ce dernier pour avoir fait exécuter des travaux par des travailleurs ressortissants d’États tiers sans que ceux-ci aient fait l’objet d’une autorisation de travail.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

L’accord d’association

3

Conformément à son article 2, paragraphe 1, l’accord d’association a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, y compris dans le domaine de la main-d’œuvre, par la réalisation graduelle de la libre circulation des travailleurs (article 12 de l’accord d’association) ainsi que par l’élimination des restrictions à la liberté d’établissement (article 13 de cet accord) et à la libre prestation des services (article 14 dudit accord), en vue d’améliorer le niveau de vie du peuple turc et de faciliter ultérieurement l’adhésion de la République de Turquie à l’Union (quatrième alinéa du préambule et article 28 du même accord).

Le protocole additionnel

4

Le protocole additionnel qui, conformément à son article 62, fait partie intégrante de l’accord d’association arrête, aux termes de son article 1er, les conditions, modalités et rythmes de réalisation de la phase transitoire visée à l’article 4 de cet accord.

5

Le protocole additionnel comporte un titre II, intitulé « Circulation des personnes et des services », dont le chapitre I vise « [l]es travailleurs » et le chapitre II est consacré au droit d’établissement, aux services et aux transports.

6

L’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, qui figure dans ledit chapitre II, dispose :

« Les parties contractantes s’abstiennent d’introduire entre elles de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services. »

7

L’article 59 du protocole additionnel, qui figure sous le titre IV de celui-ci, intitulé « Dispositions générales et finales », est libellé comme suit :

« Dans les domaines couverts par le présent protocole, la Turquie ne peut bénéficier d’un traitement plus favorable que celui que les États membres s’accordent entre eux en vertu du [traité FUE]. »

La décision no 1/80

8

L’article 13 de la décision no 1/80 prévoit :

« Les États membres de [l’Union] et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l’emploi. »

Le droit néerlandais

9

Selon l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), point 1, de la loi sur le travail des étrangers (Wet arbeid vreemdelingen), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « Wav 1994 »), on entend par « employeur » la personne qui, dans l’exercice d’une fonction, d’une profession ou d’une entreprise, fait accomplir un travail par un tiers.

10

En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la Wav 1994, il est interdit à un employeur de faire accomplir un travail par un étranger aux Pays-Bas sans autorisation de travail.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

Essent est une société établie aux Pays-Bas qui a chargé BIS Industrial Services Nederland BV (ci-après « BIS »), également établie aux Pays-Bas, d’exécuter des travaux consistant dans le montage d’échafaudages dans son établissement secondaire situé à Geertruidenberg (Pays-Bas).

12

Selon un rapport établi par l’inspection du travail le 8 mars 2010, lors d’un contrôle effectué par cette dernière les 15, 19 et 20 mai 2008 dans cet établissement, il a été constaté que 33 ressortissants d’États tiers, dont 29 ressortissants turcs, ont participé, entre le 1er janvier et le 20 mai 2008, à la réalisation desdits travaux.

13

Selon ce même rapport, ces travailleurs ressortissants d’États tiers ont été détachés auprès de BIS par Ekinci Gerüstbau GmbH (ci-après « Ekinci »), une entreprise établie en Allemagne qui les employait, sans qu’aucune autorisation de travail ait été délivrée par les autorités néerlandaises aux fins d’un tel détachement.

14

Par une décision du 11 mai 2010, le Minister a infligé à Essent une amende de 264000 euros pour infraction à l’article 2, paragraphe 1, de la Wav 1994, au motif que cette société avait fait exécuter lesdits travaux par des travailleurs étrangers sans que ces derniers aient fait l’objet d’une autorisation de travail, alors que, en vertu de la réglementation néerlandaise, une telle autorisation était obligatoire.

15

Essent a introduit une réclamation contre ladite décision.

16

Par une décision du 22 décembre 2010, le Minister a rejeté cette réclamation comme non fondée au motif que le service fourni par Ekinci avait exclusivement consisté en un détachement de main-d’œuvre, de sorte qu’Essent, en tant que donneur d’ordre et employeur des travailleurs étrangers concernés, devait disposer d’autorisations de travail pour ces derniers.

17

Par un jugement du 27 septembre 2011, le Rechtbank ’s-Hertogenbosch (Pays-Bas) a rejeté le recours formé par Essent contre de ladite décision de rejet. Cette juridiction a notamment jugé que c’est à bon droit que le Minister avait infligé une amende à Essent, puisque le service fourni par Ekinci consistait uniquement dans le détachement de travailleurs étrangers et que, dans ce contexte, le droit de l’Union ne s’opposait pas à une réglementation d’un État membre exigeant que les travailleurs détachés sur le territoire de cet État soient titulaires d’une autorisation de travail.

18

Essent a fait appel dudit jugement devant la juridiction de renvoi.

19

C’est dans ces conditions que le Raad van State a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Dans une situation telle que celle en cause au principal, un donneur d’ordre qui doit être considéré, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la [Wav 1994], comme l’employeur des travailleurs turcs concernés, peut-il invoquer à l’égard des autorités néerlandaises la clause de ‘standstill’ de l’article 13 de la décision no 1/80 ou celle de l’article 41 du protocole additionnel ?

2)

a)

La clause de ‘standstill’ de l’article 13 de la décision no 1/80 ou celle de l’article 41 du protocole additionnel doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à l’introduction d’une interdiction, telle que celle visée à l’article 2, paragraphe 1, de la [Wav 1994], pour les donneurs d’ordre de faire accomplir un travail aux Pays-Bas à des travailleurs ressortissants d’un État tiers, en l’espèce la [République de] Turquie, sans autorisation d’occupation, si lesdits travailleurs sont employés par une entreprise allemande et travaillent par l’intermédiaire d’une entreprise utilisatrice néerlandaise pour le donneur d’ordre [établi] aux Pays-Bas ?

b)

Importe-t-il à cet égard que, avant même l’entrée en vigueur de la clause de ‘standstill’ tant de l’article 41 du protocole additionnel que de l’article 13 de la décision no 1/80, il était interdit à un employeur de faire accomplir un travail à un étranger sur la base d’un contrat de travail sans autorisation d’occupation et que cette interdiction avait aussi été élargie avant l’entrée en vigueur de la règle de statu quo de l’article 13 de la décision no 1/80 aux entreprises utilisatrices auprès desquelles les étrangers sont détachés ? »

Sur les questions préjudicielles

20

Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et 13 de la décision no 1/80 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle, lorsque des travailleurs turcs sont mis à disposition, par une entreprise établie dans un autre État membre, d’une entreprise utilisatrice établie dans le premier État membre, laquelle utilise ceux-ci afin d’effectuer des travaux pour le compte d’une autre entreprise établie dans ce même État membre, une telle mise à disposition est subordonnée à la condition que ces travailleurs aient fait l’objet d’une autorisation de travail.

Sur l’applicabilité des articles 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et 13 de la décision no 1/80

21

Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les articles 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et 13 de la décision no 1/80 ont un effet direct. En conséquence, ces deux dispositions peuvent être invoquées par les ressortissants turcs auxquels elles s’appliquent devant les juridictions des États membres pour écarter l’application des règles de droit interne qui leur sont contraires (voir arrêts Abatay e.a., C‑317/01 et C‑369/01, EU:C:2003:572, points 58 et 59, ainsi que Demirkan, C‑221/11, EU:C:2013:583, point 38).

22

Par ailleurs, la Cour a précisé qu’un principe général de libre circulation des personnes entre la Turquie et l’Union n’est nullement prévu par l’accord d’association et son protocole additionnel, non plus que par la décision no 1/80, laquelle concerne uniquement la libre circulation des travailleurs (voir arrêt Demirkan, EU:C:2013:583, point 53).

23

Dans ce contexte, la Cour a itérativement jugé que, à la différence des travailleurs des États membres, les ressortissants turcs ne bénéficient pas de la libre circulation à l’intérieur de l’Union, mais ne peuvent se prévaloir que de certains droits sur le territoire du seul État membre d’accueil (voir, notamment, arrêts Savas, C‑37/98, EU:C:2000:224, point 59 ; Abatay e.a., EU:C:2003:572, point 64, ainsi que Derin, C‑325/05, EU:C:2007:442, point 66).

24

Il y a lieu de relever que, dans l’affaire au principal, l’État membre d’accueil des travailleurs ressortissants turcs concernés est la République fédérale d’Allemagne, où ils résident et travaillent légalement.

25

Par conséquent, c’est à l’égard de cet État membre que ces travailleurs peuvent faire valoir les droits qu’ils tirent de l’article 13 de la décision no 1/80.

26

Par ailleurs, ledit article 13 concerne les mesures nationales relatives à l’accès à l’emploi et n’est pas destiné à protéger les ressortissants turcs déjà intégrés au marché du travail d’un État membre (voir arrêt Sahin, C‑242/06, EU:C:2009:554, point 51).

27

En outre, il ressort du système et de la finalité de la décision no 1/80 que, en l’état actuel du développement de la libre circulation des travailleurs dans le cadre de l’association CEE-Turquie, cette décision a pour objet essentiel l’intégration progressive des travailleurs turcs dans l’État membre d’accueil au moyen de l’exercice d’un emploi régulier en principe ininterrompu (voir arrêt Abatay e.a., EU:C:2003:572, point 90).

28

Or, les travailleurs ressortissants turcs en cause au principal, qui résident et travaillent légalement dans leur État membre d’accueil, à savoir la République fédérale d’Allemagne, ont été détachés sur le territoire néerlandais pour une période limitée, correspondant au temps nécessaire pour exécuter les travaux de montage d’échafaudages dont BIS avait été chargée par Essent.

29

Ainsi, aucun élément du dossier ne permet de considérer que lesdits travailleurs avaient l’intention de s’intégrer au marché de l’emploi du Royaume des Pays-Bas en tant qu’État membre d’accueil.

30

Il en résulte que l’article 13 de la décision no 1/80 ne trouve pas à s’appliquer à une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal.

31

S’agissant de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de son libellé même, celui-ci énonce, dans des termes clairs, précis et inconditionnels, une clause non équivoque de « standstill », qui interdit aux parties contractantes d’introduire de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, à compter de la date de l’entrée en vigueur du protocole additionnel (voir arrêt Demirkan, EU:C:2013:583, point 37).

32

Cette clause de « standstill » prohibe de manière générale l’introduction de toute nouvelle mesure qui aurait pour objet ou pour effet de soumettre l’exercice par un ressortissant turc desdites libertés économiques sur le territoire d’un État membre à des conditions plus restrictives que celles qui étaient applicables à la date de l’entrée en vigueur du protocole additionnel à l’égard de cet État membre (voir arrêt Demirkan, EU:C:2013:583, point 39).

33

À cet égard, la Cour a déjà jugé que l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel peut être invoqué par une entreprise établie en Turquie qui effectue légalement des prestations de services dans un État membre et par des ressortissants turcs qui sont des chauffeurs routiers employés par une telle entreprise (voir arrêts Abatay e.a., EU:C:2003:572, points 105 et 106, ainsi que Demirkan, EU:C:2013:583, point 40).

34

En revanche, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 55 de ses conclusions, s’agissant du litige au principal, le seul élément de rattachement avec la République de Turquie réside dans la présence de ressortissants turcs parmi les travailleurs détachés par Ekinci sur le territoire néerlandais. Or, en l’absence, dans la situation ayant donné lieu à ce litige, d’une activité économique entre la République de Turquie et le Royaume des Pays-Bas, cet élément n’est pas suffisant pour faire entrer la situation en cause au principal dans le champ d’application de l’article 41, paragraphe 1, du protocole additionnel.

35

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les articles 41, paragraphe 1, du protocole additionnel et 13 de la décision no 1/80 ne sont pas applicables à une situation telle que celle en cause au principal.

Sur les articles 56 TFUE et 57 TFUE

36

Il convient de rappeler que la circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé une question préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir arrêt Vicoplus e.a., C‑307/09 à C‑309/09, EU:C:2011:64, point 22 et jurisprudence citée).

37

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler également que, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, l’activité consistant, pour une entreprise, à mettre à disposition, contre rémunération, de la main-d’œuvre qui reste au service de cette entreprise sans qu’aucun contrat de travail soit conclu avec l’utilisateur constitue une activité professionnelle qui réunit les conditions fixées à l’article 57, premier alinéa, TFUE et doit, dès lors, être considérée comme un service au sens de cette disposition (voir arrêts Webb, 279/80, EU:C:1981:314, point 9, ainsi que Vicoplus e.a., EU:C:2011:64, point 27).

38

S’agissant du litige au principal, le service de mise à disposition de main-d’œuvre est fourni par une entreprise établie en Allemagne à une entreprise utilisatrice établie aux Pays-Bas.

39

Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 60 de ses conclusions, d’une part, une telle prestation de services entre deux entreprises établies dans deux États membres différents relève du champ d’application des articles 56 TFUE ainsi que 57 TFUE et, d’autre part, la circonstance que la mise à disposition de main-d’œuvre en cause concerne des travailleurs ressortissants d’États tiers est dépourvue d’incidence à cet égard.

40

De même, le fait qu’Essent ne soit pas le destinataire direct de la prestation du service de mise à disposition de main-d’œuvre en cause au principal ne saurait avoir pour conséquence de priver cette entreprise de la possibilité d’invoquer les articles 56 TFUE et 57 TFUE afin de contester la sanction qui lui a été infligée par le Minister.

41

En effet, si une telle possibilité était refusée à Essent, il suffirait à l’État membre sur le territoire duquel est établie l’entreprise destinataire d’une telle prestation de retenir une définition extensive de la notion d’employeur, telle que celle en cause au principal, afin de faire obstacle à l’application des règles du traité FUE relatives à la libre prestation des services et, en conséquence, de priver d’effet l’interdiction des restrictions à cette liberté, prévue à l’article 56 TFUE.

42

Par ailleurs, dans la mesure où, en tant que donneur d’ordre situé dans la chaîne des entreprises concernées par la prestation de service en cause au principal, Essent a été la seule entreprise à être mise en cause par les autorités néerlandaises et à se voir infliger une amende, la question de savoir si les dispositions de la réglementation en cause au principal ayant donné lieu à l’infliction de cette amende sont compatibles avec les articles 56 TFUE et 57 TFUE est directement utile à la solution du litige dont la juridiction de renvoi est saisie, qui porte sur la légalité de ladite amende.

43

Par conséquent, il convient d’examiner si les articles 56 TFUE et 57 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation telle que celle en cause au principal.

44

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’article 56 TFUE exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (voir arrêts Commission/Luxembourg, C‑445/03, EU:C:2004:655, point 20, et Commission/Autriche, C‑168/04, EU:C:2006:595, point 36).

45

S’agissant du détachement de travailleurs d’un État tiers par une entreprise prestataire de services établie dans un État membre de l’Union, la Cour a déjà jugé qu’une réglementation nationale qui subordonne l’exercice de prestations de services sur le territoire national, par une entreprise établie dans un autre État membre, à la délivrance d’une autorisation administrative constitue une restriction à cette liberté au sens de l’article 56 TFUE (voir arrêts Commission/Allemagne, C‑244/04, EU:C:2006:49, point 34, et Commission/Autriche, EU:C:2006:595, point 40).

46

Or, en vertu de la réglementation en cause au principal, il est interdit à un employeur de faire accomplir, dans le cadre d’une prestation de services transnationale consistant en la mise à disposition de main-d’œuvre, un travail aux Pays-Bas par un étranger dépourvu d’une autorisation de travail.

47

Par ailleurs, les conditions et les contraintes en termes de délais devant être respectées afin d’obtenir cette autorisation de travail ainsi que les charges administratives que l’obtention d’une telle autorisation implique entravent la mise à disposition d’une entreprise utilisatrice établie aux Pays-Bas, par une entreprise prestataire de services établie dans un autre État membre, de travailleurs ressortissants d’États tiers et, par voie de conséquence, l’exercice par cette dernière entreprise d’activités de prestation de services (voir, en ce sens, arrêts Commission/Luxembourg, EU:C:2004:655, point 23 ; Commission/Allemagne, EU:C:2006:49, point 35, ainsi que Commission/Autriche, EU:C:2006:595, points 39 et 42).

48

Toutefois, une réglementation nationale qui relève d’un domaine n’ayant pas fait l’objet d’une harmonisation au niveau de l’Union et qui s’applique indistinctement à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l’État membre concerné peut, en dépit de son effet restrictif pour la libre prestation des services, être justifiée pour autant qu’elle répond à une raison impérieuse d’intérêt général et que cet intérêt n’est pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi, qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (voir arrêts Commission/Luxembourg, EU:C:2004:655, point 21 ; Commission/Allemagne, EU:C:2006:49, point 31, et Commission/Autriche, EU:C:2006:595, point 37).

49

La matière relative au détachement de travailleurs salariés ressortissants d’un État tiers dans le cadre d’une prestation de services transfrontalière n’est pas, à ce jour, harmonisée au niveau de l’Union. Il y a donc lieu, dans ces conditions, d’examiner si les restrictions à la libre prestation des services qui découlent de la réglementation en cause au principal apparaissent justifiées par un objectif d’intérêt général et, le cas échéant, si elles sont nécessaires pour poursuivre effectivement et par les moyens appropriés cet objectif (voir arrêt Commission/Autriche, EU:C:2006:595, point 44 et jurisprudence citée).

50

Interrogé à ce sujet lors de l’audience, le gouvernement néerlandais a fait valoir que la réglementation en cause au principal était justifiée par l’objectif visant à protéger le marché du travail national.

51

À cet égard, il convient de rappeler que, si le souci d’éviter des perturbations sur le marché de l’emploi constitue, certes, une raison impérieuse d’intérêt général, les travailleurs employés par une entreprise établie dans un État membre et qui sont détachés dans un autre État membre en vue d’y effectuer une prestation de services ne prétendent cependant pas accéder au marché de l’emploi de ce second État, dès lors qu’ils retournent dans leur pays d’origine ou de résidence après l’accomplissement de leur mission (voir arrêts Rush Portuguesa, C‑113/89, EU:C:1990:142, point 15 ; Commission/Luxembourg, EU:C:2004:655, point 38, et Commission/Autriche, EU:C:2006:595, point 55).

52

Toutefois, un État membre peut vérifier que l’entreprise établie dans un autre État membre, qui détache sur son territoire des travailleurs d’un État tiers, ne se sert pas de la liberté de prestation des services dans un but autre que l’accomplissement de la prestation concernée (voir arrêts Rush Portuguesa, EU:C:1990:142, point 17 ; Commission/Luxembourg, EU:C:2004:655, point 39, et Commission/Autriche, EU:C:2006:595, point 56).

53

De telles vérifications doivent cependant respecter les limites que pose le droit de l’Union, et notamment celles découlant de la liberté de prestation des services, qui ne peut être rendue illusoire et dont l’exercice ne peut être soumis à la discrétion de l’administration (voir arrêts Rush Portuguesa, EU:C:1990:142, point 17 ; Commission/Allemagne, EU:C:2006:49, point 36, et Commission/Luxembourg, EU:C:2004:655, point 40).

54

Dans ce contexte, il y a lieu de relever que la nature particulière de l’activité consistant, pour une entreprise, à mettre à disposition, contre rémunération, de la main-d’œuvre qui reste au service de cette entreprise, sans qu’aucun contrat de travail soit conclu avec l’utilisateur, n’enlève pas à une telle entreprise le caractère d’entreprise de prestation de services relevant du champ d’application des articles 56 TFUE et suivants et ne saurait faire échapper une telle activité aux règles relatives à la libre prestation des services (voir arrêt Webb, EU:C:1981:314, point 10).

55

Par conséquent, si un État membre doit se voir reconnaître tant la faculté de vérifier qu’une entreprise établie dans un autre État membre, fournissant à une entreprise utilisatrice établie dans le premier État membre un service consistant en la mise à disposition de travailleurs ressortissants d’États tiers, ne se sert pas de la liberté de prestation des services à d’autres fins que la fourniture du service concerné, que la possibilité de prendre les mesures de contrôle nécessaires à cet égard (voir arrêt Commission/Allemagne, EU:C:2006:49, point 36), l’exercice de cette faculté ne saurait toutefois permettre à cet État membre d’imposer des exigences disproportionnées.

56

Or, le maintien, à titre permanent, par un État membre d’une exigence d’autorisation de travail pour les ressortissants d’États tiers qui sont mis à la disposition d’une entreprise établie dans cet État par une entreprise établie dans un autre État membre excède ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par la réglementation en cause au principal.

57

À cet égard, l’obligation faite à une entreprise prestataire de services de fournir aux autorités néerlandaises les indications attestant que les travailleurs concernés sont en situation régulière, notamment en termes de résidence, d’autorisation de travail et de couverture sociale, dans l’État membre où cette entreprise les emploie, offrirait auxdites autorités, de manière moins restrictive et aussi efficace que l’exigence de l’autorisation de travail en cause au principal, des garanties quant à la régularité de la situation de ces travailleurs et au fait que ceux-ci exercent leur activité principale dans l’État membre où est établie l’entreprise prestataire de services (voir arrêts Commission/Luxembourg, EU:C:2004:655, point 46, et Commission/Allemagne, EU:C:2006:49, point 41).

58

Une telle obligation pourrait consister en une simple déclaration préalable, qui permettrait aux autorités néerlandaises de contrôler les indications fournies et de prendre les mesures nécessaires en cas d’irrégularité de la situation des travailleurs concernés. En outre, ladite obligation pourrait prendre la forme d’une notification succincte des documents requis, notamment lorsque la durée du détachement ne permet pas d’exercer un tel contrôle de manière efficace (voir arrêt Commission/Allemagne, EU:C:2006:49, point 41).

59

De même, l’obligation faite à une entreprise prestataire de services de signaler au préalable aux autorités néerlandaises la présence d’un ou de plusieurs travailleurs salariés détachés, la durée prévue de cette présence et la ou les prestations de services justifiant le détachement constituerait une mesure aussi efficace et moins restrictive que l’exigence de l’autorisation de travail en cause au principal. Elle serait de nature à permettre à ces autorités de contrôler le respect de la réglementation sociale néerlandaise pendant la durée du détachement en tenant compte des obligations auxquelles cette entreprise est déjà soumise en vertu des règles de droit social applicables dans l’État membre d’origine (voir arrêts Commission/Luxembourg, EU:C:2004:655, point 31, et Commission/Allemagne, EU:C:2006:49, point 45). Combinée aux indications fournies par ladite entreprise au sujet de la situation des travailleurs concernés, visées au point 57 du présent arrêt, une telle obligation permettrait auxdites autorités de prendre, le cas échéant, les mesures qui s’imposent au terme de la période prévue de détachement.

60

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que les articles 56 TFUE et 57 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle, lorsque des travailleurs ressortissants d’États tiers sont mis à disposition, par une entreprise établie dans un autre État membre, d’une entreprise utilisatrice établie dans le premier État membre, laquelle utilise ceux-ci afin d’effectuer des travaux pour le compte d’une autre entreprise établie dans ce même État membre, une telle mise à disposition est subordonnée à la condition que ces travailleurs aient fait l’objet d’une autorisation de travail.

Sur les dépens

61

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

Les articles 56 TFUE et 57 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle, lorsque des travailleurs ressortissants d’États tiers sont mis à disposition, par une entreprise établie dans un autre État membre, d’une entreprise utilisatrice établie dans le premier État membre, laquelle utilise ceux-ci afin d’effectuer des travaux pour le compte d’une autre entreprise établie dans ce même État membre, une telle mise à disposition est subordonnée à la condition que ces travailleurs aient fait l’objet d’une autorisation de travail.