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Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 27 mai 2015

N° de pourvoi : 13-81043

ECLI:FR:CCASS:2015:CR01993

Non publié au bulletin

Rejet

M. Guérin (président), président

SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

 M. Denis A...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de METZ, chambre correctionnelle, en date du 23 janvier 2013, qui, pour travail dissimulé, l’a condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d’amende, et à cinq ans d’interdiction professionnelle de gérer une entreprise commerciale ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 31 mars 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Straehli, conseiller rapporteur, M. Finidori, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller STRAEHLI, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général CORDIER ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, 56 du TFU (ancien article 49 du TCE), de la directive 96/ 71/ CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, L. 8224-1, L. 8221-1, alinéa 1, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5, L. 8224-1, L. 8224-3 et L. 8224-4 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. A...coupable de travail dissimulé et l’a condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis, à une amende de 10 000 euros et à une interdiction de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son compte ou le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale pendant cinq ans ;
” aux motifs que selon extrait K-bis versé à la procédure, une société Administra a été crée le 1er juillet 2007 entre M. A...(80 parts) et Mme X... ... (20 parts) ; que la gérante de la société était l’épouse de M. A..., Mme Y... ; que l’objet social était la tenue de comptabilité de sociétés ; que le siège social était établi à Stiring Wendel au domicile de M. et Mme A... ; que selon les déclarations préalables à l’embauche reçues par l’Urssaf de la Moselle, cette société occupait plusieurs salariés dont Mmes X..., D..., E..., B...et A... ; que selon procès-verbal d’assemblée générale des 15 juillet et 30 août 2010, les associés décidaient de liquider la société Administra par anticipation au 31 juillet 2010 ; que M. A...était nommé aux fonctions de liquidateur ; qu’il demandait la radiation du compte de la société auprès de l’Ursaff de la Moselle à partir du 31 juillet 2010 ; que le 22 février 2011, deux agents de l’Urssaf se présentaient au domicile de M. et Mme A... à Stiring-Wendel ; qu’ils y constataient la présence d’une plaque « société Administra » donnant accès à des bureaux ; que dans ces bureaux, ils notaient la présence en situation de travail de M. C..., Mmes B...et A... et M. A..., lui-même ; que ce dernier tentait d’empêcher le contrôle prétextant que les personnes présentes étaient salariés d’une société Administra ayant son siège au Luxembourg et que les contrôleurs se trouvaient à son domicile privé ; que les agents de l’Urssaf prenaient la déposition de M. A...qui expliquait : « Je suis gérant de fait de la société Administra France. Celle-ci a été radiée. Elle a maintenant son siège au Luxembourg. Les trois employés qui étaient présents le jour du contrôle sont des travailleurs luxembourgeois. La plaque de la société française était bien encore apposée, je n’avais pas encore eu le temps de l’enlever... L’adresse que j’ai au Luxembourg n’est pas fictive... Je paie un loyer. Je suis gérant de la société au Luxembourg. La société est conseillère en gestion » ; qu’un K bis luxembourgeois était joint à la procédure qui mentionne qu’une société Administra a été constituée le 10 août 2010, qu’elle a son siège et ses guichets dans un centre administratif à Luxembourg-ville et qu’elle a une activité de gestion ; que M. A...est l’unique associé et le gérant de la société ; qu’étaient joints également les contrats d’embauche de M. C...(à compter du 20 septembre 2010), domicilié à la même adresse que M. A..., Mme B...(à compter du 1er janvier 2011) et Mme A...(à compter du 1er septembre 2010), domiciliés à Stiring-Wendel ; que les trois salariés entendus par la police le 4 juin 2012 expliquaient qu’ils étaient le 22 février 2011 en réunion de travail à Stiring Wendel et qu’ils partageaient leur temps entre ces locaux et les locaux au Luxembourg ; que les trois salariés déclaraient qu’ils n’avaient pas travaillé précédemment pour Administra France, alors que l’Urssaf avait enregistré une déclaration d’embauche au nom de cette société concernant Mmes B...et A... le 23 mars 2010 ; qu’ils précisaient que, depuis février 2012, la société louait des bureaux à Mondorf-les-Bains au Luxembourg ; que les éléments décrits par le procès-verbal des agents de l’Urssaf démontrent que l’activité de la société Administra au Luxembourg s’effectue au domicile de M. A...à Stiring-Wendel, celui-ci louant d’ailleurs ses locaux à la société luxembourgeoise, que cette activité s’exerce avec globalement les mêmes salariés et la même clientèle locale, qui utilise d’ailleurs l’adresse de M. A...comme une adresse de domiciliation ; que de la même manière, au moment de la constatation des faits, M. A...disposait d’une simple domiciliation, adresse postale au Luxembourg ; que dans ses pièces à hauteur d’appel, son conseil produit un contrat de domiciliation conclu le 10 août 2010 entre la société Administra représentée par M. A...et un cabinet d’avocat au Luxembourg ; qu’il est constant que les salaires des employés présents au moment du contrôle n’étaient pas déclarés aux organismes sociaux puisque le compte était radié en France, les employés ne bénéficiant pas par ailleurs de bulletins de paie conformément à l’article L. 3213-2 du code du travail ; qu’il est constant que l’établissement de Stiring-Wendel constitue en réalité l’établissement unique, du moins un établissement stable au sens de la réglementation fiscale de la société Administra ; qu’à la présomption telle que prévue à l’article L. 8221-3 du code du travail, M. A...n’apporte aucun élément probant ; qu’ainsi, il n’apporte pas d’éléments relatifs au déplacement des salariés au Luxembourg, relatifs à la répartition de sa clientèle entre la France et le Luxembourg, relatifs au chiffre d’affaires générés par sa clientèle luxembourgeoise ; qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris sur la culpabilité, les premiers juges ayant parfaitement analysé, qualifié et motivé la situation constatée par les agents assermentés de l’’Urssaf qui se sont présenté dans les locaux de travail à Stiring-Wendel le 22 février 2011 ; qu’il y a lieu d’infirmer le jugement sur la peine ; que le casier judiciaire applicable à M. A...porte mention d’une condamnation pour des faits d’altération frauduleuse de la vérité dans un écrit ; qu’il s’agissait d’un document destiné à un condamné pour étayer une procédure d’application des peines ; que les faits portent gravement atteinte à la cohésion et à la solidarité nationale ; qu’il y a lieu de prononcer à l’encontre de M. A...une peine plus adaptée à la gravité de ces faits et à sa personnalité, soit trois mois d’emprisonnement avec sursis et une amende de 10 000 euros ; qu’il y a également lieu de prononcer la peine complémentaire d’interdiction de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son compte ou le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ;
” et aux motifs éventuellement adoptés que M. A...n’a en réalité pas contesté l’existence d’un travail par ses employés au 26 rue Saint-Humbert à Stiring-Wendel ; que les employés entendus ont en fait eux aussi reconnu travailler au 26 rue Saint-Humbert à Stiring-Wendel, ce qui découle d’ailleurs aussi de la lecture de leur contrat de travail versé à la procédure ; mais qu’aucun élément n’a permis d’attester de la réalité d’un travail au Luxembourg, domiciliation initiale de l’entreprise chez son comptable, absence de production d’un contrat de bail pour des locaux à Mondorf-les-Bains (Luxembourg), le tout mêlé d’explications confuses avec la présence manifeste d’un gérant de fait, la confusion générée par l’existence successive de la société Administra de droit français et de la société Administra de droit luxembourgeois, la volonté de s’opposer à un contrôle inopiné des inspecteurs de l’Urssaf en arguant du caractère de domicile privé des locaux contrôlés malgré les constatations explicites de ces inspecteurs ; qu’ainsi, il ressort avec évidence que la domiciliation de la société Administra au Luxembourg est Fictive ; que compte tenu de ce contexte et conformément aux constatations par le procès-verbal des inspecteurs de I’Urssaf de la Moselle, en date du 24 février 2011, il y a lieu de dire établies la dissimulation de l’activité de la société Administra et la dissimulation des salariés M. C..., Mmes B...et A... par M. A..., gérant de fait de cette société ; qu’ainsi, il convient de déclarer M. A...coupable des faits qui lui sont reprochés ;
” 1°) alors que l’article L. 8221-3 du code du travail définit la notion de travail dissimulé par dissimulation d’activité pour la distinguer du travail dissimulé par dissimulation d’activité salariée et précise que la continuation d’activité d’une personne radiée est un cas de travail dissimulé ; que, par l’interprétation erronée de l’article L. 8221-3 du code du travail, consistant à considérer qu’en présence d’une société radiée, dont certains associés constitueraient une nouvelle société ayant la même activité, dans un autre Etat membre, et auraient embauché certains salariés de la société radiée, pourrait être constitutif de travail dissimulé, imposant au dirigeant de ladite société de prouver que lui-même et ses salariés exercent une réelle activité dans la nouvelle société, dans cet autre Etat, pour échapper aux poursuites, la cour d’appel a méconnu ledit article ;
” 2°) alors que dès lors que la cour d’appel a constaté qu’un K bis luxembourgeois était joint à la procédure qui mentionne qu’une société Administra a été constituée le 10 août 2010, qu’elle a son siège et ses guichets dans un centre administratif à Luxembourg-ville et qu’elle a une activité de gestion, que le prévenu était « l’unique associé et le gérant de la société » et enfin, la fourniture de contrats de travail, passés avec la nouvelle société des trois personnes présentes lors du contrôle en France, tandis que l’ancienne société était composée d’autres associés et que le prévenu n’en était pas le dirigeant, elle ne pouvait en déduire qu’il existait une continuation d’activité par l’ancienne société radiée permettant de retenir la dissimulation d’activité de ladite société et de son dirigeant, sans se contredire au vu du constat de la déclaration d’activité de la nouvelle société par enregistrement au registre du commerce luxembourgeois, et sans avoir recherché si les salariés en cause n’étaient pas déclarés au Luxembourg et soumis, sans fraude, à la législation sociale de cet Etat ;
” 3°) alors qu’en retenant que les constatations des inspecteurs de l’urssaf permettaient de retenir une présomption de dissimulation d’activité en France, sur la base du seul constat de la présence du prévenu avec trois autres personnes, dans un local situé en France, sans avoir constaté être en présence de l’une des situations visées par l’article L. 8221-4 du code du travail permettant de présumer la dissimulation d’une activité en France, la présomption ainsi prévue ne s’appliquant en outre qu’aux activités non salariées, la cour d’appel a privé de base légale ;
” 4°) alors que, toute personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement établie ; que la charge de la preuve pèse sur le ministère public ; que des salariés peuvent être détachés dans un autre Etat membre de l’Union européenne, sous réserve, pour leur employeur, de faire une déclaration de détachement de ses salariés, sous peine d’une amende prévue par l’article R. 1264-1 du code du travail ; que les personnes exerçant une activité non salariée peuvent également venir exécuter leurs prestations dans un autre Etat membre au titre de la libre prestation de service dans l’Union européenne ; qu’en considérant qu’un contrôle ponctuel, au cours duquel quatre personnes se trouvaient dans un local en France, où deux ou trois personnes semblaient travailler, celles-ci affirmant pourtant travailler pour une société luxembourgeoise dont les juges ne nient pas l’existence, permettait de présumer une activité stable en France et en retenant à la charge du prévenu qu’il ne rapportait pas la preuve du fait que sa société luxembourgeoise avait une réelle activité et que ses salariés travaillaient aussi au Luxembourg, la cour d’appel qui exige du prévenu qu’il rapporte la preuve de son innocence, sur la base d’une présomption incompatible avec la libre prestation de service au sein de l’Union européenne, a, en inversant la charge de la preuve, méconnu la présomption d’innocence ;
” 5°) alors qu’enfin, et tout état de cause, la libre prestation de service communautaire implique nécessairement que, dès lors qu’une société est installée dans un Etat de l’Union européenne, il appartient à l’Etat membre prétendant qu’elle exerce son activité non pas dans cet autre Etat, mais sur son territoire, de démontrer que tel est le cas, pour pouvoir retenir l’absence de déclaration d’activité et de bulletins de salaire sur cet Etat ; que dès lors que la cour d’appel a constaté que la société Administra (Luxembourg) avait été constituée le 10 août 2010, ayant son siège social et ses guichets dans un centre administratif à Luxembourg-ville, qu’elle a une activité de gestion et que les contrats d’embauche par cette société étaient joints, elle ne pouvait, sans méconnaître le droit à la libre prestation de service, exiger du prévenu qu’il apporte la preuve du fait que sa société exerçait réellement son activité au Luxembourg “ ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle et caractérisé, en tous ses éléments, tant matériel qu’intentionnel, le délit de travail dissimulé dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D’où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-24 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a, après avoir déclaré le prévenu coupable du délit de travail dissimulé, l’a condamné à une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 10 000 euros et a prononcé à son encontre la peine complémentaire d’interdiction de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son compte ou le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale pendant cinq ans ;
” aux motifs que le casier judiciaire applicable à M. A...porte mention d’une condamnation pour des faits d’altération frauduleuse de la vérité dans un écrit ; qu’il s’agissait d’un document destiné à un condamné pour étayer une procédure d’application des peines ; que les faits portent gravement atteinte à la cohésion et à la solidarité nationale ; qu’il y a lieu de prononcer à l’encontre de M. A...une peine plus adaptée à la gravité de ces faits et à sa personnalité, soit trois mois d’emprisonnement avec sursis et une amende de 10 000 euros ; qu’il y a également lieu de prononcer la peine complémentaire d’interdiction de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son compte ou le compte d’autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ;
” alors que, selon l’article 132-24 du code pénal, dans les limites fixées par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ; que pour condamner le prévenu, la cour d’appel constate qu’il a déjà été condamné pour faux ; qu’en l’état de tels motifs qui prononce les peines au seul regard d’une infraction pour laquelle le prévenu avait déjà été condamné, la cour d’appel a violé l’article précité “ ;

Attendu que, hormis les cas expressément prévus par la loi, les juges ne sont pas tenus de motiver spécialement le choix de la sanction qu’ils prononcent dans les limites légales ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept mai deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Metz , du 23 janvier 2013